À l'occasion du 83e anniversaire de l’appel à la résistance du général de Gaulle, l'historienne Frédérique Neau-Dufour revient sur la genèse de cette prise de parole qui a marqué le XXe siècle.
L'appel à la résistance du Général de Gaulle a lieu le 18 juin 1940. Quel est le contexte historique à cette époque ?
Frédérique Neau-Dufour. - À la veille du 18
juin 1940, la France se trouve dans une situation dramatique sur tous les
plans. En guerre depuis le 3 septembre 1939, le pays subit à partir du 10 mai
1940 l’offensive éclair du IIIe Reich.
Au plan politique règne une extrême confusion. Le Gouvernement de
Paul Reynaud, formé le 21 mars 1940, a dû se replier à Tours le 10 juin, puis à
Bordeaux le 16.
Entre les ministres, les tensions deviennent intenables. Paul
Reynaud, Georges Mandel et Charles de Gaulle veulent poursuivre le combat par tous les
moyens. D’autres défendent l’option d’un armistice,
comme le vice-président du Conseil, le maréchal Pétain. Cette dernière position
l’emporte.
C'est ainsi que le 16 juin, le Premier ministre Paul Reynaud démissionne. Le maréchal Pétain forme alors un nouveau gouvernement et annonce aux Français la perspective d’un armistice en ces termes : « c’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui
qu’il faut cesser le combat ».
Pour autant, le Général du Gaulle ne capitule pas et se rend en Angleterre...
L’Angleterre
représente pour de Gaulle la terre des possibles.En tant que sous-secrétaire d’État à la Guerre, il a eu
l’occasion de rencontrer Winston Churchill.
Et, face à la
situation dramatique de juin 1940, les deux hommes sont sur la même longueur
d’ondes. Ils se rencontrent le 16 juin pour concrétiser la possibilité de faire « fusionner
» momentanément la Grande-Bretagne et la France contre les nazis.
À la formation du gouvernement Pétain, de Gaulle se tourne vers le pays qui
croit encore à la victoire : il s’envole le 17 juin au matin vers Londres en vue de s'exprimer sur les ondes de la BBC, le plus vieux radiodiffuseur britannique de service public. Ce choix n'est pas le résultat d'un coup de
tête, bien au contraire. L'appel du Général de Gaulle a été mûri par une réflexion personnelle
très antérieure.
Dès 1933, il s’est montré lucide quant à l’arrivée des
nazis au pouvoir. Leurs violations répétées du Traité de Versailles le
persuadent rapidement qu’une nouvelle guerre est possible. Dans cette
perspective, il juge très sévèrement la stratégie défensive mise en place par
l’état-major. Face à un voisin nazi agressif et équipé, il trouve la ligne
Maginot inappropriée et préconise dans de nombreux écrits l’utilisation massive
des blindés.
Lors de la campagne de 1940, il combat à la tête d’une division de
chars. Le 28 mai 1940, les services de propagande militaires demandent à cet
officier combattif de parler sur les ondes françaises pour soutenir le moral
des troupes. Il enregistre un message depuis Savigny-sur-Ardre :
« Nos succès de de demain et notre Victoire nous viendront un jour de nos divisions
cuirassées et de notre aviation d’attaque ». Le 18 juin est là, en
germe.
Quels
étaient les objectifs principaux de ce discours ?
L’Appel du 18 juin voit cohabiter deux
objectifs principaux.
Le premier consiste à mobiliser des forces pour continuer la lutte. La dimension
militaire du texte est frappante. Ainsi de Gaulle invite « les officiers et les soldats français », « les ingénieurs et les ouvriers
spécialistes des industries d’armement » à le rejoindre.
Le second objectif est d’ordre moral et spirituel. De Gaulle ne veut pas
seulement rassembler une légion de combattants. Il énonce un certain nombre de
principes qui fondent déjà une vision politique : refus de la défaite, foi
en les forces, attachement à une espérance.
Le Général ouvre un avenir en prononçant deux mots clés : espérance et résistance. Ils permettent à de nombreux Français de redresser la tête et de croire au
lendemain.
Que déclare le général de
Gaulle ?
De Gaulle énonce un nombre
important d’éléments. Il passe très vite sur l’incapacité du nouveau
gouvernement à analyser correctement la situation et centre son propos sur
l’analyse de ce qui vient de se passer au plan militaire.
En faisant preuve d'une grande pédagogie, il fait comprendre que les raisons de la défaite seront aussi celles de la
victoire future. Pour l’emporter, il faut des armes, des hommes, des
moyens et enfin une volonté, qu'il se déclare prêt à porter.
La dernière phrase de l'appel du
18 juin est, à cet égard, très importante. Le Général inscrit son propos
dans la durée et dans l’avenir, en affirmant qu’il continuera de parler sur la
BBC, « demain comme aujourd’hui ».
Comment cette prise de parole est-elle perçue en France ?
L’Appel du 18 juin
fut très peu entendu par les Français. Des millions d’entre eux sont alors sur
les routes, en proie au plus grand désarroi.
Accéder à un poste de radio n’est
pas chose facile et écouter la BBC n’est pas une idée commune - sans compter que la diffusion a lieu à 22 heures.
La notoriété de ce discours découle surtout du bouche-à-oreille et des articles qui s’en
font l’écho dans la presse.
Mais, parmi les rares Français qui ont entendu l’Appel, il y a Lucien Neuwirth, futur père de la loi sur la pilule contraceptive. Alors âgé de 16 ans, il en reste marqué pour toujours et raconte l’émotion pleine de patriotisme de sa mère. Citons aussi les pêcheurs de l’Ile de Sein, au large du Finistère, qui gagnent immédiatement les rives britanniques sur leurs bateaux.
À quel point l'appel du 18 juin a-t-il contribué à l’essor de la
Résistance en France ?
Il est
important de rappeler que l’Appel du 18 juin n’est pas à l’origine directe de
la Résistance française. Beaucoup de gens sont moralement entrés dans la
résistance dès le 17 juin, choqués par le message de Pétain annonçant la fin
des combats.
Cependant,
l’Appel du 18 juin, en mettant des mots sur un sentiment naissant, conforte les
résistants dans leur choix et encourage d’autres personnes hésitantes à rallier le mouvement. Lequel devient l’incarnation d’une autre réalité, celle de la
France libre.
En 2023,
de quoi ce discours est-il en symbole ?
Le contraste est saisissant entre l’audience réduite du 18 juin en
1940 et l’aura actuelle de ce discours.
Il est devenu une icône de notre Histoire nationale, célébrée par une journée nationale commémorative, clamée sur des milliers de noms de rue, étudiée par les élèves.
Il reste le symbole d’une forme de lucidité politique, d’une capacité de refus et d’une conscience en acte.