Discours d'Édouard Philippe au Forum international de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 18/11/2019

Messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs,
« La sagesse est le fruit d’une longue expérience » dit un proverbe sénégalais. C’est pour bénéficier de cette sagesse, de cette expérience de l’Afrique que le Forum de Dakar a vu le jour en 2013 à la suite du Sommet de Paris. Or, s’il y a une chose dont notre monde – celui de 2019- me semble avoir besoin, c’est bien de sagesse et d’expérience. C’est pourquoi ce 6ème forum, que je suis particulièrement honoré d’ouvrir, prend un relief particulier.
Beaucoup a été fait depuis 2013. Une année qu’on peut considérer comme fondatrice.
2013, c’est l’année de naissance du Forum de Dakar. C’est également l’année du sommet de Yaoundé sur la lutte contre la piraterie maritime qui a posé les fondements d’une coopération renforcée entre les Etats riverains du golfe de Guinée.
2013, c’est aussi l’année de la réaction immédiate que nous avons opposée au péril islamiste qui menaçait Bamako. La France a répondu présent avec l’opération Serval puis avec l’opération Barkhane dont la vocation est désormais régionale. La France n’a pas été seule dans ce combat. Elle a pu compter sur l’aide de ses partenaires européens et africains avec à la clef, de réels succès tactiques. En témoigne la récente mise hors de combat de chefs et de membres de différents groupes terroristes au Mali ou ailleurs.
Nous ne sommes pas réunis ici pour un effectuer un exercice d’autosatisfaction, mais pour regarder la situation en face. Dans sa nuance et parfois, dans sa vérité plus cruelle.
Dans certains territoires, nous sommes parvenus sinon à éradiquer, du moins à contenir, voire à faire reculer la menace djihadiste.
Dans d’autres territoires en revanche, cette menace se développe. Bien souvent, elle prospère sur un terreau de tensions préexistantes. Elle tire aussi profit de la corruption et des trafics. Cette menace mute, s’adapte, se répand ailleurs, comme un cancer. Elle frappe parfois au coeur des pays : au centre du Mali, au nord du Burkina Faso ou au Nord Tillaberi au Niger. Permettez-moi, à cet égard, de saluer la mémoire de l’ensemble des militaires, de toute nationalité et elles sont nombreuses, qui ont perdu dans la vie dans le cadre des opérations de la communauté internationale en Afrique.
Une chose est sûre : les groupes djihadistes profiteront dès qu’ils le pourront, de nos faiblesses, de nos manques de coordination ou de nos insuffisances en termes de moyens, d’engagements ou de formation. Nous ne devons leur laisser aucune chance, aucune prise.
Cela implique d’évaluer en permanence l’efficacité de nos dispositifs. En les confrontant au monde tel qu’il est pour tirer ensuite les bonnes conclusions. J’en vois au moins trois.
La première c’est que le monde de périls dans lequel nous vivons, crée entre nous une communauté de destins :
Cette communauté de destins est ancienne. Nous avons eu l’occasion de la commémorer la semaine dernière, lors des célébrations de l’armistice de la Première guerre mondiale, en rendant hommage comme chaque année, aux soldats qui sont venus dans la lointaine Europe, pour se battre et mourir aux côtés des Poilus. Cette communauté de destin se nourrit de nombreux échanges économiques et culturels. Elle se nourrit de nos communautés respectives et de nos binationaux.
Mais cette communauté de destins, c’est aussi celle qui pousse aujourd’hui des milliers de jeunes à fuir la guerre, la pauvreté, l’absence de perspectives pour gagner l’Europe au risque de leur vie. Nous savons tous que cette illusion d’une vie meilleure se change souvent en piège. Et que ces migrations qui sont subies à la fois par les pays de départ et par les pays d’accueil, constituent un échec commun. Un échec qui alimente les peurs, le ressentiment, et parfois la haine. On le sait aussi : on ne résoudra pas cette question sur le long terme en s’abritant derrière des mers ou en érigeant des murs.
La deuxième conclusion, c’est que nous ne pourrons avancer qu’ensemble. « Nul ne peut se vanter de se passer des autres » dit un proverbe malien. Nous avons en effet besoin de l’engagement de tous pour progresser vers une stabilisation totale.
  • De la MINUSMA qui contribue partout au Mali, au dialogue politique.
  • Nous avons besoin de l’EUTM qui soutient et renforce l’efficacité opérationnelle des forces maliennes.
  • Nous avons besoin du G5 Sahel qui crée une vraie solidarité opérationnelle, en particulier dans les zones frontalières. Permettez-moi à cet égard, de saluer la mobilisation des pays du G5 Sahel et de la CEDEAO lors du sommet extraordinaire d’Ouagadougou du 14 septembre dernier sur la lutte contre le terrorisme.
  • Nous avons besoin de l’engagement de l’Union africaine dans les opérations de l’ONU : et je salue sa volonté d’assumer ses responsabilités dans le cadre d’opérations africaines de maintien de la paix.
  • Voyez-vous : dans un monde où les stratégies unilatérales du « fait accompli » semblent avoir le vent en poupe, l’Afrique a beaucoup à nous dire sur le multilatéralisme dont elle offre de nombreux exemples. Ce n’est pas toujours facile, le multilatéralisme. Mais, pour paraphraser une formule célèbre, c’est le « pire » - je place ce qualificatif entre guillemets- système de résolution des conflits, à l’exclusion de tous les autres. Autrement dit : on n’en connaît pas de meilleur sur le long-terme.
Dernier enseignement : les armées conventionnelles, aussi courageuses et nombreuses soient-elles, ne pourront jamais totalement vaincre l’ennemi que nous combattons. Elles pourront le faire reculer, le neutraliser ; non le faire disparaître. Les armées peuvent faire beaucoup. Mais elles ne peuvent résorber les fractures qui alimentent les affrontements communautaires ; ni garantir la cohésion d’une société. Notre stratégie doit donc combiner plusieurs aspects : un volet militaire bien-sûr, mais aussi diplomatique et d’aide au développement et un volet de perspectives économiques et sociales.
C’est sur le fondement de ce diagnostic, que la France, sous la direction du président de la République, s’est engagée :
Elle a d’abord engagé ses forces. La quasi-totalité des forces que la France a déployées en Afrique le sont aux côtés de leurs alliés africains et européens.
La France accompagne également la montée en puissance des forces de sécurité et de défense locale, en particulier les écoles nationales à vocation régionale. Je pense à la toute récente école de cyber-sécurité de Dakar ; à l’école de l’armée de l’air de Thiès où des cadres sénégalais instruisent des élèves qui proviennent de toute la région. Je pense aussi à l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme de Côté d’Ivoire qui a accueilli cet été ses premiers étudiants ; ou enfin au collège de défense du G5 Sahel qui a vu le jour en 2018 à Nouakchott.
Ces efforts de défense sont importants. Ils sont nécessaires. Nous nous en donnons les moyens financiers. Mais je l’ai dit : ils ne sont pas suffisants. C’est pourquoi, le président de la République s’est engagé à porter notre aide au développement à 0,55% du revenu national brut d’ici 2022. Cela représentera à terme un effort de 7 mds d’euros par an dont l’Afrique sera le premier bénéficiaire. Nous soumettrons en 2020 au Parlement français, une loi de programmation pour inscrire cet engagement dans le marbre. Ce volet « développement » est le complément naturel de notre effort militaire ; les deux sont liés : les Etats ont besoin de stabilité pour se développer. Et le développement, économique, humain, social, est un puissant facteur de stabilité.
Une partie de la solution réside aussi dans l’engagement de nos partenaires européens. C’est le sens de l’initiative que le président de la République a lancée avec le Partenariat de Biarritz. Je voudrais revenir sur 3 de ses aspects qui permettent d’en souligner le caractère inédit.
Le premier, c’est son origine franco-allemande. Ce partenariat prend sa source dans ce qui constitue en quelque sorte, le ciment ou le moteur de l’Europe. L’idée en est française ; sa nature, elle, est européenne.
Le deuxième aspect, c’est que tous les partenaires ont vocation à s’y associer. Les Etats du Sahel bien-sûr, mais aussi les Etats côtiers, de la Côte d’Ivoire au Bénin. Même si ces Etats ne sont pas confrontés de manière directe à l’extension de la menace terroriste, ils détiennent une partie de la solution pour la combattre. Nous devons donc les y inviter, dans un esprit d’engagements réciproques entre les pays de la région et les partenaires internationaux.
Troisième aspect : ce Partenariat engage une refonte de notre manière d’appréhender la sécurité. Il l’envisage en quelque sorte, au sens large, en consacrant une attention particulière aux forces de sécurité intérieure ainsi qu’au renforcement de la chaîne pénale.
J’ajoute que ce partenariat est conçu pour fonctionner de manière très fluide et complémentaire avec l’Alliance Sahel qui doit demeurer centrée sur son objectif : l’appui au développement dans les zones fragiles ou reculées.
Mesdames et messieurs, ce 6ème forum de Dakar est une très belle manière je crois, de « répondre présent à la renaissance du monde » pour paraphraser Léopold Sédar Senghor. Une renaissance qui doit passer, selon moi, par le renforcement du multilatéralisme ; par la défense de la paix et de la sécurité ici en Afrique. Elle doit aussi passer par notre capacité collective à offrir un avenir à chacun ; à rompre avec cette fatalité du départ comme seul horizon. Cette future « renaissance du monde » a surtout besoin de l’Afrique, de sa sagesse, de son expertise, de sa jeunesse, de ses entrepreneurs, de ses artistes et bien-sûr de ses dirigeants. Et cette Afrique pleine de promesses est justement réunie ici, à Dakar, pour répondre présent ce dont je me réjouis très sincèrement.
Je vous remercie.

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