Hommage national à Fabrice Moello et Arnaud Garcia

Publié le 22/05/2024|Modifié le 22/05/2024

Madame la Première ministre,
Messieurs les ministres,
Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du conseil départemental,
Mesdames et Messieurs les maires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame la Défenseure des droits,
Monsieur le Procureur général de la Cour de cassation,
Mesdames et Messieurs les chefs de cour et de juridiction de Caen et de Rouen,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Mesdames et Messieurs les membres de la communauté pénitentiaire,
Madame Brigitte Macron,
Mesdames et Messieurs,
Vous toutes et tous, leurs familles, leurs proches, leurs collègues,
Vous toutes et tous, qui ne les oublierez jamais.
Il n’était pas encore 6 heures, ce matin du 14 mai.
Le calme de la nuit entourait encore la France, et les premières lueurs s’apprêtaient timidement à franchir l’horizon.
Il n’était pas encore 6 heures, ce matin du 14 mai.
Mais pour eux, pour vous, femmes et hommes de la communauté pénitentiaire, c’était l’heure du devoir, l’heure de la mission.
Il n’était pas encore 6 heures, ce matin du 14 mai.
Mais pour Fabrice, Arnaud, Nicolas, Damien et Arnault, tels des sentinelles de l’aube, la journée commençait.
Aucune journée ne ressemble à une autre, quand on choisit la pénitentiaire.
Ils le savent et se préparent, comme avant chaque mission, avec la même attention, le même savoir-faire, la même vigilance.
Ils ont choisi de servir la République. Choisi de servir la Justice.
Et pour eux la journée commence ; comme elle commence, partout en France, au même moment, pour des centaines d’équipes des pôles de rattachement des extractions judiciaires, les PREJ.
Il est 5h30, ce 14 mai, quand le capitaine Fabrice Moello réunit ses hommes et passe en revue, avec eux, les missions du jour.
Une extraction.
Un détenu à convoyer de la maison d’arrêt d’Évreux jusqu’au tribunal de Rouen, puis revenir jusqu’à la prison.
La mission commence.
Deux véhicules, trois agents dans l’un, deux dans l’autre, pour fluidifier le trafic et sécuriser le convoi.
En ce matin du 14 mai, alors que les véhiculent avancent dans le demi-jour : que la Normandie semble calme. Que le drame, la violence et la barbarie semblent loin.
Et pourtant.
Et pourtant chaque seconde qui passe les rapproche inexorablement du drame et des larmes, des coups de feu, des blessures, de la mort.
Le convoi arrive à Rouen. Les auditions se déroulent, s’achèvent.
Nous sommes en milieu de matinée, et le fourgon repart.
Il repart sur les routes de Normandie.
Il repart vers la tragédie.
Les véhicules se suivent, sans jamais perdre le lien, en contact toujours, pour faire face à tous les dangers.
La circulation s’encombre, ralentit.
Et puis soudain, à la sortie du péage d’Incarville, l’histoire bascule, avec une brutalité inouïe.
Face aux deux véhicules de l’État, un véhicule, à contre sens, fait bélier.
Derrière, une autre voiture referme le piège.
Et puis ce sont des tirs, des tirs incessants, des tirs en rafale.
Ce sont les vitres qui explosent, criblées de balles.
Ce sont les tirs qui continuent, non pas seulement pour attaquer, mais pour donner la mort.
Ce sont les tirs de riposte des agents.
Hommes en noir contre hommes en bleu.
Visages cagoulés contre figures de la République.
Brutalité contre Etat de droit.
Violence contre Justice.
Le détenu s’évade du fourgon, libéré par les assaillants.
Des assaillants qui incendient leur véhicule et disparaissent.
3 minutes.
3 minutes : c’est le temps qu’aura duré cette attaque.
3 minutes, et pourtant une éternité.
Nicolas est le premier à se relever, à héler les secours. La balle qui a blessé son oreille a frôlé son crâne, le gilet pare-balle a évité pire.
Pour Damien et Arnault, la vie ne tient qu’à un fil, plus gravement touchés encore par la mitraille des meurtriers. 
Ils se sont relevés. Et j’ai à cet instant, une pensée émue pour leur souffrance et leur courage.
Nous ne les oublierons pas. Nous ne les abandonnerons pas.
Mais alors que le temps semble suspendu.
Alors que le vacarme des tirs se tait, laissant place aux cris d’effrois, aux crissements des pneus, aux sirènes de secours, Arnaud Garcia et Fabrice Moello ne se relèvent pas.
Ils ne se relèvent pas, emportés par la folie meurtrière.
Emportés par des malfrats, devenus des tueurs.
Emportés dans un déchaînement de violence, et un torrent de brutalité.
Arnaud Garcia et Fabrice Moello ne se relèveront pas.
Et pour leurs familles, pour leurs camarades, jamais plus les matins ne seront les mêmes.
Arnaud Garcia avait 34 ans, il allait devenir père.
Il vous avait annoncé la bonne nouvelle il y a quinze jours, à vous, ses collègues, autour d’un verre, avec une joie et une fierté qui faisaient rayonner sur son visage un sourire plus large encore que d’habitude.
Il était passé par d’autres postes auparavant, surveillant à Grasse, à Argenton.
Et s’il était entré au PREJ, c’est par amour. C’est pour avoir des horaires plus réguliers et pouvoir se consacrer plus facilement à Maryse et leur enfant à naître, dans la maison qu’ils avaient construite ensemble.
Ainsi était Arnaud Garcia : sincère et passionné.
Une passion qu’il mettait en toute chose : son métier, bien sûr. Son métier qui était bien plus qu’une profession, mais un engagement, un engagement constant au service de la Justice.
La passion de l’uniforme, celle du service de la France, qu’il avait héritées de son père gendarme.
La passion pour la Normandie, pour l’Histoire, pour la Grèce antique, pour la moto.
La passion pour le football, bien sûr, lui dont on pensait que le cœur de supporter ne pourrait jamais cesser de vibrer.
En sa mémoire, le stade Malherbe à Caen a applaudi à tout rompre, tandis que le RC Lens a respecté une minute de silence.
Mais dans le recueillement de ce silence, dans la ferveur de ces applaudissements, il manquait quelqu’un.
Quelqu’un qui n’avait jamais manqué un match.
Quelqu’un qui connaissait les ressorts de chaque rencontre, les raisons de chaque victoire.
Il manquait Arnaud Garcia.
Mais je crois que si l’on tend l’oreille, on peut deviner encore dans les tribunes le son de sa voix, tant sa présence semblait éternelle.
Fabrice Moello, lui, était arrivé à Caen il y a plus de vingt ans. Et les années ne suffirent pas à faire de ce Breton, un Normand de cœur.
Frêne, Argentan, Caen, ici-même. De promotion en promotion, le voilà au PREJ en 2019, premier surveillant, puis capitaine pénitentiaire.
Il avait cela en lui, cet éthos du chef, qui incitait au courage.
Cette humilité, cette maturité qui inspiraient le respect.
Quand il emmenait ses amis courir, il était le « présicoach », celui qui galvanisait le courage et ranimait les forces.
Son épouse Sandrine, ses deux garçons de 21 ans, Eloann et Julian, lui emboîtaient souvent le pas.
De marathons en trails, de la « Barjo » au Raid de l’Archange, il dévorait le sable de la Manche à longues foulées, assoiffé de vitesse, d’endurance, de vie, car rien n’était trop difficile à ses yeux, quand il s’agissait de se dépasser.
Cette volonté de fer s’alliait d’une bienveillance perpétuelle, teintée d’un soupçon d’irrévérence et d’humour.
Partir en extraction avec lui, c’était être rassuré, être sécurisé.
La force souriante. La force bienveillante.
Une force qui faisait de lui un chef respecté, un père aimé.
Une force qui inspirait.
Cette force, encore aujourd’hui, guide ses collègues et les guidera toujours.
Fabrice Moello et Arnaud Garcia avaient en commun une jovialité, un sourire, un bon mot.
Ils avaient en commun ce chemin de la Justice, embrassé pleinement, en pleine conscience de sa noblesse et de sa difficulté.
Ils partageaient la conviction que l’autorité et la fermeté sont les garants de la paix civile.
Qu’un pays fort a besoin d’écoles comme de prisons, de Justice.
Ils avaient accepté d’incarner cette autorité de la Nation, déterminés, à être un maillon dans la grande chaîne de la Justice.
À faire vivre cette Justice, sans laquelle la démocratie vacille.
Je veux le dire : il n’y a pas de Justice digne de ce nom, si son autorité n’est pas respectée.
Pas de Justice, s’il subsiste une once d’impunité.
Pas de Justice, si les peines ne sont pas appliquées.
Alors la Justice, c’est aussi Fabrice Moello et Arnaud Garcia.
C’est Nicolas. C’est Damien. C’est Arnault.
Ce sont toutes les femmes et tous les hommes de l’administration pénitentiaire, dont l’engagement est exceptionnel, le dévouement remarquable, la mission essentielle.
Grâce à eux, grâce à vous, les peines prennent un sens.
Grâce à eux, grâce à vous, le bras de la Justice ne faiblit pas.
Grâce à eux, grâce à vous, nos concitoyens savent qu’ils sont protégés.
Car tel est votre quotidien, tel est le quotidien des femmes et des hommes de l’administration pénitentiaire : surveiller, sécuriser, accompagner, réinsérer.
Prévoir, prévoir toujours ce qui peut se passer.
Agir, agir avec méthode, avec sang-froid, avec discernement.
Servir, servir la mission, parfois face aux coups, aux insultes, aux menaces.
Parfois, comme mardi dernier, jusqu’à la mort.
L’uniforme des femmes et des hommes de la pénitentiaire, c’est celui de la République doublé de celui de la Justice.
Alors, pour eux aussi, avec le Président de la République, nous nous engageons et nous nous engagerons encore.
Nous nous engageons et nous nous engagerons encore pour qu’ils puissent accomplir leurs missions.
Nous nous engageons et nous nous engagerons encore pour une juste reconnaissance de leur statut.
Nous nous engageons et nous nous engagerons encore pour leur donner des moyens à la hauteur de leurs besoins.
Troisième force de sécurité de notre Nation, les femmes et les hommes de l’administration pénitentiaire veillent sur l’ordre républicain.
Et ce matin, je pense à eux.
Je pense à tous les membres de l’administration pénitentiaire.
Je pense à tous les membres de PREJ, si nombreux aujourd’hui.
Je pense aux agents d’établissement, aux surveillants qui exercent leurs métiers de coursives en coursives, ou en surveillance des placements sous bracelet électronique.
Je pense aux membres des services de probation et d’insertion.
Je pense aux agents d’intervention, les ERIS, qui gèrent les crises et interviennent partout où la violence gronde.
Je pense aux équipes cynotechniques, avec leurs chiens de recherche.
Malgré les difficultés, malgré la violence à laquelle vous faites face, malgré l’émergence d’une nouvelle génération de prisonniers, totalement désinhibée : vous savez opposer le règne du droit à celui de la violence.
Vous savez faire en sorte que force aille toujours à la loi.
Vous savez aussi garder le cœur ouvert aux fragilités, déceler les volontés de revenir sur le droit chemin, fidèle à ce rôle de réinsertion qui vous revient également.
Mesdames et Messieurs,
Le 14 mai, l’effroi a touché la France.
Le cœur de chaque français s’est serré en apprenant que notre pays avait perdu deux de ses serviteurs. Que trois d’entre eux étaient gravement blessés.
Je veux redire ma solidarité, mon soutien à la communauté pénitentiaire mais aussi judiciaire.
Une communauté dont l’émotion et la douleur sont indépassables, avec la perte de deux collègues, de deux amis.
Avec cette peine qui s’ajoute au deuil de l’agent Grégory Lesecq, mort il y a trois mois durant une intervention de l’ERIS de Lille.
Je veux vous le dire droit dans les yeux : leur mort ne restera pas impunie.
L’enquête avance. Elle se poursuivra, aussi longtemps qu’il le faudra. Mais elle aboutira.
Aux criminels lâches et odieux, qui ont accompli ce crime barbare, je veux le dire à nouveau : ne dormez pas tranquilles. Nous vous traquons. Nous vous trouverons. Et nous vous punirons.
Le glaive de la Justice ne tremblera pas.
Nous vous le devons.
Mesdames et Messieurs,
Fabrice Moello,
Arnaud Garcia,
La France n’oublie pas ses enfants qui, pour elle, ont pris l’uniforme, ceux qui ont fait vivre ses institutions, qui ont fait régner ses valeurs républicaines, jusqu’à en mourir.
Nous honorerons vos mémoires. Nous ferons vivre vos combats. Nous ferons perdurer vos passions.
Fabrice Moello sera promu dans le corps de directeur des services pénitentiaires, Arnaud Garcia dans le corps des officiers, au grade de capitaine.
Nous serrerons les rangs. Nous prendrons soin de vos familles, de vos enfants. Comme nous prendrons soin de vos camarades blessés. Nous soutiendrons ceux qui reprennent après vous le flambeau que vous avez placé si haut.
Et c’est pour vos vies consacrées à la justice, et emportées en son nom, que j’ai l’honneur, ce matin, de vous remettre les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
Vive la République ! Vive la France !

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