Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Daech est à terre. Après cinq ans de terreur, son emprise territoriale en Syrie et en Irak est anéantie, grâce à l’action de la coalition internationale et de nos armées. Même si nous pouvons nous en réjouir, nous ne devons pas baisser la garde. Les batailles se livrent là-bas dans la zone syro-irakienne, elles se livrent ailleurs dans le monde mais elles se livrent aussi ici sur notre sol. Nous savons que la menace terroriste endogène demeure, qu’elle évolue, qu’elle n’a pas disparu. Les récentes attaques en témoignent.
Si nous avons souhaité tenir ici, à Strasbourg, ce comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, c’est pour montrer que 4 mois après l’attaque qui a tué 5 personnes sur le marché de Noël, notre détermination, celle du Gouvernement, celle des élus locaux, celle de notre nation tout entière n’a pas faibli.
Si nous avons fait ce choix, c’est aussi parce que ce matin, à l’occasion de ce comité interministériel, nous avons voulu tirer les leçons de cet attentat. Une des choses que montre l’attaque de Strasbourg, c’est qu’il peut exister un continuum entre la délinquance, la radicalisation et évidemment le terrorisme.
Je ne dis pas que la délinquance conduise nécessairement au terrorisme, loin de là. Je ne suis ni dans le fatalisme ni dans l’excuse. Je m’attache à être lucide et pragmatique. La lutte contre la délinquance et la lutte contre la radicalisation appellent des actions ciblées et adaptées à chacun de ces phénomènes, mais il est préférable d’être lucide sur la porosité qui peut conduire de l’un à l’autre.
L’efficacité impose de commencer par le bilan des actions en matière de lutte contre la radicalisation que nous avions engagé en février 2018.
Notre première priorité, c’est de ne pas laisser le champ-libre aux foyers de radicalisation et de lutter pied à pied contre ceux qui les animent. Nous sommes allés, dans cet esprit de reconquête républicaine qui nous anime et que porte Christophe CASTANER et l’ensemble du Gouvernement, reprendre ces frontières intérieures. Depuis février 2018, dans les quartiers dans lesquels nous avons concentré notre action, 4 écoles hors-contrat ont été fermées, 7 lieux de culte dont la mosquée salafiste Assuna à Hautmont ont été fermés, 8 établissements culturels ou associatifs ont été fermés, 89 débits de boisson ont été fermés. La loi du 13 avril 2018 a rénové l’encadrement des établissements privés hors-contrat pour éviter qu’ils ne deviennent ou qu’ils ne constituent un terreau de radicalisation. La procédure d’opposition à l’ouverture a été engagée depuis l’adoption de la loi à 15 reprises.
Mais cette lutte contre la radicalisation, elle doit aussi évidemment intervenir au sein même de l’école de la République. C’est au sein même de l’école de la République que doit se livrer notre combat. Sous l’impulsion de Jean-Michel BLANQUER, dans chaque académie, des unités de laïcité ont été effectivement mises en place. Ce sont 350 professionnels formés, disponibles pour soutenir les enseignants à chaque fois qu’ils sont confrontés à des atteintes aux valeurs républicaines. Plus d’un millier de situations ont été signalées et traitées le plus souvent avec l’appui de ces équipes. Ces situations, elles existaient auparavant mais elles étaient très souvent tues, cachées ou esquivées. Désormais, elles sont affrontées. Enfin, dans une époque encombrée de fausses nouvelles et de complotisme, chacun mesure la nécessité de mieux accompagner nos jeunes, nos enfants, de développer leur discernement et leur esprit critique. C’est au fond le rôle premier de l’éducation de développer l’esprit critique, les capacités de discernement, l’appareil intellectuel qui permet justement de mettre de la distance et de questionner. Mais on voit bien que pour contrer cette profusion de complotisme et de fausse information, il faut livrer un effort encore supplémentaire. Pour son édition 2019, la semaine de la presse et des médias dans l’école a mobilisé plus de 18 000 établissements avec le concours de 2 800 médias partenaires.
Nous menons aussi ce combat dans nos prisons, sous l’impulsion de madame la Garde des Sceaux, Nicole BELLOUBET. La construction de quartiers étanches a été accélérée pour séparer les détenus condamnés pour infractions terroristes ou repérés comme radicalisés des droits communs. Nous accélérons aussi la mise en place d’équipes pluridisciplinaires pour évaluer la radicalisation et accompagner les détenus dans leur processus de désengagement. Nous avons renforcé les moyens du service des renseignements pénitentiaires et nous tirerons toutes les conclusions nécessaires de l’inspection ordonnée par la ministre à la suite des événements survenus à Condé-sur-Sarthe.
Enfin, vous pouvez vous étonner de nous voir réunis ce matin dans un gymnase - et je voudrais remercier monsieur le maire de Strasbourg qui a mis à notre disposition cet équipement magnifique. Il se trouve qu’avec la ministre des Sports, Roxana MARACINEANU, nous avons voulu saluer l’engagement du monde sportif parce que nous savons que le combat est aussi à livrer dans le monde du sport. Nous refusons que le monde du sport, le sport en général, un certain nombre d’associations ou d’équipements deviennent le lieu du communautarisme et le lieu du repli sur soi. Le dispositif de sensibilisation mis en place par le ministère des sports mobilise aujourd’hui 2 000 acteurs spécialement formés. 34 fédérations sportives ont désormais un « référent citoyenneté ». Nous ne lâcherons rien en la matière.
Ces chiffres sont inédits, de même qu’est inédit l’effort que nous avons porté pour reconduire hors de nos frontières, pour expulser du territoire national ceux qui sont venus y porter ces ferments de haine et de division. Depuis avril 2018, près de 300 étrangers en situation irrégulière inscrits dans le fichier de signalement pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le fameux FSPRT, près de 300 donc de ces étrangers en situation irrégulière ont été éloignés ou ont quitté le territoire national.
Ce premier bilan est positif et pourtant, à l’évidence, nous ne nous en satisfaisons pas. Nous devons faire mieux.
Ce matin, nous avons consacré une partie de nos échanges à un retour d’expérience sur le parcours de l’auteur de l’attentat de Strasbourg. Signalé à 8 ans par l’Education nationale, il a été condamné pour la première fois à 14 ans, a subi sa première peine de prison à 16 ans ; à la fin de son parcours, on compte un total de 24 condamnations et de 7 ans d’emprisonnement auxquels s’ajoutent des peines prononcées en Allemagne et en Suisse. Ce que met au jour son passage à l’acte, c’est l’incapacité collective des acteurs à freiner une dérive inquiétante, à freiner une dérive délinquante qui s’est in fine confondue avec un parcours de radicalisation.
J’ai donc voulu que nous nous dotions d’une nouvelle stratégie de prévention de la délinquance. Cette stratégie devra être cohérente avec les autres politiques publiques portées par le Gouvernement, les politiques de sécurité publique conduites prioritairement dans les quartiers de reconquête républicaine mais aussi les stratégies de lutte contre la pauvreté, les stratégies de protection de l’enfance et de santé mentale car le décrochage d’un enfant ou d’un adolescent s’explique par des facteurs multiples – familiaux, sociaux, psychologiques – et il faut les appréhender dans leur globalité si on veut pouvoir apporter une réponse crédible et durable.
Cette stratégie sera construite autour de quelques idées simples dont je vais donner quelques axes.
D’abord nous devons intervenir plus tôt et plus vite. La stratégie de prévention de la délinquance 2013-2017 se concentrait sur le public des 12-25 ans. Le constat que nous faisons, et qui est un constat partagé par l’ensemble des acteurs, c’est celui, sinon d’un rajeunissement généralisé des délinquants, du moins d’une manifestation à un jeune âge qui nécessite de développer une capacité d’intervention, de détection et d’intervention plus précoce.
Je propose aussi de donner aux acteurs locaux, au premier des rangs desquels les élus, et beaucoup le demandent, les moyens d’intervenir auprès de ces jeunes et de leurs familles. La famille du terroriste que j’évoquais tout à l’heure avait longtemps été suivie par divers services mais, là encore, sans que cela permette d’éviter cette dérive. Nous devons renforcer notre action en la matière.
Troisième idée simple, nous devons aller trouver ces jeunes là où ils sont, c'est-à-dire souvent dans la rue, souvent sur Internet et ne pas attendre de pouvoir les détecter dans les institutions qui fonctionnent et qui existent. Nous avons donc beaucoup à faire pour améliorer le travail de médiation, y compris le travail de médiation nocturne, le travail de médiation itinérante, le travail de médiation sur Internet et les réseaux sociaux.
La CAF et le conseil départemental de la Manche ouvrent la voie avec ce que l’on appelle les “promeneurs du net” c'est-à-dire une présence éducative sur Internet. Voilà un exemple et il y en a beaucoup d’autres sur lequel nous pourrons construire. Le temps qui s’ouvre aujourd’hui, c’est celui de la concertation avec les élus sur cette nouvelle stratégie de prévention de la délinquance. C’est un temps qui va durer jusqu’à l’été, jusqu’à la pause estivale de façon à pouvoir construire ensemble un dispositif satisfaisant. Cette concertation doit nous permettre de répondre à toutes les questions, de repérer les difficultés, de recenser les bonnes pratiques, de les échanger, de voir là où les outils qui ont été mis en place par la loi de mars 2007 sur la prévention de la délinquance doivent être consolidés, et là où ils doivent être adaptés.
J’attends avec intérêt le livre blanc annoncé par le Forum français de sécurité urbaine pour le mois de juin ou de juillet. Je suis donc certain que la nouvelle stratégie de prévention de la délinquance en sortira plus riche, plus concrète et plus partagée. Pour réussir cette politique de prévention de la délinquance et de la radicalisation, nous devons en effet travailler avec tous les acteurs locaux. Je voudrais remercier la présence des représentants de l’AMF, de l’ADF, de France urbaine ainsi que celle du Forum français de sécurité urbaine. Les élus ont naturellement vocation à rester au cœur du dispositif. Il y avait eu, vous vous en souvenez, d’importants débats sur l’accès des maires aux informations sur les individus radicalisés dans leur commune. La circulaire du ministre de l’intérieur du 13 novembre 2018 en a fourni le mode d’emploi. Depuis, ce ne sont pas moins de 103 chartes qui ont été signées entre les préfets et les maires pour permettre ces échanges d’informations.
Ici, à Strasbourg, un partenariat fonctionne depuis 2016. Je sais qu’il vient d’être reconduit avec l’ensemble des partenaires sous la houlette du préfet et qu’il est prévu de signer 5 chartes avec les maires de Strasbourg, Saverne, Richwiller, Haguenau et avec l’Eurométropole, nous avançons. J’ai aussi demandé à Christophe CASTANER, le ministre de l’intérieur, de relancer la concertation sur le continuum de sécurité pour mieux travailler avec les maires et les polices municipales, mais aussi avec les différents professionnels de la sécurité : notre intérêt est commun, notre approche doit être au maximum commune. Enfin, nous devons toujours chercher à mieux comprendre, expliquer. Non pas pour excuser mais pour mieux détecter, pour mieux prévenir et tout simplement pour mieux protéger.
Avant la tenue de ce comité interministériel, il nous a été offert l’occasion de rencontrer une association, une des nombreuses associations qui, ici à Strasbourg, comme partout en France, œuvre en matière de prévention de la délinquance. Et j’ai été sensible au fait que dans cette association, ceux qui sont les acteurs de la prévention de la délinquance et de la radicalisation ont eux-mêmes indiqué l’importance qu’il y a avait pas simplement à agir mais à penser, à comprendre, à développer la recherche en la matière. Cette recherche, elle doit jouer pleinement son rôle. Le Conseil scientifique sur les processus de radicalisation s’est réuni pour la première fois le 2 avril dernier sous la double présidence de Frédérique VIDAL, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et de Laurent NUNEZ, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’intérieur.
Ce conseil, c’est une initiative unique en Europe pour favoriser le dialogue entre les représentants institutionnels, les acteurs du monde de la sécurité et les chercheurs en sciences humaines et sociales. J’ai parfaitement conscience de la surprise que peut évoquer le traitement de ce thème de la recherche qu’on pense accessoire ou surabondant. Il est en vérité aussi très important : tout ce que nous faisons pour mieux comprendre, pour mieux connaître est indispensable pour mieux agir de façon toujours plus efficace. J’attends beaucoup de leur éclairage pour aider à la décision publique.
Mesdames et Messieurs, notre objectif, vous l’avez compris, c’est de continuer à obtenir des résultats. En matière de politique de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation, cette exigence de résultat est encore plus sensible, ces fléaux nous menacent au plus profond, pas seulement dans notre sécurité qu’elle défie mais dans notre lien social qu’elle fragmente. C’est cette exigence que porte le bilan d’étape que je viens de présenter, c’est cette exigence que vise notre prochaine stratégie de prévention de la délinquance, celle que nous allons porter à la concertation avec les élus, celle qui ensuite irriguera l’ensemble de notre action.