Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Colloque Vallée de la Seine
Jeudi 7 février 2019
Madame la ministre,
Madame la préfète, Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Il paraît que dans le dernier roman de HOUELLEBECQ, Sérotonine, le héros et la France s’enlisent dans une impuissance assez glauque. Le héros n’arrive plus à rien faire, si ce n’est des allers et retours frénétiques entre Paris et la Normandie.
Je me réjouis de me trouver face à vous car vous incarnez précisément l’antithèse de l’impuissance, que vous soyez élus ou universitaires, acteurs portuaires et fluviaux, représentants de l’Etat ou du monde économique. C’est la première fois, depuis la conclusion du contrat de plan inter-régional, qu’un tel colloque est organisé, dans la lignée de ceux qui avaient lieu au début des années 2010. Je remercie particulièrement la Région Ile-de-France, la Région Normandie et le délégué interministériel au développement de la vallée de la Seine, le préfet PHILIZOT, d’avoir relancé cette démarche. Le nombre et la qualité des participants reflètent l’importance des enjeux que je vais aborder très rapidement.
Tout comme le Nil féconde l’Egypte, la Seine fédère le bassin parisien, cette terre riche, matrice de croissance, d’emplois et de civilisation, à l’origine de l’unification française. La Seine – les Normands le savent – fut la brèche pour les invasions, mais aussi un formidable vecteur d’ouverture au monde. Elle est aussi et surtout le premier système logistique français, qui innerve un bassin industriel de premier plan puisqu’il génère près d’un tiers du PIB national et réunit trois de ses plus grands ports. Nous sommes tous convaincus qu’il faut renforcer l’ouverture du Grand Paris à l’international, via la Seine, en s’appuyant sur l’ensemble du tissu économique et urbain des territoires qui la bordent.
Ces dernières années ont été très riches pour la vallée de la Seine. Au début de la décennie, Antoine RUFENACHT a ouvert la voie. Il a montré le chemin en accélérant le débat sur la ligne nouvelle Paris-Normandie et en provoquant la première coopération structurée entre ports. Depuis 2015, les outils sont en place : sous l’impulsion du préfet PHILIZOT, l’Etat et les Régions Île-de-France et Normandie ont élaboré un schéma stratégique partagé dédié à l’axe, qui porte sur la gestion durable de l’espace, des flux et des déplacements et sur le développement des activités économiques et de la recherche. Sa mise en œuvre a été immédiate puisqu’il a été suivi par un contrat de plan inter-régional couvrant près de 1 Md€ d’investissements pour la modernisation des barrages et des écluses, l’adaptation du réseau ferroviaire, l’équipement des ports, la gestion du fleuve, la transition écologique ou l’offre de foncier d’activité.
Les perspectives d’avenir, pour la vallée de la Seine, se dessinent très clairement. Le séminaire ayant vocation à les évoquer, permettez-moi d’évoquer avec vous quatre points importants.
Le premier enjeu est celui de la connaissance. Pour agir sur un territoire, il faut le connaître et diffuser les savoirs en cours. C’est particulièrement vrai pour la prise de décision publique. Ces dernières années ont permis de mettre en commun et de diffuser de très nombreuses connaissances sur les territoires de la Seine : qu’il s’agisse des paysages, de l’état des eaux ou du positionnement des infrastructures, une bonne décision commence souvent par une belle carte. A ce titre, la coopération avec les agences d’urbanisme, avec l’Ecole nationale supérieure de paysage de Versailles ou avec l’Agence de l’Eau Seine Normandie a permis d’avancer sur de nombreux projets comme la validation des tracés de la ligne nouvelle Paris-Normandie, le développement de la Seine à vélo ou le développement du tourisme fluvial. Ces coopérations fonctionnent : elles devront à l’avenir être maintenues, et même renforcées.
Le deuxième enjeu est celui de l’intégration. Faire travailler tous les acteurs autour de la même table, qu’ils soient normands ou franciliens, représentants de l’État ou des collectivités territoriales, institutionnels ou venant du monde économique : c’est tout l’objet de la démarche « vallée de la Seine ». Sur certains sujets, il faudra probablement aller plus loin encore. Je pense par exemple à la gestion de la Seine en aval de la confluence avec l’Oise. Certes, la Seine est actuellement dans un bien meilleur état écologique qu’il y a 20 ans : le saumon la remonte aujourd’hui jusqu’à Paris et le nombre d’espèces de poissons qu’on y trouve n’a jamais été aussi élevé. Mais la réduction des débits et les risques d’inondation liés au changement climatique et à l’artificialisation des sols nous obligent à ne pas baisser la garde.
Pour une plus grande efficacité, il faut mieux associer les deux régions, les départements, et toutes les intercommunalités en charge de l'eau et des milieux aquatiques, en continuant à s’appuyer sur les financements du contrat inter-régional. La question de la création d’un établissement public territorial de bassin, normand, voire s’étendant sur la partie aval de l’Ile-de-France, est posée, et je sais que vous y travaillez.
Le troisième enjeu est celui de la mobilité le long de la Seine. Les investissements massifs de l’État et des collectivités territoriales en cours et à venir permettront de relier mieux et plus rapidement Paris à la Normandie. Je pense bien évidemment avant tout à l’offre ferroviaire. Je sais que les voyages en train donnent lieu à des rencontres inoubliables, dans la Normandie de Maupassant ou de Proust. Mais on n’a pas toujours le temps de perdre des heures à guetter la bonne aventure dans un petit tortillard qui s’arrête toutes les dix minutes.
Dès lors, la mise en service d’EOLE en 2024, en prolongeant le RER E vers l’Ouest parisien, va alléger la charge entre Saint-Lazare, La Défense et Mantes.
Après la mise en service d’EOLE, l’aménagement du faisceau ferroviaire de la gare Saint-Lazare renforcera la régularité des trains normands et franciliens. Les études ont d’ores et déjà démarré.
Enfin, la ligne nouvelle Paris-Normandie va augmenter la capacité globale de l’axe et améliorer la régularité des circulations en distinguant les trains lents, qui assurent la desserte locale, et les trains nationaux plus rapides. Dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités, qui sera examinée dès mars au Parlement, nous avons opté pour une réalisation par phases afin de traiter en priorité les sections saturées. L’engagement des travaux entre Paris-La Défense et Mantes aura lieu à la fin de la période 2023-2027, et le traitement du nœud de Rouen sera lancé dans la période quinquennale suivante.
Le dernier enjeu, probablement le plus important pour le Havrais que je suis, c’est l’efficacité du système logistique et portuaire. Cette efficacité nécessite évidemment une politique d’investissement ambitieuse.
C’est le sens de l’ouverture au fret de la liaison ferroviaire Serqueux-Gisors-Pontoise qui sera achevée dès le deuxième semestre 2020. C’est aussi l’objectif des grands travaux sur les barrages et les écluses qui jalonnent le cours de la Seine, à Méricourt, à Port-Mort ou Poses-Amfreville en Normandie. C’est enfin le but des grands projets d’investissement développés par les ports de l’axe. Je pense notamment aux opérations liées à l’achèvement de Port 2000 au Havre, qui seront bientôt engagées.
Passer la vitesse supérieure – et c’est mon dernier point, le plus important – implique enfin d’améliorer les complémentarités entre nos places portuaires. Il existe, en France, trois systèmes portuaires qui présentent un intérêt européen et international évident. Je l’ai déjà dit : ils doivent rester dans le giron de l’État et bénéficier d’une gestion mieux intégrée le long des axes.
Le premier d’entre eux est l’axe Seine. En 10 ans, nous avons avancé : après la mise en place d’un conseil de coordination interportuaire en 2009, puis la création du groupement d’intérêt économique HAROPA en 2012, j’ai annoncé, en novembre dernier, l’intégration des ports du Havre, de Rouen et de Paris en un établissement public doté de 3 implantations territoriales. Avec leurs spécificités et leurs ancrages locaux, elles apporteront une contribution essentielle à la réussite du nouvel ensemble.
Mon objectif est de créer un hub maritime puissant pour jouer pleinement dans la concurrence mondiale. Il est grand temps que le travail démarre. Nous avons donc, avec la ministre des transports Elisabeth BORNE, nommé Catherine RIVOALLON au poste de préfiguratrice de cet établissement public. Mme RIVOALLON est une experte de la logistique puisqu’elle y a effectué une grande partie de sa carrière, dans des grands groupes de commerce de proximité et de grande distribution. Elle connaît bien le monde portuaire puisqu’elle est depuis 2015 présidente du Conseil d’administration du Port Autonome de Paris. Et elle a un sens de l’équilibre qui lui sera fort utile dans cette opération. Elle est l’une des rares personnes que je connaisse qui ait habité, dans cet ordre, au Havre, puis à Rouen, puis à Paris. La légende raconte qu’elle habite à l’angle de la rue de Rouen et de la rue de Normandie mais, par respect pour la vie privée de Mme RIVOALLON, je ne préciserai pas la ville.
Mme RIVOALLON aura la mission de faire naître le nouvel établissement public, au plus tard le 1er janvier 2021. Je lui ai même demandé d’aller plus vite si elle le peut et je sais qu’elle ne ménagera pas sa peine.
Mme RIVOALLON sera chargée :
- de mener la préfiguration de manière opérationnelle, au plus près du terrain et en s’appuyant sur les équipes dirigeantes actuelles ;
- de proposer, d’ici l’automne, les règles de fonctionnement du nouvel ensemble portuaire : nous inscrirons ces règles dans une ordonnance que nous adopterons en application de la loi d’orientation des mobilités ;
- de mener un dialogue avec l’ensemble des partenaires sociaux sur la manière d’accompagner la création de cet établissement, sans négliger le dialogue avec les élus locaux et les acteurs des places portuaires ;
- enfin, d’élaborer le projet stratégique du port en construisant un programme d’investissements qui soit plus cohérent et plus ambitieux que la simple somme des 3 programmes d’investissement pris séparément.
Madame RIVOALLON sera assistée par un comité placé auprès de la Ministre des transports, constitué d’experts et présidé par Valérie FOURNEYRON qui a bien voulu nous apporter toute sa connaissance des territoires.
Le port intégré de la vallée de la Seine, Mesdames et Messieurs, va constituer le fer de lance de la stratégie logistique de l’axe Seine. Tous les territoires bénéficieront de cette approche intégrée et collaborative.
Pour finir, je sais que beaucoup ici s’interrogent sur l’avenir du contrat de plan inter-régional. Les collectivités, les établissements publics et les acteurs économiques me semblent unanimes à demander son renouvellement en 2020. Je vous confirme que l’État partage cet avis, de sorte qu’un nouveau contrat de plan inter-régional sera élaboré quand l’actuel arrivera à échéance. Il continuera d’être piloté, pour l’État, par la délégation interministérielle au développement de la vallée de la Seine.
Je souhaite donc à la vallée de la Seine autant de prospérité et de postérité qu’à la vallée du Nil. Et je vous souhaite à tous un bon après-midi d’échanges et de débats.