Violences faites aux femmes : « Pour un départ réel du foyer, il peut y avoir beaucoup de tentatives »

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié le 07/03/2023|Modifié le 10/03/2023

Le Dr Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, revient sur la genèse et le fonctionnement de ces établissements dédiés aux victimes de violences, dont le nombre va doubler en France.

La Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
La Maison des femmes de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). - Source : Getty

Vous avez fondé la Maison des femmes de Saint-Denis, première structure de prise en charge globale des femmes victimes de violences. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Dr Ghada Hatem. - La naissance de ce projet est très liée à mon métier. Je suis gynécologue-obstétricienne et, de ce fait, je prends en charge des femmes et des familles.
Par le biais de mes consultations, je suis entrée dans l’intimité des couples et j'ai recueilli des témoignages de patientes. Au fur et à mesure, je me suis aperçue que les problèmes de santé auxquels je ne comprenais pas grand-chose devenaient beaucoup plus lumineux quand j’interrogeais mes patientes par le prisme des victimes de violences.
Et je me suis dit : en santé, on est capable de faire des parcours de soins très sophistiqués contre la stérilité, l’endométriose, le cancer du sein… Alors, pourquoi ne pas inventer un parcours dédié à la violence envers les femmes ? C’était mon projet, et c’est devenu la Maison des femmes.

Aujourd’hui, la France compte 56 Maisons des femmes et le Gouvernement entend doubler leur nombre sur le territoire…

Je me réjouis que le sujet des violences faites aux femmes, par rapport à il y a 15 ans, soit sorti de l’ombre, que la pédagogie soit en marche et que le Gouvernement essaie de trouver des solutions.
Je me félicite également que le modèle Maison des femmes ait fini par être validé par le Gouvernement puisqu'aujourd’hui c’est devenu un nom commun.

Maisons des femmes

D'ici 2024, il y aura une structure dédiée par département, pour mieux accompagner les femmes victimes de violences. Ces lieux offriront à la victime un espace sécurisé de recueil de leur parole, d'accompagnement psychologique et juridique, d'information et d'orientation vers les partenaires (psychologues, médecins, associations d'aide aux victimes, policiers et gendarmes, tribunal, avocats, ...).

Visite de la Maison Calyspo par la Première ministre

Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement de ces établissements ?

Le fonctionnement de la Maison des femmes est calqué sur celui d’un parcours de soins classique.
La première étape est de venir. La victime téléphone, envoie un courriel, présente un courrier de son médecin traitant ou de sa sage-femme, et demande à être prise en charge.
Puis, elle est reçue par une infirmière qui évalue la situation.

L’idée, c'est de porter la patiente à bout de bras jusqu’à ce qu’elle n’ait plus besoin de nous.

Dr Ghada Hatem

  • Gynécologue-obstétricienne
Si la femme relève bien des compétences de la structure, elle est accueillie en hôpital de jour. Il s’agit d’une hospitalisation de quelques heures, durant laquelle la patiente rencontre une sage-femme, un médecin, un psychologue, un travailleur social et une infirmière pour faire de l’éducation thérapeutique autour des violences, du traumatisme et des ressources pour l’apaiser.
À la fin de cette hospitalisation, l’équipe se réunit et, à partir des constats partagés, détermine par exemple que la patiente a besoin d’un psychiatre car il lui faut des médicaments ; besoin de faire une activité pour lui redonner une estime d’elle-même ; besoin d’une avocate pour son procès…
Ce parcours est déroulé et expliqué à la patiente la semaine suivante par la personne qui l’a reçue en premier lieu. Elle devient alors son référent.
Par la suite, l’équipe la revoit autant qu’il faut : le psychologue toutes les semaines, le médecin une fois par mois pour évaluer les progrès…
Nos parcours peuvent durer entre six mois et deux ans, le temps que la patiente soit capable d’aller en centre de santé, en centre d’hébergement pérenne, trouve un travail, etc. L’idée, c'est de porter la patiente à bout de bras jusqu’à ce qu’elle n’ait plus besoin de nous.

Comment soigne-t-on, au quotidien, le corps et les âmes de ces femmes ?

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la santé comme un état de bien être médico-psycho-social. Cela veut dire que pour accompagner des femmes victimes de violences, il faut des médecins (partie somatique) ; des psychologues et des psychiatres (traumatisme, anxiété, insomnie) et des travailleurs sociaux (travail, enfant, accès aux droits).
À cette liste, nous avons ajouté progressivement des avocats, des juristes et la police qui vient une fois par semaine et permet aux victimes de déposer plainte directement à la Maison des femmes avec des personnes qu’elles connaissent, le tout dans une atmosphère familière. 
La Maison des femmes propose aussi des groupes de parole, un pour chaque difficulté (violence conjugale, inceste, mutilation sexuelle...) et une dizaine d’ateliers (karaté, danse, yoga, art thérapie…). L'objectif est de redonner confiance, donner des compétences et sortir de l’isolement.
C’est la coordination de tous ces acteurs qui fait le job !

Les femmes hésitent longtemps à franchir le seuil d’une Maison des femmes. Comment les en convaincre ?

Notre message est très simple : on est là pour votre santé.
Nous sommes des soignants et, à ce titre, vous pouvez nous parler en toute tranquillité et en toute transparence.
Personne ne force personne. C’est votre rythme, vous qui décidez et, nous, on vous accompagne pour vous aider à comprendre ce qui vous arrive et vous donner des pistes.

Certaines victimes arrêtent-elles le processus en cours ?

Bien sûr. Certaines femmes arrivent à la Maison des femmes parce que la limite qu’elles s’étaient posée a été franchie. Elles quittent le domicile conjugal, portent plainte contre leur conjoint…
Mais, dans le cycle de la violence, très souvent, alors que la femme prend ces dispositions, l’agresseur sent sa proie lui échapper et change de stratégie. C’est le début de la lune de miel, des cadeaux et des excuses. La femme retire alors sa plainte et retourne chez son agresseur.
Pour un départ réel, il peut y avoir beaucoup de tentatives. Mais chacune de ces tentatives est un énorme progrès pour la victime.

C’est le syndrome de la princesse et du crapaud. Plus je suis gentille et je m’applique, plus il va m’aimer et plus ça va aller. On en fait des tonnes et on se fait encore plus mal.

Dr Ghada Hatem

  • Gynécologue-obstétricienne
Si je fais le parallèle avec le tabac, en moyenne, un tabagique va arrêter sept fois de fumer. Et la huitième sera probablement la bonne. C’est exactement pareil pour les victimes de violences.
C’est très compliqué pour ces femmes de partir directement car elles se sentent coupables (« je ne vais pas mettre l’homme que j’aime en prison », « je ne vais pas priver les enfants de leur père »…) et sont souvent très amoureuses. On ne peut pas lutter contre ça.
C’est le syndrome de la princesse et du crapaud. Plus je suis gentille et je m’applique, plus il va m’aimer et plus ça va aller. Au lieu de se dire : « laisse tomber, il ne changera jamais », on en fait des tonnes et on se fait encore plus mal.

Dans vos fonctions, vous avez aidé de nombreuses femmes. L’une d’entre elles vous a-t-elle particulièrement marquée ?

Une histoire vraiment terrible m’a sensibilisée.
C’était à l’époque où je travaillais dans un hôpital militaire. Ma patiente était secrétaire médicale et son mari gendarme. Elle me disait avec pudeur qu’il n’était pas gentil, que c’était difficile, qu’elle n’en pouvait plus et qu’elle voulait partir. À l’époque, on ne disait pas encore « il me frappe ».
C’est quand elle lui a finalement dit « c’est fini, je te quitte » qu’il a retourné son arme de service contre elle, puis lui-même, laissant deux orphelins derrière eux.
Même si elle n’était plus ma patiente à ce moment-là, ça reste quelque chose de très fort dans ma carrière.
Elle s’appelait Laurence. Je pense souvent à Laurence.

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