Compte rendu du Conseil des ministres du 04 avril 2023
Olivier VÉRAN
Mesdames, Messieurs.
Le mot qui me vient à l'esprit, au
moment de définir la semaine, c'est le mot : dialogue. Le mot dialogue, parce
que dialogue social, bien sûr, à l'heure où la Première ministre a engagé un
cycle de consultations de toutes les forces politiques et sociales du pays, un
dialogue qui se poursuivra jusqu'à la fin de la semaine prochaine. Il s'agit de
définir, par le partage et l'échange, un calendrier de réformes qui puisse
apporter des réponses concrètes aux problèmes des Français en matière d'école,
de santé, de sécurité, de transition énergétique, de travail, de pouvoir
d'achat.
Demain, la Première ministre recevra l'intersyndicale, dans un esprit
d'ouverture, avec la volonté de se parler, au-delà des accords que chacun
connaît, de ce qui peut nous unir en vue d'améliorer le quotidien des Français
en matière de plein emploi et de bon emploi.
Dialogue aussi parce que cette
fois-ci, il s'agit du dialogue sociétal à travers cette formidable convention
citoyenne sur la fin de vie, qui vient de rendre ses conclusions à l'issue de
27 journées de travail rigoureux qui auront réuni 184 citoyens tirés au sort,
issus des 4 coins de la France et de toutes les catégories
socioprofessionnelles.
Tout au long de ces mois passés ensemble, ils auront
montré qu'il reste possible, en France, de faire de nos divergences, de faire
de nos différences, de faire de nos histoires plurielles, une chance pour
réussir à se parler, à se comprendre. Ici, pas de postures, ici pas de mots
violents, ici pas de scène théâtrale, les 184 citoyens ont réussi à faire
émerger un consensus et ont ouvert la voie au Gouvernement et au Parlement, en
vue de préparer une grande et une belle loi sur la fin de vie. Le président de
la République les a reçus, ces citoyens, à l'Elysée dès le lendemain du rendu
de leurs conclusions et il leur a dit deux choses essentielles.
D'abord, la
convention citoyenne, cette innovation démocratique à la française, c'est
désormais un outil rodé, précieux, solide, qui constitue une éthique de la
discussion à la française. Il y aura donc d'autres conventions citoyennes, sur
d'autres sujets, certains pouvant porter à controverse.
Par ailleurs, il a
aussi exprimé le souhait que, d'ici à la fin de l'été, une loi vienne renforcer
la prise en charge des douleurs, à travers un plan décennal, à travers un
soutien très fort aux soins palliatifs dans tout le pays, notamment pour
corriger les inégalités d'accès territoriale. Mais que cette loi vienne aussi
ouvrir un droit à une aide active à mourir. Il reviendra au Gouvernement de
travailler avec l'ensemble des groupes parlementaires, de la majorité et des
oppositions, de l'Assemblée nationale et du Sénat en vue de préparer cette loi.
Suivant les recommandations de la convention citoyenne, le président de la
République en a précisé quelques contours, quelques lignes fortes.
Il s'agira
toujours de respecter la capacité de discernement de la personne, de toujours
respecter la collégialité des décisions, également de respecter le fait qu'il
s'agit de situations où le pronostic vital est engagé, lorsqu'il y a des
souffrances physiques et/ou psychiques qu'on ne peut pas soulager, c’est-à-dire
qu'on appelle des douleurs réfractaires. C'est une attente très forte des
Français, nous allons y répondre avec la même recherche du compromis, de
l'apaisement, que ce que nous ont montré des citoyens tirés au sort dans le
cadre de cette convention citoyenne.
Par ailleurs, cette semaine, c'est aussi
une semaine placée sous le signe du pouvoir d'achat, puisqu'en effet,
l'ensemble des minima sociaux sont à nouveau revalorisés. C'est une deuxième
revalorisation, puisque ça avait déjà été le cas l'année dernière par
anticipation de l'inflation. Et donc, conformément aux objectifs que nous avons
pris devant les Français, l'ensemble des minima sociaux augmente de manière à
compenser l'inflation.
Par ailleurs, le pouvoir d'achat, c'est aussi pour les
étudiants. La ministre en charge de la Recherche et des Universités, Sylvie
RETAILLEAU, l'a annoncé, dans le dialogue avec les organisations représentatives
des étudiants, nous avons fait plusieurs annonces importantes.
D'abord, une
augmentation de 35 000, du nombre d'étudiants boursiers, à compter de l'année
prochaine, une revalorisation des bourses, mais également le maintien du repas
à 1 euro. Vous voyez, en matière de pouvoir d'achat, le Gouvernement avance, là
aussi. J'en viens au texte présenté ce jour en Conseil des ministres.
Je serai
très bref parce que le gros du Conseil était consacré à la loi de programmation
militaire et j’ai l'excellent Sébastien LECORNU, ministre des Armées, qui vous
en fera lui-même la présentation à l'issue des questions réponses sur les
autres sujets que je prendrai si vous en êtes d'accord, avant.
Le ministre de
l'Intérieur et des Outre-mer a présenté une communication relative à la
préparation des élections sénatoriales. Elles auront lieu le 24 septembre
prochain, 170 sièges sont à pourvoir, les conseils municipaux devront désigner
les délégués qui participeront au collège électoral, la date de réunion des
conseils municipaux est, elle, fixée au 9 juin 2023.
Je prends vos questions,
sauf sur la LPM, où je laisserai le ministre des Armées. Si vous avez des
questions sinon, je passe la parole tout de suite au Ministre des Armées.
Valérie LEROUX
Valérie LEROUX de l'Agence France-Presse. Est-ce que le
Président a présenté des observations, donné des consignes avant de partir en
Chine ? Il va partir jusqu'à samedi, de mémoire, est-ce qu'il a fait part de
remarques particulières, notamment avant la rencontre à Matignon avec les
partenaires sociaux sur les retraites ?
Olivier VÉRAN
Le Président a fait part de ses consignes lors de son
intervention télévisée. Il en a fait part évidemment à la Première ministre, il
y a quelques jours, vous le savez, en lui demandant d'engager ce cycle de
consultations, de concertations avec l'ensemble des forces syndicales et
politiques de notre pays, donc il suit évidemment la situation de très près. Il
n'y a pas eu d'allusion précise au contenu de ces échanges puisqu'ils ont
démarré il y a quelques jours et qu’ils doivent se poursuivre jusqu'à la fin de
la semaine prochaine.
Simon LE BARON
Bonjour Monsieur le Ministre Simon LE BARON pour France
Inter. Vous évoquiez la rencontre de demain à Matignon entre Élisabeth BORNE et
les représentants syndicaux. Ne craignez-vous pas, à la veille d'une nouvelle
journée de mobilisation, que cette rencontre, si les syndicats claquent la
porte au bout de 5 minutes, soit contreproductive pour vous et le Gouvernement
?
Olivier VÉRAN
Vous savez, nous, on ne s'inscrit pas dans l'optique d'une
réunion écourtée. Nous avons entendu la demande de l'intersyndicale d'être
reçue, de pouvoir travailler, discuter, dialoguer. Et ça tombe bien car nous
sommes, côté Gouvernement, dans cette volonté de dialogue, d'écoute et de travail
en commun. Il y a beaucoup de sujets qu'on doit voir ensemble. Il y a la
question de la réforme des retraites, bien sûr, mais il y a aussi toutes les
questions qui ont trait au travail. Et je crois que les Français attendent de
nous qu'on soit dans cette recherche du consensus, pour pouvoir avancer
concrètement pour améliorer les conditions de travail de l'ensemble des
salariés. On a parlé de fin de carrière, on a parlé des petits revenus, on a
parlé de l'organisation du travail, de la qualité de vie au travail. Tous ces
sujets sont essentiels au pays et aux Français et je crois qu'ils nécessitent
que chacun puisse, dans un esprit d'écoute et de dialogue, dire à l'autre ce
qu'il est prêt à faire pour avancer.
Simon LE BARON
Donc vous dites : si le dialogue tourne court demain, ce ne
sera pas le fait du Gouvernement.
Olivier VÉRAN
Mais je peux vous garantir que si notre porte, si la porte
de la Première ministre est ouverte, c'est bien avec la volonté d'avancer, de
dialoguer, donc, nous, nous inscrivons totalement dans cet état d'esprit.
Jacques SERAIS
Bonjour Monsieur le ministre, Jacques SERAIS Europe 1. Vous
parliez de la convention citoyenne. Concrètement, sur quels autres sujets, sur
quelles autres questions, vous pourriez saisir cet instrument ?
Olivier VÉRAN
Alors moi, j'ai plein d'idées. En tant que ministre chargé
du Renouveau démocratique, mais je ne vous les donnerai pas, parce qu’il ne me
revient pas de faire ces annonces-là. Vous comprenez bien. C'est des choses qui
doivent être discutées, donc, on est un certain nombre à faire remonter des
propositions à la Première ministre, au président de la République, pour
identifier un ou plusieurs thèmes qui pourraient faire l'objet de cette
innovation démocratique qu'est la convention citoyenne. Mais, vous voyez ce qui
est intéressant avec cette convention, c'est que les citoyens, encore une fois,
ils ne pensaient pas tous la même chose, et il en ira de même des autres sujets
sur lesquels ils seront... d'autres citoyens seront saisis. Ils dialoguent avec
leurs différences, leurs convictions, leurs idées. Ils sont combatifs, parce
qu'ils ont accepté de consacrer des mois de leur temps, de leur énergie pour
venir discuter, dialoguer, s'enrichir eux-mêmes à l'écoute des autres. Ils ne
sont pas d'accord les uns avec les autres, mais qu'est-ce qu'ils font ? Ils ne
se mettent pas dans la situation de posture. Ils se disent : On va acter nos
désaccords, on va aussi acter nos points d'accord, on va se mettre dans une
situation qui est une situation réaliste, où il existe des contraintes, où on
ne peut pas faire tout ce qu'on veut et on va faire des propositions pour
éclairer le Gouvernement. C'est magnifique. C'est magnifique, c'est exactement
ce que les Français attendent, aussi, de leurs responsables politiques, qu'ils
soient capables de faire, de ne pas s'inscrire dans des postures, ne pas être
dans les dialogues méchants ou dans les mots violents, mais de se dire : On va
être en désaccord là-dessus, parce que notre idéologie politique, elle nous
pousse plutôt à choisir ça que ça. Mais d'abord, on vous reconnaît le droit de
ne pas être d'accord avec nous, et ensuite, on va essayer ensemble de faire
émerger des solutions, les plus consensuelles possibles. Moi, je trouve que
l'exemple qui a été montré par les citoyens est un exemple à suivre.
Jacques SERAIS
Vous n'avez pas d'exemples de sujets ?
Olivier VÉRAN
J’ai bien contourné le fond de votre question, mais tout en
vous apportant une réponse à laquelle je crois. Mais non, je ne vais pas vous
donner de thème précis, sinon il va y avoir des dépêches et rien n’est tranché
à l'heure à laquelle où je vous parle. Ce qui est tranché, et ce que le
président de la République a dit hier, et ça me semble essentiel, c'est qu'il
veut à nouveau avoir recours à cette convention citoyenne sous l'égide du CESE,
le Conseil économique, social et environnemental. Je rappelle que nous avions
modifié la loi pour permettre au CESE d'organiser ces conventions et on a bien
fait. Donc, c'est ça aussi le renouveau démocratique, c'est avancer sur des
chemins qui sont des chemins parallèles, qui ne contournent pas la démocratie
parlementaire, pas du tout, mais qui permettent d'éclairer les décisions de
politiques publiques. Et ce qu'on a vu dans certains pays qui ont initié cela
avant nous, c'est qu'en général, ça permet d'apaiser le débat parlementaire
quand vous partagez les contraintes, quand les gens se mettent d'accord. Je
tiens à le dire, c'est aussi l'état d'esprit du président de la République,
avec la méthode « avec vous » lorsqu'il crée et identifie les fameux Conseils
nationaux de la refondation. Lorsqu'il réunit l'ensemble des forces vives de la
nation pour dire : On va mettre en commun, on va partager les contraintes, les
enjeux, les atouts du pays et on va aller chercher ensemble des solutions pour
permettre d'identifier du consensus, c'est bien la démarche du Président. Je le
redis, les citoyens ont été absolument exemplaires, ont ouvert la voie aussi,
peut-être à une autre manière pour les élus d'envisager non pas la politique,
mais la façon de la montrer.
Amine ABDELMALEK (phon)
Bonjour Monsieur VÉRAN. Amine ABDELMALEK (phon), Arabie TV.
Le 14 avril prochain, les 9 sages du Conseil constitutionnel rendront leur
verdict. Dans l'hypothèse où le test sera validé, ce qui est fort probable,
etc, quel type de réglages attendons-nous, effectivement, à ce texte, notamment
des modifications, etc, au regard effectivement des négociations en cours avec
les partis politiques et les syndicats ? J'inverse ma question : Et si dans
l'hypothèse où le Conseil Constitutionnel invalide le texte, est-ce que ce
scénario est envisageable pour le Gouvernement ? Merci.
Olivier VÉRAN
Je comprends le sens de votre question, vous allez
comprendre le sens de ma réponse. Il ne me revient pas, comme membre de
l'exécutif, de commenter, de préempter ou d'anticiper la réponse d'un Conseil
constitutionnel, dont la Constitution veut qu'elle vienne là, justement, en
contrôle et en validation du travail que nous faisons. Donc, il n'y a pas de
scénario qui soit pré écrit. Nous attendons avec sérénité, avec écoute, la
décision des Sages, tout en continuant à vouloir travailler avec les syndicats,
y compris dans la période, à ce qu'on appelle l'application concrète de la loi,
lorsqu'elle pourra être promulguée, c'est-à-dire les décrets. Je vous rappelle
que la loi, c'est une partition et les notes de musique qu'on va jouer, ce sont
les décrets. Et la manière dont on va interpréter cette partition qui est la
loi, eh bien on veut pouvoir la travailler avec les syndicats. Et c'est pour ça
que c'est important aussi qu'on se parle. Et c'est aussi l'un des objets de la
réunion de demain entre la Première ministre et l'intersyndicale.
Journaliste
Barbara (inaudible). Je reviens aussi sur la question de la
fin de vie. Le Président MACRON a dit que c'était “à la française” cette
approche. Et vous même vous parlez d' innovation démocratique. En quoi c'est so
french ? Qu'est-ce qu'il y a de si français dans cette approche ? Et aussi par
rapport à cette Convention Citoyenne, comment ont été choisis les citoyens ?
C'est quoi la méthodologie ? C'est au hasard ? C’est quelle méthode qui a été
utilisée ? Et est-ce que c'est online ? Comment ça se passe au niveau de ces
citoyens qui ont été choisis au sort, sachant que le corps médical, visiblement
lui, s'est opposé à la décision du rapport ? Thanks.
Olivier VÉRAN
Alors, les 184 citoyens ont été tirés au sort. Donc, c'est
un tirage au sort. Ça aurait pu vous arriver d'être appelée, d'être tirée au
sort pour participer à une Convention Citoyenne. Pourquoi pas ? Il y a une
chose qui est importante et qui est très intéressante, 185 citoyens ont été
tirés au sort, 184 sont allés au bout des travaux. La seule personne qui n'est
pas allée au bout des travaux, elle n'avait pas d'emploi lorsqu'elle a été
tirée au sort. Elle a trouvé un emploi au bout de quelques semaines et donc
elle a quitté la Convention. Tout le monde est resté. Ça, c’est un point qui
est extrêmement fort. Ensuite, c'est représentatif. On appelle ça une petite
France. C'est représentatif de la population française. Et les gens sont
arrivés encore une fois, certains ont changé d'avis, dans un sens ou dans
l'autre. Ils sont arrivés avec leurs convictions, puis en travaillant, en
discutant, en échangeant, c'est eux qui ont défini leur méthode de travail, par
exemple. À l'issue des premières rencontres, où leur a été proposé, je dirais,
des auditions des figures imposées, ils ont défini la manière de travailler,
ils ont organisé des débats, donc, ils étaient totalement libres. Et ils l'ont
dit d'ailleurs. Il y a une image qui était assez touchante, c'est le dernier
jour de la Convention citoyenne. Ils ont brandi une feuille A4 comme ça, quand
ils étaient les uns avec les autres dans la salle. Et ce n'étaient pas des
opprobres ou des invectives comme certains députés les brandissent dans
l'Hémicycle, c'était marqué : Merci. Mais c'est nous qui leur disons merci
encore une fois pour le travail qu'ils ont fait. Je vous le dis, moi, je suis
très enthousiaste, le Président aussi. Ça fait du bien de voir ça. Quant aux
réactions des uns et des autres, personne ne remet en question le fondement de
la Convention Citoyenne et la qualité des travaux. Par contre, chacun peut
garder ses propres convictions et l'idée n'est pas d'avancer pour heurter. On
n'en fait pas d’ailleurs un combat politique. Ce n'est pas coloré, ce n'est pas
teinté politiquement. On peut en faire un grand combat de société de la
majorité contre je ne sais qui. D'abord, c’est un sujet qui touche à l'intime,
c’est quelque chose de difficile. Il n'y a personne qui ait une morale supérieure
à une autre en la matière. Mais il y a une expression démocratique qui vient
d'être faite, avec les ¾ des Français représentatifs de la population française
qui, ayant travaillé la question, nous disent : il faut changer la loi pour
ouvrir l’aide active à mourir. Cet enjeu d'appropriation démocratique, c'est ce
que le Président a annoncé, nous le faisons nôtre, à travers la préparation
d'une loi.
Journaliste
Et en quoi c’est si français ?
Olivier VÉRAN
Alors, c’est français pour plein de raisons. D'abord, dans
la méthode de sélection des citoyens. Ensuite, dans le fait qu'on n'a pas
demandé aux citoyens de préparer cette fois-ci un texte de loi, mais qu'on leur
a demandé de mettre en exergue des controverses et d'y apporter des réponses et
d'être capables de s'exprimer par le vote. Il y a d'autres modèles de
Convention Citoyenne qui existent. Et quand on parle de loi de fin de vie à la
française, c’est parce qu'il n'existe pas mal de modèles autour de nous, en
fait. Même moi, je suis allé avec Agnès FIRMIN-LE BAUDOT, on est allé en
Belgique, on est allé en Espagne, on est allé en Suisse. Il y a des modèles qui
sont différents en matière d'aide active à mourir. On veut pouvoir penser un
modèle qui permette d'embarquer tout le monde : les professionnels de santé
bien sûr, les usagers évidemment, les politiques. Et c'est ce qu'on va
s'atteler à construire.
Matthieu DESMOULINS
Bonjour Monsieur le ministre, Matthieu DESMOULINS pour
TF1-LCI. Je reviens sur le propos liminaire. Quand on écoute la tonalité, on a
l'impression que dans votre esprit — pour reprendre une expression qui vous a
été chère pendant la crise sanitaire — que le pic de la crise est derrière
nous. Est-ce que c'est vraiment le fond de votre pensée ? Et surtout, est-ce
que ce n'est pas un peu tôt pour se réjouir, quand on voit qu'il y a encore des
journées de mobilisation et une énorme contestation, pas que dans la rue, mais
aussi dans l'esprit des Français ?
Olivier VÉRAN
Alors, je ne vous ferai pas le cadeau d'un bandeau… Je vous
vois venir maintenant avec un peu d'expérience. Je ne voyais pas d'enthousiasme
disproportionné dans mon propos. Je vous dis juste qu'on est vraiment dans une
phase de dialogue qui est intéressante en fait, qui est importante, et même
vitale pour l'avenir du pays. Quand les gens se parlent, quand les gens
s'assoient autour de la table et quand ils disent on vient, on n'est pas
d'accord les uns avec les autres, mais en fait, on est là pour servir l'intérêt
général, il en ressort toujours quelque chose de bien. Moi, j'y crois
profondément. Et donc, cette phase qui permet aux uns et aux autres qui,
pendant un moment, ne se parlaient plus forcément, de se retrouver pour dire :
comment est-ce qu'on avance ensemble, vous voyez, moi je le salue. Et puis, par
ailleurs, vous savez, les Français nous parlent aussi au quotidien des
problèmes de pouvoir d'achat. Et donc c’est normal de rappeler que les minima
sociaux augmentent, qu'on fait des efforts importants budgétaires en faveur des
étudiants boursiers. C'est normal de rappeler cela. Ça ne veut pas dire qu'on
met de côté quoi que ce soit et on ne considère pas qu'on est passé de l'autre
côté de la question des retraites, puisqu'on attend aussi le rendu du Conseil
constitutionnel.
Journaliste
Bonjour Monsieur le ministre..
Olivier VÉRAN
Peut-être la dernière, et je laisse la place à mon collègue.
Journaliste
(inaudible) la radio Fréquence protestante. Concernant la
retraite, dans un courrier adressé ce matin au président de la République, des
élus de gauche l'invitent à renoncer à ce funeste projet. Vous n’êtes certes
pas le destinataire de cette lettre, mais en tant que porte-parole du
Gouvernement, comment jugez-vous cette approche et qu'est-ce que vous répondez
à ces élus là ?
Olivier VÉRAN
Écoutez, à l'heure à laquelle on se parle, figurez-vous
qu'il y a des représentants des groupes de la NUPES et de LIOT, qui sont reçus
par le directeur de cabinet du président de la République, Monsieur Patrick
STRZODA, à leur demande. Donc, vous vous voyez, encore une fois, quand les gens
veulent parler, quand ils veulent avancer et travailler, ils trouveront
toujours la porte ouverte de notre côté, toujours.
Mathieu COACHE
Peut-être juste deux dernières, si vous le permettez
rapidement. Mathieu COACHE, BFMTV. D'abord à Marseille, il y a eu plusieurs
morts ces derniers jours. Est-ce c'est une préoccupation du Gouvernement en ce
moment ? Est-ce que c'est aussi peut-être un peu un échec de ce plan Marseille
en grand, qu'avait lancé le président de la République sans qu'on sache
vraiment où est allé ce plan ? Et puis, une réaction aussi peut-être à une
ministre qui a donné une interview dans un magazine. Visiblement, ça n'a pas
fait plaisir à la Première ministre qui l'a recadrée. Donc est-ce qu'il y a des
nouvelles règles qui vont être mises en place peut-être pour les interviews des
ministres ? Merci.
Olivier VÉRAN
Alors, attendez, des fois, il ne faut pas prendre les
dernières questions, en fait. Il faut suivre ce qu'on s'est fixé comme règle.
Je cherchais le plan Marseille en grand pour vous en faire la lecture
détaillée, pour que vous ayez conscience de tous les efforts qu'ils ont fait
sur Marseille. D'abord, c'est un drame à chaque fois. D'abord, on parle de
jeunes qui trouvent la mort, de jeunes qui trouvent la mort. Moi, je suis
parfois étonné quand on dit : un jeune de 20 ans ou un jeune de 18 ans a trouvé
la mort. Mais il était dans le trafic.
Attendez, on parle de jeunes. Et c'est à
chaque fois un drame humain terrible pour les personnes, pour les familles,
pour les proches. Ensuite, il y a un problème de drogue à Marseille. Le
ministre de l'Intérieur se bat sur le terrain pour lutter avec efficacité
contre les trafics. Il y a eu déjà la suppression de dizaines de points de deal
qui étaient enkystés dans la ville de Marseille et dans les Bouches-du-Rhône en
général. Il a eu des efforts absolument considérables sur les effectifs de
police qui ont été fait avec… Et là, c'est la CRS 8 qui vient d'être déployée à
Marseille pour sécuriser la zone qui est soumise au plus de violences. Personne
n’a dit jamais que du jour au lendemain, on arriverait à vaincre le grand
banditisme et les morts qui vont avec et le trafic de drogue. Mais ce que je
peux vous dire, c'est que jamais autant d'efforts n'ont été portés par un
Gouvernement pour sécuriser ou rapporter la sécurité républicaine partout et
lutter contre les trafics. Mais il n'y a pas que ça.
Le plan Marseille en
grand, c'est aussi un plan de rénovation de l'habitat. Parce que tant que vous aurez
des énormes tours héritées des années 70, l'héritage, l'héritage Le Corbusier,
vous avez des milliers de personnes qui cohabitent dans des conditions
insalubres qui sont… ça ne marchera pas.
Donc, les programmes ANRU, la
rénovation urbaine, c'est fondamental et c'est aussi l'éducation,
l'investissement qu'a souhaité le président de la République à Marseille pour
rénover les écoles, ça fonctionne. Vous voulez un exemple ? Je ne vais pas vous
dire de bêtises. Je crois que c'est l'école de Belsunce que je connais de nom.
Parce que vous connaissez peut-être le rap, comme je le connais. Il y a une
chanson qui parle de ce quartier. Lorsqu'a été fait un véritable travail pour
aérer, pour réaménager ce quartier, eh bien, le collège ou le lycée de
Belsunce, qui a enregistré des résultats au baccalauréat qui étaient largement
en dessous de la moyenne nationale, ils ont atteint 100 % de réussite au bac.
Donc, qu'on ne me dise pas qu'il y a un déterminisme et qu'on ne peut pas
lutter contre. Par contre, oui, ça prend un peu de temps, bien sûr, parce qu'il
faut restaurer ça. Mais je vous garantis que les moyens sont mis en œuvre et on
y arrivera. Je vous remercie.
Je laisse la parole à Sébastien LECORNU. Pardon,
oui, je ne voulais pas éluder… Sur la question de… Alors, il n'en a pas été
question du tout en Conseil des ministres. D'abord, je rappellerai que la
ministre Marlène SCHIAPPA mène un combat en faveur du droit des femmes que
personne ne peut lui retirer, personne ne peut lui contester, parfois de
manière disgracieuse, mais avec efficacité et surtout avec sincérité. Et je ne
veux pas que quiconque puisse imaginer que cela contreviennent au fait que
l'ensemble, la totalité du Gouvernement est pleinement mobilisée pour améliorer
le quotidien des Français pour tous les sujets de préoccupation au quotidien.
Je crois que c'est vraiment là l'essentiel.
Je vous remercie.
Sébastien LECORNU
Merci Monsieur le Ministre.
Mesdames et Messieurs, je suis heureux
de vous retrouver ici dans cette pièce pour une présentation, la plus rapide
possible, sur cette loi de programmation militaire. Je rappelle que ces lois
trouvent leur origine dans les années 60,
lorsque Pierre MESSMER, Michel DEBRÉ, sous l'autorité du général DE
GAULLE, ont décidé de se lancer dans l'aventure de la dissuasion nucléaire, il
fallait cadrer de manière pluriannuelle les grands investissements et puis de
par la même aussi, il s'agissait d'associer le plus possible la nation au choix
qui était fait et donc, par définition, le Parlement, et que c'était une
rupture avec les périodes précédentes.
Nombreuses lois de programmation
militaire, une d'ailleurs, avait été présentée mais non adoptée dans les années
90. C'est donc la 15ᵉ loi de programmation militaire depuis le début des années
60 et elle s'inscrit évidemment, celle-ci, dans un contexte particulier.
Peut
être, un mot de méthode, puisque certains exécutifs, dans le passé, avaient
pris l'habitude de faire ce qu'on appelle des exercices de livre blanc pour
créer ces lois de programmation militaire. Nous n'avons pas retenu cette
méthodologie. Déjà parce que malheureusement, désormais, dans l'esprit de nos
militaires, Livre blanc = réduction des moyens budgétaires, puisque souvent cet
exercice a servi à habiller ou à justifier des diminutions de crédits. On n'est
évidemment pas dans les mêmes circonstances.
La deuxième des raisons, c'est
évidemment la situation liée à l'Ukraine — j’y reviens dans un instant — et qui
nous a conduit quand même à faire cette révision de cette programmation dans
des délais peut-être plus courts qu'à l'accoutumée.
Puis, la troisième, elle
est purement démocratique. C'est le même chef des armées qu'en 2017. Le
président de la République ayant été réélu, il va sans dire qu’il y a aussi les
dimensions de continuité qui sont déjà connues, des différents interlocuteurs
et acteurs de ces sujets de défense nationale. Pour autant, on a choisi
d’associer le plus largement possible à un certain nombre d’écosystèmes, le
parlement, toutes sensibilités politiques confondues : Assemblée nationale et
Sénat et Parlement européen, des différents think tanks qui peuvent exister sur
la place de Paris ou sur la place européenne, des différentes associations qui
représentent parfois le droit des blessés dans nos armées, des réservistes, les
associations évidemment patriotiques puisqu'il se trouve que je suis aussi
ministre de la Mémoire et des Anciens combattants et que donc plusieurs
semaines de travail nous ont permis de préparer cette reprogrammation
militaire, peut-être que je vous la présente et telle que je l'ai présentée en
Conseil des ministres ce matin, et ce qui me permettra d'aller à l'Assemblée
nationale dès demain matin pour une première audition en commission de la
Défense, puis à la mi-mai pour une discussion à l'Assemblée nationale et aux
alentours de la mi-juin pour une discussion au Sénat pour une promulgation
autour du 14 juillet.
C'est une coutume symbolique, et évidemment pas
d'obligation en la matière, puisqu'on a eu des lois de programmation militaire qui,
parfois même, ont été votées et promulguées après même la loi de finances qui
suivait. Donc tout ça, évidemment, s'inscrit dans un calendrier qui est
particulièrement souple.
C'est une loi assez courte : 36 articles, ça tranche
avec les 2 à 3 dernières reprogrammations militaires, qui pouvaient aller jusqu'à
une soixantaine d'articles en tout. Un rapport annexé qui se veut complet,
dense, mais qui n'est pas bavard, comme certains rapports annexés des périodes
précédentes. Si on compare en revanche, au début de la Ve République,
jusqu'à la période de François MITTERRAND dans les années 90, ça reste une loi
dense puisqu'on était parfois sur la programmation militaire entre 3 et 5
articles.
Donc, ça donne un peu les éléments de comparaison, c'est aussi la
transparence démocratique qui fait qu'on va de plus en plus loin dans la
finesse et la qualité des détails que l'on fait évidemment valider et, en tout
cas, que l'on soumet aux représentants de la nation.
Peut-être quelques
éléments de fond pour ramasser de manière synthétique ce que nous trouvons dans
cette loi de programmation militaire. Bon, déjà, elle vient consacrer quelques
fondamentaux. Donc, ces fondamentaux, j’y reviendrai en conclusion, ça ne veut
pas dire qu'ils sont consensuels. En tout cas, ce sont des fondamentaux de
notre appareil de défense, tel que, justement, on en hérite depuis les années
60.
Le premier, c'est évidemment la dissuasion nucléaire qui est un des
éléments clés dans la voûte, évidemment, qui protège nos intérêts vitaux. Il
est clé également dans la programmation puisque sur les 413 milliards d'euros
que je vous présente, il y a évidemment une part importante de modernisation de
la dissuasion, sachant qu'il y a une inertie importante. Aujourd'hui, nous
vivons sur la dissuasion décidée par nos anciens et nos prédécesseurs il y a 15
ou 20 ans et qu'au fond, les sommes d'argent que nous mettons sur la table pour
les années qui viennent sont plutôt pour la dissuasion dans 10, 15, 20 ans.
Donc là aussi, il y a aussi un devoir générationnel sur cette affaire et
évidemment, ça nous oblige, ça nous oblige dans un contexte particulier où,
bien sûr, nous sommes un des rares pays, je serais élégant en disant cela, qui
met en œuvre cette dissuasion seul.
Puis, comme vous le savez, nous ne
dépendons d'aucune autre puissance pour la mise en œuvre de la dissuasion, y
compris pour la propulsion nucléaire de nous sous-marins. Il y a donc une
exigence d'autonomie, d'indépendance qui a évidemment un coût. Mais là aussi,
c'est notre modèle d'armée qui le veut.
Deuxième chose dans les fondamentaux : ils
poursuivent la réparation. Les diminutions de crédits
budgétaires dans le passé ont été douloureusement vécues au sein des armées. Il
faut dire que, socialement, le ministère des Armées s'est montré docile dans le
passé, pardon de cette expression malheureuse, mais je crois au moins qu'elle est
claire. Et donc, il est évident que le pouvoir politique, parfois, a pris des
mesures particulièrement dures : les diminutions des crédits, qui ont eu des
effets. Incontestablement, cela se voit sur les infrastructures, l’état de nos
bases aériennes et de nos régiments. Ça se voit sur le maintien en condition
opérationnelle. On dit souvent : « Vous avez des hélicoptères, mais ils ne sont pas
en situation de décoller
». C'est l'entretien, tout simplement, qui est un sujet
qu'on redécouvre malheureusement, avec cette guerre en Ukraine ; c'est la
question des stocks de munitions et donc, les décisions qui ont été prises par
le président de la République et Florence PARLY depuis 2017, d'augmenter les
crédits parce que c'est une décision qui s'est faite avant la guerre en
Ukraine, je le rappelle, voit désormais leur traduction concrète sur le terrain
en ce moment. Mais il serait faux de dire qu'une période de 5 années de
réparation suffit. C'est bel et bien une période de 10 ans qu'il va nous
falloir pour mettre à niveau l'ensemble des infrastructures et du parc
d'équipements de nos armées.
Ensuite évidemment, on a eu une réflexion sur le
format de nos armées. Vous savez que c'est un format qui est réputé complet.
C'est-à-dire que globalement, l'armée française sait pratiquement tout faire,
parfois de manière échantillonnaire. C'est l'expression qui est retenue,
parfois de manière beaucoup plus massive. Mais c'est un choix aussi stratégique
du passé.
D'autres pays voisins ont choisi d'avoir des modèles de l'armée qui
sont incomplets. Souvent, en général, quand on décide d'avoir un modèle d'armée
incomplet, on n'arrive plus à le recompléter, parce ce qui est une perte des
savoir faire, une perte d'intelligence qu'évidemment nous n'avons pas assumé, et nous avons décidé donc de parfaire ce module complet de nos armées,
sur les 3 armées.
Évidemment, cela englobe aussi la question de notre
industrie de défense sur laquelle je reviendrai dans un instant. La véritable
nouveauté des véritables nouveautés de cette programmation militaire : on est
évidemment reparti des menaces. « Donne-moi tes menaces, je te donnerai ton
armée ». Et là, évidemment, ce travail inédit, exigeant, donne lieu à quelques
pivots. Le monde bouge. La vraie question, c'est : est-ce qu'on bouge aussi vite
que les menaces qui nous entourent évoluent ? Et ça, évidemment, ces clés dans
un monde dans lequel on ne parle pratiquement plus de terrorisme, alors qu'on
sait qu'il est une actualité malheureusement en Afrique, de manière évidente et
cruelle chaque jour.
Évidemment, la question de la prolifération nucléaire,
Corée du Nord, Iran. Évidemment, la guerre que Vladimir POUTINE mène sous voûte
nucléaire sur un schéma conventionnel en Ukraine, mais qui, évidemment, mérite
toutes les analyses et toutes les attentions, c'est le moins que l'on puisse
dire.
Evidemment, l'hybridité, c'est-à-dire le détournement d'objets civils à
des fins militaires. Et ça aussi, c'est une question qui est clé. Et donc, on
voit quelques pivots se dégager non seulement pour la période 2024-2030, mais
dès le début un virage qui emmènera aussi jusqu'en 2035-2040, un peu comme il
y a aussi des gaullistes dans les années 60, lorsqu'ils ont décidé de cranter un
certain nombre de décisions importantes, sous forme d’armées, évidemment avec
la dissuasion nucléaire.
Mais pas seulement. Pour l'avenir, il faut noter des
renforcements importants sur ce qui nous préoccupe aujourd'hui ou sur ce que
nous estimons être parfois lacunaires.
La première des choses, c'est la défense
sol-air, c’est un des parents pauvres, malheureusement, des différentes LPM
passées, défense sol-air des couches les plus basses. Évidemment, la question
de la lutte anti drones, qui va occuper beaucoup l'actualité pour la
préparation des Jeux olympiques et de manière globale des grands événements. Il
s'agit de menaces terroristes, mais parfois aussi, il s'agit de menaces
individuelles puisque n'importe quel petit drones civil peut être détourné
désormais à des fins militaires.
Donc ça, c'est évidemment un des points,
enjeux. La défense sol-air dans les couches les plus hautes. Et ça évidemment,
on le voit aussi avec ce qui se passe en Ukraine, sur lequel nous avons besoin
de durcir notre protection.
Le deuxième des points de vigilance sur lequel nous
allons accentuer nos efforts, ce sont les Outre-mer, sur lequel on voit bien
que des menaces nouvelles pèsent hybrides, elles aussi parfois liées au
réchauffement climatique, parfois liées aux environnements régionaux, parfois
liées aussi et tout simplement à la tyrannie des distances ou des échelles. La
Polynésie est grande comme l'Europe, la Nouvelle-Calédonie est grande comme
l'Autriche, la Guyane est grande comme le Portugal. Il va sans dire qu'on a
besoin de mettre à niveau notre standard de sécurité en Outre-mer, en lien avec
le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, évidemment, mais c'est une part
importante de cette programmation militaire.
Le renseignement est également un
point clé. Je rappelle qu’il y a 10 ans, sur ce qui s’est passé au Levant, la
France n'avait pratiquement aucun moyen souverain de comprendre ce qui se
passait et de prendre des décisions. Je ne parle même pas de la première guerre
du Golfe. Aujourd'hui, il n'en est rien.
Heureusement, nous avons désormais des
moyens souverains de compréhension de ce qui se passe, y compris en Afrique ou
en Ukraine, mais il nous faut avancer. Et donc l'ensemble des services de
renseignement sur lesquels j'exerce la tutelle verront leurs crédits augmenter
de 60 % dans la période à venir, DGSE, DRM et DRSD. J'aurai l'occasion de
développer ces points dans les jours qui viennent.
Et puis enfin, on a des nouveaux
points ou des nouveaux espaces qui se militarisent, non d’ailleurs sans poser
quelques questions angoissantes, mais qu'il nous faut regarder lucidement. La
question cyber, on le voit bien, la guerre électronique, y compris d'ailleurs
sur les théâtres de combat, la capacité à brouiller, la capacité à anéantir des
structures qui, là aussi, sont hybrides. Elles peuvent être civiles comme
militaires. La question des fonds sous-marins ou de la guerre, ce qu'on appelle
« la guerre des mines de demain », la capacité à saboter des objets civils dans
le fond des mers ou d'aller au contraire réparer des infrastructures
militaires liées à notre Marine nationale.
Et puis enfin, la question du
spatial dont on parle trop peu, me semble-t-il, dans le débat public, mais dont
on voit bien qu'il est un des espaces qui se militarisent le plus avec des
prédations, avec des contestations qui sont à venir. Et donc au fond sur ces
sujets, ce qui explique aussi la somme importante : les sauts technologiques.
Les sauts technologiques que l'on veut aussi affronter souvent seuls, ou à
la rigueur quand on emmène des alliés pour le faire. On reste chef de file
parce que c'est notre modèle d'indépendance que nous défendons. Il est évident
que ça a des coûts et que ça nous conduit à faire au fond ce choix. Est-ce
qu'on se met dans la main des autres ? Et si ça nous coûte moins cher, on
décroche ? Ou est-ce qu'au contraire on continue de faire partie du club des
quelques nations en situation de se défendre sur ces sujets ? C'est un peu
comme si les gaullistes, pardon encore de cette comparaison mais elle me semble
utile politiquement et historiquement, avaient dit dans les années 60 : « l'atome, ce n'est pas pour nous, on ne pourra pas se le payer, on ne saura pas le
développer techniquement et scientifiquement ». Aujourd'hui, évidemment, la
France ne serait plus complètement la France que l'on connaît en matière de
puissance et en matière de protection.
Enfin, quelques conditions de succès se
retrouvent dans cette loi de programmation militaire pour la transformation de
notre modèle d'armée. Le premier, c'est évidemment ce que le président de la
République a appelé « l'économie de guerre ». Nous sommes un pays dans lequel
nous ne sommes pas condamnés précisément à acheter nos armes à Pékin, Moscou,
Washington. C'est notre modèle, C'est-à-dire, de faire en sorte que notre
diplomatie, notre capacité à déployer nos forces armées ne sont pas dépendantes
justement d'autres puissances, fussent-elles amies. Ça a forcément un coût, ça
a aussi des retombées sociales et en matière d'emploi qui sont évidemment
importantes. Mais on ne peut pas emmener une armée à bouger si les industriels
de défense ne bougent pas en même temps : rapport au stock, rapport au prix,
rapport au délai pour produire et rapport à l'export. Je le rappelle, notre
modèle s'équilibre parce que nous exportons des armes, on peut se les payer.
Pardonnez-moi de cette expression : le Rafale parce que précisément, à un moment
donné, Dassault ira vendre des Rafale à l'étranger, ce qui équilibre évidemment
ces programmes d'armement qui sont particulièrement lourds et que nous pouvons
encore nous payer. Parce que précisément, il y a aussi une stratégie à
l'exportation. C'est absolument clé.
Il y a enfin des chantiers de ressources
humaines qui sont clés, qui m'occupent beaucoup parce que ce n'est pas une
armée comme les autres, c'est une armée d'emploi, comme on le dit si bien. Une
armée d'emploi, ça veut dire aussi que c’est une armée qui combat, qui a des
blessés, qui a des tués et des familles. Et cette loi de programmation
militaire permet aussi de corriger de mauvais aspects, me semble-t-il, dans la
gestion par exemple, des soldats blessés en opération - je répondrai évidemment à
vos questions sur ces sujets.
Également en matière de prédation, de
souveraineté, transfert de technologie : ce n'est pas que du matériel ou du
papier, ce sont aussi des femmes et des hommes, et donc, c’est la mesure que
j’ai annoncée dans les colonnes du Parisien ce dimanche sur désormais
des systèmes d’autorisation préalable, pour que les soldats ou les officiers qui
sont amenés à connaître les sujets sensibles pour notre indépendance - on peut
imaginer les sujets de renseignement et les sujets qui tiennent à la dissuasion
nucléaire - n’aillent pas, dans la reconversion personnelle, toucher à des
intérêts industriels ou commerciaux ou étatiques qui ne seraient pas
compatibles avec les intérêts de la France.
Et puis enfin, il y a une réflexion
importante sur la fidélisation, parce que les armées aussi ont besoin d’avoir
une réflexion sur le champ social. Et ça, pour le coup, j’aurais l’occasion de
le décliner prochainement au plan famille, des sujets qui tiennent aussi à la
solde évidemment de nos soldats. Sans oublier la question des réserves qui est
un modèle pour moi clé. Cela sera une des grandes transformations que nous traiterons, me semble-t-il, avec le président de la République dans cette loi
de programmation militaire, puisque nous porterons nos armées à 300 000 soldats
dont 100 000 réservistes. Cela veut dire que la transformation, aussi, en matière
de ressources humaines, elle se fera par les réservistes, qui est un des moyens
de toucher la force morale et de proposer à l'ensemble de nos concitoyennes et
de nos concitoyens un chemin d'engagement qui leur permettra de participer à la
défense du pays, y compris avec des mesures nouvelles sur le
rehaussement des limites d'âge, puisqu'on constate que beaucoup de personnes
se retrouvaient sorties d'office des réserves parce qu'ils franchissaient
quelques limites d'âges et que, évidemment, c'était un énorme sujet pour nous, y compris
moral d'ailleurs, vis-à-vis de celles et ceux qui voulaient continuer à
s'engager.
Mesdames, Messieurs, c'est un moment de vérité, y compris
politiquement à l'Assemblée nationale puisque contrairement à ce que l'on peut
penser, les sujets de défense n'ont jamais été complètement consensuels sous la
Ve République, même si on a l'impression que le pays se rassemble.
Heureusement, il se rassemble derrière ses armées. Néanmoins, les questions
d'exportations d'armes ne sont pas consensuelles. Nos alliances militaires, et
je veux évidemment citer celles de l'OTAN, n'est pas consensuelle. On se
rappelle tous des débats, parfois d'ailleurs surréalistes pendant la campagne
présidentielle, sur la question de nos alliances militaires. La question de la
dissuasion nucléaire n'est pas consensuelle. Donc il y a des permanences
parfois idéologiques, que je respecte profondément depuis les années 60. Et
parfois, évidemment, il y a des choses plus nouvelles ou plus inquiétantes.
C'est aussi un moment de vérité puisque ce n'est pas un projet de loi comme les
autres. Il concerne aussi l'avenir du pays, notre sécurité collective et donc
aussi, il amène aux clarifications nécessaires sur ces sujets : dissuasion,
alliances militaires, parts des moyens et de la richesse nationale que l'on
veut donner aux armées, suffisamment pour qu'elles soient renforcées. Pas non
plus de manière démagogique avec des chiffres alléchants qui ne seraient pas
tenables et soutenus dans la durée. Parce que malheureusement, nos forces
armées ont connu des annonces alléchantes qui malheureusement n'étaient pas
suivies d'effet derrière. Et donc, c'est aussi l'enjeu de la copie que je vous
propose d'avoir quelque chose de soutenable dans la durée.
C'est donc les 413
milliards d'euros avec les différentes marches qui sont proposées, qui sont
désormais d'ailleurs plus des planchers que des plafonds. Puisque vous le voyez
bien, nous allons dès 2023 rallonger la marche de 3 milliards d'euros telle
qu'elle était prévue par 1,5 milliard d'euros supplémentaires, notamment pour
traiter des sujets liés à l'inflation mais aussi à des retours d'expérience
urgents que nous devons avoir sur l'Ukraine.
Pardon, j'ai été long, mais je
l'espère, complet, ce qui me permet de répondre à vos questions.
Élizabeth PINEAU
Bonjour Élizabeth PINEAU, de l'agence Reuters. Est-ce que
vous pouvez nous dire où en est votre réflexion sur la construction d'un
deuxième porte-avions ? Est-ce que vous pouvez donner des détails sur le
calendrier, sur le type d'engin, sur comment les choses vont se passer et où en
est la réflexion et quelques détails ? Merci.
Sébastien LECORNU
Je vous en prie. Alors, quand on dit deuxième porte-avions, il s'agit du successeur du Charles de Gaulle, je le précise, ce n'est donc pas deux
porte-avions en même temps. C'est bien sa succession. Succession qui doit
démarrer dès maintenant. Souvent on se dit : mais pour avoir des essais à la
mer en 2036-2037, pourquoi s'y prendre dès maintenant ? Parce que c'est un
bijou de technologie, une cathédrale de technologie ai-je dit récemment, mais
aussi de savoir-faire. D'autant plus que nous souhaitons que ce porte-avions au
cœur d'un groupe aéronaval demeure à propulsion nucléaire. Et ça, c'est une
spécificité aussi française puisqu'il n’y a que les États-Unis et la France qui
sont capables de développer cette technologie. En plus, nous le faisons seul,
sans interdépendance. La même technologie de propulsion nucléaire, ces
chaudières, servent également sur nos sous-marins nucléaires d'attaque et sur
sous-marins nucléaires lanceurs d'engins pour notre dissuasion. Le calendrier
est le suivant : il y a déjà des crédits de paiement dans la LPM actuelle.
Globalement, 5 milliards d'euros, j’arrondis, seront consacrés à ce futur
porte-avions. En même temps, il y a encore des crédits importants pour le
Charles de Gaulle parce que là, il faut à la fois commencer à mettre de
l'argent pour le prochain et on a également de l'argent pour entretenir
l'actuel. Peut-être aussi que c'est important de le nous le rappeler.
On va signer un certain nombre d'actes à la fin du mois
d'avril pour l'avant-projet détaillé jusqu'en 2025 globalement. Et là, on aura
une décision symbolique mais importante à prendre. C'est évidemment le baptême,
le nom de baptême de ce futur bateau. Donc en tout cas, l'agenda, il est tenu.
On a besoin de ce groupe aéronaval. On devra aussi évidemment réfléchir à sa
morphologie de demain. Il sera beaucoup plus lourd que le porte-avions actuel.
Il devra aussi laisser une place beaucoup plus importante aux drones. On ne
peut pas imaginer qu'un porte-avions pour les années 2040 ne soit composé que
d'aéronefs de chasse tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il y a évidemment
aussi cette guerre de demain, plus électronique, plus connectée à l'ensemble du
groupe aéronaval, en lien aussi avec nos alliés, qu'il faudra évidemment
détailler et préciser au fur et à mesure.
J'ajoute que c'est une bonne nouvelle
pour Naval Group, pour les Chantiers de l'Atlantique et pour TechnicAtome,
parce que là aussi, on va générer beaucoup, beaucoup d'emplois pendant au moins
10 ans. Je n'ai plus le chiffre en tête, mais je pense
qu'on aura l'occasion d'y revenir, notamment avec STX. Mais c'est évidemment
clé pour les chantiers de Saint-Nazaire.
Anne BOURSE
Bonjour. Anne BOURSE, France Télévisions. Justement pour
prolonger sur le porte-avions, certains spécialistes s'interrogent sur la
pertinence de construire un porte-avions. Vous parlez de la guerre de demain.
Est-ce que le modèle du porte-avions fait partie, toujours, de la guerre de
demain ou est-ce que ça peut devenir une cible de choix justement avec les
nouvelles armes ?
Sébastien LECORNU
C'est un débat qui est vieux comme Hérode, en tout cas,
vieux comme comme le porte-avions. En plus, c'est un effort budgétaire
important, donc forcément, ça peut susciter des réactions, y compris au sein
des armées, y compris des autres armées. La question se pose parfois. Moi, je
pense qu'on a besoin d'un porte-avions, de manière globale. On a surtout besoin
du groupe aéronaval. Ce n'est pas le seul porte-avions, ce sont aussi des
systèmes de frégate sous-marins nucléaires, d'attaque et de capacités
évidemment aériennes qui vont autour. Dans la mesure où on le voit bien : on a une
modification importante des menaces sécuritaires en mer. Jadis, la mer servait
globalement à frapper la terre soit pour bombarder la terre, soit pour
organiser un débarquement de forces terrestres.
On le voit désormais, la mer
est un espace de conflictualité en tant que tel. Ça se voit, y compris
d'ailleurs sur ce qu'on a pu constater récemment : destructions de câbles
sous-marins, de pipelines et puis surtout des routes maritimes normalement
libres en termes de droit international, mais qui vont de plus en plus être
contestées.
Ne pas cibler particulièrement l'Iran, mais enfin, on voit bien
ce qui se passe sur Bab-el-Mandeb, Ormuz, Suez, une partie de la Méditerranée,
non sans lien d'ailleurs avec ce que la marine de guerre russe peut y
accomplir. On va avoir un durcissement des routes commerciales. Or, on est une
puissance qui exporte, notamment, par exemple, des matières premières
agricoles. On a aussi d'ailleurs des routes que l'on doit garder parce qu'on a nos territoires d'outre-mer.
Et puis, on est aussi un
pays d'importation, et évidemment d'hydrocarbures, et pour mettre un mot encore
plus particulier en ce moment, de gaz. Et ça, un groupe aéronaval participe
clairement à des missions de sécurisation.
La deuxième des choses, c'est qu'un
groupe aéronaval, pardon de cette expression, mais c'est une forme aussi de
grosse multiprises qui permet d'emmener les autres nations. Et en fait, ce que
je constate du Charles de Gaulle aujourd'hui : c'est parce qu'on a le Charles de
Gaulle qu'on est capable de monter des opérations avec les Italiens, avec la
marine espagnole, avec les Grecs, avec d'autres pays hors OTAN et hors Union
européenne. Et je vais avoir un mot particulier, par exemple, pour l'Inde qui
est évidemment un partenaire, pour nous, de premier plan en matière de
sécurisation de l'océan Indien.
On a une base aux Emirats arabes unis, on a une
base à Djibouti, on a les forces qui sont prépositionnées à Mayotte et à La
Réunion.
Donc, l'océan Indien participe de notre profondeur stratégique
réellement, et pas seulement pour la puissance gratuite. Réellement, aussi, pour
défendre des intérêts qui sont bel et bien concrets et qu'on peut constater
dans notre vie économique tout simplement. Donc oui, le porte-avions est utile.
Après - troisième élément pour répondre complètement à votre question - il faut se
garder de la souplesse. À la fois, je sanctuarise complètement la propulsion
nucléaire de ce nouveau porte-avions. Je pense que c'est clé parce que vous ne
pouvez pas perdre en compétences sur la propulsion nucléaire, sinon ça aura un
impact sur nos sous-marins. Personne ne conteste qu'on a besoin de sous-marins
et encore moins de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. En revanche, je le
disais, garder régulièrement des capacités de manière incrémentale à mettre à
jour le projet du porte-avions, notamment parce que la question des drones,
pour le coup, est une question qui me semble absolument clé dans le combat de
demain. Il est clair qu'il faudra procéder à ces mises à jour régulières.
Matthieu DESMOULINS
Bonjour Monsieur le Ministre. Matthieu DESMOULINS pour TF1
et LCI. Deux petites questions sur le champ militaire. On voit que beaucoup
d'alliés de Kiev sont en train d'accélérer la formation de soldats ukrainiens.
Où est-ce qu'on en est nous côté français dans cette réflexion ? Et puis, on a
la réaction russe à l'adhésion prochaine de la Finlande au sein de l'OTAN.
Quelle est votre réaction d'abord à cette annonce ? Est-ce qu'il n'y a pas le
risque, en intégrant la Finlande à l'OTAN, que le conflit s'enlise et se
durcisse ?
Sébastien LECORNU
Alors non, je commence par la dernière question. De toute
façon, c'est l'agression russe en Ukraine qui provoque un besoin de sécurité de
la plupart des partenaires de l'Europe continentale. Bon, il y a la neutralité,
ça doit aussi faire réfléchir et les commentateurs et les autorités russes pour
que des pays qui ont toujours choisi une prudente neutralité depuis tant de
décennies décident de rompre avec cette neutralité. C'est bel et bien qu'il y a
une peur. Et d'ailleurs, plus vous vous approchez des pays d'Europe centrale,
plus vous constatez que les opinions publiques, et donc d'ailleurs les
responsables politiques relayés par la presse, ont peur de la Russie pour des
raisons qu'on peut bien comprendre. Plus on se rapproche évidemment de l'ouest
du plateau continental européen et plus cette peur
se transforme en inquiétude, si je devais dire les choses telles quelles.
Donc
non, il ne faut pas d'inversion du narratif, même si la diplomatie russe essaie
de nous emmener sur ce terrain-là. Faire partie de l'OTAN n'est pas
escalatoire, il ne faut pas raconter une histoire, c’est une nuance de
sécurité, de solidarité. Il suffit que la Russie n'agresse personne pour qu'il
n'y ait pas de guerre. Il ne faut pas rentrer de nouveau dans cette
rhétorique-là.
Sur votre première question, on accélère aussi sur les
formations. Globalement, on a une cible de 6 000 soldats ukrainiens à former,
plutôt 2 000 sur le territoire national, sur des formations plutôt à haute
valeur ajoutée, plutôt techniques, plutôt spécifiques, souvent en lien avec les
matériels que nous pouvons donner pour l'Ukraine : des forces sol-air, le canon CAESAR et 4 000 soldats formés en
Pologne en lien avec nos amis polonais. Les 6 000, globalement, on les aura
réalisés à l'été. Donc on fait partie des pays qui, particulièrement, sont
engagés sur cette formation.
Journaliste
Oui, bonjour Monsieur le ministre. Le Burkina Faso vient
d’expulser deux consœurs du journal Le Monde et de Libération, donc stratégie
clairement affichée de la junte militaire de s’isoler médiatiquement. Cette
même junte militaire vient d’ouvrir une page avec la Corée du Nord. Quel regard
portez-vous effectivement sur cette démarche tout à fait singulière dans le
continent ? Et que voilà la Corée du Nord effectivement va s’installer au
Burkina Faso…
Sébastien LECORNU
Je ne suis pas ministre des Affaires étrangères, donc ce que
peut dire un ministre des Armées est toujours guetté de manière particulière,
mais je vais quand même répondre sans langue de bois : c’est comme le Mali, ce
sont des États souverains. Même si les juntes et les pouvoirs ne sont pas tout
à fait démocratiquement élus, c’est le moins qu’on puisse dire puisqu’ils sont
issus de coups de force, néanmoins ils représentent des États souverains. C’est
donc le moment de vérité. Et le moment de vérité, on le voit. En fonction des
alliances que nouent ces pays, cela dit quelque chose du projet qu’ils ont,
déjà pour leur population — excusez du peu — dont on parle trop peu
mais qui connaissent des regains de violence liés au terrorisme précisément,
pardon de mettre le Mali en même temps que le Burkina Faso parce que tout n’est
pas comparable. Mais en tout cas, il est clair que
cela dit quelque chose des transitions qui sont en cours dans ces pays et qui
nous inquiètent au plus haut point. Je ne peux pas en dire plus. En tout cas,
le désengagement des forces françaises s’est réalisé comme il se devait.
Rahma RACHDI
Rahma RACHDI, chez USPA. Le 13 juillet, à l’hôtel de
Brienne, le président de la République avait annoncé donc cette LPM, loi de
programmation militaire, les fameux 400 milliards — c’est ça, j’ai bien
compris ?
Sébastien LECORNU
(Inaudible)
Rahma RACHDI
413, pardon, sur 7 ans. Il avait consacré une bonne partie de cette présentation aux blessés militaires et paralysés, etc. Il avait déploré les conditions
du passé. Et il avait annoncé qu’il y aurait des chantiers là-dessus, il y
avait un haut comité qui devait délivrer un report ou quelque chose. Quid de ces chantiers ? Et il avait insisté sur la reconnaissance, la réparation et
l'accompagnement des familles : quelle sera la part du budget là-dessus ? Comment
cela va se répartir ? Thanks.
Sébastien LECORNU
Merci beaucoup. Alors il y a plusieurs choses parce qu'il y
a les familles de nos soldats en général, sujet sur lequel, moi, je souhaite qu'on
puisse dédier pratiquement 700 à 800 millions d'euros, uniquement pour un
nouveau plan famille que j'aurai l'occasion de détailler, qui permettra de
traiter — hors infrastructures, hors logement, je parle véritablement de
mesures d'accompagnement familial.
Le ministère des Armées est un des
ministères de la République dans lequel il y a le plus de mutations - et pour
cause - il y a le plus de mobilité. Donc ça veut dire aussi que ça a un impact
sur les familles, ça a un impact sur la scolarisation des enfants, et donc
évidemment il faut progresser. De manière spécifique sur les blessés et les
tués, déjà sur les soldats qui ont rendu le sacrifice le plus important pour la
nation, figurez-vous que j'ai découvert à mon arrivée — Florence PARLY
elle-même s'était penchée sur la question, donc je récupère une partie du
travail qu'elle avait commencé à produire — quand un soldat pouvait tomber
au champ d'honneur en mission, mettons-le 15 du mois d'avril, il se trouve que
sa solde était versée intégralement et qu'ensuite l'administration demandait
aux parents ou à la veuve un remboursement des 15 jours de la solde en trop
perçu. Ça dit quelque chose de la brutalité administrative. Ce n'est pas une
critique contre mes équipes, c'était la loi. Et donc typiquement dans la
programmation militaire, vous avez un article qui me semble de bon sens : parmi
les 36 articles, il y en a un qui dit que désormais il va sans dire
qu'une solde versée est une solde acquise. Pardon en 2023 de faire cette
annonce qui semble de bon sens, mais enfin encore fallait-il le faire. C'est un
des exemples des nombreuses mesures de bon sens.
Les décorations, on peut
toujours sourire des décorations. Quand on est soldat, on n’en sourit pas parce
que certaines décorations sont connectées directement à l'acte de guerre que
vous avez eu à connaître ou à commettre en termes de bravoure. Vous aviez des
personnalités sur lesquelles j'ai signé des citations pour des croix de la
valeur militaire parfois 2 à 3 années après les actes de bravoure constatés sur
le terrain. Une armée comme l'armée française en 2023 ne peut pas décorer ses
soldats avec 2 ou 3 années de retard. C'est inacceptable. C'est un deuxième
exemple très concret.
Et puis après, il y a des choses, heureusement, qui ne
relèvent pas que du bon sens, qui sont aussi de l'investissement sur l'avenir.
La France, avec Israël et les États-Unis d'Amérique, font partie du club très
fermé des trois pays qui réfléchissent le plus à la question de la blessure
psychique. Il n'y a pas que la blessure physique, il y a aussi, et on le voit
bien, tous les traumas liés à la guerre. C'est aussi ça une armée d'emploi,
c'est malheureusement des soldats qui sont confrontés à des choses qui sont
terribles. Et donc pendant longtemps, il faut être clair, au sein des armées,
on a considéré que la blessure psychique n'était pas une vraie blessure par
rapport aux blessures physiques. Or il n'en est rien. Et ça aussi, par exemple,
c'est un des thèmes sur lequel on va beaucoup avancer, notamment avec le
service de santé des armées.
Voilà, je donne quelques exemples, mais ils sont
concrets et ils sont dans la loi de programmation militaire, pour répondre à
votre question.
Simon LE BARON
Bonjour Monsieur le ministre, Simon LE BARON, France Inter.
413 milliards d'euros d'ici à 2030, c'est un choix budgétaire fort qui a
d'ailleurs pu susciter des débats, y compris au sein de l'exécutif. Est-ce que
vous comprenez que certains mettent en balance ces sommes avec les 12 milliards
d'euros que le Gouvernement espère trouver d'ici à 2030 justement grâce à sa
réforme des retraites ?
Sébastien LECORNU
Non mais qu'on s'interroge sur les 413 milliards, je le
comprends d'autant plus que, moi-même, je m'interroge. Désormais, je peux en
répondre puisque je l'ai concoctée et élaborée, cette loi de programmation
militaire.
Plusieurs choses. Déjà, moi, je considère qu'opposer notre sécurité
collective et notre modèle social, ça me semble juste absurde. Enfin je ne vois
pas très bien, dans un contexte sécuritaire dégradé, comment on aurait un
modèle social qui tiendrait. Il suffit de voir déjà comment une guerre crée une
inflation terrible. Donc ne soyons pas munichois, pardon d’être très direct.
Ça
m'amène à ce deuxième point : ne soyons pas munichois. Je pense que désormais
les élites françaises, y compris politiques, vont aussi se séparer entre deux
camps : celles et ceux qui considèrent que les menaces sont réelles, concrètes,
durables ; et celles et ceux, au fond, qui n'y croient pas. Et ça, je suis très
frappé de ça parce que, au sein même de certaines formations politiques, on a
des gens qui sont dans une approche très différente, en disant : « Au fond, on a
la dissuasion nucléaire, on s'en fiche, pourquoi mettre plus d'argent sur cette
affaire-là ?
»
Sauf que : est-ce qu'on est complètement
défendu sur le cyber de demain ? La réponse est non. Est-ce qu'on est
complètement défendu dans le spatial ? La réponse est non. Est-ce que notre
défense sol-air est suffisante ? À moitié. Donc en fait, quand je repasse et
que je repars des objets militaires réels, je suis capable de vous certifier
droit dans les yeux qu'à 413 milliards d'euros, il n'y a rien de trop.
Et puis
troisième chose, les chiffres sont têtus. Comparer les milliards des retraites,
il faudrait comparer plutôt l'ensemble du budget des retraites du pays. Et
d'ailleurs si on parle en points de PIB, je rappelle que notre modèle social
c'est 30 points de PIB, désormais 1,9. Donc je pense que les choses sont dites.
Et si j'ose un quatrième point, on ne peut pas demander à des soldats de faire
le sacrifice ultime sans correctement les former et sans correctement les
armer. Voilà. Je pense aussi que, au bout d'un moment, il faut dire les choses
telles qu'elles sont. Il faut être capable de dire droit dans les yeux à nos
soldats qu'on va quand même faire le maximum pour eux. Et ceux qui ne le
pensent pas devront aussi le justifier droit dans les yeux en regardant nos
soldats.
Journaliste
Bonjour Monsieur le ministre, (inaudible) pour la radio
Fréquence protestante. Sur l’OTAN, êtes-vous optimiste sur une éventuelle
adhésion de la Suède avant le prochain sommet en Lituanie ?
Sébastien LECORNU
Il le faut le plus rapidement possible et la France a été le
premier pays déjà je crois à au Parlement ratifier justement les instruments
d'adhésion et de la Suède et de la Finlande. Et donc, moi, je forme le vœu que
l'adhésion soit la plus rapide possible.
Journaliste
Oui, avec les décalages de nombreuses livraisons au-delà de
l'échéance de la LPM, que ce soit Scorpion, les Rafale, et par ailleurs les
capacités de projection de puissance assez limitée de la France, est-ce que les
missions de l'armée française vont devoir être revues à la baisse ?
Sébastien LECORNU
Alors non, à 413 milliards d'euros d’ailleurs, il n'y a pas
de nombreux décalages. Il faut les relister, je veux dire il y a deux
étalements de programme, que d'ailleurs je peux justifier pour le Scorpion aussi
par les capacités de production des entreprises, et puis aussi par les
chantiers de transformation de notre armée de terre.
Et d'ailleurs, toutes les
lois de programmation militaire, depuis les années 60, certes sont sur 5, 6, 7
années, en fonction des lois, mais le point d'horizon est toujours la cible
d'après, à savoir 2035. Je veux dire un modèle d'armée, ce n'est pas du court
terme, c'est du long terme. Et donc ça, pour le coup, on l'assume.
Deux : on
l'assume parce que c'est un choix aussi militaire. Frappes dans la profondeur,
capacité à
« scorpioniser
» certains régiments plus vite veut donc dire aussi
parfois étalement et décalage sur d'autres segments.
Troisième chose : la copie
telle que je vous la présente sur la LPM n'est pas complète de ce point de vue
sur le Scorpion, et pour cause puisque nous allons peut-être — je ne veux
pas faire d'annonce — mais continuer à aider l'Ukraine.
Or vous le voyez
bien, vous avez un certain nombre d'équipements de l'armée de terre française
qui ont été donnés à l'Ukraine et qui font l'objet d'un recomplètement. Donc
pour le coup, je serai amené d'ici au mois de mai, au mois de juin, à mettre à
jour aussi certaines cibles sur le Scorpion et sur l'armée de terre, et pour
cause parce que typiquement l’AMX-10 RC, je n’en dis pas plus, mais est un outil
que les Ukrainiens plébiscitent, pour dire les choses très clairement.
Donc,
moi, je ne peux pas laisser accréditer l'idée - donc merci de m’avoir posé la
question - qu’à 413 milliards d'euros, il y aurait moins d'activité. Ce n'est pas
vrai. On augmente largement les crédits pour l'entraînement, on augmente
largement les crédits pour l'entretien du matériel, comme jamais. Après, on ne
va pas mener des opérations extérieures pour s'entraîner, pour être très
direct. Donc Barkhane est terminé, l'activité des armées par définition en
Afrique sera moindre par rapport à avant. Et en même temps, au moment où le
président de la République a pris cette décision sur Barkhane, c'est le moment
où — certes ce n'est pas un Opex avec du combat — mais il faut réassurer le
flanc oriental de l'Europe et nous déployons des troupes en Roumanie.
Donc on
le voit bien de toute façon, c'est une armée d'emploi. Il y aura toujours une
activité pour les forces armées. Donc non, à 413 milliards d'euros, il n'y a
pas de renoncement, il y a des mises à l'échelle. Pardon mais elles se font
aussi en lien avec les industriels parce que j'ai trop vu de retards aussi dans
le passé. Donc je préfère parfois étaler moi-même le système de livraison, parce
qu'il y a aussi l'export au milieu de tout ça qui vient solliciter les chaînes
de production, pour avoir une copie sincère.
Après, vous aurez toujours des
commentateurs pour dire : « Plus vite, plus fort, plus loin
». Parfois, ce sont
d'ailleurs les mêmes qui ont réduit les moyens des armées donc… D'ailleurs, je
note que parfois il y avait moins de commentaires quand les crédits militaires
diminuaient que lorsqu'ils augmentent. C'est assez curieux, vous en
conviendrez.
Eh bien merci beaucoup.