Michel BARNIER
Merci infiniment, monsieur le président.
Je suis très heureux de ce moment, d'abord parce que je suis sorti de mon bureau, et surtout parce que je suis sur le terrain à vos côtés pour une visite de votre entreprise, que j'ai trouvée humainement, économiquement, très, très intéressante et même passionnante. Je vais vous le dire parce que je pense que c'est le même sentiment pour les un, deux, trois, quatre, quatre ministres du Gouvernement, cette équipe de ce pacte de France qui veulent bien m'accompagner, le ministre de l’Économie et des Finances, le ministre de l'Industrie, le ministre des Transports, la ministre du Travail et de l'Emploi. Et ce n'est pas par hasard, et je pense qu'ils ont éprouvé le même sentiment que moi. [inaudible] les parlementaires qui sont ici, monsieur le député, le sénateur, mais aussi le président de la région, qui est là, et puis le président du département, Alain ROUSSEL, d'un côté, monsieur [inaudible], de l'autre, le maire de Limoges, le président de Limoges Métropole, monsieur le président FARANDOU, les présidentes du MEDEF et de l'ACPME, monsieur le président de l'UIMM, et puis les représentants des syndicats, que j'ai salués tout à l'heure, les 7 entreprises, l'ensemble des équipes et des salariés. Enfin, chacune et chacun d’entre vous, dans la diversité de vos engagements. Je suis très heureux de me trouver aujourd'hui parmi vous en cette fin de semaine, et de saluer l'ensemble des équipes, monsieur le président de BARBUAT de Texelis. C'est une entreprise que je ne connaissais pas avant, mais dont j'avais entendu parler, qui produit des véhicules lourds dans deux secteurs essentiels, de la mobilité et de la défense, ce qui est d'ailleurs quelquefois un peu la même chose.
Intervenant non identifié
Il y a aussi la protection et le feu.
Michel BARNIER
La protection et le feu. En tout cas, la sécurité de notre pays, de notre nation, et une défense aussi qui doit être mobile, et qui constitue donc un atout de premier plan pour le développement de notre territoire, du vôtre, du Limousin, et pour la place de la France dans la compétition internationale. Ça fait très longtemps, mesdames et messieurs, que je pense, comme élu, aujourd'hui, comme Premier ministre, l'industrie est un élément fondamental de notre pays. Le ministre de l'Industrie, tout à l'heure, me rappelait un sondage qui dit que 65 % ?...
Intervenant non identifié
69.
Michel BARNIER
...69 % des Français sont fiers de leur industrie. Et nous savons que cette industrie, qui a beaucoup perdu depuis 30 ans, est une des pièces essentielles d'un grand pays.
Un grand pays, c'est un pays qui reste une terre de production, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'industrie, dont vous êtes un des fleurons, mais qu'il s'agisse aussi d'autres productions, notamment vitales pour notre sécurité et notre souveraineté, comme c'est le cas des agriculteurs, que j'ai rencontrés tout à l'heure. Et puis moi, j'ai aussi, dans mon histoire, le ministre des Communes et des Finances au Savoyard. Moi, je suis Savoyard, j'ai été député pendant près de 20 ans d'usines, par exemple, qui était l’une des principales aciéries de France, et de beaucoup d'autres usines dans les vallées de la Tarentaise, ou à côté.
J'ai toujours été très marqué, personnellement, par plusieurs choses. D'abord, l'importance de préserver dans une entreprise la valeur personnelle ajoutée, la compétence qui se trouve dans les hommes et les femmes dans une usine, qu'il s'agisse du président, des cadres, des salariés, quels qu'ils soient. Tous et chacun ont une valeur ajoutée. Tous et chacun ont une compétence. Notre pays doit préserver ces compétences et en trouver de nouvelles, en former de nouvelles. J'étais aussi frappé du drame que constitue quelquefois une fermeture d'entreprise. Ici, sur ce site que Renaud a occupé très longtemps, ça a failli être le cas. Et ça prouve aussi que, quand une entreprise ferme, ça peut arriver, même si on peut en limiter les occasions, il y a toujours, un jour après, des hommes et des femmes qui peuvent avoir de nouvelles idées, de nouveaux investissements, à condition d'y être accompagnés. Et ça a été le cas pour vous, vous l'avez rappelé très bien tout à l'heure, au niveau national et au niveau régional et départemental. Et donc, je veux dire d'emblée dans ce propos aujourd'hui, et ce n'est pas neutre que je le fasse aujourd'hui, avec toutes les turbulences à Paris, sur le plan politique et autres, parce que vous êtes les racines, vous êtes les fondements de notre pays, comme le sont beaucoup d'autres entrepreneurs dans tous les domaines que j'ai cités tout à l'heure. Donc, la conviction que j'exprime, c'est que notre industrie, qui a beaucoup souffert, qu'on a laissé parfois partir dans les années passées. Il y a des fermetures d'entreprises que, moi, je ne pardonnerai pas. J'ai été député président du département dans lequel il y avait beaucoup d'usines Pechiney, par exemple. Je ne pardonnerai jamais la manière dont Pechiney a été démantelée. C'est un exemple que j'ai en tête.
Notre pays se doit de préserver ce qui existe comme industrie et de réindustrialiser la France pour qu'elle soit durablement, grâce à votre travail, une terre de production. Il y a de bons éléments pour ça. La France est le pays qui reste un des plus attractifs d'Europe pour les investissements étrangers depuis 5 ans. La tendance en matière de fermeture d'usines a été stoppée avec plus de 400 ouvertures ou extensions nettes depuis 2002, 36 ouvertures d'entreprises au premier semestre 2024. Notre pays a créé plus de 130 000 emplois industriels depuis 2017 dans tous les territoires. Ça ne m'empêche pas du tout, au contraire, de savoir les difficultés qui existent ici même, dans cette région, avec des risques problème sérieux dans plusieurs entreprises. Tout à l'heure, le ministre de l'Économie, le ministre de l'Industrie et la ministre du Travail ont reçu les représentants de plusieurs entreprises, Valéo, Le Grand, Stamping, pour engager le dialogue et accompagner ces entreprises et leurs salariés. Mais globalement, nous avons, objectivement, et ça a été un des éléments importants des dernières années, de bons fondements, avec ce sujet de l'attractivité de la France, de l'investissement, du soutien à l'innovation. Quand je suis arrivé à l'hôtel Matignon, il y a un peu moins de 3 mois maintenant, tout juste deux mois et demi, j'ai dit, en prenant le relais, il y aura dans la politique du nouveau Gouvernement des sujets de rupture, des sujets de changement, des sujets de persévérance. Je pense que ce qui a été fait pour l'industrie et pour l'attractivité de notre pays est un sujet de persévérance.
Mais on voit bien qu'on est à la croisée des chemins avec, aujourd'hui, des défaillances d'entreprises qui augmentent depuis plusieurs mois, et certains secteurs comme l'automobile, la sidérurgie, la chimie, qui sont sous tension. Ces difficultés s'expliquent par de très profondes transformations, par une concurrence internationale de plus en plus dure et souvent déloyale, et je ne pense pas que ça va s'arranger quand on sait ce qui se prépare de l'autre côté de l'Atlantique. Je sais, je comprends l'inquiétude des salariés quand il y a des risques de fermeture, et je le dis haut et fort, pour moi, il n'y a pas de fatalité, sauf s'il y a du fatalisme. Le Premier ministre, des ministres ne peuvent pas, des responsables d'entreprise, des élus n'ont pas le droit d'être fatalistes. On a le devoir d'être déterminés et volontaristes, et donc, nous allons nous battre avec les membres du Gouvernement, avec les élus, avec les entreprises, cette reconquête industrielle. Et je veux dire que, pour moi, qui pense depuis longtemps que chaque citoyen est nécessaire, que chaque personne a une valeur ajoutée, on ne va pas laisser les gens seuls, ni les territoires au bord du chemin.
Voilà pourquoi je voudrais évoquer rapidement, en vous remerciant pour votre attention, trois chantiers et trois axes de notre action. D'abord, nous allons mieux accompagner les entreprises et les salariés qui rencontrent des difficultés. Je pense que nous pouvons, que nous devons mieux identifier les entreprises en difficulté. Nous avons mis d'ailleurs en place un produit numérique qui est intitulé « Signaux faibles ». Très important que l'alerte soit donnée assez tôt, qui doit nous permettre de mieux anticiper les difficultés des entreprises. Il y a environ 100 cas détectés par département chaque trimestre. 100 cas, grâce à ce système de signaux faibles. Et donc d'aller nous-mêmes, le pouvoir public, vers les entreprises, qui, elles, ne doivent pas non plus, de leur côté, craindre de se rapprocher des services de l'État, monsieur le préfet, des commissaires aux restructurations, à la prévention des difficultés des entreprises, dans chaque territoire. J'ai demandé à nos services, au ministre de l'Économie et des Finances, Antoine ARMAND, qui est ici, au ministre de l'Industrie, Marc FERRACCI, d'organiser une task force, comme on dit en patois savoyard, pour répondre aux difficultés des entreprises de manière immédiate, anticiper, répondre, réparer quand il le faut, accompagner, et la ministre du Travail est ici, le ministre du partenariat avec les Territoires, Catherine VAUTRIN, sera aussi partie prenante à cette task force. Nous sommes prêts à mettre davantage de moyens humains sur cette mission et nous renforcerons dans le projet de loi de finances en cours de discussion, comme vous le savez tous, les moyens financiers de l'État pour accompagner les restructurations financières des entreprises qui sont en difficulté, notamment à travers les prêts du Fonds de développement économique et social. En matière d'emploi aussi, nous devons faire mieux pour accompagner les mutations. Nous allons simplifier les dispositifs pour faciliter la reconversion des salariés vers d'autres métiers quand il n'y a pas d'autres moyens de maintenir l'emploi. Ils sont aujourd'hui trop nombreux, ces systèmes de reconversion, c'est trop compliqué. Astrid PANOSYAN-BOUVET, la ministre du Travail, va bâtir avec les partenaires sociaux un outil de reconversion unique, simple, plus agile, à la main des entreprises. Il sera prêt au début de l'année prochaine qui n’est pas si loin maintenant. Nous nous assurerons que les crédits du Fonds national de l'emploi formation, qui financent les actions de formation en cas de mutation économique, soient davantage ciblés vers l'industrie. Ces crédits financeront la formation de 80 000 salariés, à ces métiers en 2025.
Et puis, nous allons nous assurer d'un accompagnement renforcé par l'État lorsqu'il y a, malheureusement, un plan social. Les services de l'État proposeront systématiquement leur médiation pour la négociation du plan de sauvegarde de l'emploi et ils informeront directement les salariés sur les opportunités d'emploi dans leur territoire. Voilà pour le premier axe. Le deuxième axe de notre action dans les semaines et les jours qui viennent, c'est de faire plus et mieux en matière de simplification et d'accompagnement des projets industriels. Hier, j'étais devant la Confédération des PME, madame la présidente et vice-présidente et je disais qu'un entrepreneur d'une PME, que j'ai rencontrée il y a quelques jours, me disait qu'au-delà des impôts de l'État ou des impôts locaux, qui existent encore, son principal impôt, c'était le prix et le poids des contraintes administratives et de la bureaucratie.
Et là, on peut faire quelque chose. Je suis convaincu de cela. Notamment pour ne pas décourager des investisseurs nouveaux. Il ne faut pas se tromper, Mesdames et Messieurs. On n'est pas tous seuls, nous, Français, au milieu d'un paradis. Il y a plein de gens à côté de nous qui nous concurrencent, parfois même de manière déloyale, et donc les investisseurs qui veulent chercher le meilleur endroit pour créer de l'emploi, pour investir, pour faire du profit aussi, ils ne font pas les décourager par un excès de bureaucratie ou de réglementation. Nous allons donc simplifier les procédures pour accélérer et encourager les investissements industriels. Et je voudrais donner 3 exemples en supprimant, par exemple, les procédures, le champ de la Commission nationale du débat public, que je connais assez bien, parce que je l'ai créé, il y a 30 ans. À l'époque, c'était pour obliger à un débat public sincère, respectueux des citoyens, sur les grandes infrastructures, Monsieur le président FARANDOU, les transports, les grandes infrastructures d'investissement, où j'observais de temps en temps, et même assez souvent que les maîtres d'ouvrage comme vous, je parle du passé, naturellement, ne prenaient pas le temps d'écouter les citoyens des élus locaux. Je voulais obliger, avec cette Commission nationale du débat public, à la transparence du débat public. Mais là, je pense qu'on est allé trop loin, et donc, on va revoir ces procédures pour en exclure les projets industriels qui sont trop souvent retardés ou découragés par trop de procédures. Nous allons prévoir aussi pour les projets industriels des procédures contentieuses accélérées grâce à la suppression du double degré de juridiction. Et enfin, je suis favorable à ce qu'on exempte l'industrie du zéro artificialisation nette, ce qu'on appelle le ZAN (ph), pour une période de 5 ans, au terme de laquelle nous ferons une évaluation.
Je suis assez favorable à faire des dérogations, des expérimentations. On va le faire là et on évaluera le résultat pour voir ce que ça donne dans 5 ans. Nous prévoirons également un soutien financier renforcé. La garantie des projets stratégiques de l'État permet aujourd'hui d'accompagner des installations industrielles à l'export. À l'occasion du projet de budget, nous allons étendre son champ aux projets industriels nationaux. Et c'est dans le même esprit qu'avec le ministre de l'Économie et des Finances, nous travaillons pour la mi-2025 à la mise en place d'un livret d'épargne industrie, de telle sorte que l'épargne des Français, voire même d'autres citoyens qui n'habitent pas en France, soit encouragée et fléchée vers le secteur industriel qui en a besoin. Nous continuerons d'accompagner la décarbonation des sites industriels, puisque c'est sur ce terrain-là que se joue aussi la compétition internationale. Le Gouvernement a introduit dans le projet de budget qui était pas si facile que ça, 1,6 milliard d'euros, 1,6 milliard d'euros, additionnels en complément des actions déjà engagées au sein de France 2030 pour décarboner les 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2 quand notre pays a adopté les technologies qui feront la compétitivité de demain. La simplification, je l'ai souvent dit, c'est aussi d'éviter de surtransposer des textes européens, en passant en revue les textes que nous avons surtransposés, il y en a beaucoup, qui ont créé, à cause de cette surtransposition et le zèle qu'on y a mis pour faire mieux et plus que les autres, qui sont juste à côté et qui sont nos concurrents, en créant, contre nos propres entreprises industrielles ou agricoles des concurrences déloyales contre nous-mêmes, contre nous-mêmes. Nous allons donc passer en revue tous ces textes et supprimer toutes les surtranspositions qui ne sont pas justifiées. Nous allons aussi supprimer les sanctions pénales pour l'absence de respect de la directive CSRD.
Et enfin, nous allons examiner avec la Commission européenne comment simplifier en profondeur la nouvelle directive CS3D sur le devoir de vigilance, qui est beaucoup trop compliqué et qui provoquera des coûts extrêmement exagérés. Le travail de simplification, il y a même un ministre, Monsieur KASBARIAN, qui est chargé de ça et qui va beaucoup, beaucoup délivrer de mesures. On va le conduire au niveau national et au niveau européen. Je viens de parler de l'Europe. Il y a beaucoup de textes européens que nous sommes amenés à transposer dans notre droit, parfois surtransposer, malheureusement, et donc on va conduire en parallèle ce travail de simplification. J'ai rencontré récemment la présidente de la Commission européenne, qui est très engagée peut-être pour revenir d'ailleurs sur des décisions qu'elle a elle-même proposées il y a 5-6 ans, et c'est une bonne chose.
Juste un exemple, à côté des PME et de grands groupes, je pense qu'on gagnerait... Vous avez cité ce niveau d'entreprise au niveau européen, un statut aux entreprises de taille intermédiaire. On devrait reconnaître ce statut d'entreprise de taille intermédiaire, les ETI, qui devraient, de mon point de vue, bénéficier d'obligations administratives allégées. J'étais très frappé, Monsieur le président, par ce que vous avez dit tout à l'heure dans nos premières rencontres, sur ce qui fait la force de l'Allemagne. Il y a 3 choses qui font la force de l'Allemagne, même si personne ne peut donner de leçons à personne en ce moment. C'est la force, le nombre d'entreprises intermédiaires, souvent familiales, dans chaque territoire, dans chacun des (inaudible) allemands. Des entreprises familiales, industrielles, de taille intermédiaire, qui ont été soutenues parfois par des banques régionales, on n'en a plus beaucoup en France, et qui ont été soutenues par les collectivités locales. La deuxième force, c'est la qualité du dialogue social et syndical dans l'entreprise. Et là, nous avons des progrès à faire encore, partout.
Et puis, la troisième force, c'est l'adéquation que nous devons atteindre entre la formation et les besoins des entreprises. Voilà les 3 forces, me semble-t-il, de blinder (ph) allemand. Donc, nous allons faire ce travail et nous aurons besoin de propositions qui concernent toutes les entreprises, pour éviter notamment que les normes imposées aux grandes entreprises se répercutent sur les plus petites.
Enfin, le troisième axe de notre action consiste précisément à porter une véritable politique industrielle au niveau européen. Vous avez peut-être entendu parler de ce rapport de Monsieur DRAGHI, l'ancien président de la Banque centrale européenne, qui a clairement dit le décalage, le décrochage en matière de compétitivité de la France et de l'Europe tout entière par rapport aux États-Unis et qui a pointé du doigt l'une des raisons de ce décrochage de compétitivité, qui est celui de la réglementation, alors même que les États-Unis, eux, déréglementent, parfois excessivement, et subventionnent massivement. On parle beaucoup en ce moment des véhicules électriques. Il y a bien d'autres domaines, comme le secteur de la sidérurgie, des produits chimiques. plus globalement, de tout ce qui touche au bien nécessaire à la double transition énergétique et numérique.
D'une manière générale, notre position est assez simple. Nous sommes favorables au commerce, vous le savez. Notre pays est ouvert, il exporte. Vous m'avez montré tout à l'heure des matériaux et des véhicules qui sont exportés, même si ce sont d'une technologie un peu différente de celle que nous utilisons dans la défense française. Mais nous exportons, et c'est de l'emploi derrière l'exportation. Mais être ouvert, Mesdames et Messieurs, ça ne veut pas dire être naïf, comme l'Europe l'a été depuis 30 ans, en ouvrant toutes ses portes, toutes ses fenêtres, alors que les autres faisaient exactement le contraire. Et moi, je pense que l'Europe ne doit avoir aucun complexe, aucun complexe à défense des intérêts, y compris par rapport à l'agressivité d'autres continents, aux États-Unis ou en Chine. Voilà. J'ai eu l'occasion de le dire la semaine dernière devant le Medef, nous devons assumer « Europe first », l'Europe d'abord. On ne va pas longtemps accepter que le président des États-Unis, Monsieur BIDEN ou Monsieur TRUMP, demain, disent « America first », avec un soutien massif, concurrence contre nous, et continuer à être naïfs en face. Donc, je recommande qu'on ne soit plus naïfs, et c'est, me semble-t-il, maintenant l'état d'esprit des Européens et, bien sûr, celui de la France, qui, d'ailleurs, dans ce domaine, par exemple, a des raisons de refuser, dans les circonstances actuelles, le fameux futur traité commercial du Mercosur, parce que, précisément, il conduirait à être trop naïf à détruire des filières entières de notre agriculture.
Nous avons un atout — je parlais des atouts de la France, nous avons un atout européen, que je connais assez bien, puisque j'en ai été le commissaire, — c'est celui du marché unique, qui est bien plus qu'une zone de libre-échange, c'est un écosystème complet, avec des normes, parfois trop, des régulations, des supervisions, une juridiction, la Cour de justice, et donc, qui explique pourquoi, même s'ils sont agressifs, les présidents des États-Unis de la Chine doivent nous respecter, parce que ce Marché unique, c'est un écosystème de 500 millions de consommateurs et de 22 millions d'entreprises. Donc, quand on veut y rentrer, il faut accepter les règles de ce marché unique. On a une occasion inédite de faire de la décarbonation l'instrument d'une politique de réindustrialisation européenne, c'est l'enjeu de ce qu'on appelle le Clean Industrial Deal que la Commission européenne, qui est au travail depuis hier, devra porter très rapidement pour réduire nos dépendances dans des secteurs clés et aussi mieux articuler les politiques de l'Union européenne, commerce, recherche, innovation, concurrence, marché intérieur, autour du même objectif qui est de produire davantage européen, l'Europe d'abord sur les territoires européens.
Je crois enfin qu'il faut une politique dédiée au niveau européen sur trois filières auxquelles je pense aujourd'hui dans cette usine, qui sont particulièrement exposées à la concurrence internationale. La chimie, c'est un secteur sur lequel nous devons garantir que les molécules les plus critiques soient produites sur le territoire européen et pas ailleurs. L'automobile, pour laquelle nous souhaitons obtenir toutes les flexibilités nécessaires pour éviter des sanctions pour les constructeurs qui ont investi dans le véhicule électrique. Et enfin, la sidérurgie, où nous défendrons toutes les mesures de sauvegarde ambitieuses pour qu'elles soient adaptées à la taille du marché européen.
Voilà ce que je voulais vous dire en vous remerciant de votre attention. Nous progresserons. Nous allons avoir une détermination totale et absolue, Monsieur le président. Je le dis pour vous, pour votre équipe de cadres et pour l'ensemble des salariés de votre entreprise. Nous allons nous battre pour une politique industrielle ambitieuse, nous appuyer sur les atouts construits depuis 10 ans et nous en donner d'autres en liaison avec l'Europe où, enfin, le mot de politique industrielle n'est plus un gros mot. Et je peux vous dire que ça fait quelques années que je connais Bruxelles. Il y a quelques années seulement, il y a 5, 6 ans, on ne pouvait pas parler de politique industrielle européenne.
J'exprime une dernière conviction, Mesdames et Messieurs, qui ne doit pas vous étonner, parce que je l'ai déjà dit devant l'Assemblée nationale. Je pense profondément, et c'est l'esprit que j'ai senti ici, que le dialogue social, avec la ministre, nous avons donné des champs nouveaux au dialogue social, malgré beaucoup d'avis, et nous avons bien fait, notamment sur la question de l'assurance chômage ou des seniors, et le dialogue social a donné des résultats, parce qu'on a fait confiance aux syndicats et aux patronats. Je crois au dialogue social. Je pense que notre pays se portera mieux, mais je pense davantage que le dialogue social et la cohésion sociale dans une société comme la vôtre, Monsieur le Président, et dans la société en général dans notre pays, c'est un des facteurs de la compétitivité. Voilà ce que je pense. Le Premier ministre qui s'exprime devant vous a cette conviction et il était heureux d'avoir partagé avec vous aujourd'hui.
Merci de votre attention. Il y a beaucoup de journalistes que nous remercions d’être là. Si vous avez des questions, je ne vais pas vous frustrer.
Nathalie COL
Bonjour. Nathalie COL pour France Bleu Limousin. Vous faites beaucoup d'annonces pour l'avenir de l'industrie, mais vous l'avez souligné aussi, il y a beaucoup de plans sociaux en cours. Vous avez cité Valeo, avec le site de Limoges qui est touché, Legrand également, sur Limoges, qui est important. Qu'est-ce que vous proposez concrètement pour ces entreprises ? Et qu'est-ce que vous répondez, par exemple, aux élus qui suggèrent de faire une conditionnalité des aides de l'État à ces entreprises ?
Michel BARNIER
Je pourrais passer le micro au ministre de l'Industrie et la ministre du Travail, qui ont longuement rencontré tout à l'heure les représentants des syndicats de ces entreprises, Valeo, Legrand, Stamping aussi qui n’est pas cité. On ne va pas rentrer dans le détail de la situation de chacune de ces entreprises, qui est d'ailleurs différente, mais ça fait partie des alertes, et parfois plus que d'alertes, des risques qui existent, et donc nous accompagnerons avec tous les outils que j'ai cités l'ensemble des salariés. Je ne parle pas de ces cas-là quand il y a des possibilités de reprise d'entreprises. Nous sommes aussi, au ministère de l'Économie, attentifs à apporter des contacts et des solutions pour des repreneurs et à mettre en œuvre tous les crédits de l'État pour faciliter des restructurations, pour accompagner chacun des salariés, comme nous l'avons demandé, d'ailleurs, aux responsables de ces entreprises. Et j'ai dit, et je répète, monsieur FERRACCI a l'occasion de le dire, qu'en effet, plusieurs de ces entreprises, comme nous avons mobilisé beaucoup d'argent pour l'industrie depuis quelques années, les précédents gouvernements, ont reçu de l'argent public. C'est ça que vous me posez comme question. Je trouve légitime qu'on sache qui a reçu quoi et pour quoi faire. Et je trouve assez légitime que s'il y a de nouvelles aides pour des entreprises, qui en ont besoin, il y ait une forme de contrat. Vous appelez ça conditionnalité. Ce mot ne me choque pas, mais de contrat pour l'engagement, non seulement sur l'industrie, l'investissement, l'innovation, mais aussi l'emploi et le maintien des emplois. Voilà, ce que je pense. Je vous en prie.
Journaliste
Monsieur le Premier ministre, vous y faites souvent référence, vous l'avez encore fait, la période politique est incertaine. Marine LE PEN vous a lancé un ultimatum. Vous avez jusqu'à lundi, pour accéder à ces demandes sur les retraites, sur les médicaments, vous avez parlé de fatalisme dans votre discours. Est-ce que vous êtes déterminé à sauver coûte que coûte votre Gouvernement, quitte à faire de nouvelles concessions, notamment à Marine LE PEN qui est à la tête du principal parti à l'Assemblée nationale ?
Michel BARNIER
Ce n'est pas le même sujet, là. Moi, l'ultimatum que j'entends aujourd'hui, c'est celui, d'abord, de tous les travailleurs, les ingénieurs, les agriculteurs, qui me disent : « Tenez bon, on a besoin de stabilité, on a besoin de visibilité pour pouvoir investir. Ça, c'est l'ultimatum que j'entends et que je comprends. Il y a aussi l'exigence de cette stabilité pour notre capacité à emprunter de l'argent, pour payer un déficit malheureusement trop profond, et d'emprunter cet argent à des taux raisonnables, ce qui n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, puisqu’on atteint des taux d'intérêt qui sont équivalents à ceux de la Grèce en raison des incertitudes, des turbulences. Voilà les ultimatums que j'entends. Pour le reste, je ne suis pas dans cet état d'esprit à l'égard des forces politiques du Parlement et du Sénat et de l'Assemblée nationale. Nous sommes dans l'état d'esprit de respect, de dialogue. C'est ce que j'ai voulu exprimer en recevant Marine LE PEN lundi, longuement, mais aussi hier, les dirigeants du Parti communiste, et avant, ceux du Parti socialiste, et les Verts, et comme naturellement, j'ai reçu des dirigeants avec lesquels je travaille chaque semaine, pratiquement chaque jour, du socle parlementaire qui soutient le Gouvernement, qu'il s'agisse d'Ensemble pour la République, des Républicains, du MoDem et d'Horizons. Donc, je suis dans cet état d'esprit d'écouter, de respecter, d'écouter les Français qui veulent que ça marche et qui veulent que ça continue. Et s'agissant du budget en lui-même, dont j'ai dit dès le premier jour, après l'avoir fabriqué en deux semaines, deux semaines, qu'il était perfectible, nous continuons de l'améliorer, de l'aménager, comme je l'ai encore dit hier, de tenir compte des votes, des demandes des différents groupes, pas seulement d'un seul groupe, mais de tous les groupes, et de finalement trouver un point d'équilibre qui nous permette de garder cette ambition de réduire le déficit pour être capables, un jour, de réduire notre dette. Mesdames et Messieurs, vous êtes contribuables, citoyens les uns et les autres, nous allons payer, l'année prochaine, 60 milliards, 60 milliards d'euros d'intérêt pour la dette, 60 milliards d'intérêts. Moi, je préfère que cet argent soit investi dans l'industrie, dans l'agriculture, dans la sécurité, dans l'éducation. Et donc, voilà l'ultimatum. C'est celui d'une France qui doit travailler, qui doit réduire sa dette, qui doit préserver ses emplois. Pour le reste, j'écoute tout le monde et j'essaie de répondre à tout le monde, voilà.
Journaliste
Monsieur le Premier ministre...
Journaliste
(inaudible) des agriculteurs, vous êtes en capacité de les rassurer ?
Michel BARNIER
J'ai eu l'occasion de rencontrer le président de la Chambre de l'Agriculture et l'ensemble des forces syndicales, des représentants des syndicats agricoles de ce département, et comme toujours, on a un dialogue qui est très clair. Il n'y a pas de complaisance, mais il y a aussi, je pense, de leur côté, la compréhension qu'ils ont devant eux un Premier ministre qui les connaît, qui les respecte, qui les aime, et qui est à leur côté depuis longtemps, voilà, comme je l'ai prouvé quand j'étais ministre d'Agriculture, y compris dans des secteurs qu'on a parfois oubliés dans le passé, qui sont importants, comme la production ovine, qui est importante ici. Eux aussi, ils demandent des actes. Ils demandent des actes sur tous les engagements pris, ils sont très nombreux, l'année dernière, par le précédent Gouvernement, à la suite de la crise de janvier. Et nous tenons et nous tiendrons, avec Madame GENEVARD, la ministre de l'Agriculture, toutes les promesses, tous les engagements pris. Ils sont quasiment tous tenus ou en voie d'être tenus, parce que, quelquefois, il faut du temps. Nous avons complété ces engagements par des prêts bonifiés, des prêts garantis, des prêts de trésorerie, par une aide exceptionnelle et supplémentaire pour faire face à la fièvre catarrhale ovine, avec 75 millions, comme je l'ai annoncé à Cournon. Et puis le contrôle unique, qui était un des engagements qui est maintenant sous l'autorité des préfets, en cours de réalisation. On va continuer. Voilà. Ils savent qu'ils peuvent compter sur moi. Et je pense qu'ils ont un Premier ministre qui aime l'agriculture et qui respecte les agricultrices et les agriculteurs comme des producteurs. Mais comme je l'ai dit à la précédente question, Pour faire tout ça, pour faire tout ça, il faut de la stabilité, il faut que l'État fonctionne, il faut que tout le monde soit au travail. Il ne faut pas qu'il y ait un temps suspendu. C'est aussi une des raisons pour lesquelles je souhaite franchement qu'on puisse sortir, au terme de ce travail parlementaire, avec de la stabilité devant nous, parce que les agriculteurs, je le dis comme je le pense, s'ils veulent que les engagements soient tenus, il faut qu'il y ait des ministres et des fonctionnaires et des parlementaires de toute sensibilité pour les tenir. Voilà. Il faut qu'on soit là au travail.
Matthieu DESMOULINS
Monsieur le Premier ministre, bonjour. Matthieu DESMOULINS pour TF1-LCI. Vous avez fait ces derniers jours plusieurs concessions sur votre budget. Rien que celle d'hier sur l'électricité, c'est 3,6-3,7 milliards d'euros en moins qui rentreront dans les caisses de l'État l'année prochaine. Est-ce que vous comptez compenser ces concessions et comment ? Ou est-ce que vous assumez d'avoir un budget qui sera amputé en termes d'efforts de plusieurs milliards d'euros ?
Michel BARNIER
Je suis très touché par votre souci de l'équilibre budgétaire. J'espère qu'il sera partagé par tout le monde. On est très loin de l'équilibre. C'est pour ça que j'ai eu comme objectif, je vous l'ai toujours dit, d'être autour de 5 %, donc nous serons autour de 5 %, avec les efforts que nous demandons. Je n'ai pas fait de concession. J'ai écouté le Parlement sur la question de l'électricité, où, finalement, nous ne proposerons pas d'augmenter la taxe sur l'électricité, comme c'était initialement prévu. Ça fait beaucoup d'argent, en effet, pour les ménages. 80 % de cet avantage nouveau, ça sera pour les ménages, qui verront pour 80 % des ménages français baisser leur facture dès le 1er février, non pas de 9 %, mais de 14 %, et puis les autres 20 %, ce sont les industriels qui en ont aussi besoin. Donc tout ça, si on parle de concessions, c'est des concessions pour aider les Français. Mais c'est aussi une demande du Parlement, du Sénat et de l'Assemblée qui avaient voté dans ce sens, donc j'en ai tenu compte. Mais nous préserverons autant que faire se peut, et plutôt plus que moins, l'objectif d'être autour de 5 % de déficit l'année prochaine. On va trouver des compensations et nous préserverons cet objectif-là.
Bien, je vous remercie beaucoup de votre attention.
Merci à tous.