Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le président du Conseil économique, social
et environnemental,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le vice-président,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
L’arrivée annuelle des auditeurs en salle Parodi,
le passage en salle des cases pour feuilleter les pages du recueil Lebon, la
répartition immuable des jours de contentieux et de section administrative :
le Conseil d’État est une Institution faite de traditions, forgées à travers
plus de deux siècles d’histoire.
Mais si des traditions demeurent, d’autres naissent,
et cette deuxième séance de rentrée en est un bon exemple.
Le Conseil d’État est une Institution en
perpétuelle évolution, pour remplir au mieux ses missions, s’adapter à la
société actuelle, et rendre le droit accessible au plus grand nombre.
La Constitution de l’an VIII vous avait confié la
mission de « résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière
administrative ». Je crois que cette mission n’a jamais perdu de son
sens. Je dirais même qu’elle en a trouvé de nouveaux.
Résoudre les difficultés, c’est d’abord les
anticiper par votre mission de conseiller du Gouvernement et du Parlement,
déterminante pour la qualité et la robustesse de notre droit.
Résoudre les difficultés, c’est ensuite les
trancher, avec cette singularité de juger aiguillé par l’intérêt général, ce
concept que vous avez façonné et enrichi à travers le temps.
Résoudre les difficultés, enfin, c’est aussi
éclairer chacun, sur notre État de droit, et certains des grands enjeux de
notre société.
Monsieur le vice-président, je sais que cette
mission de production d’études vous tient particulièrement à cœur, qu’elle
permet à cette maison de se saisir de sujets clés, et d’en tirer une lecture,
des enseignements et des recommandations.
Dans chacune de ses missions, le Conseil d’État
guide l’action publique. Et vos recommandations y œuvrent pleinement.
Ces dernières années, vos réflexions sur la qualité
du droit, la place du numérique, ou les états d’urgence, ont nourri et
bénéficié à l’action publique.
Cette année vous avez choisi le thème du « dernier
kilomètre des politiques publiques » comme sujet de votre étude
annuelle. C’est un sujet qui m’est cher.
Un sujet qui m’a animé tout au long de mon parcours. Et un enjeu qui me guide,
en tant que Première ministre.
Aujourd’hui, nous traversons une crise de confiance
vis-à-vis de la politique, des institutions, et peut-être plus largement de
l’autorité. Ni les élus, ni l’administration, ni les forces de l’ordre, les
enseignants, les soignants ne font exception.
Au cœur de cette crise de confiance se cache une
tension : pour beaucoup de nos concitoyens, les mots et les actes ne
coïncident plus.
Partout, des décisions sont prises, des mesures
annoncées, des moyens engagés, mais trop souvent, les Français ne le voient
pas, ne le ressentent pas. Beaucoup ont le sentiment que rien ne bouge, et,
pour eux, les grands chiffres et les grands mots, ne font que creuser le lit de
la défiance et des désillusions.
Comme Première ministre, j’ai donc une
obsession : les résultats. Dans ce hall d’honneur du Palais Royal, j’ose
malgré tout le dire : tout ne se résume pas aux textes et au droit. On ne
peut pas s’imaginer que parce qu’une loi est votée, ou un texte publié, le
problème est réglé.
La réalité, c’est que le problème n’est pas réglé
tant que nos décisions n’ont pas d’effet perceptible, dans le quotidien. Je souhaite
que la parole publique, les moyens mobilisés et les lois votées soient
rapidement suivis d’effets.
Évidemment, le défi du dernier kilomètre est
d’abord celui des ministères.
Je l’ai dit à l’ensemble de mes ministres, et cela
vaut tout autant pour chaque administration : il nous faut être
entièrement tourné vers les résultats, vers le concret, vers le quotidien des
Français.
Mais je crois que le Conseil d’État, lui aussi, a
tout son rôle à jouer.
Un aphorisme célèbre disait que « juger
l’administration, c’est encore administrer. » Cela n’est pas
totalement vrai. Vous l’avez dit, Monsieur le vice-président, chacun est à sa
place, et jamais le Conseil d’État ne se substitue aux élus ou aux
administrations.
Mais vos décisions, vous le savez, ont des
répercussions potentiellement fortes et rapides sur l’action des ministères et
le quotidien de nos concitoyens. Vous avez d’ailleurs toujours su vous adapter.
Je ne citerai que deux exemples.
Le premier, c’est de tenir compte des moyens dont
dispose l’administration. En cela, votre connaissance fine de l’État est
précieuse. Elle vous permet de prendre des décisions dont l’exécution est
réaliste et plausible, et de pouvoir orienter l’administration, si elle
s’interroge sur les bons leviers pour les exécuter.
Le deuxième principe important, et vous l’avez dit,
monsieur le vice-président, c’est de laisser à l’administration le choix des
modalités pour répondre aux injonctions, que vous pouvez prononcer. Il faut que
l’administration prouve qu’elle a atteint l’objectif que vous avez fixé,
qu’importe, finalement, le chemin pour y arriver, tant qu’il se trace dans le
respect du droit.
Plus largement, je crois que l’expression « dernier
kilomètre » nous appelle collectivement à respecter deux impératifs.
D’abord, l’action publique doit se concevoir et se
décider avant toute chose en tenant compte du quotidien de nos concitoyens.
Des idées miraculeuses sur le papier, techniquement
séduisantes ou juridiquement brillantes, peuvent être lourdes, complexes ou
difficiles à mettre en place. Dans chaque texte ou chaque décision de
l’administration centrale, dans chacun des conseils prodigués au Gouvernement,
il faut donc avant tout penser à ses conséquences concrètes.
Le second impératif pour réussir ce fameux dernier
kilomètre, c’est la confiance envers le terrain.
Si nous cherchons à imposer des solutions uniques,
venues d’en haut, sans tenir compte des particularités et des enjeux locaux,
nous risquons toujours de ne pas être au rendez-vous.
Nous devons tous, collectivement, laisser plus de
marges de manœuvre aux acteurs locaux, qu’ils puissent prendre certaines
décisions, déterminer les meilleurs moyens d’atteindre les objectifs,
expérimenter, se différencier.
C’est la demande des élus, qui souhaitent
légitimement plus de confiance de la part de l’État, et savent la
responsabilité que cela impose.
C’est un consensus chez les responsables
politiques, et j’ai pu le mesurer encore la semaine dernière, lors de la
rencontre avec tous les chefs de partis, à Saint-Denis, à l’initiative du
Président de la République.
C’est aussi le sens de ce que nous mettons en place
depuis 6 ans. Je pense à la loi 3DS, ou encore au volet territorial du Conseil
national de la Refondation, qui visent précisément à trouver des solutions
adaptées aux situations locales.
Monsieur le vice-président,
Être au plus proche du terrain exigeait aussi, je
le crois, une nouvelle gestion des carrières dans la haute administration, de
permettre des recrutements plus divers, de revaloriser les rémunérations, et de
favoriser la fluidité des parcours entre les administrations centrales,
déconcentrées et décentralisées.
Cette année est un peu particulière pour le Conseil
d’État. Pour la première fois, aucun auditeur n’a été recruté directement à la
sortie du nouvel INSP, mais après une première expérience, de deux ans au
moins, dans l’administration. Je crois d’ailleurs que la promotion que vous
avez sélectionnée prendra ses fonctions très prochainement.
Je mesure parfaitement ce que représente cette
réforme pour le Conseil d’État.
Et je veux saluer l’investissement et l’engagement
de chacun pour la mener à bien et qu’elle produise les résultats escomptés.
Monsieur le vice-président, vous le dites souvent,
il est essentiel de connaître l’administration pour bien la conseiller et bien
la juger.
C’est en effet capital. J’évoquais à l’instant la
nécessité de connaître le terrain, de prendre des décisions réalistes,
applicables par les administrations. Pour cela, il est aussi nécessaire de les
connaître de l’intérieur, de mesurer la réalité de leur fonctionnement, de leur
rythme, de leurs contraintes humaines, budgétaires, techniques.
C’est précisément ce que vise cette réforme, en
permettant à chaque auditrice et chaque auditeur d’avoir travaillé dans une
administration avant de rejoindre le Conseil d’État.
Bien sûr, cette réforme ne remet pas en cause les
autres voies d’accès au Conseil d’État, qui permettent notamment l’apport
précieux des juges expérimentés des Tribunaux administratifs et des Cours
administratives d’appel. L’unité de la Juridiction administrative est une
richesse, et je sais que vous avez à cœur de la faire vivre.
J’ajoute, et j’y tiens, que cette réforme ne remet
en rien en cause la confiance que nous avons dans les plus jeunes membres de
cette Institution. Le Conseil d’État a toujours réuni en son sein des membres
de toutes les générations. C’est une richesse inestimable qui contribue, elle
aussi, à ancrer le Conseil d’État dans la société et dans ses évolutions.
Partout, la jeunesse porte un regard neuf, exigeant
sur les choses, fait preuve d’audace, nous pousse à nous remettre en question. Dans
les murs du Palais Royal, comme dans la société, notre jeunesse est déterminante
et nous devons nous appuyer sur elle.
Enfin, si j’évoque cette réforme de la haute
fonction publique et les recrutements au sein du Conseil d’État, je veux vous
dire, aussi, que vos savoir-faire, votre expertise et vos compétences sont
précieuses pour le bon fonctionnement de l’État, y compris en dehors de cette
maison. L’alternance entre la juridiction et l’extérieur fait partie de l’ADN
des membres du Conseil d’État. Elle est aussi nécessaire pour l’ensemble de
notre administration.
Pour résumer, je dirais que nous avons besoin de
vous. Je le dis en connaissance de cause, ayant autour de moi, dans le bureau à
côté du mien ou celui du dessous, des personnalités précieuses, qui ne sont pas
étrangères à cette maison.
Monsieur le vice-président,
Parler du Conseil d’Etat, c’est évoquer non
seulement ses membres, mais aussi, plus largement, tout le service public,
toutes les femmes et les hommes, qui, au quotidien, ont la mission essentielle
de veiller au fonctionnement de l’État.
Je mesure combien cet engagement est difficile, parfois
ingrat, toujours exigeant. Mais je sais aussi combien il est nécessaire,
précieux, épanouissant.
Travailler pour le service public, quelle que soit
sa mission, c’est s’investir pour quelque chose qui nous dépasse, c’est servir
l’intérêt général, c’est donner un sens au quotidien.
Pour le service public, chacun compte. Et c’est en
avançant ensemble, du premier au dernier kilomètre, que nous pourrons passer
des paroles aux actes, des lois aux résultats.
C’est ce qu’attendent de nous les Français.
C’est ce qui permettra la confiance dans notre service
public.
C’est ce qui assurera la cohésion de la République.
Discours de la Première ministre Élisabeth Borne