Monsieur le président du
Sénat,
Madame la présidente de
l’Assemblée nationale,
Madame et Messieurs les
ministres,
Mesdames et Messieurs les
parlementaires,
Monsieur le
vice-président,
Quand on a choisi de
dédier sa vie à servir l’État, il y a toujours une certaine émotion à parler
dans ces murs.
C’est ici qu’une large
part de notre histoire administrative s’est écrite.
C’est ici que le concept
d’intérêt général a pris corps et s’est incarné dans des décisions.
C’est ici encore que l’on
veille sur la qualité de nos textes et la cohérence de notre droit.
Le Conseil d’État a plus
de deux siècles et il a su, pourtant, au gré des défis du temps, évoluer,
s’adapter.
Cet événement, monsieur
le Vice-président, incarne bien ces deux visages du Conseil d’État : la
continuité et l’adaptation.
La continuité parce qu’il
est de tradition que le Chef du Gouvernement – et plus rarement la Cheffe du
Gouvernement – se rende au moins une fois au Conseil d’État dans l’exercice de
ses fonctions.
Mais l’adaptation, car ce
n’est pas l’Assemblée générale, mais cette première séance de rentrée, que j’ai
l’honneur de présider. Cette initiative est bienvenue. Elle permet au Conseil
d’État de montrer l’étendue et la diversité de ses missions.
Elle me permet, aussi, au
nom du Gouvernement, de vous dire mon attachement à cette Institution. Et notre
reconnaissance envers toutes celles et tous ceux, membres et agents, qui la
font vivre.
Continuité et adaptation,
voilà deux mots qui vous vont bien.
Le Conseil d’État incarne
à la fois les doctrines qui se construisent sur le temps long, mais aussi
l’adaptation constante aux enjeux de notre époque.
Pour la conciliation du
droit national et du droit européen.
Pour le respect de nos
exigences environnementales.
Et plus récemment sur la
dématérialisation des procédures ou le recours à l’intelligence artificielle.
Je dirais même que vous
avez souvent été des précurseurs.
Ces dernières années, les
crises se sont enchaînées, et avec elles, les textes et les contentieux.
La charge de travail a
été intense. Les enjeux étaient grands. La nécessité d’agir, impérieuse.
Je pense notamment à la
période de la crise sanitaire. Vous avez su réinventer vos méthodes. Prendre
des décisions et rendre des avis dans des délais contraints. Notre État
n’aurait pas tenu sans votre travail, sans votre capacité à absorber le choc.
C’est évidemment vrai
pour la fonction consultative, sollicitée : tant pour les textes d’urgence de
l’épidémie de Covid ; que pour l’agenda de réformes chargé, que mon
Gouvernement a engagé dès le début de ce quinquennat.
Pour vous, l’accalmie de
la période électorale n’aura été que de courte durée et je crains de vous
donner de nouveau du travail dans les mois qui viennent.
Et cette période intense,
l’activité juridictionnelle l’a bien connue, aussi.
Le contentieux des
décisions prises pendant la crise sanitaire, notamment par un recours
exceptionnel au référé, lui a donné une visibilité inédite.
Il a montré, aussi, le
besoin de clarté et de transparence qui doit guider toutes nos décisions. La
justice administrative traite de nos principes fondamentaux, de nos libertés.
Elle ne peut pas rester dans l’ombre. Ces décisions doivent être connues et leurs
raisons expliquées.
Cette mission est
d’autant plus cruciale que nos concitoyens sont beaucoup moins familiers de ce
qui fonde la justice administrative. Contrairement à la justice civile, vous ne
devez pas trancher des litiges entre deux parties privées, mais déterminer
l’équilibre entre l’intérêt général et les intérêts particuliers.
Souvent les décisions de
l’administration sont confirmées. Cela peut conduire parfois à des
incompréhensions ou des accusations de complaisance.
Nous savons tous qu’il
n’en est rien. Si j’osais, je dirais même que je le sais personnellement, en
tant qu’ancienne ministre du Travail, au moment de votre décision sur la
réforme de l’assurance chômage.
La réalité, c’est que le
simple risque d’annulation nous pousse et pousse toute notre administration à
garder le principe de l'égalité comme boussole.
C’est une excellente
chose, évidemment.
Mais je dis bien comme
boussole, et jamais comme frein.
Je me réjouis, monsieur
le vice-président, du sujet de la prochaine étude annuelle que cette séance de
rentrée vous a permis d’annoncer. Au-delà de la formule du « dernier kilomètre
», je sais que le Conseil d’État a depuis longtemps le souci de la mise en
œuvre opérationnelle, de l’exécution et de l’impact de l’action publique pour
nos concitoyens.
Dans cette période
particulière, dans cette phase de bascule que connaît notre pays et notre
monde, je suis d’autant plus convaincue de l’importance de l’efficacité des
politiques publiques, des services publics et des résultats.
Pour la transition
écologique, pour le travail, pour la souveraineté française et européenne, pour
l’égalité des chances, nous ne pouvons pas attendre pour donner des solutions
et encore moins pour qu’elles produisent leurs effets.
L’efficacité de notre
administration et de nos services publics est au cœur de notre pacte
démocratique.
Il n’y a rien de plus
destructeur pour la confiance de nos concitoyens envers nos Institutions et
envers l’État, que le sentiment d’immobilisme, de blocage ou que les annonces
qui ne sont pas suivies d’effets.
L’abstention et la montée
des extrêmes sont des rappels à l’ordre. Si nous voulons les contrer, nous
devons être efficaces et offrir des résultats aux Français.
Pour la justice
administrative, cet objectif se traduit par la recherche de décisions rapides,
lisibles et en prise avec les enjeux de l’action publique.
Sur le front de la
rapidité, le temps est désormais loin où les piles de dossiers délimitaient les
places des rapporteurs dans les salles de travail du Palais royal.
Votre effort majeur de
résorption des stocks et la création du référé ont tout changé.
Ils ont changé la vie du
justiciable, bien sûr, et c’était important.
Mais ils ont aussi
responsabilisé l’État et l’exécutif, qui ne peut plus compter sur un délai de
jugement pour tenter d’empocher le gain politique d’une annonce sans se soucier
de son risque d’annulation.
L’efficacité de notre
justice administrative, c’est aussi sa transparence et son accessibilité.
La modernisation de la
rédaction, le recours au numérique, l’alimentation d’une base de données et la
communication, y compris sur les réseaux sociaux, sont autant d’avancées
fortes.
Là encore, je connais
votre engagement et je mesure le chemin parcouru.
Enfin, l’efficacité passe
par l’intérêt et l’attention portés au fond des politiques publiques.
Toute décision de justice
administrative a des conséquences sur les objectifs poursuivis et les réformes
menées. Il ne peut donc pas y avoir de décision de justice administrative
éthérée.
Je sais combien vous avez
cet impératif en tête. J’en veux pour preuve, vos décisions récentes dans le
domaine de l’environnement ou celles qui ont permis de préserver des outils
majeurs de notre appareil régalien.
Ce souci de l’action
publique efficace est aussi l’un des fils rouges de la fonction consultative de
cette maison. Souci qu’elle porte tant sur les textes que sur les sujets
d’étude.
La culture de la norme
est rarement le fait des juristes. Je dirais qu’elle est un mal français, voire
politique, qui consiste à croire : que chaque fait divers ou difficulté appelle
un texte pour lui répondre ; ou que l’on mesure un bilan à la quantité de
textes adoptés.
Ça n’est pas ma vision
des choses. Je préfère les textes clairs et ramassés. J’ai récemment lancé un
appel à la sobriété. Je crois qu’il doit aussi s’appliquer à nos textes.
Je sais que je peux
compter sur vous pour être des alliés précieux dans cette mission.
Il nous faut identifier
les cas dans lesquels le recours à un texte ne s’impose pas, et écrire nos
lois, ordonnances et décrets plus simplement, plus sobrement et en redescendant
autant qu’il est juridiquement possible dans la hiérarchie des normes.
C’est un impératif
d’efficacité, je le disais. C’est un impératif de clarté. C’est aussi,
aujourd’hui, un impératif démocratique, car la nouvelle composition de
l’Assemblée nationale renforce encore le besoin de concentrer les débats
parlementaires sur le cœur de la matière législatives.
Je compte également sur
vous pour nous alimenter en recommandations opérationnelles de simplification
de l’action publique et d’aide à la résolution des difficultés qu’elle peut
rencontrer. C’était bien la mission que la Constitution de l’an VIII avait
assignée au Conseil d’État. Elle n’a pas changé. Et quand les difficultés sont
réelles, je compte sur votre pragmatisme et votre créativité.
Je crois, enfin, que
l’efficacité vient aussi de la richesse et de la diversité des parcours et des
carrières.
C’est la raison même du
juge administratif, que de savoir bien juger l’administration, parce qu’il la
connaît de près.
Cela n’implique pas
l’uniformité des parcours.
Je sais la technicité de
vos fonctions. Je sais l’apprentissage qu’elles supposent. Mais il faut aussi
des juges qui puissent prendre en compte, pour les avoir vécues
personnellement, les exigences, les contraintes et les limites de l’action
publique.
Etre membre du Conseil d’État,
c’est être haut fonctionnaire. Avec l’envie de faire et la soif de s’impliquer
dans ce qu’on appelle l’administration active.
S’y impliquer, d’abord,
en pratiquant au sein du Conseil d’État successivement ou parallèlement ses
deux métiers, consultatif et juridictionnel.
Je suis convaincue que le
modèle de cette institution, assis sur la nécessaire proximité, et la
communauté de culture et de réflexes, entre les deux ailes du Palais royal, est
l’une des clés du bon fonctionnement de notre État.
Je me réjouis d’ailleurs
de constater que ce modèle ne suscite aujourd’hui plus d’interrogation
structurelle.
Mais s’impliquer dans
l’administration active, c’est surtout savoir sortir du Palais royal pour
exercer des fonctions en administration.
C’est la source de
grandes satisfactions professionnelles. C’est aussi l’assurance de pouvoir
mettre de nouvelles compétences au service du Conseil d’État, en y revenant.
Je compte donc sur vous
pour maintenir et même renforcer la pratique des carrières alternées et pour
proposer régulièrement des profils de cadres supérieurs ou de dirigeants prêts
à assumer certaines responsabilités dans l’administration.
Monsieur le
Vice-président,
Vous avez rendu hommage,
avec beaucoup de justesse, non pas seulement au Conseil d’État mais à
l’ensemble du service public et de ses agents.
Je tiens à m’associer à
vos mots.
Je sais ce dont sont
capables notre administration et celles et ceux qui la font vivre.
Le service public est
parfois ingrat et c’est pourtant un engagement sans nul autre pareil. Il donne
un sens à son métier. Il offre la certitude d’agir pour quelque chose de plus
grand que soi.
Il œuvre,
quotidiennement, à protéger, enseigner, soigner, accompagner, juger, aider.
Je crois pour ma part,
qu’il y a peu de choses, aussi passionnantes et gratifiantes, que de servir
l’intérêt général. Je suis reconnaissante envers toutes celles et tous ceux qui
font ce choix.
Et depuis, cette « maison
du service public », que le Conseil d’État incarne, je veux saluer la
contribution inestimable de nos agents publics à la force de notre société et à
la cohésion de notre République.
Rentrée du Conseil d’État