Madame la Présidente de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Messieurs les Premiers ministres,
Monsieur le Président du Conseil économique, social
et environnemental,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Madame la maire de Paris,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Monsieur le président du consistoire central,
Monsieur le Grand rabbin de France,
Mesdames et messieurs les responsables des cultes,
Monsieur le président du CRIF, cher Yonathan ARFI,
Il y a des dates, qui marquent un destin.
Pour mon père, mais en réalité pour toute ma
famille, c’est le 25 décembre 1943.
Ce jour-là, avec mon grand-père et mes oncles, il a
été arrêté par la gestapo.
Puis ce furent les wagons plombés, les ordres, les
coups, les humiliations.
Ils étaient 1250 au départ. 6 sont revenus.
Ce qui s’est passé là-bas, mon père l’a écrit dans
deux lettres – qui sont le seul témoignage que je conserve de lui.
Ce qui s’est passé là-bas, certaines de vos
familles l’ont vécu.
Des témoins nous l’ont dit.
Bien des ouvrages et des films l’ont montré.
Mais je crois que personne ne peut vraiment
l’imaginer.
Celles et ceux qui ont pris ces trains vers l’Est
ont vu en face les abîmes auxquels pouvait conduire la haine et les frontières
de l’Humanité.
Pour toutes celles et ceux qui sont revenus, une
vie différente commençait.
Certains ont réussi à garder le goût de l’espérance
et la foi dans la vie.
D’autres non. Je ne le sais que trop bien.
Vous le comprenez, prendre la parole devant vous,
ce soir, a un écho particulier pour moi.
Et notre devoir, c’est de faire en sorte que jamais
l’Histoire ne se répète.
C’est combattre, de toutes nos forces
l’antisémitisme, partout où il se montre, partout où il frappe, partout où il
se cache.
Ce combat, je sais que c’est le vôtre.
C’est celui du CRIF à Paris, comme dans tous les
territoires.
Je veux ici saluer le travail mené par Francis
KALIFAT.
A la tête du CRIF pendant 6 ans, vous avez été un
partenaire résolu et exigeant.
Vous avez lutté sans relâche contre l’antisémitisme
et pour la sécurité des juifs de France.
Au nom du Gouvernement, je veux vous
remercier.
Cher Yonathan ARFI, vous avez désormais cette tâche
de porter la voix et les combats du CRIF.
Nous avons déjà eu l’occasion d’échanger, à
plusieurs reprises. Je connais votre énergie et votre volonté ; votre
envie d’agir et votre détermination.
Je ne forme qu’un vœu : celui du travail
commun. Un travail constructif, qui a déjà commencé. Nous en parlions la
semaine dernière encore : nous avons à cœur de réussir ensemble.
8 décennies après l’indicible, une question
s’impose : où en sommes-nous ?
Quel chemin avons-nous parcouru ?
Des avancées ont été réalisées, bien sûr – et
heureusement.
Les Gouvernements qui se sont succédé ont œuvré à
réconcilier la Nation et réaffirmé les valeurs de la République.
Je veux saluer, ici, la présence et l’engagement
des Premiers ministres Manuel VALLS et Bernard CAZENEUVE.
Le combat contre l’antisémitisme s’inscrit dans le
temps. Il dépasse largement les clivages politiques.
Au fil des années, nous avons avancé sur le sentier
de la mémoire.
En Normandie, dans les mois qui ont suivi son
retour des camps, mon père avait commencé à parler, jusqu’à ce qu’on lui dise
qu’il valait mieux se taire, que rien de tout cela ne n’avait eu lieu.
Certains ont voulu poser une chape de silence sur
le passé.
Certains voudraient aujourd’hui réécrire,
minimiser, organiser une indécente concurrence des mémoires.
Il a fallu du temps. Il a fallu de la
détermination. Il a fallu de l’acharnement.
En 1995, avec Jacques CHIRAC, notre pays a enfin
vraiment ouvert les yeux.
Peu à peu, partout en France, la vérité s’est
dévoilée, jusqu’aux commémorations, il y a quelques mois, des 80 ans de la
rafle du Vel d’Hiv, et l’inauguration du mémorial de Pithiviers par le
Président de la République.
Mais alors que les voix des témoins s’éteignent –
et je pense ici à Elie BUZYN, témoin parmi les témoins –, et bien que leurs
mots résonnent encore dans les esprits de milliers de jeunes, nous devons
trouver les moyens pour que, jamais, l’oubli et l’ombre ne gagnent.
Alors, nous continuerons à faire savoir. Nous ne
cèderons jamais rien aux faussaires de l’Histoire.
Ces dernières années, nous avons augmenté
considérablement les moyens consacrés à nos lieux de mémoire.
Depuis 2017, notre soutien au Mémorial de la Shoah
a plus que doublé, et nous avons multiplié par près de quatre le soutien au
mémorial du Camps des milles.
Grâce à ces aides, ce sont des milliers de jeunes en
plus, qui ont pu voir l’horreur et comprendre le sens du mot mémoire.
Nous continuerons aussi à réparer les spoliations
du passé.
Je suis fière d’avoir pu, peu après mon arrivée à
Matignon, présider la cérémonie de restitution d’ouvrages pillés à Georges
MANDEL.
Fière que 2022 ait été une année historique, avec
le vote d’une loi de restitution de quinze œuvres d’art.
Fière que le Rosier sous les arbres de
KLIMT retrouve la famille à laquelle il avait été arraché.
C’est faire œuvre de justice. Et nous continuerons.
Comme cela a été annoncé, nous examinerons prochainement une loi-cadre pour
accélérer la restitution des œuvres spoliées.
Transmettre, réparer, faire vivre la mémoire :
c’est d’abord pour notre jeunesse que nous le faisons.
C’est souvent dans l’esprit des jeunes que
s’ancrent les préjugés, les stéréotypes et le poison du relativisme – voire du
négationnisme.
Alors, nous devons mener, impérativement, la
bataille de la jeunesse. Et nous l’emporterons.
C’est pourquoi, j’ai annoncé, il y a deux semaines,
que chaque élève de France devrait désormais effectuer au moins une visite d’un
lieu de mémoire au cours de sa scolarité.
C’est en voyant, que notre jeunesse comprendra. Que
notre jeunesse réagira.
Mais nous le savons, la bataille des préjugés se
jouent à l’école, au collège, au lycée.
Dans certains établissements, tout ne peut pas être
dit. Tout ne peut pas être enseigné et certaines insultes sont banalisées.
Nous ne devons pas l’ignorer ou le minimiser.
Nous le devons encore moins, quand cela conduit
trop de jeunes à préférer quitter l’école de la République.
Là encore, je veux le dire : la Shoah doit
pouvoir être enseignée dans toutes les salles de classe, sans exception.
Nous agissons avec détermination.
Des équipes ont été mises en place au niveau
national comme dans toutes les académies, pour accompagner les enseignants et
les personnels des établissements, en cas de problème dans une classe.
Je suis très claire : nous ne devons rien
laisser passer.
Ne rien laisser passer, c’est aussi ce que nous
voulons pour votre sécurité.
En 2019, le Président de la République avait appelé
au temps des actes.
Car ce ne sont ni les mots, ni les indignations, ni
les hommages, qui vous protègent et rendent justice.
C’est de notre action résolue, de notre
détermination inflexible, que viennent les résultats.
C’est pourquoi, depuis plus de 5 ans, sous l’égide
du Président de la République, nous luttons dans tous les domaines, dans tous
les pans de la société.
Au cours de l’année 2022, le nombre de faits
antisémites a reculé de plus d’un quart par rapport à 2021. Une diminution de
près de 40%, par rapport à l’année 2019.
Ce sont des progrès. Ne nous privons pas de les
relever.
Mais tant qu’il y aura des insultes, des attaques
et des meurtres, nous devrons continuer à agir.
Et je veux ici, à mon tour, avoir une pensée pour
la famille d’Ilan HALIMI, assassiné il y a 17 ans.
Aujourd’hui encore, il y a plus d’un acte
antisémite par jour, recensé par les forces de l’ordre.
Et je sais qu’ils ne représentent qu’une petite
partie de la réalité, car 80% des faits ne donnent pas lieu à des dépôts de
plainte.
Aujourd’hui encore, les juifs de France sont parmi
les premières cibles de l’Islam radical, qui vous menace et s’en prend ainsi à
la République toute entière.
Ces dernières années, nous avons pris des mesures
sans précédent.
Et les résultats obtenus ne sont certainement pas
le signe qu’il faut arrêter. Ils signifient, au contraire, que nous allons dans
la bonne direction – et qu’il faut continuer.
A l’initiative du Président de la République, nous
avons engagé, totalement, résolument, le combat contre le séparatisme
islamiste, en nous dotant des outils dont nous avions besoin.
Nous continuons. Nous avons pris des décisions
fortes. Depuis 2019, 27 associations qui professaient la haine ont été
dissoutes.
J’ajoute que nous traquons l’antisémitisme partout
où il se trouve. Nous nous attaquons aussi aux associations d’extrême droite
qui refusent nos valeurs. Il y a deux semaines encore, le groupuscule
« Bordeaux Nationaliste », ouvertement antisémite, a été dissous en
Conseil des ministres.
Pour la sécurité du culte, de la mémoire, des
familles, nous avons soutenu la sécurisation des synagogues, des centres
confessionnels, des lieux de mémoire et d’enseignement. En 2021 et 2022, l’État
s’est engagé pour des projets concrets, dans toute la France.
L’année dernière, c’est par exemple la synagogue
Hazon Ovadia de Marseille ou encore l’école Chné-Or à Aubervilliers, dont nous
avons financé la sécurisation.
L’année dernière, le nombre d’atteintes aux lieux
de culte et aux sépultures juives a baissé de 40%.
En parallèle, nous avons mené un effort de
formation sans précédent des policiers et des gendarmes, pour les alerter et
mieux prendre en compte l’antisémitisme.
Je veux insister là-dessus : beaucoup de faits
restent impunis, faute de plaintes.
Je sais que l’acte de porter plainte est difficile.
Qu’il provoque des inquiétudes et ravive des douleurs.
Mais personne ne doit hésiter à porter plainte.
C’est la seule voie vers la Justice.
C’est pourquoi, j’ai annoncé en janvier des mesures
supplémentaires pour faciliter le dépôt de plainte, par exemple dans les locaux
des associations.
Nous continuons également notre travail vers le
dépôt de plainte en ligne.
Mais je sais également que la sécurité et la
confiance viendront d’une réponse pénale ferme.
Il faut que les faits commis soient sanctionnés.
Chacun garde ici à l’esprit le souvenir douloureux
de la mort de Sarah HALIMI.
La consommation de drogue ne peut pas, ne doit pas
tout expliquer, tout excuser.
C’est pourquoi, dans une loi promulguée l’année
dernière, nous avons fait évoluer notre droit pour mieux encadrer
l’irresponsabilité pénale en cas de consommation de stupéfiants.
Je souhaite également que toutes les peines soient
exécutées.
Certains ont tenu des propos odieux, ont été
condamnés, se sont parfois prêtés à d’étranges excuses, mais n’ont jamais purgé
de peine.
Ce ne sont ni des martyrs, ni des libres-penseurs.
Ce sont des délinquants, rien de plus. Et comme
tous les délinquants, ils doivent répondre de leurs actes.
C’est pourquoi je souhaite, que des mandats
d’arrêts puissent être émis pour les personnes condamnées à des peines de
prison, après avoir dévoyé la liberté d’expression, par l’incitation à la
haine, la contestation de crime contre l’Humanité ou la diffamation à caractère
raciste ou antisémite.
Mais je le sais, aujourd’hui, beaucoup ne
s’expriment pas à visage découvert.
Lâchement dissimulés dans l’anonymat des réseaux
sociaux, des milliers de personnes déversent chaque jour leur haine et leurs
théories du complot.
Chaque jour, des femmes et des hommes sont
insultées, menacées et harcelées sur internet.
Là encore, nous agissons.
Nous avons considérablement renforcé les moyens de
la plateforme PHAROS, qui permet de signaler les contenus haineux en ligne.
Je souhaite que nous allions encore plus loin.
PHAROS doit être couplé avec un dispositif de
retrait des contenus. Je veux ainsi que nous créions un dispositif unique,
capable d’assurer à la fois le retrait des contenus illicites puis leur
traitement judiciaire.
Mais ce combat pour la régulation du numérique et
d’internet, doit être mené plus largement encore, au niveau européen.
La présidence française du Conseil de l’Union
européenne a permis des avancées majeures, notamment avec l’adoption du
règlement sur les services numériques, qui met au premier rang la question de
la responsabilité des plateformes.
Enfin, si nous combattons toutes les agressions,
toutes les insultes, nous ne pouvons pas accepter, non plus, ceux qui gardent
le silence face à l’antisémitisme.
Ceux qui n’excusent pas vraiment, mais trouvent
toujours un « mais ».
Ceux dont l’indignation est variable, et qui
invitent ou défilent avec des antisémites notoires.
Je sais l’émotion parmi vous, provoquée par une
proposition de résolution à l’Assemblée nationale, l’été dernier.
C’était une proposition outrancière et choquante.
Je l’avais personnellement dénoncée dans
l’hémicycle.
Et je regrette que certains, par calcul ou
électoralisme, choisissent la provocation et la division.
De notre côté, notre conviction est claire : il
n’y a aucune justification à l’antisémitisme.
Il n’y a pas d’antisémitisme modéré, acceptable ou
comique.
Il n’y a que de la haine, sous différents
visages.
Pour combattre au mieux l’antisémitisme, nous
devions donc le définir et le nommer, au plus près de sa réalité.
C’est pourquoi, comme le Président de la République
s’y était engagé devant vous en 2019, nous avons adopté la définition de
l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah.
La critique d’Israël en tant qu’État, l’antisionisme,
ne doivent jamais être les paravents de la haine.
Chaque année, ce dîner est l’occasion de revenir
sur notre Histoire, dans sa complexité, dans ses heures glorieuses et dans ses
drames, dans ses pages plus ou moins connues.
Cette histoire est ancienne.
C’est à Rouen, sous la cour du Palais de Justice, que
l’on trouve la Maison sublime, sans doute le plus ancien monument juif
d’Europe.
Quand on creuse la terre de France, on retrouve les
traces du judaïsme.
Citoyens à part entière depuis la Révolution, les
juifs de France ont écrit certaines des grandes pages de notre République.
Au cours des années, des Français de confession
juive, ont pris pleinement part à notre vie démocratique.
Leurs noms sont devenus synonymes de progrès
sociaux et de droits nouveaux, qui, aujourd’hui encore, marquent notre pays.
Depuis des siècles, ils contribuent aux réflexions
philosophiques, à notre culture, à nos grandes découvertes scientifiques et à
l’identité même de notre Nation.
Une part de ce qui nous rassemble, et fait de nous
des Français, a aussi été construit, enrichi, façonné, par les juifs de France.
Vous avez, Monsieur le Président ARFI, cité
quelques figures.
Et montré le dialogue et les liens entre les
Français de confession juive et les Français d’autres religions ou athées.
Ce dialogue, nous pourrions le prolonger encore
longtemps.
Car aujourd’hui, toujours, aux côtés de Français de
tous les cultes, les juifs de France participent pleinement, et sans
distinction, à la vie de la Nation.
Alors, devant vous, à nouveau, je l’affirme avec
force :
C’est tourner le dos à la République.
C’est tourner le dos à notre Histoire.
C’est tourner le dos à ce qui fait notre pays.
En combattant la haine, c’est notre jeunesse que
nous protégeons.
Car nous voulons construire pour elle, un pays de
laïcité, d’universalisme, de liberté.
Oui, ce dîner est
aussi un hymne à la liberté, bien au-delà des religions.
Et le prix que
vous avez choisi de remettre ce soir, en est la preuve.
Car ce que vous défendez,
C’est le droit de vivre libre, et en sécurité.
C’est la volonté de continuer à écrire l’avenir de
la France.
« Que la France vive heureuse et prospère.
Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. »
Ces mots, certains les reconnaissent sans doute.
Ils sont ceux de la prière à la République, lue
dans les synagogues.
Ce soir, avec vous, je veux participer à bâtir
cette union et cette concorde.
Je veux participer, avec vous, à défendre la
République et ses valeurs.
Alors, c’est avec espoir – mais aussi avec
détermination, que je conclus.
Nous ne cèderons jamais rien face à la haine.
Et c’est bien l’unité et la liberté, qui
l’emporteront.
Vive la République ! Vive la France !
Télécharger le discours de la Première ministre Élisabeth Borne