Messieurs les ministres, cher Bruno LE MAIRE, cher Gabriel
ATTAL,
Madame
la ministre, chère Dominique FAURE, Monsieur
le rapporteur général du budget, cher
Jean-René CAZENEUVE,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du Conseil régional de
Provence-Alpes-Côte-D’azur, cher Renaud
MUSELIER,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les directeurs,
Il n’est pas habituel qu’une Première ministre se rende à
Bercy pour parler de finances publiques.
Il n’est pas anodin, alors même que nous nous sommes fixé
une trajectoire budgétaire claire, et que la préparation du prochain budget est
en cours, que les ministres de l’Économie et des Finances, du Budget, et la
cheffe du Gouvernement, se retrouvent, avec vous, pour rappeler un cadre, des
principes et des objectifs, pour la bonne gestion de nos finances
publiques.
Mais si nous le faisons, grâce à ces « Assises des finances
publiques », c’est parce que la situation elle-même est exceptionnelle.
La pandémie nous a poussés à prendre des décisions fortes
pour protéger l’emploi et nos entreprises.
Et à peine sortis de la crise sanitaire, l’agression russe
en Ukraine a bouleversé l’économie mondiale et aggravé l’inflation.
Là encore, nous avons réagi. Nous avons pris de nombreuses
mesures, pour amortir le choc d’inflation sur les ménages et nos entreprises.
Je pense notamment aux boucliers tarifaires.
Nous avons retenu les leçons des crises précédentes. Nous
avons assumé, face à la crise sanitaire, de mener une politique de protection
puis de relance massive, pour éviter l’effondrement de notre économie, qui
aurait eu un coût encore plus élevé.
Ainsi, une étude du Centre pour la recherche économique et
ses applications, le CEPREMAP, a montré que sans le « quoi qu’il en coûte », nous aurions mis deux fois plus de temps à
retrouver notre niveau de PIB d’avant-crise, et que notre ratio dette sur PIB
aurait été très largement supérieur, en raison de l’effondrement de
l’activité.
Nous n’avons donc aucun regret à avoir.
Mais si nous assumons d’avoir protégé massivement les
Français, ces décisions ont eu des conséquences sur notre déficit et notre
dette et nous devons désormais consolider nos finances publiques pour assurer
la soutenabilité de notre dette.
C’est d’abord un
impératif de souveraineté. Et ces dernières années n’ont pas manqué
d’exemples, des menaces et des contraintes qui pèsent sur les pays qui ont
perdu la confiance des investisseurs.
C’est ensuite un
impératif économique, car avoir une dette publique soutenable, c’est
garantir des taux d’intérêt maîtrisés pour l’Etat, qui bénéficient à toute
l’économie. C’est également disposer
de marges de manœuvre en cas de choc.
Enfin et surtout,
une dette soutenable, c’est un impératif moral, vis-à-vis de notre jeunesse
et des générations futures. Laisser
filer la dette, comme le proposent certains, c’est léguer à nos enfants moins
de services publics, moins de protection sociale, et plus d’impôts.
Une fois ces convictions rappelées, je n’ignore rien du
débat qui anime les économistes sur les besoins d’investissements exceptionnels
que les défis face à nous imposent, et sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à
recourir à la dette pour les financer.
Je tiens à l’affirmer avec force : la soutenabilité de
notre dette est un impératif, d’autant plus que les taux d’intérêt ont
nettement augmenté, ces derniers mois.
Il n’y a pas à opposer préparation de l’avenir et maîtrise
de la dette.
Au contraire, la maîtrise de la dette est une condition indispensable
pour préparer l’avenir.
Je le mentionnais à l’instant : nous avons devant nous des
défis majeurs, sans précédents dans l’histoire contemporaine : le défi du
dérèglement climatique et de la transition écologique, le défi de
l’intelligence artificielle et de la révolution numérique technologique, ou
encore le défi de la transition démographique.
Ces enjeux nécessiteront des investissements majeurs, pour
décarboner nos industries et nos quotidiens, pour adapter notre système
éducatif et de formation, et pour renforcer la qualité de nos services publics.
Pour autant, et c’est une des leçons du rapport de Jean
PISANI FERRY et Selma MAFHOUZ, tous ces investissements indispensables pour la
société, ne seront pas forcément les plus rentables à court et moyen terme sur
le plan financier. Toutes ces transitions ne se feront pas sans coût.
C’est pourquoi nous ne pouvons pas faire le postulat que
ces investissements pourraient être entièrement financés par la dette, et, en
quelque sorte, se rembourser d’eux-mêmes.
Aussi, plus que jamais, il est nécessaire de réduire notre déficit
public pour dégager des marges de manœuvre sur notre budget.
C’est l’esprit de la lettre de cadrage que j’ai adressée à
tous les ministres, afin de demander à chacun d’identifier 5% de marges de
manœuvre sur leurs budgets, hors masse salariale.
Aussi, forts de ces
convictions, une question se pose : comment
diminuer nos déficits et résorber notre dette ?
Je n’ai pas peur de le dire : il existe d’autres chemins
que les politiques d’austérité ou les hausses d’impôt.
Notre premier levier, c’est le renforcement de notre potentiel de croissance, c’est la voie qui
nous permettra le plus assurément et le plus durablement de maîtriser notre
dette.
Depuis 2017, nous avons créé les conditions favorables à
l’investissement et à l’attractivité. Nous avons réformé le marché du travail.
Nous avons baissé les impôts, notamment les impôts de production. Nous
soutenons l’innovation et la réindustrialisation dans les filières stratégiques
avec le plan France 2030. Nous avons investi massivement dans les formations,
avec le Plan d’investissement dans les compétences ou encore en débloquant
enfin l’apprentissage dans notre pays.
Ces actions ont produit leurs effets. Elles ont permis de
créer près de 2 millions d’emplois depuis 2017, de réduire le chômage de 3
points par rapport à fin 2016, ou encore de casser la spirale de
désindustrialisation avec 200 créations nettes d’usines rien qu’en 2021 et
2022.
Comme ministre du Travail lors du précédent quinquennat, je
suis fière de ces résultats. Et comme Première ministre aujourd’hui, je veux
continuer dans cette voie.
Rien ne serait pire que d’envoyer un « contre signal » aux
investisseurs qui ont choisi la France pour y implanter leurs activités. Alors,
nous nous tenons à un principe clair : pas
de hausse d’impôts.
Le deuxième pilier
de notre stratégie de réduction de la dette, ce sont les réformes de structure,
qui permettent d’augmenter le taux d’emploi, de stimuler l’activité, les
recettes, et donc de rétablir l’équilibre des comptes.
Depuis un an, c’est tout le sens de mon engagement, et de
celui de mon Gouvernement, pour mener
les réformes nécessaires, même quand elles sont difficiles, même quand nous
savons que leurs effets ne seront pas immédiatement perceptibles.
Aujourd’hui, tous les chantiers que j’avais annoncé lors de
ma Déclaration de politique générale sont ouverts, et avec mon Gouvernement,
nous nous sommes emparés de sujets remis à plus tard depuis longtemps.
Ainsi, rien qu’au cours des douze derniers mois, nous avons
parachevé la réforme de l’assurance-chômage, mené la réforme des retraites, et
lancé les réformes du lycée professionnel et de France Travail.
Grâce aux transformations menées depuis 2017, et grâce à
ces réformes, le plein emploi nous est accessible. Je dirais aussi qu’il est
essentiel, parce que le plein emploi est synonyme de pouvoir d’achat durable,
et qu’il permettra d’améliorer la qualité de l’emploi, et bien sûr, qu’il est
un facteur déterminant du retour à l’équilibre de nos finances publiques.
Troisième levier pour réduire la dette : la lutte contre l’érosion des
assiettes taxables et contre les fraudes fiscales et sociales.
Sous l’impulsion du Président de la République, la France a
œuvré à l’accord international historique sur l’imposition minimale des
entreprises – et je veux ici saluer le travail de Bruno LE MAIRE et des équipes
du ministère de l’Économie.
Nous transposerons cet accord dans le prochain projet de
loi de finances.
De plus, nous avons imposé les géants du numérique avec la
taxe sur les services numériques.
Enfin, nous avons redoublé d’efforts contre la fraude.
Frauder, c’est voler l’État, c’est voler la Sécurité sociale, c’est voler nos
concitoyens. C’est inacceptable.
Le ministre chargé des Comptes publics, Gabriel ATTAL, a
présenté récemment des mesures fortes pour lutter contre les fraudes. Nous
avons une boussole : l’efficacité, et nous serons intraitables avec les
fraudeurs.
Enfin, le dernier levier, c’est celui de
l’efficacité de nos politiques publiques et de la maîtrise de nos dépenses.
Nous avons des comptes à rendre aux Français, sur la bonne
utilisation de nos finances. Si nos concitoyens ont le sentiment que les
services publics ne sont pas à la hauteur des charges dont ils s’acquittent,
c’est tout notre pacte social qui serait fragilisé.
Pour cela, nous devons concentrer nos dépenses sur des
mesures aux résultats concrets, qui ont un impact sur la vie de nos
concitoyens, et contribuent directement à atteindre nos objectifs, notamment en
matière de transition écologique.
Nos dépenses publiques ne sont qu’un moyen pour apporter
des solutions aux Français. Et c’est bien seulement à l’aune des solutions que
nous serons jugés. Alors oui, nous devons assumer de devoir faire des
économies quand nous constatons que des dispositifs n’atteignent pas leurs
résultats ou pas suffisamment.
Cette exigence, nous devons également l’adopter pour le
verdissement de nos dépenses, et la réduction de celles qui sont défavorables à
l’environnement.
Enfin, j’ajoute que la maîtrise de l’emploi public est
indispensable.
Nous y sommes parvenus au cours du précédent quinquennat,
avec une stabilité des emplois de l’Etat et de ses opérateurs malgré des
créations de postes, notamment parmi les forces de l’ordre.
Les fonctionnaires ne peuvent pas être une variable
d’ajustement.
Nos concitoyens demandent des services publics accessibles
et présents partout dans les territoires, notamment en matière d’éducation et
de santé.
Ils demandent une présence forte de l’État régalien, qui
assure leur sécurité.
Nous devons donc répondre à ces attentes, notamment grâce à
une gestion plus moderne des ressources humaines de l’État, à tous les niveaux.
C’est notamment le sens de la réforme de la haute fonction publique, engagée
sous le précédent quinquennat.
Nous devons aussi relever le défi de l’attractivité des
métiers : notamment pour l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche
? pour l’hôpital, ou pour nos filières d’ingénieur et de techniciens.
Pour respecter ces
principes, et maîtriser notre dépense publique, nous devons construire ensemble une nouvelle gouvernance de nos
finances publiques.
Tout d’abord, nous devons retrouver pleinement l’esprit de la Loi organique relative aux lois de
finances, et interroger chaque année les crédits « au premier euro ».
C’est-à-dire examiner systématiquement l’intégralité des crédits et des mesures
de chaque programme, et non pas uniquement les dépenses nouvelles.
Cela suppose
d’améliorer nos outils d’évaluation des
politiques publiques.
Aujourd’hui, nous sommes l’un des pays où la documentation
budgétaire est la plus transparente et abondante. Nous devons progresser sur la
lisibilité de ces évaluations et en faire de véritables outils d’aide à la décision.
Des premières étapes ont été franchies. Je pense notamment
aux revues des dépenses, qui doivent nous permettre de trouver des économies
dans les « strates profondes de la dépense », accumulées au fil du temps, sans
que l’on s’interroge suffisamment sur leur pertinence et leur portée.
Je souhaite que ces revues des dépenses deviennent une
procédure annuelle, articulée avec la procédure budgétaire.
Dans cette nouvelle manière d’évaluer nos finances
publiques, le Parlement a un rôle central, et le « Printemps de l’évaluation »
est un aiguillon.
A cet égard, je veux saluer les travaux menés par le
Rapporteur général du budget, Jean-René CAZENEUVE, et les députés Daniel
LABARONNE, Véronique LOUWAGIE et Robin REDA, ainsi que ceux menés par la
Présidente de la Commission des affaires sociales, Fadila KHATTABI, et la
Rapporteure générale, Stéphanie RIST, sur les dépenses de la sécurité
sociale.
J’ajoute que cette nouvelle gouvernance des politiques
publiques doit porter, plus largement, sur la construction de notre
budget.
L’année dernière, l’initiative des « Dialogues de Bercy » a
permis de consulter tous les groupes parlementaires et de faire évoluer notre
projet de loi de finances avec des propositions de la majorité comme des
oppositions.
Nous devons continuer à associer plus étroitement les
parlementaires, et à chercher des compromis.
Je me réjouis donc que les « Dialogues de Bercy » se
tiennent à nouveau cette année, et qu’ils portent désormais aussi sur le projet
de loi de financement de la sécurité sociale.
Je souhaite également que nous associons davantage les élus
locaux aux décisions qui les concernent, en leur donnant plus de lisibilité sur
la durée de leur mandat, avec un cadre financier pluriannuel.
Nous devons construire une prospective partagée. C’est
notamment ce qui sera fait prochainement pour les départements, à la demande du
Président François SAUVADET.
Nous
avons besoin des collectivités pour relever les défis face à nous. Nous devons
travailler ensemble et en confiance. Je sais pouvoir compter sur leur
responsabilité.
Aussi, je souhaite que les élus locaux soient associés de
manière systématique et formalisée, à toutes les décisions budgétaires qui ont
un impact sur eux. Comme ils le disent
eux-mêmes, les élus ne doivent pas être considérés comme de simples exécutants.
Reconnaissons-le : concernant la hausse du point d’indice
annoncée la semaine dernière, nous n’avions pas suffisamment associé les
collectivités territoriales en amont.
Nous devons veiller à ce que cela ne se reproduise
pas.
Concernant les dépenses de l’Assurance maladie, nous devons
disposer d’un cadre de travail partagé avec les organismes
complémentaires. Des travaux ont déjà
débuté dans le cadre de l’instance de concertation animée par le ministre de la
Santé, François BRAUN.
Je souhaite que nous allions plus loin, et que dans les
prochaines semaines des travaux approfondis s’engagent, associant les trois
familles de complémentaires santé et la Caisse nationale d’Assurance maladie
pour mieux partager les dynamiques de dépenses dans les prochaines années, et
réfléchir aux articulations pertinentes entre les financeurs, qu’ils s’agissent
de la prévention ou du soin.
Je crois également que la nouvelle gouvernance de nos
finances publiques doit être ouverte à la société civile, aux experts, aux
chercheurs, aux observateurs, qui portent un regard extérieur précieux sur notre
action.
Enfin, notre nouvelle gouvernance des finances publiques
doit s’inscrire dans un cadre européen rénové.
La réforme des règles du Pacte de Stabilité et de
Croissance porte de nouveaux principes, cohérents avec ceux que je viens de
vous exposer.
Mais nous devons encore améliorer le texte. La semaine
dernière, Bruno LE MAIRE défendait les positions de la France : maîtriser et
mieux cibler nos dépenses ne signifie pas une austérité contreproductive.
Imposer à tous les pays, quelle que soit leur situation,
des objectifs quantitatifs communs en matière de déficit public ou de réduction
de la dette n’aurait pas de sens et provoquerait les mêmes conséquences
néfastes que par le passé.
Tous les principes sur lesquels je viens de revenir sont au
fondement de notre programme de stabilité que nous avons présenté en avril, et
qui nous permettra de ramener le déficit public à 2,7% du PIB en 2027.
Cette trajectoire de réduction de notre déficit, nous nous
y tiendrons, à la fois dans le projet de loi de programmation des finances
publiques, qui sera révisée en septembre, et lors du projet de loi de finances,
et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
Et j’ajoute que nous tiendrons cette trajectoire, sans
renoncer à aucune des priorités fixées par le Président de la République, et
qui constituent ma feuille de route et celle de mon Gouvernement.
Des priorités qui sont également celles des Français.
C’est pour cette raison, que je tiens aujourd’hui devant
vous, et comme je l’ai toujours fait, un
discours de vérité, notamment sur les enjeux du bouclage du prochain
budget, qui exigera des choix difficiles.
C’est le sens de la demande que j’évoquais il y a quelques
instants, et que j’ai faite aux ministres, d’identifier 5% de marges de
manœuvre sur leurs crédits.
C’est aussi pourquoi, par précaution, nous avons décidé de
mettre en réserve 1% de crédits supplémentaires prévus dans la loi de finances.
Relever les défis de l’avenir, financer nos priorités et
notre action exige une dette soutenable et demandera des efforts de chacun.
Nous ne tomberons ni dans la facilité des hausses d’impôts,
ni dans l’erreur du coup de rabot.
Nous croyons dans la croissance, dans les réformes et dans
l’efficacité, pas dans l’austérité.
Mais pour réussir, nous aurons besoin de la mobilisation et
de la responsabilité de tous, d’une exigence collective dans la gestion des
deniers publics.
Nous aurons besoin d’un travail étroit avec les
parlementaires comme avec les élus locaux, d’une évaluation rénovée, et de la
vigilance de la société civile.
Car une dette soutenable, c’est notre souveraineté qui est
protégée, c’est notre capacité à agir qui est assurée, et c’est l’avenir de
notre jeunesse qui est préservé.
Télécharger le discours de la Première ministre Élisabeth Borne