Mesdames et Messieurs les députés,
Jamais, depuis un siècle et les vagues épidémiques de la grippe espagnole, la France, l’Europe et le monde n’avaient été confrontés à une crise sanitaire aussi grave et aussi dévastatrice que celle que nous traversons depuis près de dix mois désormais.
Hier soir, le Président de la République s’est exprimé devant la Nation pour annoncer aux Français les mesures rendues nécessaires par les circonstances présentes. Aujourd’hui, il m’appartient, dans le cadre fixé par l’article 50-1 de la Constitution, de préciser devant vous, tout à la fois les raisons et les modalités de ces nouvelles mesures de lutte contre la pandémie, d’en débattre et de vous demander de vous prononcer.
Je veux d’abord dire à la Représentation nationale que j’ai parfaitement conscience que les efforts et les sacrifices qui sont, à nouveau, demandés au pays tout entier vont peser sur la vie de chacune et chacun d’entre nous.
Depuis six mois, le Gouvernement qui m’a précédé comme le mien, ont tout fait pour ralentir la circulation du virus et protéger la santé des Françaises et des Français. Mais ce virus, convenons-en tous ensemble, doit appeler chacune et chacun à la plus grande humilité. Le caractère totalement inédit de cette crise et les difficultés à y faire face tiennent en effet d’abord à ce que ce virus n’existait pas il y a encore un an et reste toujours imprévisible.
Certes nous savions, ici comme ailleurs, qu’une deuxième vague était possible, voire probable. Et nous l’avions anticipée. Mais le fait est qu’aucun pays, n’avait prévu qu’elle s’accélérerait de manière à la fois aussi soudaine et aussi brutale. Nous y sommes.
La France, à l’instar de ses voisins, a déconfiné de manière progressive et territorialisée à partir du 11 mai. Dès que des signes de reprises épidémiques se sont manifestés, cet été, elle a adopté, également à l’instar de ses voisins, une réponse également progressive et territorialisée.
Dès ma prise de fonctions, j’ai édicté trois décrets rendant le port du masque obligatoire, dans l’espace public, dans les commerces, dans les entreprises. Je n’ai cessé d’appeler à la vigilance, déclarant à plusieurs reprises que le virus n’avait pas pris de vacances. Début août, j’ai invité tous les présidents de grandes métropoles à adopter des plans d’information et de communication, notamment en direction des publics les plus vulnérables. Dès juillet, nous avons préparé différents scénarii sanitaires pour une rentrée scolaire réussie. Et elle l’a globalement été.
Nous avons couvert l’ensemble de nos activités professionnelles, sociales, culturelles ou sportives, de protocoles sanitaire stricts. Nous avons déployé, avec des difficultés logistiques réelles mais que nous avons surmontées, une politique de dépistage parmi les plus massives d’Europe : 1,8 million de tests cette semaine et 92 % de résultats rendus en moins de 48 heures.
Lorsque la montée des taux d’incidence a commencé à se traduire par des hospitalisations, nous avons pris, dans les agglomérations concernées, des dispositions plus contraignantes : notamment la fermeture des bars et des restaurants puis, plus récemment, le couvre-feu.
Ces mesures doivent respecter les exigences de l’État de droit, suivant lesquelles des dispositions privatives de liberté doivent être fondées sur des motifs sanitaires suffisamment avérés. Elles doivent également, pour être pleinement efficaces, recueillir l’acceptation des élus et de la population, et vous savez que tout cela n’a pas toujours été simple. Certains, qui nous disent aujourd’hui que nous aurions dû agir et plus fort ou que nous n’en faisons pas assez, prétendaient à l’époque que nous en faisions trop.
Je veux, à ce stade de mon propos, saluer les élus locaux, avec lesquels je suis en relation permanente, pour leur grand sens des responsabilités. Dans la gestion de cette crise, le couple préfet-maire, dont je me suis depuis toujours fait l’ardent promoteur, fonctionne bien et je remercie également les régions et départements pour leur mobilisation constante.
Mais cette stratégie se heurte aujourd’hui à l’emballement de l’épidémie qui frappe le continent européen et notre pays. Aucun pays d’Europe n’est épargné. Le nombre de nouveaux cas a été multiplié par 10 en l’espace de 18 jours en Italie. L’Allemagne a enregistré un triplement du nombre de cas en une semaine. La Suisse, pourtant relativement épargnée lors de la première vague, connaît actuellement une situation critique, proche de la saturation de ses capacités hospitalières. Et vous connaissez la situation, très préoccupante, de l’Espagne et de la Belgique. En France, chaque semaine, ce sont plus de 700 000 nouvelles personnes qui sont atteintes de la COVID-19, porteuses du virus et susceptibles de le transmettre.
Si la mortalité affecte principalement des personnes très âgées, la maladie frappe toutes les générations avec des formes graves et des séquelles parfois lourdes et durables.
Aujourd’hui, 60 % des lits de réanimation sont occupés par des patients COVID-19, soit deux fois plus qu’il y a quinze jours. Nous allons devoir gérer au mois de novembre un pic d’hospitalisations plus élevé qu’au mois d’avril dernier.
Parce que le virus accélère, nous devons accélérer aussi. La situation évolue et nous nous adaptons aux circonstances nouvelles créées par cette accélération brutale. Le but est simple : sauver les vies de nos concitoyens. Il nous faut pour cela casser par tous moyens la spirale épidémique. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a décidé d’instaurer un nouveau confinement, à l’échelle du pays tout entier, jusqu’au 1er décembre, avec des adaptations pour les seuls départements et territoires d’Outre-mer. Cette perspective est la même pour la plupart de nos voisins européens où la situation s’aggrave.
Je le dis clairement : il n’y a pas d’autre solution.
J’entends dire que pour répondre à l’épidémie il suffirait d’ouvrir plus de lits de réanimation. C’est refuser de comprendre que les murs et les lits ne suffisent pas, que l’on ne forme pas un médecin réanimateur ou une infirmière d’Etat en six mois. Plus grave encore, à supposer que nous puissions augmenter nos capacités sans limite, ce qui n’est pas le cas, ce raisonnement supposerait que nous acceptions de voir le nombre de morts et de personnes intubées s’envoler. Nous devons faire exactement le contraire. La seule, la vraie solution, c’est de couper les chaînes de contaminations pour éviter les hospitalisations et l’engorgement des réanimations : prévenir plutôt que guérir.
Pour autant, bien évidemment, nous avons renforcé au cours des derniers mois nos services hospitaliers. En six mois, nous nous sommes mis en position d’armer plus de 10 000 lits de réanimation, alors que notre capacité initiale était de 5 000 lits. Nous avons formé autant que possible durant cette courte période. En six mois, nous avons reconstitué et entièrement sécurisé les stocks nationaux de respirateurs, médicaments anesthésiques, masques, pour pouvoir prendre en charge plus de 30 000 malades en réanimation quand nous en avions traité 17 000 lors de la première vague.
Deuxième idée fausse, j’entends dire que nous ne devrions confiner que les plus vulnérables de nos concitoyens, à commencer par les personnes âgées. Mais il n’est pas possible d’établir un mur étanche entre nos ainés et le reste de la population. Il est illusoire de penser que l’on pourrait laisser galoper impunément l’épidémie dans toute la population sans qu’elle ne finisse par atteindre, justement, ceux que nous cherchons à protéger. Nous assumons le choix, qui n’a cessé d’être le nôtre depuis le début, d’accorder la priorité à la protection sanitaire de nos concitoyens. Ce choix, j’observe du reste que tous les autres pays européens le font.
Mais nous savons d’expérience que cette priorité, lorsqu’elle se traduit par un confinement, n’est pas exempte de conséquences économiques, psychologiques et sociales qui peuvent être graves. C’est pourquoi les modalités et les contours de ce nouveau confinement ne seront pas les mêmes qu’au mois de mars. Car nous avons appris. Nous devons tirer les leçons de la première vague.
D’abord, et c’est une différence majeure, les établissements scolaires resteront ouverts. Le confinement du printemps dernier a accru le risque de décrochage scolaire pour les enfants, en particulier pour les plus défavorisés. Le Gouvernement fait totalement sien ce diagnostic porté par la société française de pédiatrie : « les bénéfices éducatifs et sociaux apportés par l’école sont très supérieurs aux risques d’une éventuelle contamination par COVID-19 de l’enfant en milieu scolaire ». Je sais également que les enseignants ont été affectés au printemps dernier d’être séparés de leurs élèves et nous pouvons compter sur leur dévouement et leur attachement à l’école de la République.
Comme tous nos grands services publics, l’Éducation nationale doit continuer à fonctionner. Les crèches, les écoles, les collèges, les lycées resteront ouverts. Il en va de même du secteur périscolaire. Je sais que le corps enseignant et l’ensemble du personnel éducatif seront au rendez-vous. Dès la rentrée de lundi, le protocole sanitaire sera adapté et renforcé pour assurer la protection de tous : les enfants, les enseignants, les parents d’élèves. Conformément à l’avis que nous ont transmis hier le haut conseil de santé publique, le port du masque sera étendu aux enfants du primaire, dès l’âge de six ans.
À l’université et dans les établissements d’enseignement supérieur, tous les cours magistraux et les travaux dirigés se feront à distance. Seuls les travaux pratiques pourront, dans des conditions spécifiques, être maintenus dans les établissements.
Ensuite, nous devons tout faire pour éviter de connaître une chute de l’activité économique aussi brutale qu’au printemps dernier. La France avait alors connu une récession parmi les plus fortes en Europe.
Nous ne pouvons, à nouveau, mettre notre économie sous cloche et nous devons continuer à travailler autant que possible, dans des conditions sanitaires optimales et tout en stoppant la circulation du virus. Car le chômage et la pauvreté peuvent aussi tuer.
Maintenir une activité économique la plus soutenue possible est un impératif pour limiter les effets de la crise économique qui nous frappe déjà durement. Le recours au télétravail doit être le plus massif possible. Dans le secteur privé, toutes les fonctions qui peuvent être télétravaillées doivent l’être 5 jours sur 5. Cela sera inscrit dans le Protocole national en entreprise qui sera mis en ligne ce soir, dans le cadre d’un dialogue social dont je salue ici le haut sens des responsabilités.
Dans les administrations publiques, pour tous les agents dont les missions peuvent être totalement ou principalement exercées à distance, le télétravail se fera 5 jours sur 5. Pour les autres, ceux pour qui le télétravail n’est pas possible, et dont les activités resteront autorisées, des attestations dérogatoires permettront la poursuite de l’activité. Le secteur du BTP doit continuer à travailler, nos usines doivent fonctionner et les agriculteurs poursuivre leurs activités. Nous maintiendrons les bureaux de poste et les guichets de service publics ouverts. Pour le sport, les entraînements et les compétitions professionnelles pourront se poursuivre.
Pour la culture, nous autorisons le travail préparatoire aux spectacles, les répétitions, les enregistrements et les tournages afin de préparer les activités de demain.
Pour autant, nous le savons, Mesdames et Messieurs les députés, ce confinement aura des conséquences sociales et économiques lourdes, en particulier pour les secteurs déjà fragilisés, qui vont à nouveau faire l’objet d’une fermeture administrative. C'est aussi ce défi, considérable, que nous devons relever.
Je comprends la difficulté immense, et parfois la détresse, qui touche celles et ceux que l’on empêche de travailler. Comme lors de la première vague, les commerces, à l’exception de ceux de première nécessité, seront fermés, tout comme les bars et les restaurants. En revanche, les marchés alimentaires resteront ouverts, sauf décision contraire des préfets.
Seront également fermes les entreprises de l’évènementiel, du sport, et les secteurs du cinéma et du spectacle vivant. Suspendre temporairement ces activités est très douloureux, mais cela est nécessaires pour assurer l’effectivité de nos mesures. Je pense aussi à ceux dont l’activité qui, sans être formellement interdite, subissent de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire : le tourisme, l’hôtellerie, l’aéronautique et l’automobile, les chauffeurs de taxi…
Comme au printemps dernier, nous ferons tout pour accompagner ces entreprises, leurs salariés et tous les indépendants afin de repousser le risque de faillite. L’État a déployé au cours de la première phase des mesures de soutien exceptionnelles. Ces mesures, nous les reconduisons et nous allons les amplifier. Car nous savons que notre tissu économique a été fragilisé, que ces entreprises ont les reins moins solides qu’au printemps dernier. Tous les secteurs faisant l’objet d’une fermeture administrative bénéficieront ainsi d’aides pouvant aller jusqu’à 10 000 € par mois via le fonds de solidarité.
Pour tous les secteurs faisant l’objet d’une fermeture administrative, nous mettons en place l’activité partielle avec zéro reste à charge pour l’employeur. Pour les autres secteurs, le dispositif d’activité partielle en vigueur, qui devait se réduire au 1er novembre, sera maintenu et prolongé pour les salariés aux conditions actuelles. Les PME qui connaissent des difficultés pourront bénéficier d’un renforcement des exonérations de charge, et nous prolongeons de six mois les prêts garantis par l’État.
Mercredi, le Conseil des ministres adoptera un nouveau projet de loi de finances rectificative, prévoyant une enveloppe de 20 milliards d’euros supplémentaires pour finances ces mesures de soutien et d’accompagnement. Nous devons assumer ces dépenses, car ne rien faire aurait un coût économique, financier, et surtout humain, encore plus considérable.
Surtout, je veux vous dire que l’attention du Gouvernement, dans les jours à venir, va se concentrer sur ceux de nos concitoyens qui sont déjà les plus en souffrance depuis le début de la pandémie et qui vont encore être affectés par ce nouveau confinement. Je pense aux jeunes, aux indépendants, aux travailleurs dits de la deuxième ligne, aux publics fragiles et précaires. En concertation avec les partenaires sociaux, les associations et les organisations professionnelles, nous allons renforcer des solutions adaptées à leur situation. À eux, je veux dire que la solidarité nationale, plus que dans les autres pays soyons-en fiers, continuera à se déployer pleinement.
Comme l’a indiqué le Président de la République, nous évaluerons tous les quinze jours la possibilité d’ajuster notre dispositif. Dès aujourd’hui, nous sommes à pied d’oeuvre pour anticiper l’échéance du 1er décembre. Pour améliorer encore nos outils de prévention. Pour tester mieux et plus, pour alerter plus vite, pour protéger de manière plus efficace encore. Pour vivre avec ce virus jusqu’à ce que la science nous permette d’en venir à bout.
Mesdames et Messieurs les députés, nous vivons un moment douloureux. Nos concitoyens sont inquiets. Beaucoup sont en souffrance. Tous sont concernés par cette maladie, tous sont menacés par la crise économique. C’est un rendez-vous avec nous-mêmes. Car la vie avec le virus, la maîtrise de cette épidémie, repose avant tout sur notre responsabilité individuelle et collective.
La solution est entre les mains de chacune et chacun d’entre nous, je n’ai cessé de le dire. Adaptons nos comportements, respectons les mesures barrières, protégeons-nous, protégeons les autres, y compris chez nous.
Evidemment, le Gouvernement est en première ligne. Et j’entends bien assumer, sous l’autorité du Président de la République, l’intégralité de mes responsabilités devant le pays. Ma présence devant vous en est le témoignage de cet engagement autant qu’une marque de profond respect à l’endroit de la Représentation nationale.
Le débat démocratique est libre, mais veillons à ne pas donner au pays le spectacle d’une division permanente et de polémiques incessantes. Nous devons toutes et tous nous hisser à la hauteur des circonstances.
L’épreuve qui nous frappe est inédite. Nous devons faire corps.
Nous faisons le choix de la vie et de la solidarité, car c’est le seul qui s’impose.