Seul le prononcé fait foi
Lundi et mardi, j'ai tenu avec la ministre des Solidarités et de la Santé ainsi qu'avec le Haut-commissaire, un cycle de rencontres avec les partenaires sociaux sur la mise en œuvre du système universel de retraite. Je souhaitais, alors que nous arrivons au terme de la consultation engagée par le Haut-commissaire sur la définition du futur système universel de retraite, faire le point avec les organisations syndicales et patronales et leur permettre d'exprimer et d’entendre les arguments que nous voulons échanger.
Les échanges que nous avons eus avec les organisations syndicales et patronales ont été, peut-être un peu plus encore que d'habitude, très riches et d'une très grande qualité. Je voudrais les en remercier très sincèrement. Cette richesse et ces échanges traduisent au fond un élément que nous devons conserver à l'esprit en matière de définition du futur système universel de retraite. Le dialogue social se poursuit, il avance à son rythme contrairement à ce que disent parfois ceux qui préfèrent une logique de précipitation, voire une logique de confrontation.
Il y a évidemment des points de divergence mais il y en a aussi de convergence. Au fond, les discussions ont permis de confirmer que de nombreuses organisations syndicales et professionnelles soutiennent le principe d'un système universel de retraites. Pas toutes, bien entendu, mais un certain nombre d'entre elles partagent l'ambition du Gouvernement.
Ces échanges ont aussi permis d'identifier de manière très claire des propositions formulées par les organisations syndicales ou patronales dont je m'engage à tenir compte dans le projet du Gouvernement.
J'ai entendu par exemple, l'importance pour la CFTC de définir de manière juste et pérenne les droits familiaux dans les modalités de calcul des retraites ; et nous nous y engageons.
J'ai entendu les attentes très fortes de la CFDT sur la question de l'emploi des seniors : nous devons évidemment y répondre. J'ai pris, à cet égard, bonne note de la volonté des représentants des employeurs, le MEDEF et la CPME ont été très explicites sur ce point, de trouver des solutions. J'attends beaucoup des conclusions du rapport que j'ai demandé à S. BELLON sur ce sujet. J'entends également les attentes de la CFDT s'agissant de la pénibilité. Je ne crois pas que nous puissions à ce stade refondre complètement un système que nous venons de réformer, mais nous devons étendre dans ce qu'il a possible le système actuel de pénibilité à la fonction publique. Et sur certains sujets, je pense notamment au travail de nuit, nous pouvons évoluer.
J'ai bien noté aussi la proposition qui vise à rendre possible, pour ceux qui le souhaitent - et uniquement pour ceux qui le souhaitent-, la poursuite d'une activité après la liquidation de leur retraite tout en continuant à acquérir des droits. Nous l'avons évoqué avec plusieurs organisations syndicales et patronales. Au fond, il s'agit de casser le caractère binaire qui existe aujourd'hui entre activité et retraite. Un jour on travaille, le lendemain, on ne travaille plus. Beaucoup de nos concitoyens et beaucoup d'organisations syndicales et patronales voudraient lisser le départ à la retraite. Faire en sorte qu'il soit possible de continuer à travailler dans des conditions différentes, peut-être moins intensément, bien-entendu, après avoir liquidé sa retraite tout en continuant à acquérir des droits, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Au fond, permettre des solutions plus intelligentes, plus souples entre l'activité et la retraite.
J'ai parfaitement entendu les préoccupations de l'UNSA concernant certains secteurs de la fonction publique, et je me suis engagé à inscrire dans la loi les garanties que nous accorderons aux enseignants, par exemple.
Je suis évidemment attentif aux inquiétudes formulées par l'U2P concernant les professions libérales. Des propositions sont sur la table. Nous continuerons à y travailler.
S'agissant de la gouvernance du futur système, les partenaires sociaux ont clairement exprimé leur souhait d'y prendre part. Et les questions restent ouvertes. J'ai indiqué aux partenaires sociaux que nous avions encore du temps pour en discuter. Le Parlement, et c'est légitime, en sera un acteur majeur. Mais je souhaite que nous puissions nous appuyer sur les organisations syndicales et patronales pour construire cette nouvelle gouvernance et pour leur laisser une place déterminante afin que nos concitoyens soient rassurés sur la façon dont sont prises les décisions dans le système futur. Associer le Parlement pour sa part, les organisations syndicales et patronales d’autre part, me semble pour l’heure de nature à apporter un élément de réassurance.
Enfin, beaucoup d'organisations nous ont dit aussi leur opposition au projet de réforme et leur volonté de manifester cette opposition. Je ne suis pas de ceux qui confondent les manifestants et les casseurs. Tous ceux qui voudront s'exprimer dans le calme et dans le respect de la loi auront évidemment le soutien de l'État.
En concertation avec les partenaires sociaux et dans un échange direct avec les Français, je veux évoquer les consultations citoyennes qui se tiennent depuis plus de deux mois. Le Gouvernement aura l'occasion de présenter rapidement un projet d'universalité, de responsabilité et d'équité. Au fond, ce sont les trois éléments qui sont au cœur du projet de refondation que nous préparons.
Nous sommes, plus que jamais, déterminés à construire ce système universel de retraites. Parce que cette réforme est une réforme de justice sociale. Construire un système universel de retraites, ce n'est pas réformer notre système actuel, c'est le refonder ; le refonder pour qu'il soit plus juste et plus solide.
Tout au long de ces discussions, nous avons rappelé le principe fondamental qui sous-tend ce projet de société : remplacer les 42 régimes existants par un système unique et universel, commun à tous les Français et dont les règles seront les mêmes pour tous.
La conséquence en sera la fin de l’esprit dans lequel avait été construit le système actuel, c’est-à-dire un système fondé sur des solidarités corporatistes pour passer à un système de solidarité universel entre tous les Français, entre toutes les générations. Il nous apparaît que le système qui a prévalu jusqu’à présent et qui a fait ses preuves avait également contribué à la création d’injustices, de complexités, de défiances. Mais surtout, que la logique qui le sous-tend n’est plus adaptée à notre époque ou à celle qui s’annonce compte tenu des transformations du monde du travail, des révolutions technologiques et de la nécessité d’avoir une protection de tous par tous.
Avec ce système universel, nous voulons mieux prendre en compte la réalité d’un très grand nombre de Français qui ne poursuivent plus comme autrefois des carrières linéaires. Au fond, nous le savons bien, le système actuel a été fondé sur l’idée, qui avait du sens en 1945, selon laquelle on choisissait un métier voire une entreprise dans laquelle on restait tout au long de sa vie. Cela n’est plus vrai, les Français changent de métier, changent d’entreprise, changent de statut, changent de régime. Et à chaque fois qu’ils changent de régime ils sont conduits à perdre un certain nombre d’éléments de solidarité, perdre un certain nombre de droits, perdre aussi une visibilité et une compréhension sur ce que sera leur future retraite.
Le système universel de retraite doit nous permettre de mieux protéger les femmes dont les pensions sont aujourd’hui en moyenne inférieures de 40 % à celles des hommes. Et je connais les arguments de ceux qui disent “Il faut réparer pendant la vie professionnelle cette injustice”. C’est vrai. Et nous le faisons, d’ailleurs, en nous engageant avec les organisations syndicales et professionnelles sur l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. Mais les différences existent et nous devons regarder le monde tel qu’il est. Pas une fois qu’il serait corrigé de tous les problèmes que nous avons à régler. C’est la raison pour laquelle nous considérons que ce système universel protégera, et c’est un fait, beaucoup mieux les femmes qu’aujourd’hui.
Nous voulons mieux protéger les travailleurs modestes qui partent avec de très faibles pensions malgré toute une vie de travail. Nous voulons mieux protéger les Français qui alternent des périodes de chômage et d’activité et qui font face à des accidents ou à des maladies. Et là encore nous pouvons faire mieux que ce qui existe aujourd’hui.
Nous voulons mieux prendre en compte la réalité du travail, les métiers pénibles qui usent, l’invalidité qui résulte de conditions de travail difficiles ou encore les carrières de ceux qui commencent à travailler très jeunes et qui, de ce fait, doivent avoir le droit de partir plus tôt.
Nous continuerons évidemment à prendre en compte ces impératifs. A ceux qui nous disent qu’ils n’en savent pas assez sur notre projet, je réponds d’abord, que nous avons pris le temps de consulter. On nous a suffisamment reproché la verticalité, pour que nous assumions de prendre le temps, de discuter, de consulter, d’écouter avant de décider.
Nous disons ensuite que ce projet va introduire de nouveaux droits :
- le droit à bénéficier d’une pension majorée dès le premier enfant. Cela n’existe pas aujourd’hui, ce droit sera garanti dans le système futur. Le droit de bénéficier de pensions de réversion plus protectrices et plus justes pour le conjoint survivant. Il y a une grande diversité de régime qui s’applique en matière de pension de réversion aujourd’hui. Nous voulons faire en sorte que le système futur soit juste et soit généreux pour le conjoint survivant.
- Le droit de bénéficier d’un niveau minimum de pension garanti égale à 1000 euros pour une carrière complète. Nous avons tous en tête des exemples d’artisans, de commerçants, d’agriculteurs qui ont travaillé dur et qui n’ont pas une retraite décente. C’est une injustice que nous connaissons et que le système futur permettra de corriger. C’est aussi à cela que sert un système universel.
- Pour la fonction publique, le calcul des cotisations sur l’ensemble des rémunérations, y compris les primes, et l’ouverture du principe de pénibilité.
- L’indexation des points de retraite sur le niveau des salaires pour éviter tout risque de décrochage. Or nous le savons, nos concitoyens veulent être rassurés au sujet de la valeur du point, ils auront cette garantie.
Parce que nous sommes convaincus que le système que nous définissons est meilleur que le système d’aujourd’hui, parce que nous sommes convaincus que les Français dans leur grande majorité veulent un système simple, juste qui mettra un terme à des régimes qui ne correspondent plus à une logique qui serait acceptée par nos compatriotes nous ne transigerons pas sur l’objectif.
Nous ne transigerons pas sur l’objectif mais nous prendrons le temps qu’il faut pour y arriver. Les réunions bilatérales que je viens de conduire montre cette demande de la part des organisations syndicales : les uns et les autres convergent sur le principe d’une transition qui ne brusque pas les choses. Parce qu’au fond on ne change pas un contrat social brutalement.
Nous allons mettre un terme aux régimes spéciaux C’est la conséquence mécanique de l’instauration d’un régime universel de retraite. Mais nous ne voulons pas stigmatiser ceux qui s’y trouvent aujourd’hui. Autrement dit, l’universalité oui, la brutalité non. Chacun doit être respecté et j’ai demandé aux dirigeants des grandes entreprises publiques de poursuivre le dialogue dans leurs instances. Et si j’ai un message à passer aujourd’hui, c’est que je suis persuadé qu’on peut faire de grandes transformations en apaisant les Français, à condition de se donner le temps. Nous devons donc trouver le bon rythme, la bonne transition.
Nous avons d’ores et déjà posé un certain nombre de principes. D’abord, les retraités actuels ne seront évidemment pas concernés par la réforme. Nous l’avons dit. Je le redis. Nous le redirons. Il n’en est aucunement question. Le deuxième principe que nous avons pris, est celui d’affirmer et de mettre en œuvre un principe clair : les droits acquis seront conservés à 100 %.
Le rapport du Haut-commissaire aux retraites, proposait d’exclure du système universel ceux qui sont ou qui seront à moins de cinq ans de la retraite en 2020 lors du vote de la loi. S’il faut que la réforme s’applique à des personnes un peu plus éloignées de la retraite que ce qui était envisagé jusqu’ici afin de prendre en compte les choix individuels faits par nos concitoyens, je suis prêt à en discuter avec les organisations syndicales. Et je sais pour les avoir entendues qu’un certain nombre l’ont demandé.
D’un côté, j’entends ceux qui estiment qu’à cinq dans de la retraite on se projette déjà dans cette retraite, on en connaît le mode de calcul, on en connaît le montant approximatif et que le changement de système pourrait être déstabilisant. Et ils ont raison. De l’autre, j’entends ceux qui disent que la fameuse clause dite « du grand-père » qui n’appliquerait la réforme qu’aux nouveaux entrants sur le marché du travail ne serait pas assez ambitieuse et qu’elle étalerait la mise en œuvre de la réforme sur une période trop longue. Et ils n’ont pas tort. Entre ces deux extrêmes, on doit pouvoir trouver le bon curseur. Est-ce que ce sont les personnes qui ont déjà une bonne partie de leur vie professionnelle derrière eux, qui sont à 10 ans ou à 15 ans de leur âge de départ à la retraite ? Cela n’est pas encore décidé, mais j’ai la conviction que nous pouvons trouver la bonne solution ensemble.
Pour ma part, du moment qu’on construit un système universel en lieu et place des 42 régimes existants, y compris les régimes spéciaux, je suis ouvert à la discussion.
Mais ce que je peux d’ores et déjà affirmer aujourd’hui, c’est que ces mécanismes de transition doivent être, eux aussi, équitables entre les régimes. On ne peut pas répondre à des demandes catégorielles en pénalisant les autres. Et j’en suis convaincu, on peut dans ce cadre qui respecte l’équité entre tous les régimes, prendre également en compte l’histoire des entreprises publiques et de leur système de retraite.
Un dernier mot enfin sur la responsabilité. Nous voulons construire un système solide dans lequel les jeunes générations, nos enfants auront confiance. Ce n'est pas en fondant un système universel sur du déficit que nous créerons cette confiance.
Ce qui se produirait si nous ne faisions rien nous le savons tous.
Soit nous laisserions filer les déficits et nous demanderions à nos enfants de payer plus tard pour nos dépenses actuelles, ce qui serait totalement injuste. Je m'y refuse.
Soit nous augmenterions nos cotisations et nous le savons, notre compétitivité et le pouvoir d'achat baisseraient, le chômage repartirait à la hausse alors que nous sommes en train au contraire de faire en sorte que ce mouvement continu de baisse du chômage puisse se poursuivre.
Soit ce serait les pensions qui devraient baisser et c'est le pouvoir d'achat des retraités qui en souffrirait. Je l'exclus évidemment.
Le président de la République l'a indiqué : nous voulons préserver le pouvoir d'achat des Français, celui des travailleurs comme celui des retraités. Par conséquent, nous excluons de baisser les pensions ou d'augmenter fortement les cotisations de ceux qui travaillent. C'est cela, un projet de justice sociale.
Comme nous l'avons toujours affirmé, nous savons que nous devrons progressivement travailler plus longtemps afin d'équilibrer le système de retraites futur. Là aussi, je voudrais convaincre que nous pouvons le faire de manière apaisée, sans brutalité, de façon progressive, en laissant la possibilité à ceux qui sont concernés, le choix de le faire en fonction de leur parcours de vie. Je crois que nos compatriotes savent, au fond d'eux-mêmes, que ce qui est vrai dans tous les autres pays comparables à la France, c'est-à-dire un allongement progressif de la durée du travail tout au long de la vie, est aussi un des éléments sur lequel nous devons travailler.
Les concertations vont encore se poursuivre sous le pilotage du Haut-commissaire. Elles devraient s'achever aux alentours des 9 ou 10 décembre. Jean-Paul Delevoye présentera les conclusions qu'il formulera au terme de cette consultation, et j'aurai l'occasion, dans les jours qui suivront, de présenter dans sa globalité et très précisément, le projet que le Gouvernement présentera au Parlement au début de l'année 2020.
D'ici cette date, certains exprimeront leur opposition dans la rue, le 5 décembre. C'est leur droit le plus légitime. J'ai le plus grand respect pour le droit de grève et pour le droit de manifester. En revanche, j'appelle évidemment chacun au calme et au respect. De la loi, de la propriété, de tout ce qui fait la vie en commun, de l'ordre public, des biens publics, et bien sûr au respect des forces de l'ordre. De son côté, le Gouvernement mettra tout en œuvre pour accompagner au mieux les Français qui veulent et qui doivent travailler.