Discours de la
Première ministre Élisabeth Borne à l’occasion de la rentrée du Conseil d’État
– mercredi 06 septembre 2023 18:05
Élisabeth BORNE
Mesdames et
Messieurs les ministres, Monsieur le président du Conseil constitutionnel,
Monsieur le président du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le vice-président, Mesdames
et Messieurs en vos grades et qualités.
L'arrivée annuelle des auditeurs en
salle PARODI, le passage en salle des cases pour feuilleter les pages du
recueil Lebon, la répartition immuable des jours de contentieux et de sections
administratives, le Conseil d'État est une institution faite de traditions
forgées à travers plus de deux siècles d'histoire. Mais si des traditions
demeurent, d'autres naissent, et cette deuxième séance de rentrée en est un bon
exemple.
Le Conseil d'État est une institution en perpétuelle évolution pour
remplir au mieux ses missions, s'adapter à la société actuelle et rendre le
droit accessible au plus grand nombre. La Constitution de l'an VIII vous avait
confié la mission de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière
administrative. Je crois que cette mission n'a jamais perdu de son sens. Je
dirais même qu'elle en a trouvé de nouveau.
Résoudre les difficultés, c'est
d'abord les anticiper par votre mission de conseiller du Gouvernement et du
Parlement, déterminante pour la qualité et la robustesse de notre droit.
Résoudre les difficultés, c'est ensuite les trancher avec cette singularité de
juger aiguillée par l'intérêt général ce concept que vous avez façonné et
enrichi à travers le temps. Résoudre les difficultés, enfin, c'est aussi
éclairer chacun sur notre état de droit et certains des grands enjeux de notre
société.
Monsieur le vice-président, je sais que cette mission de production
d'études vous tient particulièrement à cœur, qu'elle permet à cette maison de
se saisir de sujets clés et d'en tirer une lecture, des enseignements et des
recommandations. Dans chacune de ces missions, le Conseil d'État guide l'action
publique et vos recommandations y œuvrent pleinement. Ces dernières années, vos
réflexions sur la qualité du droit, la place du numérique ou les états
d'urgence ont nourri et bénéficié à l'action publique.
Cette année, vous avez
choisi le thème du dernier kilomètre des politiques publiques comme sujet de
votre étude annuelle. C'est un sujet qui m'est cher, un sujet qui m'a animé
tout au long de mon parcours et un enjeu qui me guide en tant que Première
ministre.
Aujourd'hui, nous traversons une crise de confiance vis-à-vis de la
politique, des institutions et peut-être plus largement de l'autorité. Ni les
élus, ni l'administration, ni les forces de l'ordre, les enseignants, les
soignants ne font exception. Au cœur de cette crise de confiance se cache une
tension. Pour beaucoup de nos concitoyens, les mots et les actes ne coïncident
plus. Partout des décisions sont prises, des mesures annoncées, des moyens
engagés, mais trop souvent, les Français ne le voient pas, ne le ressentent
pas. Beaucoup ont le sentiment que rien ne bouge et pour eux, les grands
chiffres et les grands mots ne font que creuser le lit de la défiance et des
désillusions.
Comme Première ministre, j'ai donc une obsession : les résultats.
Dans ce hall d'honneur du Palais Royal, j'ose malgré tout le dire, tout ne se
résume pas au texte et au droit. On ne peut pas s'imaginer que, parce qu'une
loi est votée ou un texte publié, le problème est réglé. La réalité, c'est que
le problème n'est pas réglé tant que nos décisions n'ont pas d'effet
perceptible dans le quotidien. Je souhaite que la parole publique, les moyens
mobilisés et les lois votées soient rapidement suivis d’effets.
Évidemment, le
défi du dernier kilomètre est d'abord celui des ministères. Je l'ai dit à
l'ensemble de mes ministres, et cela vaut tout autant pour chaque
administration, il nous faut être entièrement tournés vers les résultats, vers
le concret, vers le quotidien des Français. Mais je crois que le Conseil
d'État, lui aussi, a tout son rôle à jouer.
Un aphorisme célèbre disait que
juger l'administration, c'est encore administrer. Cela n'est pas totalement
vrai, vous l'avez dit, Monsieur le vice-président, chacun est à sa place et
jamais le Conseil d'État ne se substitue aux élus ou aux administrations. Mais
vos décisions, vous le savez, ont des répercussions potentiellement fortes et
rapides sur l'action des ministères et le quotidien de nos concitoyens.
Vous
avez toujours, d'ailleurs, su vous adapter, et je ne citerai que deux exemples.
Le premier, c'est de tenir compte des moyens dont dispose l'administration. En
cela, votre connaissance fine de l'État est précieuse. Elle vous permet de
prendre des décisions dont l'exécution est réaliste et plausible et de pouvoir
orienter l'administration si elle s'interroge sur les bons leviers pour les
exécuter. Le deuxième principe important, et vous l'avez dit, monsieur le
vice-président, c'est de laisser à l'administration le choix des modalités pour
répondre aux injonctions que vous pouvez prononcer. Il faut que
l'administration prouve qu'elle a atteint l'objectif que vous avez fixé,
qu'importe finalement le chemin pour y arriver tant qu'il se trace dans le
respect du droit.
Plus largement, je crois que l'expression « dernier kilomètre
» nous appelle collectivement à respecter deux impératifs. D'abord, l'action
publique doit se concevoir et se décider avant toute chose en tenant compte du
quotidien de nos concitoyens. Des idées miraculeuses sur le papier,
techniquement séduisantes ou juridiquement brillantes peuvent être lourdes,
complexes ou difficiles à mettre en place. Dans chaque texte ou chaque décision
de l'administration centrale, dans chacun des conseils prodigués au
Gouvernement, il faut donc avant tout penser à ces conséquences concrètes.
Le
second impératif pour réussir ce fameux dernier kilomètre, c'est la confiance
envers le terrain. Si nous cherchons à imposer des solutions uniques, venues
d'en haut, sans tenir compte des particularités et des enjeux locaux, nous
risquons toujours de ne pas être au rendez-vous. Nous devons tous
collectivement laisser plus de marge de manœuvre aux acteurs locaux pour qu'ils
puissent prendre certaines décisions, déterminer les meilleurs moyens
d'atteindre les objectifs, expérimenter, se différencier.
C'est la demande des
élus qui souhaitent légitimement plus de confiance de la part de l'État et
savent la responsabilité que cela impose. C'est un consensus chez les
responsables politiques, et j'ai pu le mesurer encore la semaine dernière lors
de la rencontre avec tous les chefs de parti à Saint-Denis, à l'initiative du
président de la République. C'est aussi le sens de ce que nous mettons en place
depuis 6 ans. Je pense à la loi 3DS, ou encore au volet territorial du Conseil
national de la refondation, qui vise précisément à trouver des solutions
adaptées aux situations locales.
Monsieur le vice-président, mesdames et
messieurs, être au plus proche du terrain exigeait aussi, je le crois, une
nouvelle gestion des carrières dans la haute administration, de permettre des
recrutements plus divers, de revaloriser les rémunérations et de favoriser la
fluidité des parcours entre les administrations centrales déconcentrées et
décentralisées.
Cette année est un peu particulière pour le Conseil d'État.
Pour la première fois, aucun auditeur n'a été recruté directement à la sortie
d'une nouvelle INSP, mais après une première expérience de deux ans au moins
dans l'administration. Je crois d'ailleurs que la promotion que vous avez
sélectionnée prendra ses fonctions très prochainement. Je mesure parfaitement
ce que représente cette réforme pour le Conseil d'État et je veux saluer
l'investissement et l'engagement de chacun pour la mener à bien et qu'elle
produise les résultats escomptés.
Monsieur le vice-président, vous le dites
souvent, il est essentiel de connaître l'administration pour bien la conseiller
et bien la juger. C'est en effet capital. J'évoquais à l'instant la nécessité
de connaître le terrain, de prendre des décisions réalistes applicables par les
administrations. Pour cela, il est aussi nécessaire de les connaître de
l'intérieur, de mesurer la réalité de leur fonctionnement, de leur rythme, de
leurs contraintes humaines, budgétaires et techniques. C'est précisément ce que
vise cette réforme en permettant à chaque auditrice et chaque auditeur d'avoir
travaillé dans une administration avant de rejoindre le Conseil d'État. Bien
sûr, cette réforme ne remet pas en cause les autres voies d'accès au Conseil
d'État qui permettent notamment l'apport précieux des juges expérimentés des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appels.
L'unité de la
juridiction administrative est une richesse, et je sais que vous avez à cœur de
la faire vivre. J'ajoute, et j'y tiens, que cette réforme ne remet en rien en cause la confiance que nous
avons dans les plus jeunes membres de cette institution. Le Conseil d’État a
toujours réuni en son sein des membres de toutes les générations, c’est une
richesse inestimable qui contribue elle aussi à ancrer le Conseil d’État dans
la société et dans ses évolutions. Partout, la jeunesse porte un regard neuf,
exigeant sur les choses, fait preuve d’audace, nous pousse à nous remettre en
question.
Dans les murs du Palais Royal comme dans la société, notre jeunesse
est déterminante et nous devons nous appuyer sur elle. Enfin, si j’évoque cette
réforme de la haute fonction publique et les recrutements au sein du Conseil d’État, je veux vous dire aussi que vos savoir-faire, votre expertise et vos
compétences sont précieuses pour le bon fonctionnement de l’État, y compris en
dehors de cette maison.
L’alternance entre la juridiction et l’extérieur fait
partie de l’ADN des membres du Conseil d’État. Elle est aussi nécessaire pour
l’ensemble de notre administration. Pour résumer, je dirais que nous avons
besoin de vous. Je le dis en connaissance de cause ayant autour de moi, dans le
bureau à côté du mien ou celui du dessous, des personnalités précieuses qui ne
sont pas étrangères à cette maison.
Monsieur le vice-président, Mesdames et
Messieurs, parler du Conseil d’État, c’est évoquer non seulement ses membres
mais aussi plus largement tout le service public, toutes les femmes et les
hommes qui, au quotidien, ont la mission essentielle de veiller au
fonctionnement de l’État. Je mesure combien cet engagement est difficile,
parfois ingrat, toujours exigeant. Mais je sais aussi combien il est
nécessaire, précieux, épanouissant. Travailler pour le service public, quelle
que soit sa mission, c’est s’investir pour quelque chose qui nous dépasse,
c’est servir l’intérêt général, c’est donner un sens au quotidien.
Pour le
service public, chacun compte et c’est en avançant ensemble, du premier au
dernier kilomètre, que nous pourrons passer des paroles aux actes, des lois aux
résultats. Ce qu’attendent de nous les Français, c’est ce qui permettra la
confiance dans notre service public, c’est ce qui assurera la cohésion de la
République. Je vous remercie.