Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le chef d’état-major de l’Armée de terre,
Mesdames et Messieurs les officiers généraux,
Monsieur le délégué national de l’Ordre de la Libération,
Mesdames et Messieurs, chers membres de la famille d’Edgard TUPËT-THOMÉ.
Il voulait entrer dans les ordres et consacrer sa vie à Dieu mais devant la montée des périls qui menaçaient son pays, c’est à la France qu’Edgard TUPËT-THOMÉ a offert sa jeunesse en sacrifice. En octobre 1938, il n’a que dix-huit ans et ce tout jeune homme abandonne ses études de théologie à l’université de Reims pour devancer l’appel en s’engageant dans le 8ème régiment de Zouaves de Mourmelon.
Il se préparait au silence, à la prière et à la contemplation derrière les hauts murs d’une abbaye, mais c’est le bruit, la fureur et l’horreur de la guerre qu’il découvre sur le front, en Lorraine d’abord puis en Belgique. Chacun de nous connait la suite, un Etat-major en retard d’un conflit, un armement obsolète, un gouvernement paralysé, un pays au bord du chaos.
Alors que la poche de Dunkerque se réduit chaque jour comme peau de chagrin sur le corps expéditionnaire britannique, l’unité d’Edgard TUPËT-THOMÉ va faire rempart et subir le feu de l’ennemi pendant huit longs jours pour permettre à nos alliés de regagner les bâtiments de la Royal Navy et la flottille de fortune envoyée par Churchill pour les recueillir. L’armée anglaise est sauvée, mais le 4 juin 1940, l’armée française est écrasée. Le drapeau frappé de la croix gammée flotte sur Dunkerque et le jeune sergent Edgard TUPËT-THOMÉ est fait prisonnier.
Sans en avoir peut-être une conscience claire, celui qui deviendra Compagnon de la Libération a presque devancé le choix du général De Gaulle ; sauver la France en prenant appui sur l’Angleterre. Alors qu’au même instant, Paul Reynaud, Président du Conseil, et le général Weygand ne pardonnent pas, à leur allié britannique, cette retraite au prix du sang français, un soldat de vingt ans aura aidé à évacuer l’armée qui, quatre ans plus tard, débarquera sur nos côtes pour aider à la libération de notre pays.
Mais pour l’heure, le jeune sergent fait prisonnier est menacé d’aller rejoindre comme des milliers d’autres un stalag en Poméranie. Avant de refuser la défaite, il refuse d’abord la captivité et n’a qu’une idée en tête, s’évader. Le 10 juin, il fausse compagnie à ses gardiens et profite du chaos général pour disparaître.
Démobilisé en septembre 1940, il refuse d’écouter la voix chevrotante d’un vieux maréchal qui demande à la France de se résigner, de baisser la tête et de se soumettre. Enfant des Ardennes, il n’a aucune haine à l’égard des allemands mais il sait - depuis l’enfance - qu’il devra un jour les combattre pour les empêcher de démembrer notre pays comme ils l’avaient fait après la défaite de Sedan.
Il le sait parce que son père est un ancien combattant de la Grande Guerre et il y est prêt car il vient de subir l’épreuve du feu. Par tous les moyens il cherche alors à s’engager dans les Forces Françaises Libres sans toutefois y parvenir. De guerre lasse, le jeune Edgard part pour Clermont-Ferrand où un travail l’attend et c’est là qu’il entre, presque par hasard, en contact avec Roger Warin, responsable du réseau de résistance Ronald et qu’il fait la rencontre de Pierre Fourcaud, chargé de mission du général De Gaulle. Il traverse la Manche en août 1941pour se mettre sous les ordres du général et devenir ainsi le premier engagé militaire des Forces Françaises Libres. Il devient Edgard Thomé pour la clandestinité et la renommée.
À Londres celui qui croyait au Ciel rejoint ceux qui n’y croyaient pas mais ensemble, ils ont accepté de se ranger sous la Croix de Lorraine car tous croyaient en l’immortalité de la France. La formule peut aujourd’hui surprendre dans une société soumise au règne de l’oubli, mais c’est cette foi en la France éternelle qui a permis la victoire.
Oui, Edgard TUPËT-THOMÉ, comme le général De Gaulle, comme ses compagnons Hubert Germain, dont je tiens à saluer la présence, Daniel Cordier et Pierre Simonet qui portent encore vivante la flamme du souvenir, croyait en la France. C’est cette certitude qui leur a donné la force de réaliser l’impossible.
La grandeur de notre pays c’est qu’à chaque fois qu’il semblait perdu, à chaque fois que son histoire séculaire puis millénaire paraissait devoir s’achever dans la défaite et le déshonneur, des hommes et des femmes se sont levés pour empêcher la France de tomber.
C’est ainsi depuis des siècles. À la bataille de Tolbiac, alors que la France n’était pas encore la France, au siège d’Orléans, alors que la France n’était déjà presque plus la France, à Denain lorsque le royaume de France était perdu, à Valmy lorsque la République n’était pas encore la République, sur la Marne en 1914, à Verdun en 1916 et enfin à Londres en 1940, alors que le pays occupé par l’Allemagne nazie ne tenait plus qu’à la vision d’un jeune général de brigade condamné à mort par contumace.
Ainsi, l’Histoire de France et celle du général De Gaulle démontrent qu’il aura parfois suffit d’une seule volonté déterminée, pour que le pays ressuscite. Ils furent quelques-uns, une poignée, à peine, de tous âges, de tous horizons sociaux à répondre à l’appel du 18 juin - alors même que certains avoueront ne jamais l’avoir entendu - mais cette poignée d’hommes et de femmes, ce millier de Compagnons de la Libération a entraîné avec lui tout un peuple et permis de déchaîner des forces capables de renverser les vents mauvais de l’Histoire et de sauver la France.
Un millier de compagnons mais derrière eux combien de maquisards ? Combien de soldats de l’ombre ? Combien de petits gestes à l’héroïsme immense ?
Combien de juifs sauvés par des Juste ? Combien de trains sabotés, de renseignements transmis, de parachutages réussis et d’évasions spectaculaires ? Combien de corps meurtris ? De visages tuméfiés ? De femmes martyrisées sans avoir jamais parlé, sans avoir jamais donné un seul nom ?
Combien de vies sacrifiées pour que je puisse aujourd’hui parler devant vous avec le drapeau tricolore qui claque au-dessus de nos têtes et regarder la cercueil d’un héros recouvert de nos couleurs nationales ?
Je le dis, ici, devant tous les responsables et les personnels de cet Hôtel des Invalides élevé il y a trois siècle et demi pour le repos des braves et qu’aucun régime n’a jamais remis en cause. Oui cette institution séculaire, née de la volonté d’un monarque absolu, a permis à la République d’offrir à Edgard TUPËT-THOMÉ la possibilité de terminer sa vie dans la dignité et avec les soins dus à un très grand soldat. Que tous ceux qui l’ont accompagné jusqu’à ses derniers instants soient remerciés pour leur dévouement.
Edgard TUPËT-THOMÉ fut d’abord et avant tout un très grand soldat et à lire ses états de services ou le récit de ses exploits militaires on croit assister à une épopée tant il y a chez lui quelque chose d’un héros d’Alexandre Dumas ou de Edmond Rostand.
Après avoir été affecté au détachement d’instructeurs commando de Saint-Pierre-et-Miquelon puis au bataillon des Antilles, il rejoint le 1er bataillon d’infanterie de l’air à Camberley pour devenir parachutiste et rejoindre en janvier 1944 la très prestigieuse Special Air Service Brigade où comme il le dira lui-même : il se sent « enfin dans ses meubles ».
En août 1944, celui qui est devenu le Lieutenant Thomé saute au-dessus du petit village de Daoulas dans le Finistère. Là avec treize hommes à peine, dont un s’est blessé dans sa chute, il entre immédiatement en contact avec la résistance locale et prend d’assaut le château de Kerisit, siège de la Kommandantur locale, avant de stopper une colonne allemande qui patrouillait dans le secteur. En quelques heures la petite ville de Daoulas passe sous contrôle allié ce qui permet au général américain Troy Middelton de fortifier la position avec un détachement d’artillerie. Dans la foulée notre jeune lieutenant s’attaque à la garnison allemande de Landerneau qui se croit attaquée par un détachement allié formidable alors même que les hommes de Tupët-Thomé ne se comptent plus que sur les doigts des deux mains.
Le 27 août, c’est en Franche-Comté qu’Edgard TUPËT-THOMÉ est parachuté une deuxième fois. Là il prend le petit village de Clerval et, avec une cinquantaine d’hommes, il défend cette position stratégique sur le Doubs contre vingt-sept blindés qui ne parviendront jamais à l’en déloger. Après ce coup d’éclat, il rejoint la 7ème armée américaine et franchit la Moselle.
Enfin, c’est en Hollande qu’il est parachuté une troisième fois le 7 avril 1945 désorganisant avec une redoutable efficacité les lignes de communication ennemies.
La suite n’appartient pas à l’Histoire de France mais tout simplement à celle d’une famille française car une fois la guerre terminée, Edgard TUPËT-THOMÉ quitte l’armée pour reprendre le cours de son existence aux côtés de sa femme Geneviève, de ses enfants et petits-enfants.
Le 18 juin 1942, à l’occasion du deuxième anniversaire de son appel, le général De Gaulle qui avait la prescience de cette humilité des véritables héros prononçait les paroles suivantes : « Alors, notre tâche finie, notre rôle effacé, après tous ceux qui l’ont servie depuis l’aurore de son Histoire, avant tous ceux qui la serviront dans son éternel avenir, nous dirons à la France, simplement, comme Péguy : Mère, voici vos fils, qui se sont tant battus. »
Alors permettez-moi, à la place qui est la mienne aujourd’hui et avec l’humilité qui doit être collectivement la nôtre devant l’épopée de la France Libre et de son chef, de reprendre ces quelques mots pour les prononcer dans cette cour des Invalides en face de ce cercueil drapé de bleu, de blanc et de rouge : France, voici ton fils qui s’est tant battu…