Mesdames et Messieurs les ministres,
Les derniers mois ont été de puissants rappels à l’ordre, et le dérèglement climatique et ses conséquences font désormais partie du quotidien de nos concitoyens.
Canicules, sécheresse, feux de forêts et événements climatiques exceptionnels se multiplient, sur notre sol comme à travers le monde.
Nous vivons un effondrement de la biodiversité, qui menace dangereusement nos écosystèmes, et, in fine, notre alimentation et notre qualité de vie.
L’épuisement des ressources naturelles est un péril grave, qui met en danger tout notre modèle économique. Et le dérèglement climatique ouvre la porte à des conflits entre les États et des mouvements migratoires majeurs.
Dans ce contexte, nous avons besoin d’une réaction forte et collective.
C’est le sens de la planification écologique, démarche inédite et ambitieuse, voulue par le Président de la République, et dont il m’a personnellement confié la charge.
Après des mois de concertations, secteur par secteur, menées notamment par le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, Christophe BECHU, la ministre de la Transition énergétique, Agnès PANNIER-RUNACHER, le ministre de l’Agriculture, Marc FESNEAU, et le ministre délégué chargé de l’Industrie, Roland LESCURE, nous avons bâti une stratégie, dont je souhaite vous présenter les enjeux.
Bien sûr, le dérèglement climatique préoccupe nos concitoyens.
Je pense notamment aux jeunes, pour qui la perspective d’un avenir sur une planète qui suffoque provoque souvent une éco-anxiété, que nous ne pouvons pas laisser sans réponse.
Mais l’impact de la transition écologique sur leur quotidien est également un sujet d’inquiétude pour beaucoup de Français qui craignent de se retrouver dans des impasses.
Avec la planification écologique, nous répondons à ces deux préoccupations.
C’est un plan ambitieux, qui nous permet d’accélérer notre action.
Ces dernières années, nous avons avancé : depuis 2019, année après année, nos émissions réelles ont été systématiquement inférieures aux objectifs fixés ; nous sommes en avance sur nos objectifs 2019-2023 ; et nous avons pratiquement rattrapé le retard accumulé lors de la précédente période.
Mais malgré ces résultats positifs, pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, comme prévu dans les Accords de Paris, nous devons doubler le rythme de baisse de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. C’est ainsi que nous éviterons des effets irréversibles et dramatiques sur notre planète.
C’est un plan concret, qui repose sur des leviers et des mesures tangibles, dans tous les domaines.
C’est un plan global. Il ne se limite pas à la question de la baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais apporte des solutions pour nous adapter aux effets inévitables du changement climatique, pour restaurer la biodiversité, et pour une gestion durable de nos ressources.
C’est un plan collectif. Il associe tous les acteurs, l’État, les collectivités, les entreprises, les ménages. Il a été conçu avec eux, et tient compte de leurs défis et de leurs contraintes.
C’est un plan de développement économique et de souveraineté. Il va permettre l’émergence de nouvelles filières, notamment des filières industrielles, de réduire nos dépendances aux énergies fossiles importées, et de renforcer la production sur notre sol national.
C’est un plan soutenable pour chacun. Il ne s’agit pas d’imposer des changements brusques, mais de répondre aux préoccupations de nos concitoyens, et d’offrir un accompagnement et des solutions face à chaque transition.
C’est un plan crédible, parce que nous nous donnons les moyens d’avancer. Nous investirons 7 milliards d’euros supplémentaires dans la transition écologique dès l’année prochaine. Nous mettons des moyens en face de chaque mesure et nous donnons les outils aux territoires pour agir.
Enfin, ce plan permet à la France d’être au rendez-vous de la transition climatique, à la hauteur de la situation. Jamais une démarche similaire n’avait été engagée en France, et aucun pays dans le monde n’a mené un travail aussi global, précis et rigoureux.
Nous portons le combat de la lutte contre le dérèglement climatique au niveau international, nous devons donc être exemplaires.
Ce devoir est d’autant plus grand que la situation est préoccupante. Si en France, les émissions de gaz à effet de serre diminuent nettement ces dernières années, dans le monde, la consommation mondiale de charbon augmente, et les émissions sont en hausse chez certaines des autres grandes puissances mondiales, je pense notamment aux Etats-Unis et à la Chine.
Partager des constats et bâtir des solutions communes face aux grandes transitions en cours, c’est précisément le sens que le Président de la République a donné au Conseil national de la Refondation.
Et c’est pourquoi j’ai tenu à m’adresser à vous ce matin, pour échanger et débattre de notre stratégie, en amont de la présentation de notre plan complet la semaine prochaine.
Avec la planification écologique, nous voulons surmonter plusieurs clivages, qui, trop souvent, créent des antagonismes, poussent à la caricature, et nous empêchent d’avoir des débats apaisés sur les solutions à adopter.
La planification écologique, c’est sortir des débats stériles, poser des faits, et construire une solution politiquement et scientifiquement crédible avec toutes celles et ceux qui veulent agir.
Le premier débat que nous voulons surmonter, c’est celui qui oppose technologie et sobriété.
Pour réussir, nous ne pouvons pas miser exclusivement sur l’innovation, car il n’y a pas d’idée ou de technologie magique.
Mais nous ne pouvons pas non plus miser uniquement sur des réductions et des interdictions dans tous les domaines. La décroissance serait synonyme de grand retour en arrière pour nos concitoyens. Et sans croissance, nous n’aurions plus les moyens de financer notre modèle social.
Nous voulons donc sortir de cette opposition et le plan que nous proposons est équilibré. Il s’appuie pour plus de la moitié sur des solutions que nous connaissons déjà et que nous voulons généraliser, mais aussi sur la sobriété, car elle est indispensable, et sur l’innovation, car c’est une partie de la solution.
Je vous donne un exemple : le secteur aérien. Nous avons interdit les vols quand une solution alternative plus propre en moins de 2h30 existe. Ça, c’est la sobriété. Nous investissons dans les carburants propres. Ça, ce sont les solutions qui existent déjà et qu’il faut développer. Nous finançons la recherche pour l’avion à hydrogène ou électrique. Ça, c’est l’innovation.
Le deuxième enjeu que nous devons aborder, c’est celui de la répartition de l’effort. Je sais que c’est une préoccupation pour beaucoup ici, et je la partage. C’est une question de justice.
Nous proposons de reprendre la stratégie, qui a fait ses preuves l’hiver dernier avec la sobriété énergétique. Nous avions alors demandé d’abord aux grandes entreprises de baisser leur consommation, et aux pouvoirs publics, État et collectivités, de se joindre à l’effort avant de proposer aux Français des gestes concrets et utiles. Grâce à cela, nous avons passé l’hiver dernier sans coupure d’énergie.
Pour nos émissions de gaz à effet de serre, nous allons donc agir de la même manière. Nous demandons aux entreprises des actions concrètes, en leur donnant les moyens de décarboner massivement. Par exemple, en remplaçant un four d’aciérie par un four électrique, en organisant la capture de carbone, ou en exploitant la chaleur fatale.
L’État sera exemplaire et montrera la voie, notamment grâce à la rénovation énergétique des bâtiments publics.
Nous allons appuyer les actions des collectivités, qui ont des compétences clés pour la transition écologique. Je pense, par exemple, aux transports en commun ou à la gestion des déchets. Beaucoup de maires, de présidents d’intercommunalités, de départements ou de régions agissent déjà mais nous devons amplifier encore nos efforts. Et nous devons les y aider.
Enfin, nous proposerons aux Français des actions concrètes tout en rendant toujours plus attractifs et plus accessibles les solutions décarbonées. Je pense notamment à la question de la mobilité.
Concrètement, la moitié de nos baisses d’émissions repose sur les entreprises, un quart sur l’État et les collectivités, et un quart sur les ménages. C’est donc une juste répartition de l’effort, et c’est une condition indispensable pour l’acceptabilité de notre plan.
La troisième idée dont nous devons débattre, c’est que beaucoup pensent que pour être à la hauteur du défi écologique, nous devons agir avec brutalité.
La planification écologique, c’est la radicalité des résultats sans la brutalité des mesures.
Nous devons faire en 7 ans plus que ce que nous avons fait en 33 ans. Cela implique des actions et des changements massifs. Mais nous sommes convaincus que nous pouvons obtenir des résultats radicaux sans décision brutale et inacceptable pour nos concitoyens.
Notre plan repose sur une série de mesures qui, ensemble, donnent des résultats majeurs, et qui, chacune, respectent les Français, veillent à ne laisser personne dans l’impasse, et s’attachent à ce que le rythme de la transition écologique soit soutenable pour tous.
C’est parce qu’elle se met en place progressivement, en accompagnant nos concitoyens, que notre méthode peut porter ses fruits.
C’est l’inverse de ce qui a été fait en Allemagne pour les chaudières au gaz ou encore aux Pays-Bas, sur l’élevage, avec les levées de bouclier et les reculs qui s’en sont suivis.
Pour illustrer mon point, je veux vous donner deux exemples.
Le premier, c’est justement l’élevage.
Il n’est pas envisageable de demander à tous nos concitoyens de devenir végétariens, ou de supprimer tout le cheptel français.
Nous avons besoin de garder de l’élevage pour notre agriculture, pour notre souveraineté alimentaire, pour stocker le carbone, pour la fertilisation de nos champs. Nous avons donc fixé un objectif de baisse raisonnable des émissions, qui peut s’atteindre en faisant évoluer l’alimentation animale ou la façon dont on entretient les prairies.
Deuxième exemple : la voiture.
Là encore, nous avons fixé des objectifs tenables : 15% de véhicules électriques d’ici 2030. En réalité, c’est 15 fois plus qu’aujourd’hui. Cela crée une dynamique pour la suite. Et cela permettra déjà d’économiser 11 millions de tonnes de gaz à effet de serre. C’est considérable sans être brutal : cela représente 10% de nos baisses d’émissions totales d’ici 2030.
J’en arrive maintenant au quatrième débat, que pose la transition écologique : celui qui oppose l’incitation et la contrainte.
Ma conviction est claire : l’écologie doit permettre de vivre mieux. Nous ne réussirons pas à mobiliser chacun, si la transition écologique devient synonyme de complications et d’interdits. Surtout, la transition écologique ne doit mettre personne dans l’impasse.
C’est par exemple ce que nous mettons en œuvre dans l’agriculture, en n’interdisant pas de pesticides sans solution alternative efficace. C’est le sens du nouveau plan Ecophyto, que j’ai lancé au salon de l’agriculture, et qui sera présenté en octobre.
Pour réussir, nous allons donc miser sur un accompagnement massif des entreprises, des collectivités et des Français.
C’est ce que nous faisons, par exemple, avec France 2030, en investissant 6 milliards d’euros pour la décarbonation de l’industrie. Ou encore avec MaPrimeRenov’, qui a déjà bénéficié à 1,5 million de ménages, aux trois quart modestes ou très modestes, et dont le budget va pratiquement doubler l’année prochaine.
Enfin, il y a un dernier enjeu important, auquel la planification écologique donne des réponses : c’est celui de la souveraineté.
Certains craignent que la transition écologique fonde un monde de contraintes et de régressions, qui renforceraient nos dépendances.
Au contraire, par la croissance verte et les relocalisations, la planification écologique est la garantie de notre souveraineté.
Pour l’industrie, par exemple, des nouvelles filières industrielles vont émerger, créer des emplois, et renforcer notre autonomie. Ce sont des filières d’avenir comme la géothermie, l’hydrogène, les pompes à chaleur ou les voitures électriques. C’est pour cela, d’ailleurs, que nous avons conditionné le bonus écologique à la production des véhicules en Europe.
Je veux être très claire : la transition écologique va permettre de fabriquer et d’acheter Français et Européen. Pour prolonger mes exemples : nous ne voulons pas déployer plus de pompes à chaleur ou de véhicules propres pour les importer depuis la Chine : elles seront produites et achetées en France et en Europe.
Enfin, en matière énergétique, dont je sais que c’est une préoccupation de beaucoup autour de la table, la planification écologique est le moyen de sortir de notre dépendance au pétrole, au gaz naturel et au charbon, grâce au nucléaire et au développement du renouvelable et de la biomasse.
Depuis le premier choc pétrolier, les énergies fossiles ont toujours été responsables de crises et de dépendance. En en sortant, nous pourrons conquérir notre souveraineté énergétique. Nous pourrons aussi offrir des prix de l’énergie plus bas pour nos concitoyens.
Avant de conclure, je veux insister sur ce dernier point : certains craignent que la transition écologique soit synonyme de baisse de pouvoir d’achat.
C’est au contraire l’absence de transition qui y conduirait, car nous serions éternellement soumis à des chocs sur les prix et donc sur le pouvoir d’achat.
Protéger le pouvoir d’achat, cela passe donc par la sortie des énergies fossiles, la rénovation des logements, les relocalisations. Cela passe par la maîtrise des coûts de l’électricité, et nous travaillons à faire évoluer la régulation du marché.
En un mot, cela passe par la planification écologique.
Voilà le cadre dans lequel s’inscrit la planification écologique et les enjeux qu’elle pose.
Le Secrétaire général à la planification écologique, Antoine PELLION, va maintenant vous présenter très rapidement nos objectifs concrets.
Et, avec mes ministres, je souhaite ensuite échanger avec vous et répondre à certaines de vos interrogations.
C’est notre avenir qui est en jeu. Alors, c’est ensemble que nous devons réagir.
Je vous remercie toutes et tous pour ces échanges riches.
La transition écologique est un enjeu de survie de notre société. Le terme peut paraître fort, mais le consensus scientifique est clair : c’est celui qui est adapté.
Alors, j’en suis convaincue : nous avons une responsabilité collective, une responsabilité démocratique, à vous informer, et à animer le débat public autour de la transition écologique.
C’est tout le sens de cette réunion du Conseil national de la refondation.
Avec la planification écologique, nous avons choisi une voie claire : un plan radical dans ses objectifs, crédible dans ses moyens, et acceptable pour nos concitoyens. Un plan qui renforce notre souveraineté et nous permet de sortir durablement de nos dépendances.
Notre but est d’agir, de rassembler, et de créer une écologie d’action, capable de fédérer toutes celles et ceux qui veulent agir pour la transition écologique.
Je voulais maintenant revenir avec vous sur les étapes devant nous.
La première, très rapidement, c’est le budget pour 2024.
Il s’agira d’un budget cohérent, avec une hausse de 7 milliards des moyens alloués à la transition écologique.
J’ai entendu hier avec les chefs de partis politiques, et ce matin encore dans nos échanges, des interrogations sur la répartition de ces moyens.
Je veux le dire : tous les secteurs sont concernés. Toutes les transitions sont accélérées. Nous allons donc investir en plus pour la rénovation des bâtiments,
pour la décarbonation des transports, pour la transition agricole et pour nos forêts, pour préserver la biodiversité, pour accélérer la décarbonation de notre industrie, pour la transition énergétique, ou encore pour soutenir les collectivités.
Concrètement, et pour ne donner que quelques exemples :
C’est le budget de MaPrimeRénov’ qui double pratiquement.
Ce sont des investissements dans le ferroviaire et l’installation de bornes de recharge supplémentaires.
C’est le soutien à la filière hydrogène qui est renforcé.
Ou ce sont les moyens du Fonds vert et du Fonds friche qui augmentent.
La deuxième étape, c’est la mobilisation des territoires.
Face au défi de la transition écologique, les réponses ne peuvent pas être descendantes et uniformes. Nous devons donc partir des initiatives et des innovations du terrain, et prendre compte des spécificités de chaque territoire.
Pour réussir, nous allons travailler main dans la main avec les élus locaux, en leur donnant les moyens d’agir.
Très concrètement, Christophe BECHU va lancer dès le mois d’octobre des COP régionales, en mettant tout le monde autour de la table pour apporter une réponse collective.
Chaque collectivité sera associée, dans le respect de ses compétences. Tout le monde est concerné : urbains, périurbains, ruraux, et ces COP permettront également de répondre aux enjeux de complémentarité et de solidarité entre les territoires.
Avec Christophe BECHU, Marc FESNEAU, Agnès PANNIER-RUNACHER, Roland LESCURE ou encore Sarah EL HAÏRY animeront cette concertation qui permettra la déclinaison locale de notre planification écologique.
Tous les sujets seront abordés.
Ensuite, la réussite de la planification écologique impose la mobilisation des compétences.
Nous avons un immense défi à relever en matière de formation et d’emploi et c’est une question qui concerne et intéresse beaucoup des acteurs du CNR. La transition écologique va entraîner des changements majeurs dans notre modèle productif, et nous devons former massivement aux nouvelles compétences.
Nous consacrons d’ores et déjà des moyens importants pour la formation et les compétences, notamment dans le cadre de France 2030. Nous menons également des réformes structurelles, qui permettront de répondre à ces besoins. C’est par exemple le cas de la réforme du lycée professionnel.
La réussite de la planification écologique, c’est enfin nous préparer à tous les cas de figure et nous adapter.
Nous avons progressé dans la connaissance des conséquences du dérèglement climatique en France, notamment en lançant des travaux sur le scénario d’une augmentation de la température de 4 degrés.
Nous nous sommes également engagés dans un travail de prévention, notamment avec les forces politiques au Parlement, sur le trait de côte, sur le retrait gonflement des argiles, ou encore sur la protection des forêts.
Mais nous devons continuer, accélérer. Et le Gouvernement proposera d’ici la fin de l’année une révision du plan national d’adaptation au changement climatique.
J’ajoute que nous avant devant nous une réforme profonde de notre système d’assurance, pour faire évoluer la prévention, et mieux indemniser les dommages.
Le défi est immense, chacun le sait.
Alors, j’en suis convaincue, la transition écologique est un sujet sur lequel nous pouvons nous rassembler.
Et le Gouvernement est prêt à agir, main dans la main, avec toutes celles et ceux qui le veulent.
Discours de la Première ministre Élisabeth Borne