Discours de la Première ministre Élisabeth Borne - Inauguration du séminaire de rentrée des auditeurs de l’Institut des Hautes études de Défense nationale (IHEDN)

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié le 14/09/2022|Modifié le 14/09/2022

Chers auditrices, chers auditeurs, Mesdames et Messieurs,

« La chute du mur de Berlin a sonné le glas du totalitarisme sur notre continent, dont tous les peuples se trouvent engagés aujourd’hui dans une même aspiration démocratique. » Ces mots d’espoir, ce sont ceux d’une autre Première ministre, Edith Cresson, en 1991, dans ce même amphithéâtre. 31 ans ont passé et, aujourd’hui, bon nombre de nos espoirs se sont évanouis et je m’adresse à vous dans un moment de gravité et de responsabilité. Le président de la République l’a souligné devant nos diplomates il y a quelques jours, nous sommes entrés dans une période de bascule. Une bascule géopolitique, bien sûr.

La guerre en Ukraine a mis fin à l’espoir d’une paix durable sur le continent européen. Une bascule énergétique, alors que nous prenons conscience de la finitude des matières premières. Une bascule climatique, tandis que les effets du dérèglement sont désormais présents et visibles dans le quotidien des Français. Une bascule démocratique, aussi, quand l’abstention marque une forme de défiance vis-à-vis de nos institutions. Chères auditrices, chers auditeurs, Nous aurions tort de prendre ces bascules séparément.

De croire que le changement climatique sera sans impact sur le comportement des puissances. De penser que la rareté des matières premières n’influera pas sur le comportement de certaines Nations. C’est une bascule majeure que nous vivons. Elle nous plongera dans un monde dont nous ne connaissons pas encore exactement les contours. Mais nous pouvons d’ores et déjà avoir une certitude : dans ce monde, si nous voulons faire entendre notre voix et nos valeurs, nous aurons besoin d’une défense nationale forte, adossée à une Nation unie. Cette défense nationale, ce sont d’abord des femmes et des hommes qui servent notre pays. Je veux leur dire ma reconnaissance et le soutien de mon Gouvernement.

Au moment où je vous parle, plus de vingt-mille d’entre eux sont en posture opérationnelle, sur terre, sur et sous les mers, dans les airs comme dans le cyberespace, sous l’autorité du chef d’état-major des armées qui s’est adressé à vous en début d’après-midi. Au moment où je vous parle, nos armées protègent la France et les Français. Cet engagement est exceptionnel. Il n’est pas sans danger. Je veux rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui sont tombés pour défendre notre pays.

A toutes celles et tous ceux qui souffrent dans leur chair ou dans leur esprit, pour avoir servi la France. Rendre hommage, aussi, à leurs familles. Leur sacrifice nous oblige. Il nous rappelle aussi la réalité de la guerre et des décisions que nous prenons. Nous avons un devoir de réflexion. C’est le sens de notre présence entre ces murs. Nous avons un devoir d’action. Et vous pourrez compter sur ma détermination et celle de mon Gouvernement.

Alors, nous devons d’abord regarder la situation internationale en face, en tirer les leçons et agir en conséquence. Le premier enseignement, c’est une volonté pratiquement sans limite d’affirmation de puissance.
- La mer, l’espace et le cyber sont les théâtres de rivalités et de conflits. Alors que ce sont des milieux partagés, certaines Nations y mènent en réalité une politique du drapeau planté et veulent affirmer leur souveraineté ou leur capacité de nuisance.
- Certaines puissances tentent de bousculer l’ordre du monde. Des pays entiers peuvent en subir les conséquences. Le déploiement des mercenaires de Wagner au Mali ou en Centrafrique nous le rappelle.
- L’affirmation de puissance va de pair avec le retour de l’unilatéralisme. La décision russe d’envahir l’Ukraine en dépit de toutes les conventions internationales, l’agitation de la menace nucléaire ou encore les manœuvres chinoises au large de Taïwan montrent le peu de cas que font certaines grandes puissances des instances et des règles du multilatéralisme. Dans un tel contexte, chaque événement, chaque accident, ouvre la perspective d’une escalade non maîtrisée. Et l’ordre mondial peut s’effondrer.

Le deuxième enseignement de la période que nous vivons, c’est le retour de la guerre conventionnelle de haute intensité. Depuis quelques années, certains experts en prédisaient la fin. Avec le conflit en Ukraine, nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien. Elle s’ancre toujours dans les milieux traditionnels mais ne s’y limite plus. La finance, l’énergie ou le cyberespace sont désormais des champs de confrontation.

Le troisième enseignement que nous pouvons tirer, c’est que le chaos peut également provenir de la faiblesse ou de la défaillance de certains États devant des groupes terroristes, des cartels et des mafias.

Laisser le djihadisme s’implanter quelque part, c’est laisser semer les graines des attentats sur notre sol. En prononçant ces mots, j’ai une pensée particulière pour les victimes de l’attentat de Nice dont le procès se déroule en ce moment, non loin d’ici.

Enfin, le quatrième enseignement, c’est l’impératif d’unité. La France et l’Europe partagent des valeurs et des combats. Ils ne peuvent pas être les spectateurs des désordres du monde. Face aux géants internationaux, la passivité est vécue comme une faiblesse. Et si notre pays et notre continent ne font pas entendre leur force et leur singularité, nous pourrions bien finir inféodés ou oubliés. Pour nous faire entendre, nous avons besoin d’indépendance et de souveraineté stratégique tout en sachant parler d’une seule voix. L’agression russe en Ukraine en est un parfait exemple, car la Russie misait sur notre incapacité à nous mettre d’accord pour imposer un fait accompli.

Nous serons toujours aux côtés de ceux qui partagent nos valeurs. Nous agirons pour les défendre. Nous ne participerons pas à la politique des blocs, qui polarise le monde et mène à l’affrontement. La France et l’Europe doivent être des puissances, mais des puissances d’équilibres.

Mesdames et Messieurs,

Forts de ces constats, nous devons nous fixer un cap clair : celui d’abord d’une défense militaire adossée à un modèle d’armée complet, cohérent et modernisé.

Le quinquennat que nous venons de vivre a permis une augmentation sans précédent des moyens de nos Armées depuis la fin de la Guerre froide. Et nous avons tenu nos engagements financiers.

Ces moyens supplémentaires ont permis le renouvellement de nos matériels et le lancement des programmes structurants du futur, comme la modernisation de notre outil de dissuasion et le porte-avions de nouvelle génération. Nous avons également investi, massivement, pour l’amélioration des conditions de vie et d’engagement de nos forces, avec une dimension importante d’accompagnement des familles.

Le précédent quinquennat a également préparé nos Armées aux conflits du futur. C’est pourquoi nous avons, par exemple, renforcé notre posture cyber et que nous avons transformé l’Armée de l’air en Armée de l’air et de l’espace.

Il nous faut maintenant continuer, prolonger cet effort et être prêts face aux conflits à venir. C’est en cohérence avec ces engagements que le projet de loi de finances pour 2023 augmentera l’effort de défense de 3 milliards d’euros. Par ailleurs, le 13 juillet, le président de la République a dessiné les contours de la nouvelle loi de programmation militaire.

Je sais tout le travail que mène l’ensemble du ministère des Armées, sous l’autorité du ministre Sébastien LECORNU, pour préparer ce texte important.

La prochaine loi de programmation militaire devra revoir notre ambition opérationnelle pour 2030 et assurer notre capacité à faire face à un retour durable des conflits de haute intensité. Nous devrons sans cesse nous questionner sur nos méthodes, nos structures et nous adapter à tous les visages de la guerre moderne.

Cette vision pour 2030, nous devons la construire en tant que Français, conscients que notre souveraineté passe par des Armées fortes.

Nous devons la bâtir en Européens, lucides sur la nécessité de nous protéger ensemble et cohérents avec la Boussole stratégique de l’Union européenne. Enfin, cette vision, nous devons la concevoir en alliés, dans le cadre du concept stratégique de l’OTAN, adopté à Madrid en juin dernier.

Car la France n’envisage pas sa défense de manière isolée. La présence parmi vous de plusieurs officiers étrangers, issus de pays alliés et amis de la France, incarne la vivacité de nos alliances et l’importance de nos partenariats. Je leur souhaite la bienvenue ainsi qu’une belle et riche année de réflexions et de partage parmi nous.

L’examen de la loi de programmation militaire se tiendra au Parlement en 2023.

Mesdames et messieurs les parlementaires, je sais l’importance et l’intérêt que les représentants de la Nation accordent aux questions de défense. La présence, comme chaque année, de députés et de sénateurs parmi les auditeurs de cette session en est une nouvelle preuve. Et je sais, président GASSILOUD, votre engagement à ce sujet. Je suis sûre que la loi de programmation militaire sera l’occasion de montrer notre capacité à travailler ensemble et bâtir des compromis ambitieux quand l’intérêt national est en jeu. Je m’y engagerai pleinement.

Notre ambition exige également une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs de notre industrie de défense. Nous devrons les accompagner sur le chemin de l’économie de guerre : produire plus vite, en quantités plus importantes et en trouvant le bon équilibre entre technologie et maîtrise des coûts.

J’ajoute que nos industriels sauront, j’en suis certaine, trouver les voies d’un équilibre entre l’indispensable résilience opérationnelle des matériels et la nécessité de s’inscrire dans une trajectoire vertueuse de développement durable.

Ils joueront également un rôle dans la politique de plein emploi qui est une des priorités de mon action. Car il n’y a pas de puissance sans une économie forte.

Nous devons aussi continuer à faire fructifier le lien Armée-Nation, faire connaître notre mémoire, notre Histoire et l’engagement de nos aînés. Cette politique mémorielle contribue à la cohésion et à la résilience de la Nation. Je connais, Madame la ministre, chère Patricia MIRALES, votre détermination.

Mesdames et Messieurs,

Si le cœur de notre défense nationale est militaire, elle ne s’y limite pas et chacun doit y contribuer.

D’abord, parce que les menaces qui pèsent sur notre pays dépassent le cadre de la guerre conventionnelle.

La menace terroriste est loin d’être éteinte et nous pousse à prendre des mesures sur notre territoire national comme à l’extérieur de nos frontières. Elle exige que nous redoublions de vigilance. Et pour y parvenir, nous avons considérablement accru les moyens matériels et humains de nos services de renseignement au cours des 5 dernières années.

La menace cyber est devenue plus prégnante. Les cyberattaques ne se déploient pas seulement en marge de conflits. Elles peuvent être une manœuvre de déstabilisation d’une autre Nation voire la réalisation d’un ou de plusieurs anonymes aux intentions mal définies. Pourtant les risques sont là et, encore récemment, un hôpital de l’Essonne a été victime d’une cyberattaque. Plus largement encore, notre défense doit prendre en compte les grands défis de notre temps.

Le Covid a montré nos vulnérabilités face à une menace épidémique. Nous avons appris et réagi. Nous devons rester en alerte. L’épidémie n’est pas encore finie et rien ne dit qu’une autre crise sanitaire ne pourrait pas survenir.

Enfin, je n’oublie pas ce qui est aujourd’hui la mère des menaces. État fort ou faible, puissance dotée ou non, nous sommes tous à égalité devant le dérèglement climatique. Il aura des conséquences majeures sur nous, sur nos modes de vie. L’été que nous venons de vivre a montré à chacun certains des effets dévastateurs du dérèglement climatique.

Ne nous méprenons pas, le changement climatique aura aussi des conséquences majeures sur l’ordre international. Il provoquera des migrations, des tensions et des conflits. Nous agissons de toutes nos forces au niveau national comme international pour réduire nos émissions, atténuer le dérèglement climatique et nous adapter aux changements inéluctables. Face à ces menaces protéiformes, j’ai la responsabilité, au titre de l’article 21 de notre Constitution, de la défense nationale. Et devant ces défis hors du champ militaire, la défense nationale s’incarne dans deux principes : la prévention et la résilience.

La prévention, d’abord. Nous devons mieux anticiper les menaces et nous préparer à les endurer. Cela implique l’hygiène et la protection numérique, la constitution et l’entretien de stocks stratégiques, la construction de cadres juridiques adaptés. Pour chaque défi, nous devons réfléchir aux différents scénarios et établir une stratégie dédiée. A la suite du président de la République, j’ai récemment lancé un appel à la sobriété énergétique, pour éviter les coupures et les rationnements. C’est ça, la prévention : alerter, nous préparer et agir en responsabilité pour éviter le pire.

Mais dans une crise, c’est la résilience qui nous permet de nous relever. La résilience, c’est notre capacité à faire bloc, à faire preuve de force et de solidarité pour surmonter un défi commun. L’un des exemples les plus impressionnants de la résilience d’une Nation nous vient d’Ukraine. La résistance du peuple ukrainien nous dit quelque chose sur l’importance de l’esprit de cohésion nationale et de la solidarité. Nous devons les renforcer.

Ainsi, pour affronter les crises, notre pays a besoin d’unité et d’organisation. L’unité, c’est d’abord prolonger tous les espaces de réflexion commune. Général, l’IHEDN que vous avez la chance de diriger en est un parfait exemple. Ici, la relève militaire de notre pays côtoie des femmes et des hommes de tous les horizons mais qui ont en commun un intérêt et une volonté de penser au futur de notre défense. Mesdames les auditrices, Messieurs les auditeurs, L’IHEDN et ses travaux sont une boussole. L’année que vous allez passer compte et marquera probablement toute votre vie.

Vous réfléchirez à la question de la défense nationale face à l’affirmation des puissances. Le sujet n’aurait pas pu être mieux choisi et nous avons fort à craindre qu’il reste d’actualité encore un moment. Je sais pouvoir compter sur vous, pour faire vivre, même hors de ces murs, l’esprit de défense. Je salue d’ailleurs les auditeurs et anciens auditeurs des sessions nationales et régionales et toutes celles et ceux qui sont avec nous aujourd’hui, à distance. Ils témoignent du caractère vivant de la communauté de l’IHEDN.

L’unité, c’est aussi diffuser la culture de défense et faire croître les forces morales dans notre jeunesse. Je me réjouis de l’engouement que suscite les cycles jeunes. Chers jeunes IHEDN, merci pour votre engagement car la recherche de résilience nous pousse également à éveiller et entretenir l’esprit de citoyenneté, en particulier dans la jeunesse. Vous le savez, madame la ministre, chère Sarah EL-HAÏRY, c’est l’un des objectifs clés du Service national universel, le SNU. Depuis 2019, le SNU se déploie et permet à des milliers de jeunes d’apprendre à se connaître, quel que soit leur territoire ou leur milieu social. Le SNU, c’est répondre à la soif d’engagement de notre jeunesse. C’est expliquer nos valeurs et leur donner corps. C’est donner de son temps pour les autres et face aux défis qui nous attendent pour notre défense, notre sécurité ou notre planète. C’est aussi, à sa mesure, une pierre à l’édifice de mon ambition pour une plus grande égalité des chances, autre priorité de mon action. Évidemment, le SNU n’est pas un service militaire de nouvelle génération. Il apprend à notre jeunesse à faire bloc et à réagir face aux différentes crises qui traversent le monde.

Dans ce cadre, les Armées ont tout leur rôle à jouer mais elles ne sont pas les seules. Forces de sécurité intérieure, culture, sport, associations… chacun a une part à prendre. L’engagement, le service, pourront également s’incarner dans des domaines très variés, à l’image de l’offre du service civique d’aujourd’hui.

Enfin, notre résilience passe par de l’organisation et de la méthode, notamment grâce à des institutions dynamiques et interministérielles. Le meilleur exemple est certainement le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Il conduit des travaux d’anticipation et planifie la réponse à des scénarios de crise.

Il prépare les Conseils de défense et de sécurité nationale et s’assure du suivi des décisions prises. Il veille à consolider notre stratégie nationale de résilience. C’est au cœur des missions qui vous sont confiées, Monsieur le secrétaire général, cher Stéphane BOUILLON.

Mesdames et Messieurs, Chères auditrices, chers auditeurs,

L’année qui vous attend sera passionnante. Au gré des visites, des rencontres et des échanges, elle vous permettra de mieux comprendre notre défense nationale dans toutes ses facettes. Elle vous permettra de vous forger des convictions fortes, qui vous guideront tout au long de vos parcours. Et c’est une ancienne militaire, qui a défilé parmi nos forces sur les Champs-Elysées, qui vous le dit.

A celles et ceux, qui continueront à servir notre pays sous l’uniforme et aspirent aux plus hautes fonctions de commandement, je veux dire ma reconnaissance et ma gratitude. Cette année est à l’image du lien constant que vous devez avoir avec le monde civil. La défense ne doit pas être isolée. Elle est au cœur de la Nation, au cœur de la société. C’est ce qui la rend forte et comprise. Aux auditrices et auditeurs civils, je veux rappeler toute l’importance de cette année pour apprendre, faire connaître et garder une attention particulière aux défis de notre défense nationale.

L’esprit de résilience doit être partagé et chacun peut contribuer à le forger. Il doit, vous l’avez compris, se diffuser dans toute la société. Votre engagement à l’IHEDN est précieux pour notre pays. Précieux pour mieux saisir le rôle – ou plutôt devrais-je dire, les rôles – de notre défense nationale face à la volonté d’affirmation des puissances. Dans un monde en bascule, vous êtes un point fixe.

Vive la République ! Vive la France !

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