Discours de la Première ministre Élisabeth Borne - Débat sur la politique d’immigration au Sénat

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié le 14/12/2022

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
L’immigration est un sujet complexe.
Il nous conduit à parler de politiques publiques, mais aussi de notre Histoire et de notre conception de la Nation.
Il est parfois l’objet de passions, de tensions, voire de fractures.
Et pourtant, il est essentiel de pouvoir en débattre sereinement.
Je sais, en introduisant ce débat au Sénat, que nous partons sur des fondements solides.
La Haute-Assemblée a eu toujours à cœur de porter des débats d’idées et de chercher des solutions communes.
Vous avez aussi, je le sais, et j’y reviendrai, travaillé sur la question migratoire, sur ses implications et sur les grands chantiers à mener.
Parler d’immigration, c’est aborder, aussi, bon nombre de sujets.
C’est évoquer les causes profondes des migrations : la pauvreté, le dérèglement climatique – et notre indispensable coopération avec les pays d’origine et de transit.
C’est parler de nos frontières, de nos procédures et de notre droit.
C’est relever le défi de l’intégration.
Dans quelques semaines, le Gouvernement présentera un texte sur notre politique migratoire. Les ministres reviendront dans un instant sur ses principes directeurs.
Comme je l’avais annoncé, ce projet de loi fait l’objet d’une vaste concertation.
Le ministre de l’Intérieur la conduit avec l’appui de la secrétaire d’Etat à la Citoyenneté.
Le ministre du Travail s’y est également pleinement engagé.
Le texte doit consolider les avancées de la loi asile-immigration et adapter notre droit aux défis actuels de la question migratoire.
Je l’ai dit à l’Assemblée nationale, et je le répète devant vous : nous n’avons qu’une boussole, l’efficacité.
Nous porterons un texte équilibré, aux effets utiles et concrets.
Il me semblait donc important, essentiel même, avant la finalisation du projet de loi, et comme je m’y étais engagée, de venir devant vous, pour vous présenter des faits, des orientations, et pour en débattre.
Alors, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Commençons par les faits.
D’abord, oui, il existe une immigration légale. Je le dis, car à entendre certains, on l’oublierait.
Cette immigration légale, ce sont des salariés qualifiés, ou encore les personnes que les Françaises et Français ont choisi d’épouser.
J’entends souvent dire que le nombre de titres délivrés a progressé.
C’est juste. La tendance ne date pas d’hier, et elle s’est vérifiée sous des majorités de gauche comme de droite.
Ainsi, en 15 ans, le nombre de titres de séjour délivrés est passé, de façon progressive, de 172 000 en 2007 à 271 000 en 2021.
Mais ne nous trompons pas sur les causes de cette augmentation.
Contrairement aux caricatures, l’immigration familiale a baissé sur cette période.
S’il y a eu une augmentation, c’est pour trois raisons.
D’abord, parce que notre enseignement supérieur est attractif et que, depuis 2017, le nombre d’étudiants que nous accueillons a doublé.
C’est une bonne nouvelle. Ces étudiants apprennent à parler français, à connaître notre pays et le font rayonner dans le monde.
Deuxième raison de cette hausse : le nombre de salariés qualifiés et de chercheurs que nous accueillons a augmenté en 15 ans. Et cela a bénéficié à notre économie, à nos entreprises et à notre innovation.
Enfin, dernière raison de cette hausse : l’augmentation modérée du nombre de bénéficiaires de l’asile. Ce sont 30 000 personnes menacées dans leur pays, que nous accueillons chaque année.
C’est l’honneur de la France de leur donner leur place.
C’est l’honneur de notre pays d’avoir accueilli 3 000 ressortissants afghans, juste après la chute de Kaboul l’an dernier.
C’est l’honneur de la France d’avoir accueilli 108 000 ukrainiens depuis le 24 février dernier, sous le statut de protection temporaire.
Au nom du Gouvernement, je tiens à remercier l’OFPRA, les élus locaux, les associations, et les employeurs qui les accompagnent au quotidien.
Bien sûr, nous devons donner à toutes les personnes arrivées légalement, les moyens d’une intégration digne et complète.
Certaines difficultés existent encore, notamment en termes d’insertion professionnelle. J’y reviendrai.
Voilà, Mesdames et Messieurs les sénateurs, quels sont les faits concernant l’immigration légale.
Mais le principal enjeu, ça n’est pas tant la situation de ceux à qui nous avons délivré un titre, que celle des personnes qui se maintiennent sur notre territoire sans y avoir droit.
Ces personnes ne sont pas éligibles à l’asile. Il leur a souvent été explicitement refusé.
Pourtant le flux de demandes augmente nettement ces dernières années. Et celles et ceux à qui nous n’accordons pas la protection restent encore trop fréquemment sur notre territoire.
Souvent victimes de passeurs qui leur promettent l’Eldorado et mettent en danger leurs vies, la plupart d’entre eux vivent dans la grande précarité, sans disposer du droit à travailler, et parfois, sombrent dans la délinquance.
Face à ce défi, les amateurs de solutions toutes faites sont nombreux.
On trouve les partisans du « y a qu’à faut qu’on », qui voudraient renvoyer d’un coup d’un seul, l’intégralité d’entre eux.
Oui, je souhaite que le droit et nos frontières soient respectés.
Oui, je souhaite des éloignements rapides et efficaces des personnes en situation irrégulière.
Mais non, on ne peut pas prétendre que les choses soient si simples, comme si nous pouvions nous affranchir de l’indispensable coopération des pays d’origine et des règles de l’Etat de droit.
De l’autre côté, certains appellent à des opérations de régularisation massive.
Je le dis aussi clairement : il n’en est pas question.
Nous ne créerons pas de tel précédent, qui ne règlerait pas les difficultés des personnes concernées, qui donnerait des arguments aux passeurs, et qui ne serait ni accepté ni acceptable par les Français.
Pour notre part, nous voulons prendre le sujet à bras le corps et proposer des solutions utiles et efficaces.
Je crois que nous pouvons nous retrouver sur une préoccupation commune : éviter que des étrangers restent durablement dans une situation indéterminée, qui ne serait ni le droit au séjour, ni l’éloignement.
Aussi, nous voulons clarifier beaucoup plus vite la situation des étrangers arrivés sur notre sol.
D’une part, nous voulons accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile et du droit au séjour pour lutter contre les pratiques dilatoires.
Et, d’autre part, une fois la situation clarifiée, nous souhaitons éloigner plus rapidement ceux qui doivent l’être.
Quant aux personnes qui ont vocation à rester, nous voulons engager plus tôt les actions pour réussir leur intégration, d’abord par la langue et par l’emploi.
Ces principes sont les grands axes de travail du Gouvernement.
Ce sont des objectifs qui, je le crois, peuvent rassembler largement, en particulier au Sénat.
Car je sais pouvoir trouver sur ces bancs des partenaires pour construire ce texte ensemble.
Les constats que vous avez formulés dans votre rapport d’information, et qui faisaient l’objet d’un large consensus parmi les groupes au Sénat, Monsieur le Président Buffet, nous les partageons.
Le projet de loi que présentera le Gouvernement reprendra ou s’inspirera de bon nombre de vos propositions, pour celles qui relèvent du domaine législatif.
Nous en mettrons d’autres en œuvre : je pense à celles qui concernent l’indispensable amélioration de l’accueil en préfecture et des modalités de recueil et de traitement des demandes de titres de séjour.
J’y reviendrai – et le ministre de l’Intérieur également.
Je retiens cette volonté de travail commun.
Cette volonté de bâtir des solutions, au-delà des clivages et des postures.
Et c’est pourquoi, comme pour la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, je vous confirme que nous examinerons le futur projet de loi, d’abord au Sénat.  
Je souhaite ainsi, que nous puissions bâtir une majorité solide sur ce texte, en nous appuyant notamment sur l’important travail déjà réalisé par les sénateurs sur ces sujets migratoires.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Comme l’a dit le Président de la République, nous devons déployer une action complète, cohérente et efficace, en amont des flux migratoires et après l’arrivée sur notre territoire.
Nous voulons d’abord prévenir les départs irréguliers, en contribuant, grâce à notre aide publique au développement, à traiter les causes profondes des migrations que sont la pauvreté et, de plus en plus, les effets du dérèglement climatique.
Ensuite, nous devons mieux protéger nos frontières.
Pour y parvenir, notre premier levier d’action est européen.
Pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous sommes parvenus à plusieurs avancées autour du pacte sur la migration et l’asile :
-en particulier pour rendre plus efficaces les contrôles à l’arrivée en Europe ; -et pour renforcer le mécanisme de solidarité pour les États de première entrée, dans le respect du droit maritime.
Nous devons maintenant continuer.
Nous poussons pour un renforcement des moyens de Frontex et pour une réforme de l’espace Schengen.
Nous voulons également consolider le système d’asile européen.
C’est aussi à l’échelle européenne, que nous lutterons plus efficacement contre les réseaux de passeurs.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine COLONNA, et la secrétaire d’Etat en charge de l’Europe, Laurence BOONE, sont pleinement mobilisés en ce sens.
Le deuxième moyen d’action, c’est au niveau national en renforçant le contrôle à nos frontières et en accélérant les procédures.
En novembre 2020, le Président de la République a annoncé le doublement des effectifs à nos frontières.
Les résultats sont là : 10 000 refus par mois ont été prononcés en 2021, contre 3 000 début 2020, avant le Covid.
Ensuite, nous devons accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile.
Dans ce domaine, des progrès ont été réalisés dans le précédent quinquennat. Les délais de l’OFPRA ont considérablement diminué mais ceux des procédures contentieuses sont encore trop longs.
Au total, le délai moyen de traitement d’une demande d’asile est encore de l’ordre d’un an.
Nous devons donc accélérer et viser un délai global de 6 mois pour l’ensemble de la procédure.
Nous voulons notamment réformer le contentieux des étrangers.
Pour le réduire et le simplifier, nous voulons passer de 12 procédures contentieuses à 4, suivant en cela les recommandations du Conseil d’Etat et du rapport d’information du Président BUFFET.
Le ministre de l’Intérieur y reviendra et travaille également avec le ministre de la Justice, Éric DUPOND-MORETTI à une réforme de la Cour nationale du droit d’asile.
Enfin, nous voulons éloigner plus systématiquement et plus efficacement les personnes déboutées du droit d’asile.
Nous devons augmenter nos capacités en centres de rétention administrative.
Et, nous continuerons à agir dans nos relations bilatérales avec les pays qui refusent de réadmettre leurs propres ressortissants.
Par ailleurs, nous devons être intraitables avec les étrangers délinquants, même en situation régulière.
S’engager dans la délinquance, c’est se placer en dehors de notre communauté nationale.
C’est porter une grave atteinte à notre pacte social et à nos compatriotes.
C’est également nuire à tous les étrangers qui vivent en France et qui construisent paisiblement des parcours d’intégration réussis, dont on ne parle pas.
Grâce à l’action déterminée du ministre de l’Intérieur et des préfets, plus de 3 000 étrangers auteurs de troubles à l’ordre public ont été éloignés en 2021 et 2022.
Enfin, sous le contrôle du juge et dans le respect de nos engagements conventionnels, des mesures d’expulsion doivent désormais pouvoir être prises contre les étrangers, quelle que soit leur situation, qui commettent des infractions graves.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je le disais, nous portons une vision équilibrée.
Si nous voulons que ceux qui ne doivent pas rester partent, c’est aussi pour pouvoir mieux intégrer ceux que nous accueillons.
Cela passe d’abord par une refonte en profondeur de l’accueil en préfecture pour les démarches de renouvellement des titres des étrangers en situation régulière.
Nous devons éviter les pertes de droits, notamment d’emploi, que peuvent connaître certaines personnes faute d’accès au guichet.
Pour les demandeurs d’asile, nous devons aussi continuer à renforcer nos capacités d’hébergement.
En cinq ans, nous les avons déjà augmentées de plus de 36 000 places.
Enfin, le pivot de notre politique d’intégration, c’est le travail.
Dans un pays dont le taux de chômage est de 7,3%, nous devons d’abord chercher à pourvoir les postes vacants en proposant ces emplois à nos ressortissants et aux personnes en situation régulière.
Le taux d’emploi des immigrés en France est neuf points plus faible que celui de l’ensemble de la population. Nous devons travailler à réduire cet écart.
Ensuite, si les employeurs ne sont pas parvenus à trouver la main d’œuvre dont ils ont besoin, ils peuvent la faire venir de manière légale.
Un employeur peut toujours solliciter une autorisation de travail, s’il démontre qu’il n’a pas pu pourvoir le poste en déposant une offre auprès de Pôle Emploi.
Pour certains métiers, particulièrement en tension, l’employeur est même dispensé de cette justification. 
Nous avons simplifié ces dispositifs en 2019 pour mieux répondre aux besoins.
Enfin, la question de la régularisation peut se poser pour des personnes en situation irrégulière, présentes sur notre sol depuis des années, et qui travaillent depuis longtemps.
Ce sujet mérite mieux que des caricatures : il ne s’agit en aucun cas d’une régularisation massive, ni de laisser penser que la régularisation serait la réponse aux tensions sur le marché du travail.
Il s’agit de régulariser certaines personnes, qui contribuent depuis longtemps à la richesse nationale, mais qui subissent parfois des conditions de travail indignes et restent enfermés dans un statut précaire.
Le ministre du Travail, Olivier DUSSOPT, y reviendra plus en détail.
Enfin, Mesdames et Messieurs les sénateurs, s’intégrer, c’est parler la langue de la République.
Alors, que nous proposons des cours de langue dès l’arrivée sur le territoire, nous souhaitons qu’un niveau minimal de Français soit désormais imposé pour obtenir des titres de séjour de plus d’un an.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
J’ai tracé devant vous les grands principes de notre action.
Une action fondée sur la volonté d’équilibre et la recherche d’efficacité.
D’abord, agir sur les causes profondes de l’immigration, en lien avec les pays d’origine et de transit.
Assurer ensuite le respect de nos frontières et de notre droit, par des procédures plus rapides et des mesures d’éloignement mieux appliquées.
Et donner, enfin, à celles et ceux que nous accueillons les moyens d’intégration pleine, entière et réussie. Car l’intégration, c’est bien la finalité de toute notre politique migratoire.
Autour de ces principes, je suis et je reste convaincue que nous pouvons construire des réponses ensemble.
Je sais que le Sénat, fidèle à sa volonté de dialogue et d’action, y prendra, avec nous, toute sa part.
Je vous remercie.

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