Mesdames et Messieurs les sénateurs,
L’immigration est un sujet complexe.
Il nous conduit à parler de politiques publiques, mais
aussi de notre Histoire et de notre conception de la Nation.
Il est parfois l’objet de passions, de tensions, voire
de fractures.
Et pourtant, il est essentiel de pouvoir en débattre
sereinement.
Je sais, en introduisant ce débat au Sénat, que nous
partons sur des fondements solides.
La Haute-Assemblée a eu toujours à cœur de porter des
débats d’idées et de chercher des solutions communes.
Vous avez aussi, je le sais, et j’y reviendrai,
travaillé sur la question migratoire, sur ses implications et sur les grands
chantiers à mener.
Parler d’immigration, c’est aborder, aussi, bon nombre
de sujets.
C’est évoquer les causes profondes des migrations : la
pauvreté, le dérèglement climatique – et notre indispensable coopération avec
les pays d’origine et de transit.
C’est parler de nos frontières, de nos procédures et
de notre droit.
C’est relever le défi de l’intégration.
Dans quelques semaines, le Gouvernement présentera un
texte sur notre politique migratoire. Les ministres reviendront dans un instant
sur ses principes directeurs.
Comme je l’avais annoncé, ce projet de loi fait
l’objet d’une vaste concertation.
Le ministre de l’Intérieur la conduit avec l’appui de
la secrétaire d’Etat à la Citoyenneté.
Le ministre du Travail s’y est également pleinement
engagé.
Le texte doit consolider les avancées de la loi
asile-immigration et adapter notre droit aux défis actuels de la question migratoire.
Je l’ai dit à l’Assemblée nationale, et je le répète
devant vous : nous n’avons qu’une boussole, l’efficacité.
Nous porterons un texte équilibré, aux effets utiles
et concrets.
Il me semblait donc important, essentiel même, avant
la finalisation du projet de loi, et comme je m’y étais engagée, de venir
devant vous, pour vous présenter des faits, des orientations, et pour en
débattre.
Alors, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Commençons par les faits.
D’abord, oui, il existe une immigration légale. Je le
dis, car à entendre certains, on l’oublierait.
Cette immigration légale, ce sont des salariés
qualifiés, ou encore les personnes que les Françaises et Français ont choisi
d’épouser.
J’entends souvent dire que le nombre de titres
délivrés a progressé.
C’est juste. La tendance ne date pas d’hier, et elle
s’est vérifiée sous des majorités de gauche comme de droite.
Ainsi, en 15 ans, le nombre de titres de séjour
délivrés est passé, de façon progressive, de 172 000 en 2007 à 271 000 en 2021.
Mais ne nous trompons pas sur les causes de cette
augmentation.
Contrairement aux caricatures, l’immigration familiale
a baissé sur cette période.
S’il y a eu une augmentation, c’est pour trois
raisons.
D’abord, parce que notre enseignement supérieur est
attractif et que, depuis 2017, le nombre d’étudiants que nous accueillons a
doublé.
C’est une bonne nouvelle. Ces étudiants apprennent à
parler français, à connaître notre pays et le font rayonner dans le monde.
Deuxième raison de cette hausse : le nombre de
salariés qualifiés et de chercheurs que nous accueillons a augmenté en 15 ans.
Et cela a bénéficié à notre économie, à nos entreprises et à notre innovation.
Enfin, dernière raison de cette hausse :
l’augmentation modérée du nombre de bénéficiaires de l’asile. Ce sont 30 000
personnes menacées dans leur pays, que nous accueillons chaque année.
C’est l’honneur de la France de leur donner leur
place.
C’est l’honneur de notre pays d’avoir accueilli 3 000
ressortissants afghans, juste après la chute de Kaboul l’an dernier.
C’est l’honneur de la France d’avoir accueilli 108 000
ukrainiens depuis le 24 février dernier, sous le statut de protection
temporaire.
Au nom du Gouvernement, je tiens à remercier l’OFPRA,
les élus locaux, les associations, et les employeurs qui les accompagnent au
quotidien.
Bien sûr, nous devons donner à toutes les personnes
arrivées légalement, les moyens d’une intégration digne et complète.
Certaines difficultés existent encore, notamment en
termes d’insertion professionnelle. J’y reviendrai.
Voilà, Mesdames et Messieurs les sénateurs, quels sont
les faits concernant l’immigration légale.
Mais le principal enjeu, ça n’est pas tant la
situation de ceux à qui nous avons délivré un titre, que celle des personnes
qui se maintiennent sur notre territoire sans y avoir droit.
Ces personnes ne sont pas éligibles à l’asile. Il leur
a souvent été explicitement refusé.
Pourtant le flux de demandes augmente nettement ces
dernières années. Et celles et ceux à qui nous n’accordons pas la protection
restent encore trop fréquemment sur notre territoire.
Souvent victimes de passeurs qui leur promettent
l’Eldorado et mettent en danger leurs vies, la plupart d’entre eux vivent dans
la grande précarité, sans disposer du droit à travailler, et parfois, sombrent
dans la délinquance.
Face à ce défi, les amateurs de solutions toutes faites
sont nombreux.
On trouve les partisans du « y a qu’à faut qu’on »,
qui voudraient renvoyer d’un coup d’un seul, l’intégralité d’entre eux.
Oui, je souhaite que le droit et nos frontières soient
respectés.
Oui, je souhaite des éloignements rapides et efficaces
des personnes en situation irrégulière.
Mais non, on ne peut pas prétendre que les choses
soient si simples, comme si nous pouvions nous affranchir de l’indispensable
coopération des pays d’origine et des règles de l’Etat de droit.
De l’autre côté, certains appellent à des opérations
de régularisation massive.
Je le dis aussi clairement : il n’en est pas question.
Nous ne créerons pas de tel précédent, qui ne
règlerait pas les difficultés des personnes concernées, qui donnerait des
arguments aux passeurs, et qui ne serait ni accepté ni acceptable par les
Français.
Pour notre part, nous voulons prendre le sujet à bras
le corps et proposer des solutions utiles et efficaces.
Je crois que nous pouvons nous retrouver sur une
préoccupation commune : éviter que des étrangers restent durablement dans une
situation indéterminée, qui ne serait ni le droit au séjour, ni l’éloignement.
Aussi, nous voulons clarifier beaucoup plus vite la
situation des étrangers arrivés sur notre sol.
D’une part, nous voulons accélérer les procédures
d’examen des demandes d’asile et du droit au séjour pour lutter contre les
pratiques dilatoires.
Et, d’autre part, une fois la situation clarifiée,
nous souhaitons éloigner plus rapidement ceux qui doivent l’être.
Quant aux personnes qui ont vocation à rester, nous
voulons engager plus tôt les actions pour réussir leur intégration, d’abord par
la langue et par l’emploi.
Ces principes sont les grands axes de travail du Gouvernement.
Ce sont des objectifs qui, je le crois, peuvent
rassembler largement, en particulier au Sénat.
Car je sais pouvoir trouver sur ces bancs des
partenaires pour construire ce texte ensemble.
Les constats que vous avez formulés dans votre rapport
d’information, et qui faisaient l’objet d’un large consensus parmi les groupes
au Sénat, Monsieur le Président Buffet, nous les partageons.
Le projet de loi que présentera le Gouvernement
reprendra ou s’inspirera de bon nombre de vos propositions, pour celles qui
relèvent du domaine législatif.
Nous en mettrons d’autres en œuvre : je pense à celles
qui concernent l’indispensable amélioration de l’accueil en préfecture et des
modalités de recueil et de traitement des demandes de titres de séjour.
J’y reviendrai – et le ministre de l’Intérieur
également.
Je retiens cette volonté de travail commun.
Cette volonté de bâtir des solutions, au-delà des
clivages et des postures.
Et c’est pourquoi, comme pour la loi d’orientation et
de programmation du ministère de l’Intérieur, je vous confirme que nous
examinerons le futur projet de loi, d’abord au Sénat.
Je souhaite ainsi, que nous puissions bâtir une
majorité solide sur ce texte, en nous appuyant notamment sur l’important
travail déjà réalisé par les sénateurs sur ces sujets migratoires.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Comme l’a dit le Président de la République, nous
devons déployer une action complète, cohérente et efficace, en amont des flux
migratoires et après l’arrivée sur notre territoire.
Nous voulons d’abord prévenir les départs irréguliers,
en contribuant, grâce à notre aide publique au développement, à traiter les causes
profondes des migrations que sont la pauvreté et, de plus en plus, les effets
du dérèglement climatique.
Ensuite, nous devons mieux protéger nos frontières.
Pour y parvenir, notre premier levier d’action est
européen.
Pendant la Présidence française du Conseil de l’Union
européenne, nous sommes parvenus à plusieurs avancées autour du pacte sur la
migration et l’asile :
-en particulier pour rendre plus efficaces les
contrôles à l’arrivée en Europe ; -et pour renforcer le mécanisme de solidarité pour les
États de première entrée, dans le respect du droit maritime.
Nous devons maintenant continuer.
Nous poussons pour un renforcement des moyens de
Frontex et pour une réforme de l’espace Schengen.
Nous voulons également consolider le système d’asile
européen.
C’est aussi à l’échelle européenne, que nous lutterons
plus efficacement contre les réseaux de passeurs.
Le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN, la
ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine COLONNA, et la
secrétaire d’Etat en charge de l’Europe, Laurence BOONE, sont pleinement
mobilisés en ce sens.
Le deuxième moyen d’action, c’est au niveau national
en renforçant le contrôle à nos frontières et en accélérant les procédures.
En novembre 2020, le Président de la République a
annoncé le doublement des effectifs à nos frontières.
Les résultats sont là : 10 000 refus par mois ont été
prononcés en 2021, contre 3 000 début 2020, avant le Covid.
Ensuite, nous devons accélérer les procédures d’examen
des demandes d’asile.
Dans ce domaine, des progrès ont été réalisés dans le
précédent quinquennat. Les délais de l’OFPRA ont considérablement diminué mais
ceux des procédures contentieuses sont encore trop longs.
Au total, le délai moyen de traitement d’une demande
d’asile est encore de l’ordre d’un an.
Nous devons donc accélérer et viser un délai global de
6 mois pour l’ensemble de la procédure.
Nous voulons notamment réformer le contentieux des
étrangers.
Pour le réduire et le simplifier, nous voulons passer
de 12 procédures contentieuses à 4, suivant en cela les recommandations du
Conseil d’Etat et du rapport d’information du Président BUFFET.
Le ministre de l’Intérieur y reviendra et travaille
également avec le ministre de la Justice, Éric DUPOND-MORETTI à une réforme de
la Cour nationale du droit d’asile.
Enfin, nous voulons éloigner plus systématiquement et
plus efficacement les personnes déboutées du droit d’asile.
Nous devons augmenter nos capacités en centres de
rétention administrative.
Et, nous continuerons à agir dans nos relations
bilatérales avec les pays qui refusent de réadmettre leurs propres
ressortissants.
Par ailleurs, nous devons être intraitables avec les
étrangers délinquants, même en situation régulière.
S’engager dans la délinquance, c’est se placer en
dehors de notre communauté nationale.
C’est porter une grave atteinte à notre pacte social
et à nos compatriotes.
C’est également nuire à tous les étrangers qui vivent
en France et qui construisent paisiblement des parcours d’intégration réussis,
dont on ne parle pas.
Grâce à l’action déterminée du ministre de l’Intérieur
et des préfets, plus de 3 000 étrangers auteurs de troubles à l’ordre public
ont été éloignés en 2021 et 2022.
Enfin, sous le contrôle du juge et dans le respect de
nos engagements conventionnels, des mesures d’expulsion doivent désormais
pouvoir être prises contre les étrangers, quelle que soit leur situation, qui
commettent des infractions graves.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Je le disais, nous portons une vision équilibrée.
Si nous voulons que ceux qui ne doivent pas rester
partent, c’est aussi pour pouvoir mieux intégrer ceux que nous accueillons.
Cela passe d’abord par une refonte en profondeur de
l’accueil en préfecture pour les démarches de renouvellement des titres des
étrangers en situation régulière.
Nous devons éviter les pertes de droits, notamment
d’emploi, que peuvent connaître certaines personnes faute d’accès au guichet.
Pour les demandeurs d’asile, nous devons aussi
continuer à renforcer nos capacités d’hébergement.
En cinq ans, nous les avons déjà augmentées de plus de
36 000 places.
Enfin, le pivot de notre politique d’intégration,
c’est le travail.
Dans un pays dont le taux de chômage est de 7,3%, nous
devons d’abord chercher à pourvoir les postes vacants en proposant ces emplois
à nos ressortissants et aux personnes en situation régulière.
Le taux d’emploi des immigrés en France est neuf
points plus faible que celui de l’ensemble de la population. Nous devons
travailler à réduire cet écart.
Ensuite, si les employeurs ne sont pas parvenus à
trouver la main d’œuvre dont ils ont besoin, ils peuvent la faire venir de
manière légale.
Un employeur peut toujours solliciter une autorisation
de travail, s’il démontre qu’il n’a pas pu pourvoir le poste en déposant une
offre auprès de Pôle Emploi.
Pour certains métiers, particulièrement en tension,
l’employeur est même dispensé de cette justification.
Nous avons simplifié ces dispositifs en 2019 pour
mieux répondre aux besoins.
Enfin, la question de la régularisation peut se poser
pour des personnes en situation irrégulière, présentes sur notre sol depuis des
années, et qui travaillent depuis longtemps.
Ce sujet mérite mieux que des caricatures : il ne
s’agit en aucun cas d’une régularisation massive, ni de laisser penser que la
régularisation serait la réponse aux tensions sur le marché du travail.
Il s’agit de régulariser certaines personnes, qui
contribuent depuis longtemps à la richesse nationale, mais qui subissent
parfois des conditions de travail indignes et restent enfermés dans un statut
précaire.
Le ministre du Travail, Olivier DUSSOPT, y reviendra
plus en détail.
Enfin, Mesdames et Messieurs les sénateurs,
s’intégrer, c’est parler la langue de la République.
Alors, que nous proposons des cours de langue dès
l’arrivée sur le territoire, nous souhaitons qu’un niveau minimal de Français
soit désormais imposé pour obtenir des titres de séjour de plus d’un an.
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
J’ai tracé devant vous les grands principes de notre
action.
Une action fondée sur la volonté d’équilibre et la
recherche d’efficacité.
D’abord, agir sur les causes profondes de
l’immigration, en lien avec les pays d’origine et de transit.
Assurer ensuite le respect de nos frontières et de
notre droit, par des procédures plus rapides et des mesures d’éloignement mieux
appliquées.
Et donner, enfin, à celles et ceux que nous
accueillons les moyens d’intégration pleine, entière et réussie. Car
l’intégration, c’est bien la finalité de toute notre politique migratoire.
Autour de ces principes, je suis et je reste
convaincue que nous pouvons construire des réponses ensemble.
Je sais que le Sénat, fidèle à sa volonté de dialogue
et d’action, y prendra, avec nous, toute sa part.
Télécharger le discours de la Première ministre Élisabeth Borne