Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
54ème édition de la conférence sur la sécurité de Munich
Munich, samedi 17 février 2018
Je ne sais pas si le monde est plus incertain aujourd’hui qu’il ne l’était il y a 50 ans, d’abord parce que je n’étais pas là il y a 50 ans et ensuite parce que fondamentalement, je crois qu’il est dans la nature du monde d’être incertain, dans la nature du monde comme dans la nature de notre avenir d’être incertain.
Ce dont je suis certain, c’est que les menaces aujourd’hui à l’œuvre se sont renouvelées, transformées. Je peux en témoigner, je suis né en 1970 et au fond, j’ai connu dans ma vie successivement l’équilibre de la terreur, la soi-disant fin de l’histoire et l’espérance des dividendes de la paix, puis l’émergence d’un monde multipolaire avec l’affirmation de nouvelles puissances et de nouveaux rapports de force, en particulier en Asie, la violence du terrorisme aussi contre nos sociétés démocratiques partout dans le monde mais aussi sur nos territoires, dans nos sociétés occidentales et européennes.
Ce qui me frappe aujourd’hui et je voudrais m’en tenir là s’agissant du constat, c’est la multiplication des déséquilibres. L’accroissement des inégalités d’abord, le développement de conflits asymétriques entre toutes sortes d’Etats, des Etats puissance, des Etats déchus et des organisations terroristes, la multiplication des crises régionales qui génèrent de très importants flux migratoires, le recours à la force de plus en plus décomplexé et le dédain de plus en plus grand, de plus en plus flagrant des normes de la vie internationale.
Ce sont les menaces de ma génération, celles qui planent sur mon pays. Ces menaces ne sont pas lointaines, elles sont proches, elles ne figurent pas comme c’est souvent le cas en Europe dans des manuels d’histoire. Elles ont frappé hier au cœur de l’Europe, au cœur de Paris, au cœur de Bruxelles, de Barcelone, de Berlin, de Stockholm. Elles ont frappé le cœur et les esprits de plus de 500 millions d’européens et au-delà, de tous ceux qui regardent l’Europe avec un œil proche ou amical.
Au mois de mai 2017, les Français avaient un choix politique dans le cadre de l’élection présidentielle. Et ils ont fait le choix du mouvement et de la transformation. Le choix assumé d’une ouverture sur le monde, celui d’une forme de responsabilité dans le concert des nations.
Ils ont aussi de façon très explicite fait le choix de l’Europe, pas de n’importe quelle Europe bien entendu, pas simplement, pas seulement d’un grand marché mais aussi peut-être celui d’une Europe qui les protègerait contre les conséquences néfastes de la mondialisation car il y en a. Des choix extrêmement clairs que le président de la République et moi-même mettons désormais en œuvre tous les jours, en France bien sûr mais aussi à l’extérieur.
Face au déséquilibre que j’ai évoqué, notre objectif est de transformer la France pour la rendre plus forte, pour lui redonner sa crédibilité à travers une stratégie adaptée aux menaces, durcie, diversifiée, dispersée à certains égards que j’évoquais à l’instant.
Cette stratégie, elle s’appuie sur trois piliers, un pilier militaire d’abord. Vous le savez, la France a décidé de porter son effort de défense à 2 % de son produit intérieur brut d’ici 2025. C’est un effort important, d’autant plus important qu’il s’effectue dans un contexte de maîtrise, de forte maîtrise même de nos dépenses publiques. Mais c’est un effort nécessaire, inscrit dans la loi pour une nation dont les forces sont engagées sur un très grand nombre de fronts où elles paient le prix du sang : au Levant, au Sahel avec plus de 4.000 hommes dans l’opération Barkhane mais aussi sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle qui permet la sécurisation des lieux d’affluence et des lieux sensibles de notre territoire.
Le deuxième pilier de cette stratégie, c’est l’aide publique au développement. Une aide dont nous allons porter le montant à 0,5 % de notre revenu national brut en 2022, avec une priorité très forte en faveur de l’Afrique et, ce, dans un contexte de crise migratoire auquel – reconnaissons-le – l’Europe ne s’était pas préparée. C’est le sens du plan d’action international que nous avons mis en place avec l’Allemagne, avec l’Italie, avec l’Espagne, avec les pays européens prêts à contribuer pour réduire le flux migratoire à la source, en travaillant directement avec les pays de départ et avec les pays de transit.
Le troisième pilier c’est l’engagement européen, la France contribue directement à la sécurité de l’Europe et à celle de ses alliés. À l’est, avec le déploiement d’avions de chasse et de forces terrestres dans les pays baltes, en particulier en Estonie où j’ai effectué mon premier déplacement à l’étranger en tant que Premier ministre, geste nécessaire pour manifester notre solidarité avec ces Etats à la suite de l’annexion de la Crimée. Et aujourd’hui en Lituanie, au sein d’un bataillon sous commandement allemand. Au sud, en Afrique, au Moyen-Orient où persistent de graves menaces pour la sécurité européenne.
Et permettez-moi de saisir cette occasion pour saluer l’engagement à nos côtés au Sahel de nos partenaires mauritaniens, maliens, burkinabés, nigériens et tchadiens.
Je l’ai dit, les menaces auxquelles nous faisons face, elles nous ont frappées au cœur. Et quand je dis nous, je ne parle pas uniquement en tant que Français mais en tant qu’Européen bien entendu, en tant que citoyen français né en France mais aussi en tant que citoyen français ayant vécu et passé son baccalauréat à l’âge de l’adolescence ici, en Allemagne. Parce que toutes les villes que j’ai évoquées, nous français, allemands, italiens, espagnols, nous les connaissons bien. Nous les avons visitées, nous y avons séjourné, nous y avons des amis, de la famille, au fond ces villes c’est chez nous, tous ici.
C’est pourquoi l’Europe toute entière se retrouve face à elle-même et au pied du mur. Elle prend conscience que l’Europe de la défense ne peut plus se limiter à être un sujet de colloque, mais qu’elle répond à une nécessité très pratique. Une nécessité qui implique de répondre à trois pré-requis. D’abord disons les choses franchement, si l’Europe de la défense ne s’accompagne pas d’un engagement opérationnel plus important des Etats membres, elle demeurera très longtemps un sujet de colloque.
Il ne s’agit pas de faire l’Europe à la place des États, mais de faire l’Europe avec ces États. Je n’ai pour ma part jamais été un adepte fervent des théories de Léon TROTSKY, mais enfin que voulez-vous, il faut bien lui reconnaitre le sens de la formule parfois. Et je me permettrai donc de lui emprunter celle-ci : si l’Europe ne s’intéresse pas à la guerre, la guerre (elle) ne manquera pas de s’intéresser à l’Europe.
Deuxième pré-requis, l’Europe doit apprendre l’interdépendance, ce qui n’est pas facile. Quand durant de nombreuses années, c’est un peu le monde qui a vécu à l’heure européenne, mais c’est ainsi. Nous vivons désormais à l’heure des tensions en Afrique, au Moyen-Orient et de plus en plus en Asie. Notre baromètre réagit aux tensions ou au contraire au réchauffement, même par un froid polaire, de la péninsule coréenne. Avec son gigantesque projet de nouvelle route de la soie, la Chine s’est emparée de la flèche du temps, l’Europe ne doit pas, ne peut pas la regarder passer suivant les normes qui seront retenues, ce sera un projet de civilisation, de prospérité ou au contraire un projet de déséquilibre.
Troisième et dernier pré-requis, l’Europe doit rester fidèle à elle-même. Fidèle aux valeurs qu’elle défend et dont la violation lui a naguère coûté des millions de morts et de profondes cicatrices. Fidèle aux valeurs de démocratie et de respect de l’Etat de droit que les mouvements populistes tentent de battre en brèche. Fidèle à son génie, à sa passion pour l’intelligence et la raison, une passion qui se traduit aujourd’hui par sa présence aux avant-postes de combat technologiques, notamment l'action contre les fausses informations et les cyber-menaces.
Alors tout cela m’amène à un troisième et dernier choix, celui de l’engagement européen. L’Union européenne a ouvert plusieurs des options qu’offre le traité de Lisbonne pour, à terme, développer une autonomie stratégique. Ce travail collectif a permis d’avancer sur deux axes fondamentaux : les moyens, c’est le Fonds européen de défense ; et la méthode, c’est la coopération structurée permanente. Deux axes qui doivent nous aider à tendre vers une culture stratégique commune, condition indispensable d’une défense plus intégrée.
Nous devons construire cette Europe de la défense et je voudrais dire un mot pour nous inviter collectivement à l’ambition et à la constance, malgré les soubresauts politiques que nous vivons. Malgré le Brexit, nous comptons sur la communauté d’intérêt qui nous unit au Royaume-Uni, pour que le lien étroit noué entre nos deux pays soit maintenu et même renforcé.
Cette Europe de la défense, nous la construirons également en tirant tout le parti du savoir-faire de l’OTAN. Et je voudrais, mesdames et messieurs, que nous arrêtions les querelles théologiques stériles. Une OTAN forte c’est une Europe de la défense plus affermie, de même qu’une Union européenne responsable c’est un atout pour une alliance militaire comme l’OTAN.
Et la France entend jouer un rôle actif au sein de l’Alliance atlantique, alliance nucléaire autant que conventionnelle. La France, comme elle l’a toujours été, se tiendra évidemment au côté de ses alliés de l’OTAN.
Au moment de clore ce propos, je voudrais dire ma conviction que cette prise de conscience est celle des Européens, elle est celle de notre solidarité. Une solidarité qui se fonde sur une vieille histoire souvent tragique, mais aussi sur des vieilles valeurs souvent glorieuses.
Les Européens qui ont compris que dans ce monde en perpétuelle recomposition et à très haute intensité technologique, l’Europe partageait plus qu’une communauté très puissante d’intérêts et, au mieux, une véritable communauté de destin.
C’est un destin qu’il nous appartient d’écrire ensemble et je vais terminer mon propos sur une citation, puisque nous sommes à Munich, d’un grand soldat et d’un grand écrivain allemand qui a servi d’abord dans la Légion étrangère française et, ensuite pendant deux guerres mondiales, dans l’armée allemande. Un écrivain dont nous célébrons aujourd’hui le 20 ème anniversaire de la mort, Ernst JUNGER qui disait dans un petit essai qui s’intitule « La paix » : l’Europe dispose de la formidable force de résistance de son histoire et du trésor de son patrimoine qui n’est pas simplement un musée de l’esprit et de l’art, mais qui continue d’inspirer les hommes.
Mesdames et Messieurs, soyons inspirés.