Hôtel de Matignon, vendredi 9 février 2018
Seul le prononcé fait foi
C’est un plaisir de vous retrouver en présence de Madame la ministre du Travail, de Monsieur le ministre de l’Education nationale, de Madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ; et peut-être encore plus un plaisir parce que nous allons évoquer aujourd’hui le sujet passionnant, essentiel à mon avis de l’apprentissage et de sa transformation.
Nous avons en la matière formulé une ambition et une méthode. L’ambition est générale : c’est à la fois réparer le pays, tenir les engagements qui ont été pris par le président de la République pendant sa campagne et permettre de transformer le dispositif actuel d’organisation et de fonctionnement de l’apprentissage, pour en faire un élément clé. La meilleure des solutions peut-être pour lutter contre le chômage des plus jeunes et mettre un terme à la situation choquante qui prévaut dans notre pays d’un apprentissage qui fonctionne bien mais pour peu d’apprentis et qui pourrait fonctionner bien mieux alors que dans des pays comparables il atteint les objectifs que je viens d’indiquer. Donc beaucoup d’ambitions pour l’apprentissage.
Et puis une méthode qui est celle qui a été là encore fixée par le président de la République, que nous avons rappelée avec Madame la ministre du Travail dès le mois de juin dernier, dès avant les élections législatives. Celle qui consistait à dire que dans un premier temps, nous nous organisions pour avancer sur la réforme du droit du travail par ordonnance. Dans un deuxième temps, nous engagions une période de concertation, de discussions, de négociations intenses sur les sujets : apprentissage, formation professionnelle, assurance-chômage. Cette phase a été engagée à la fin du mois d’octobre dernier, et nous avions indiqué qu’elle irait à son terme pour le printemps 2018. Et puis dans un troisième temps, plus tard viendra la question des retraites.
Nous sommes dans cette deuxième phase conformément au calendrier qui a été indiqué, conformément à la méthode qui a été proposée. Et nous venons aujourd’hui indiquer quels sont les points sur lesquels nous allons organiser la réforme de l’apprentissage en France, ce sur quoi après un long travail de discussions, un long travail d’écoute nous considérons que nous pouvons indiquer la position, non pas terminale car il y a encore beaucoup de choses à dire et beaucoup de choses à affiner, mais les éléments qui constituent l’architecture d’ensemble du futur dispositif de l’apprentissage.
Dans le dossier de presse qui vous sera remis dans quelques instants, vous ne manquerez pas d’être attiré par une page très claire qui indique au moins 10 raisons pour lesquelles il faut transformer l’apprentissage. Je voudrais en citer 3 en forme de chiffres, parce que je trouve qu’ils sont éloquents sur la nécessité qui s’impose à nous.
1,3 million de jeunes français dans notre pays n’ont pas d’emploi sans pour autant être en formation. Ils ne sont ni dans l’emploi ni dans la formation.
7 apprentis sur 10 trouvent un emploi dans les 7 mois qui suivent leur formation. L’apprentissage ça marche donc très bien, en termes de capacité à insérer durablement un jeune ayant bénéficié d’une formation dans le monde du travail. Les résultats sont très positifs. Mais seulement 7 % des jeunes français sont en apprentissage contre 15 %, le double dans les pays européens qui ont les meilleurs résultats en matière de lutte contre le chômage et d’emplois des jeunes.
Autrement dit, on voit bien que la caractéristique essentielle du dispositif français, c’est qu’on a un instrument qui donne de bons résultats, mais qui fonctionne beaucoup trop peu et qui a une image et probablement des modalités de fonctionnement qui ne sont pas encore satisfaisantes pour répondre à un besoin qui, lui, est considérable.
Au fond ce que je dis, tout le monde s’accorde assez volontiers à la reconnaitre. L’idée que l’apprentissage est une voie d’excellence en termes d’insertion professionnelle est une idée qui est affirmée, répétée, réaffirmée depuis longtemps.
Mais derrière le consensus, derrière l’idée qui semble une idée acceptée, on constate que le recours à l’apprentissage, le recours à cette forme de formation en alternance stagne. Et à la vérité, si l’apprentissage ne s’était pas développé massivement dans l’enseignement supérieur, comme le sait parfaitement Frédérique VIDAL, le chiffre global de l’apprentissage, les chiffres globaux auraient eux diminué lourdement.
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le système actuel patine, ça veut dire que le système actuel s’embourbe parce qu’il souffre d’une trop grande complexité peut-être propre à notre pays, parce qu’il souffre d’une image peut-être trop ancienne, ne correspond pas à la réalité ni de ce que sont les métiers ni de ce qu’est la formation par l’apprentissage. Il faut donc – c’est la conviction du gouvernement, c’était la conviction du président de la République pendant sa campagne – sortir du statu quo actuel et transformer très profondément le dispositif de notre pays.
Nous avions indiqué quel était notre objectif, nous avons chargé Madame Sylvie BRUNET qui est une ancienne DRH, professeur dans l’enseignement supérieur, présidente de la section du travail et de l’emploi au Conseil économique, social et environnemental d’une mission d’abord de réflexion et aussi d’animation du débat. Je voudrais la remercier très sincèrement, très chaleureusement de son travail qui a été intense. Et comme ce travail l’a placée au centre de toutes les contradictions parfois du dispositif actuel, je suis certain qu’elle en conservera un souvenir très vif. Mais vraiment, je la remercie très chaleureusement.
Il y a eu énormément de réunions, énormément de sous-groupes autour de thèmes : le parcours de l’apprenti, le rôle des entreprises, la gouvernance du dispositif, le financement du dispositif, l’offre de formation. Et un très grand nombre d’interlocuteurs, qu’ils soient syndicats de salariés, organisation patronale, représentants des régions, organismes consulaires, centre de formation qui ont fait valoir leurs propositions, qui ont fait valoir parfois leurs objections, leur priorité, leur ligne rouge, mais qui ont tous partagé l’idée que nous devions améliorer le système.
Cette concertation, elle a donc été riche et comme disent les diplomates, elle a été animée, franche, souvent directe. Et je vais vous dire, c’est très bien ainsi parce que c’est le cœur d’une bonne discussion, parce que ça veut dire que tout ce qui a besoin d’être exprimé est bien exprimé. Et cette richesse de la discussion, cette vivacité de la discussion, elle nous a permis de bien travailler et elle nous a permis de définir toute une série de décisions, de points d’ancrage de la réforme, d’architecture générale.
Il y a encore beaucoup de travail à faire, on vous le dira, beaucoup de discussions pour finaliser les détails qui sont souvent importants d’ailleurs. Mais au fond si je devais résumer la réforme, je la résumerai autour de 3 idées qui sont des idées simples. La première c’est que nous voulons donner au monde professionnel une place centrale dans le fonctionnement de l’apprentissage. C’est la marque des systèmes qui fonctionnent chez nos voisins, c’est quand même souvent comme ça que les systèmes étrangers qui fonctionnent bien sont organisés. Et donc nous voulons faire en sorte que le contenu des enseignements soit défini par un partenariat efficace entre les branches professionnelles et l’éducation nationale.
Que le monde professionnel puisse ouvrir les centres de formation là où existent effectivement des besoins sur le marché du travail ; et que chaque contrat d’apprentissage puisse – dès lors qu’il est envisagé entre une entreprise et un apprenti – être financé pour qu’aucun élément financier ne soit une forme de limitation du recours à l’apprentissage.
Deuxième idée forte, libérer, déverrouiller les capacités de développement de l’offre d’apprentissage en réformant le mode de financement. Je reconnais volontiers que le dire comme ça, c’est parler beaucoup de tuyauterie, de mécanique, c’est dire quelque chose qui apparait peu dans le débat public et dans l’offre d’apprentissage. Mais c’est essentiel parce que le système actuel ne fonctionnait pas correctement ; et ça a été un sujet sensible de la discussion mais là encore, nous sommes clairs, nous allons adopter un mode de financement au contrat avec là encore une idée simple.
Lorsqu’il y aura un jeune et une entreprise qui veulent recourir à un contrat d’apprentissage, ça donnera lieu à un contrat et un financement complet de l’opération. Tous les contrats seront financés dans tous les secteurs, quelle que soit la taille de l’entreprise. Ce que nous ne voulons pas, ce dont nous ne voulons plus c’est que la recherche d’une entreprise par un jeune ne se heurte plus au problème du financement du contrat.
Alors ça ne veut pas dire du tout que nous abandonnerons les logiques liées à l’aménagement du territoire. Un certain nombre de dispositifs ont été envisagés et seront présentés, pour bien prendre en compte l’ensemble des logiques. Mais là encore, c’est une avancée majeure, c’est à certains égards une révolution copernicienne en matière d’apprentissage.
Troisième idée forte et visible, renforcer l’attractivité de l’apprentissage pour les jeunes et pour les entreprises. Sur le sujet du statut des apprentis, nous avons pu avancer à la fois sur l’identification plus précise des règles souvent trop rigides en matière de droit du travail ; et sur la nécessité de valoriser le parcours des jeunes et d’attirer davantage vers l’apprentissage.
Nous aurons donc là aussi des propositions très concrètes pour revaloriser la rémunération des apprentis, pour simplifier le dispositif d’aide existante pour les entreprises, en les réunissant dans un seul système beaucoup plus efficace ; pour simplifier toute une série de règles de droit qui freinent les PME dans le recrutement des apprentis ; et puis pour donner plus d’informations aux jeunes et aux familles avec cette question de l’organisation, de l’orientation et du fonctionnement de ce besoin indispensable pour expliquer aux jeunes quels sont les métiers, quelles sont les formations à leur disposition.
Voilà ce que je voulais dire sur le cadrage général de la réforme, Madame la ministre du Travail va présenter la presque trentaine de mesures qui sont au cœur de ce nouveau dispositif.
Un mot sur le calendrier, nous allons en la matière – comme dans d’autres d’ailleurs – faire comme nous avions dit que nous allions faire, c'est-à-dire que l’objectif c’est de présenter en Conseil des ministres un projet de loi à la mi-avril, projet de loi qui sera évidemment relatif à l’apprentissage, mais aussi aux deux autres sujets dont nous ne parlerons pas aujourd’hui parce qu’ils sont en cours de discussion, c'est-à-dire la formation professionnelle et l’assurance-chômage.
Je voudrais remercier la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et le ministre de l’Education nationale, parce que depuis le début dans cette réforme nous avons souhaité qu’elle soit conduite avec tous ceux qui ont en charge les questions de formation, depuis le plus jeune âge jusqu’au plus haut niveau. Nous considérons que la question de l’apprentissage, ça n’est pas simplement une question qui doit être gérée par la ministre du Travail. Elle a évidemment une place centrale dans ce dispositif et elle a évidemment conduit cette réforme, mais l’ensemble des ministres compétents doivent intervenir parce que c’est un travail d’équipe et parce que c’est un sujet qui exige une approche globale si on veut trouver des solutions.
Je vous remercie, je passe la parole à Muriel PENICAUD qui va vous présenter tous les aspects de cette réforme.