Discours à l'occasion de la remise des Étoiles Michelin

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 06/02/2018

Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
Remise des Etoiles Michelin 2018
Boulogne-Billancourt, lundi 5 février 2018
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et Messieurs,
Avec lui, la cuisine avait gagné droit de cité parmi les beaux-arts nationaux. Pourtant, quand on s’appelle Carême, vous m’accorderez qu’on n’est pas exactement prédestiné à enchanter les papilles de ses concitoyens. Mais Antonin Carême, cet enfant pauvre qui savait travailler et innover, a posé les bases de la cuisine moderne. Ce génie du « service à la française », bâtissait des pièces montées qui, à mon avis, devaient vous conduire assez efficacement au septième ciel.
Il y a quelques semaines, une figure tutélaire de la gastronomie est elle aussi partie « rejoindre d’autres étoiles que celles du guide Michelin ». Paul Bocuse, qui était un peu notre pape à tous, avait porté nos trois couleurs – celles des meilleurs ouvriers de France – partout dans le monde, de Tokyo à New York. Son sens du bon, du beau et des affaires lui avait permis de gagner, et surtout de conserver, le graal de la cuisine : les trois étoiles. Lyon était devenue sa capitale de la gastronomie – et Paris sa banlieue – mais toute la France le pleure aujourd’hui.
Ceci dit, pour partir sans regret, comme dernier repas, il imaginait dans son interview testament le pot-au-feu goûtu qu’il cuisinerait avec Carême, Escoffier, Point et la mère Brazier. Je vous rassure, je ne suis pas pressé de passer l’arme à gauche, mais si la clé du paradis consiste à partager un dernier plat avec eux, je serai prêt, le jour venu, à m’attabler en si belle compagnie. Je n’aurai qu’à ouvrir le guide Michelin et j’aurai l’embarras du choix.
Alors, en attendant mon dernier pot-au-feu, je suis très heureux, en ce jour de fête, de féliciter les plus hauts représentants de notre gastronomie nationale.
Car vous êtes chacune et chacun des ambassadeurs d'émotions, d’expériences inédites qui contribuent au rayonnement de notre culture française. Vous exercez et vous portez ce savoir-faire, ces talents, cette excellence dont nous avons besoin.
La restauration, comme l'économie en général, est une science humaine et morale. Ceux qui pensent qu’elle se réduit à des comptes ou à des chiffres ont tort. Car derrière chaque nombre, il y a des aventures humaines et derrière chaque plat, des histoires d'hommes et de femmes. Aucune diplomatie, aucun élan économique ne peuvent se déployer sans les artisans, j’ai envie de dire les artistes, qui leur apportent une énergie quotidiennement mobilisée. Ils mettent plus que leur cœur, ils consacrent leur vie au service de leur art.
Alors j’en connais la contrepartie : vos journées commencent tôt et finissent tard. La volonté de perfectionner à l'extrême un geste et la patience de le transmettre aux plus jeunes exigent un don – parfois un sacrifice – de soi quotidien. Le monde de la cuisine est impitoyable, concurrentiel, mais vous n’êtes pas de ceux que la difficulté rebute. Et quand vous avez acquis les honneurs, je sais que vous gardez l’angoisse de déchoir, de décevoir : on guette, sur les lèvres d’un convive, le sourire qui ranime la flamme de l’innovation et de l’émulation.
Alors le groupe Michelin a troqué, cette année, la traditionnelle conférence de presse pour une cérémonie en direct mais le guide, au fil des ans, est devenu un des lieux de mémoire de notre conscience collective. Il est l’une des méthodes les plus reconnues et les plus suivies – il y en a d’autres et toutes ont leurs avantages et leurs inconvénients – et je sais que vous y êtes attachés.
Il constitue aussi un puissant vecteur de notre influence à l’étranger. Il n’est pas rare que très loin, en Russie, en Asie, en Amérique, on m’annonce avec fierté avoir « une étoile Michelin, deux étoiles Michelin, trois étoiles Michelin ». On remet les Oscars à Hollywood, les Nobel en Suède, c’est à Rome qu’on élit les Papes… Et c’est bien à Paris qu’on peut célébrer les valeurs universelles de partage et de convivialité qui sont au cœur de la gastronomie française. Des petits bistrots aux grandes tables, notre art de vivre n’en finit pas d’enchanter. On nous l’envie, partout dans le monde. Mais on aurait tort de considérer comme acquise la place de la France sur la scène gastronomique mondiale.
On aurait tort d’ignorer que l’excellence de notre gastronomie exige un effort continu. Se reposer sur ses lauriers, vous ne mangez pas de ce pain-là. Car c’est là que l’attention baisse, que les erreurs sont commises, que l’arrogance pointe.
Dès lors, une première initiative collective avait été lancée, en 2014, avec le label « Good France », auquel je sais que plusieurs d’entre vous ont participé et participent encore cette année. Le retentissement a été national et a replacé le secteur au cœur des politiques publiques à un moment où certains classements internationaux l’avaient fragilisé. On disait que la France avait cédé au goût des autres. Or, vous le savez et vous l’illustrez parfaitement, ressembler aux autres n’est pas une fin en soi : quand on s’ouvre aux autres, c’est pour s’inspirer du meilleur et explorer son identité, dans la diversité.
Et cette diversité constitue une chance autant qu’un défi pour l’action collective. Pour mettre en œuvre ce plan « Good France », comme l’a souhaité le Président de la République, le gouvernement a donc débloqué 1,5 million d’euros pour cette année. C’est une première, car nous voulons vous aider à porter vos visages et nos terroirs à l’étranger.
De fait, si nous misons sur ce plan, c’est aussi parce que la gastronomie permet de découvrir nos terroirs et à travers eux notre territoire. Je serai bref mais souvenez-vous de la cuisinière Françoise, dans À la recherche du temps perdu : quand elle prépare son bœuf à la gelée, elle « attach[e] une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son œuvre » et va elle-même aux Halles « se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de bœuf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II. » ( À l’ombre des jeunes filles en fleurs ) La France est le pays de la gastronomie parce que nos cuisiniers, en grands artistes, bâtissent leurs œuvres sur les produits remarquables que leur fournissent nos terroirs.
La gastronomie joue donc un rôle moteur dans la promotion d’une alimentation plus locale et plus saine, plus durable et plus respectueuse des ressources de la planète. A quelque mois à peine du One Planet Summit qui s’est déroulé ici-même, dans cette salle, je sais que vous œuvrez toutes et tous en faveur d’une alimentation durable.
Et ce sommet a justement montré qu’au-delà des chefs d’Etat, les sociétés civiles s’engagent. On ne fait pas bouger les lignes avec les seuls Etats. Il faut des relais, à tous les niveaux. Il faut que les agriculteurs, avec lesquels vous travaillez au quotidien, qui vous fournissent vos produits, puissent vivre dignement de leur travail, par le paiement d’un prix juste. Cette grande cause nationale, que j’ai évoquée dans mon discours de clôture des Etats généraux de l’alimentation, implique de rompre avec une fascination pour le low cost qui uniformise les goûts et les pratiques.
Pour préserver la diversité des savoir-faire traditionnels, des gestes ancestraux, des appellations contrôlées, pour les transmettre et les faire-valoir, vous jouez le rôle d’« influenceurs », comme on dit aujourd’hui : vous ouvrez la voie en entretenant des relations respectueuses avec les terroirs, en soutenant les petits producteurs. Cette habitude sert une alimentation saine, qui doit rester abordable et préserver la planète. Et elle permet à nos populations d’être indépendantes au sens plein du terme, en gardant le privilège de choisir ce qu’elles vont manger.
Une équipe resserrée va être constituée dans le giron d’Atout France. Labelliser, fédérer, soutenir l’innovation sans jamais faire « à la place de », c’est ce qui a assuré le succès de la French Tech, créée en 2013. Toutes les initiatives seront placées sous le label « Good France / Goût de France » qu’Alain Ducasse, et je l’en remercie encore, a cédé à l’Etat.
Quelques grandes dates vont scander 2018, comme l’a annoncé le Président de la République. Le 21 mars, pour la 4 ème fois, un dîner à la française sera organisé partout dans le monde, avec le soutien de nos ambassades. En juin, un Davos de la gastronomie aura lieu à Paris pour que la France devienne le lieu où débattent les chefs, les commentateurs, les producteurs et les gourmets. En septembre, la fête de la gastronomie, rebaptisée « Goût de France » couronnera cette dynamique. Et en 2019, pour que la sauce prenne bien, tous ces événements seront organisés dans une même fourchette printanière. Il ne faudrait pas que l’élan retombe comme un soufflé raté.
Chers amis, entre la réception à l’Elysée des meilleurs restaurateurs français dans le cadre du Bocuse d’Or et ma présence parmi vous, aujourd’hui, pour la remise des étoiles Michelin, l’Etat prend l’habitude d’ouvrir ses portes au monde de la gastronomie. J’en suis personnellement ravi et je constate que mes équipes n’ont pas l’air de s’en plaindre.
Mais ne lâchez rien de vos ambitions parce que je suis convaincu que derrière vos efforts se joue l’avenir de notre culture, de nos producteurs et de nos jeunes. La noblesse de vos exigences, elle ne se mesure ni en argent ni même probablement en médaille mais dans la reconnaissance et l’admiration qu’expriment vos proches, vos clients et vos pairs. Mon admiration, celle du Premier ministre et du gourmet, et ma reconnaissance, elles vous sont acquises depuis longtemps et je ne compte pas attendre ma dernière heure pour venir savourer, sans bouder mon plaisir, un de vos délicieux pots-au-feu nationaux.
Je vous remercie.

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