Discours de M. Edouard PHILIPPE, Premier ministre
aux élus de la collectivité et aux représentants de la société civile
Saint-Martin, Marigot – Lundi 6 novembre 2017
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le préfet, madame la préfète déléguée,
Madame la députée, monsieur le sénateur,
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et messieurs,
En débutant mon intervention, j’ai encore en tête et dans le cœur tout ce que j’ai vu ce matin, en cette rentrée scolaire si particulière, dans cette brigade de gendarmerie dévastée, sur cette zone commerciale et maintenant dans la capitale de Saint-Martin. Je me souviens de ce que vous avez dit, cher président Gibbs, devant les membres du Gouvernement que j’avais réunis pour la troisième fois en comité interministériel pour la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, vous avez dit la chose suivante : « il y a quelques mois, j’ai accédé aux responsabilités avec un programme. Le 6 septembre m’a laissé face à une feuille blanche ».
Avec plusieurs ministres, je suis venu vous dire que l’Etat ne vous laisse pas seul devant cette feuille. Nous pouvons écrire l’avenir à quatre mains, nous pouvons apporter l’encre ou le stylo mais, ce que je sais, c’est que le partenariat entre l’Etat et la collectivité est central pour l’avenir de Saint-Martin. Une stratégie isolée de l’Etat, qui ne serait centrée que sur le contrôle, serait vouée à l’échec ; une démarche non concertée de la collectivité, qui ne prendrait pas en compte les exigences de transparence et de résilience, le serait tout autant. C’est un partenariat de confiance et d’exigence que je suis venu proposer.
L’Etat est solidaire de la collectivité parce que l’Etat et la collectivité, sont solidairement responsables de la construction de ce futur de Saint-Martin, qui doit être exemplaire à plus d’un titre.
Les membres du Gouvernement qui m’accompagnent – Annick GIRARDIN, ministre des outre-mer, présente dès le 7 septembre, Jean-Michel BLANQUER, ministre de l’éducation nationale, qui a accompagné le Président de la République lors de son déplacement moins d’une semaine après le passage d’IRMA, Laura FLESSEL, pour ce qui concerne le sport, Jean-Baptiste LEMOYNE, pour le secteur touristique, si important pour la collectivité, et Sébastien LECORNU, pour ce qui concerne les transports, les réseaux et l’aménagement – sont à mes côtés pour témoigner de l’engagement global et total du Gouvernement et de notre volonté de régler les difficultés.
Vous savez notre engagement collectif, le suivi que nous réalisons, avec le comité interministériel et le délégué interministériel Philippe GUSTIN. Eh bien, tous les deux mois, un membre du Gouvernement viendra ici, à Saint Martin, pour mettre en œuvre sur place la politique que nous conduisons.
La première manifestation de ce partenariat dans la solidarité, c’est l’accompagnement de votre collectivité.
L’Etat a accéléré le paiement de certaines dotations et va procéder à la compensation du dégrèvement des taxes foncières que vous avez décidé en septembre dernier. L’objectif est d’éviter les ruptures de trésorerie et de permettre à la collectivité de faire face à ses charges. C’est aussi ce sur quoi nous travaillons pour l’année 2018, compte tenu de la contraction des ressources fiscales de votre collectivité. Tout cela peut sembler un peu technique. Ça l’est mais cela représente plus de 62 M€ d’aides à la collectivité. Retenez simplement que nous bousculons toutes nos procédures pour aider Saint-Martin.
Ces aides s’inscrivent dans un cadre de relations entre l’Etat et la collectivité, qui passe par un pacte que nous venons de signer et qui assure les perspectives pour la collectivité et apporte les garanties nécessaires à l’Etat pour rendre compte de l’utilisation des sommes engagées.
Ce pacte comme toute convention prévoit des engagements réciproques. Ceux de l’Etat sont connus et affirmés à plusieurs reprises par l’Etat. Ils sont de deux natures :
- l’exemplarité de gestion des dépenses publiques, c’est-à-dire que l’Etat doit pouvoir rendre compte de l’emploi des deniers publics à la représentation nationale et aux juridictions,
- et l’exemplarité de la reconstruction, cela veut dire que nous ne pouvons pas reconstruire en faisant comme s’il ne s’était rien passé.
C’est donc dans un partenariat respectueux et exigeant que nous nous inscrivons, Etat et collectivité unis pour construire l’avenir de Saint-Martin.
Il est respectueux des prérogatives et des responsabilités de chacun. C’est-à-dire de la large autonomie voulue par la population de Saint-Martin. Respectueux aussi des missions de l’Etat au titre de la cohérence nationale des politiques publiques.
Respectueux et exigeant, cela signifie d’avoir parfois des désaccords. Je suis certain que nous en aurons, peut-être sur des permis de construire ou des décisions de reconstruction : les modalités de prise en compte de la nouvelle carte d’aléas, qui doit être actualisée après le passage d’IRMA, sera très certainement, comme dans tous les territoires, un motif de discussions. Peut-être aussi sur des choix de calendrier, de hiérarchie des priorités : cela sera très vraisemblablement même le lot quotidien de notre relation.
L’Etat va poursuivre son accompagnement de Saint-Martin pour appuyer les initiatives de la reconstruction.
Vous avez évoqué, cher Président, très rapidement après le passage d’IRMA, l’ampleur de la reconstruction dans tous les domaines, qu’il s’agisse de pertes d’activités, de reconstruction d’équipements et de réseaux comme des bâtiments publics et des logements, de mise à niveau de nombre d’infrastructures qui n’avaient pas évolué depuis de longues années. Une reconstruction, un rattrapage qui nécessitera plusieurs milliards d’euros.
La mission d’évaluation des dommages que j’ai commandée rendra prochainement ses conclusions. Elles serviront tout d’abord à appuyer la demande de concours exceptionnel auprès de l’Union européenne : je pense notamment au fonds de solidarité de l’Union européenne. Je pense aussi à la mobilisation d’autres fonds européens.
La mission nous guidera également dans nos travaux conjoints pour construire le plan pluriannuel d’investissement qui permettra de faire naître ce Saint-Martin exemplaire, à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique et surtout plus résilient. Nous savons que de telles catastrophes vont se renouveler : elles seront plus fréquentes, plus intenses mais aussi plus incertaines.
Un seul exemple, que nous avons vu ce matin : le stade de Quartier d’Orléans. Les dégâts sont significatifs et les coûts de reconstruction élevés. Or le stade est exposé directement aux risques naturels. Nous devons donc bien analyser les conditions de reconstruction et prendre en compte les risques : c’est le sens de la mise à jour de la carte des aléas pour Saint-Martin, qui actualise les données après le passage d’IRMA.
Certains s’étonnent qu’il n’y ait pas un plan de l’Etat de X milliards d’euros pour la reconstruction de Saint-Martin. Ce n’est pas ma manière de concevoir la politique ; ce n’est pas celle du Président de la République. Les outre-mer ont trop longtemps souffert de la maladie des annonces et du syndrome des promesses de tarmac : à Saint-Martin, plus qu’ailleurs, mon engagement est un engagement pragmatique, de vérité.
Mais ne pas annoncer de grands chiffres un peu théoriques ne doit pas faire oublier que l’Etat soutient financièrement Saint-Martin : nous mobilisons les lignes budgétaires existantes – dans un cadre interministériel – et nous mettons à disposition des financements au fur et à mesure des besoins, en procédant à des réaffectations ou en ouvrant les crédits. C’est ce que nous faisons pour cette fin de gestion et c’est ce que nous continuerons à faire en 2018.
Je vous donnerais un seul exemple du fait que nous sommes au rendez-vous : les seuls moyens mobilisés par les Armées ont représenté un coût pour l’Etat de 100 M€. Je ne le regrette pas, c’était notre devoir, mais je crois important de le mesurer.
Aussi je veux insister sur un point : l’accompagnement de l’Etat ne sera pas seulement financier ou budgétaire. Des expertises seront mobilisées dans les ministres ou chez les opérateurs pour accompagner la collectivité. L’Etat poursuivre aussi son dialogue avec les financeurs de la collectivité.
J’ai beaucoup parlé de la relation entre l’Etat et votre collectivité, cher Président. Je veux rapidement évoquer le cœur des missions de l’Etat, les compétences régaliennes. C’est-à-dire sur l’Etat qui protège.
Un effort considérable a été accompli pour la sécurité depuis le passage d’IRMA : j’ai pu le mesurer très concrètement ce matin, à la brigade territoriale de Quartier d’Orléans. Et je veux saluer les héros du quotidien de nos services publics qui sont intervenus après IRMA dans des conditions particulièrement difficiles.
Nous maintiendrons l’engagement renforcé des forces de sécurité, en particulier de la gendarmerie tant que cela sera nécessaire.
Par ailleurs, j’ai décidé de renforcer les moyens de la préfecture dans le champ de l’environnement, de l’aménagement et de l’urbanisme, et, aussi, pour la gestion de crise.
La préfecture de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy va donc avoir de nouveaux agents spécialisés pour suivre le plan de prévention des risques et faire le contrôle de légalité des actes d’urbanisme.
Il va également y avoir un petit état-major auprès de Madame la préfète qui va travailler sur la prévention des crises, la préparation de tous et, lorsque le risque survient, la gestion de crise.
Avec Sébastien LECORNU, nous avons aussi décidé d’implanter à St Martin une unité territoriale de la direction de l’aménagement, de l’environnement et du logement, pour assister au quotidien la préfète, en lien avec la DEAL et le préfet de la Guadeloupe.
Les compétences régaliennes de l’Etat, c’est aussi bien évidemment l’éducation.
Lors de son déplacement, quelques jours après le passage d’IRMA le Président de la République avait fixé comme objectif que les enfants de Saint-Martin puissent rentrer à l’école après les vacances de la Toussaint, le 6 novembre, c’est-à-dire aujourd’hui. Avec Jean-Michel BLANQUER, j’ai effectué une rentrée particulière, dans cette école de Quartier d’Orléans, qui certes a subi des dommages, mais qui peut accueillir dignement les enfants.
Je crois, cher Président, monsieur le recteur, que cette rentrée, qui n’est sans doute pas une rentrée ordinaire, ni pour les élèves, ni pour les enseignants, ni pour les autres membres de la communauté éducative, n’est pas pour autant une rentrée provisoire ou précaire.
Certes, il peut manquer des choses ici ou là. Parfois même il manque plusieurs établissements scolaires, ce qui a contraint les services de l’éducation nationale et la collectivité à transférer les cours dans des établissements qui avaient résisté, au prix d’une rotation des classes. Je remercie les services de l’Etat, madame la préfète déléguée, monsieur le recteur, et les services de la collectivité pour les actions engagées.
Ce matin de rentrée scolaire, l’essentiel était là, malgré les dommages, malgré les angoisses aussi. L’essentiel, c’est la volonté de transmettre et c’est le désir d’apprendre. J’ai pu le mesurer ce matin avec une équipe enseignante profondément engagée pour accueillir les enfants et leur délivrer les apprentissages qui leur permettront de grandir et de recommencer à vivre une vie normale.
J’ai aussi pu relever l’enthousiasme des enfants en cette journée de rentrée scolaire. On ne peut imaginer plus belle récompense et plus belle reconnaissance pour le travail qui a été mené.
Je voudrais dire un mot de l’aide pour les familles sinistrées. D’ici 10 jours, les services des finances publiques de la collectivité vont informer les milliers de bénéficiaires de cette aide. Nous allons innover, à la demande de la collectivité d’ailleurs, puisque ce dispositif fonctionnera avec une carte prépayée permettant de régler directement ses achats, avec un code, sans recourir à des versements numéraires. Cette carte prépayée bénéficiera aux familles les plus défavorisées, et atteindra 300 € par adulte et jusqu’à 900 € par foyer en fonction du nombre d’enfants.
Un mot de la situation économique de l’île dont vous m’avez parlé, cher Président, à plusieurs reprises.
Je ne reviendrai pas sur les mesures engagées dans l’urgence avec le ministère en charge du travail, notamment avec la simplification drastique des conditions de déclaration et de versement des aides dans le cadre du chômage partiel.
Je veux aussi insister sur la trésorerie de vos entreprises : nous avons pris des initiatives fortes en direction du monde bancaire – je pense notamment à la garantie spécifique pour les outre-mer dont les paramètres ont été adaptés à la situation des entreprises de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.
Nous sommes aussi en relation constante avec le secteur des assurances. Pour Saint-Martin, plus de 16 400 sinistres ont été déclarés : c’est une valeur estimée de 830 M€. L’Etat, notamment le délégué interministériel, dialogue avec les assurances : elles se sont engagées à des procédures rapides et simplifiées. Nous veillons au quotidien à ce que ce soit le cas ; comme d’ailleurs le fait la fédération française de l’assurance.
Je veux aussi souligner l’attention que nous portons aux entreprises dont un grand nombre doit faire un vrai pari sur le moment de la reprise. C’est le cas notamment du secteur du tourisme et des secteurs qui en dépendent.
Le Gouvernement accompagnera les entreprises dans ce pari de la reprise de l’activité touristique dans un an, soit en novembre prochain.
Pour cela, en complément de ce qui a été déjà décidé, le Gouvernement va déposer un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour accorder un moratoire renforcé aux entreprises de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
Le Gouvernement proposera ainsi d’inscrire dans la loi, un moratoire étendu jusqu’en novembre 2018. Mais que faire si en novembre 2018, l’activité touristique ne reprend pas avec assez de vigueur ? Le moratoire sera assorti d’une possibilité de différer le remboursement jusqu’au 1er janvier 2020 au plus tard, et d’étaler celui-ci sur cinq ans. L’amendement prévoira également la possibilité d’effacer 50 % de la dette sociale contractée sur la période.
Concrètement, les entreprises qui sont en difficulté ne paieront pas de charges sociales patronales jusqu’ à novembre prochain. Elles pourront les payer à partir de 2020 et en plusieurs fois sur cinq ans ; dans certains cas, une partie de ces charges pourra être effacée.
Cette disposition exceptionnelle est aussi juste. Elle est juste pour les entreprises confrontées à une perte de visibilité sur l’année qui vient. Elle est aussi juste pour les entreprises qui sont dans des secteurs qui reprennent vie comme le bâtiment et les travaux publics.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer les relations avec la partie hollandaise de l’île. C’est une question éminemment stratégique en cette période de reconstruction de l’île de Saint-Martin.
Dès le passage de l’ouragan IRMA, nous avons travaillé de manière très étroite avec les autorités des Pays-Bas. L’ambassadeur du royaume des Pays-Bas était présent à la cellule interministérielle de crise au ministère de l’intérieur ; il en est allé de même à La Haye.
J’ai également souhaité que cet enjeu soit pleinement intégré aux missions de la délégation interministérielle pour la reconstruction dirigée par le préfet Philippe GUSTIN, qui entretient des contacts réguliers avec son alter-ego nommé par le Gouvernement des Pays-Bas.
Comme bon nombre d’entre vous, je suis convaincu qu’une concertation et qu’une coordination plus étroites entre les deux parties de l’île sont nécessaires pour garantir le développement équilibré de Saint-Martin.
Cela ne remet nullement en question la responsabilité de chacun comme d’ailleurs sa souveraineté. J’ai signé cette semaine le décret qui fixe les frontières maritimes de la France à Saint-Martin notamment. Cet acte était nécessaire pour exprimer notre position au niveau international, comme l’avait d’ailleurs fait le Gouvernement des Pays-Bas.
Mais la coordination est vitale au moment où nous devons reconstruire des équipements structurants qui auraient une vocation naturelle à servir les deux parties de l’île.
Je sais que, monsieur le président, vous êtes attaché à ce renforcement de la coordination entre les politiques publiques des deux parties de l’île. Il faut poursuivre le dialogue à quatre pour aboutir à ce renforcement ; je sais que vous être très attentif à instaurer un cadre régulier de coordination entre les deux parties de l’île.
Toutes les urgences, je l’ai vu, ne sont pas encore réglées, mais la vie reprend. Elle reprend parfois doucement, parfois péniblement, mais elle reprend. Nous y travaillons, le président de la République, le président Gibbs et moi-même. Les services de l’Etat y travaillent, ceux de la collectivité aussi.
A côté de ce « temps de l’urgence » qui n’est pas totalement terminé, nous devons ouvrir celui, forcément plus long, de la reconstruction, le temps de la renaissance d’une île qui veut renouer avec l’avenir. Un avenir qui doit tenir compte des nouveaux risques auxquels la zone est confrontée. Parce c’est à la fois le droit des populations et notre devoir à nous, responsables publics, de tirer les leçons de ce qui s’est passé. En ce qui me concerne, je suis prêt, cher président, chers amis de Saint-Martin, à me retrousser les manches. Je vous remercie.