Discours d'Edouard Philippe - Présentation du Plan Etudiants
Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.
Publié le 30/10/2017
Madame la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Mesdames et messieurs,
Avant d’être ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, elle était présidente d’une université dynamique et je pense que pour appréhender ce sujet, pour le saisir, au-delà parfois des présentations tranchées qui prévalent en la matière, il faut le connaître intimement, connaître ses qualités, connaître ses atouts, connaître aussi ses dysfonctionnements et l’ensemble des acteurs de ce monde de l’Enseignement supérieur qui est à la fois complexe et décisif pour l’avenir du pays.
Durant la phase de concertation, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Monsieur le ministre de l’Education nationale ont rencontré l’ensemble des acteurs. J’ai moi-même avec eux rencontré les organisations étudiantes et les représentants des présidents d’université. J’ai entendu leurs inquiétudes sur le droit d’accès à l’enseignement supérieur, sur l’orientation telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, sur la possibilité pour les étudiants de choisir la filière dans laquelle ils voulaient s’inscrire, sur le manque de places disponibles, sur les difficultés matérielles qui peuvent venir percuter un parcours universitaire ou un parcours dans l’enseignement supérieur.
J’ai aussi entendu les messages sur la paupérisation d’une partie des étudiants, sur la dégradation de leur état de santé. Derrière ces inquiétudes formulées, j’ai parfaitement conscience qu’il y a celles de millions de familles qui savent que se joue pendant le moment de l’enseignement supérieur quelque chose de décisif, pour leurs enfants et qu’ils veulent évidemment la réussite la plus large possible de ces enfants.
Il faut bien reconnaître que l’épisode que nous avons connu entre le mois de juin et le mois de septembre, lié à l’inscription dans le premier cycle de l’enseignement supérieur, à la faillite ou en tout cas aux très graves dysfonctionnements dans le fonctionnement de la plate-forme APB, a fait douter nos compatriotes sur ce qui est au cœur de la promesse républicaine, c’est-à-dire la capacité à s’élever grâce à son travail, grâce à ses études, grâce à la réussite scolaire et universitaire. C’est pourquoi le plan que nous allons présenter aujourd’hui est un plan global, qui traite du sujet de l’accès à l’enseignement supérieur dans toutes ses composantes. Parce que pour réussir, notre conviction est qu’il faut se préparer le plus tôt possible même si ça n’est pas toujours facile, mais au moins dès le lycée pour s’orienter dans la bonne filière, celle qui correspond à ses goûts et à ses qualifications. Il faut aussi se sentir bien, se loger de manière convenable, faire face à des dépenses courantes, sans que les soucis matériels ne viennent trop perturber les études.
Avant de détailler les grands axes de ce plan, je voudrais revenir quelques minutes sur un constat. Au cours des cinquante dernières années, les inscriptions dans l’enseignement supérieur ont été multipliées par huit et c’est évidemment une bonne nouvelle parce que ça veut dire que l’accès à l’enseignement supérieur en France s’est considérablement massifié, parce que ça veut dire que le niveau général de qualification dans notre pays s’accroît. A tous les égards, c’est une excellente nouvelle. Mais quand on regarde les chiffres de manière un peu plus fine, on constate que cette formidable massification est teintée d’un certain nombre de questionnements, de problématiques et de bémols. Quels sont ces bémols ?
- D’abord, un chiffre : seuls 30% des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, ils sont 10% de plus à l’obtenir en quatre ans. Ca veut dire qu’au bout de quatre ans, il y a 60% d’échec à la fin d’une licence. Alors, les chiffres varient évidemment beaucoup selon la voie, selon la filière, selon les résultats au baccalauréat, mais une chose est certaine, les bacheliers sont très inégalement armés pour affronter le premier cycle universitaire. Ce taux d’échec, qui est parmi les plus élevés du monde, est un signe incontestable que le système ne fonctionne pas comme il le devrait. Je ne suis pas sûr, du reste, que ce chiffre soit suffisamment connu. Je ne suis pas sûr que l’importance de l’échec de « cette sélection par l’échec » au terme du premier cycle soit suffisamment appréhendée par l’ensemble des familles françaises et l’ensemble des étudiants ou des lycéens français.
- Deuxième constat : Les bacheliers technologiques et professionnels sont très largement exclus des IUT, des Sections de Techniciens Supérieurs qui sont des filières sélectives. Ce qui a une conséquence : c’est que les bacheliers issus de ces filières qui ont pour la plupart formulé le vœu de la poursuivre leur formation professionnelle sont souvent contraints entre guillemets de s’inscrire à l’université. Ils sont contraints de s’inscrire à l’université alors que l’université ne correspond pas forcément aux enseignements qu’ils ont reçus au lycée ni même à leurs goûts. On a donc un système qui, sans avoir été conçu pour cela, conduit à un choix pour l’université qui est parfois et trop souvent et notamment pour les bacheliers de ces filières un choix par défaut.
- Troisième constat : nous savons que l’accès à l’enseignement supérieur va être marqué par une massification encore plus importante dans les années qui viennent, c’est le produit d’une démographie vigoureuse. Nous savons que l’année prochaine, il y aura 40 00 étudiants supplémentaires, et que dans les cinq ans qui viennent, c’est de l’ordre de 200 000 étudiants supplémentaires qui seront inscrits ou qui voudront accéder à l’enseignement supérieur.
Et puis, je l’ai dit en un mot mais je voudrais y revenir il y a eu le scandale APB, le tirage au sort, ce qu’il a suscité comme angoisse, ce qu’il a révélé en absurdité et le nombre d’injustices qui en ont découlé. L’actualité de cet été en a donné des exemples d’une tristesse affligeante :
- C’est le cas de Titouan qui obtient son bac avec mention très bien, 18,34 de moyenne et qui essuie trois refus pour s’inscrire en STAPS avant qu’un réexamen de son dossier ne lui permette in extremis (c’est une décision du 14 juillet).
- C’est le cas de Tancrède, bachelier de Versailles, mention assez bien, qui veut s’inscrire en sciences humaines et qui après avoir essuyé plusieurs refus décide de poursuivre ses études au Canada.
- C’est le cas de Maëlle, une bachelière de Montpelier, mention très bien au bac, qui ne parvient pas à intégrer la fac de psychologie ou de langues étrangères à Lyon.
- C’est le cas d’un autre bachelier Versailles, Antoine, série ES, mention très bien qui formule un vœu groupé auprès de 14 universités et qui ne peut pas s’inscrire en droit.
Nous n’avons probablement pas - et quand je dis « nous », c’est l’ensemble du système depuis de longues années - collectivement pris assez conscience que l'augmentation du nombre de bacheliers devait s'accompagner d'une transformation de l'accès à l'enseignement supérieur. On a considéré pendant trop longtemps que l'université pouvait accueillir tout le monde sans lui donner les moyens de repenser ses formations. Or permettre l'inscription, c'est bien mais permettre la réussite, c’est mieux, surtout s'agissant des étudiants.
L’enjeu aujourd'hui est donc de garantir à ceux qui le souhaitent le droit de suivre des études dans l'enseignement supérieur mais aussi surtout d'aider les futurs bacheliers à construire leur projet, à leur indiquer les efforts supplémentaires qu'ils vont devoir fournir pour accéder à une filière pour laquelle ils peuvent ne pas être suffisamment armés.
L’enjeu est aussi d'augmenter les capacités des filières en tension.
L’enjeu est d'investir massivement dans nos universités car la France, la société française, les Français, les lycéens et leurs parents, les étudiants l'ensemble de notre tissu social doivent avoir confiance dans son enseignement supérieur, dans ses universités et dans l'ensemble du système d'enseignement supérieur. Relever le défi de la compétence, de la formation, de l'intelligence et je dirais même de l'épanouissement intellectuel, est véritablement un défi de société. Nous ne tiendrons notre rang, nous ne préparons notre avenir qu’en faisant ce pari de l'intelligence et de l'épanouissement intellectuel.
C’est la volonté du gouvernement et c'est l'ambition du « plan étudiants » que nous proposons aujourd'hui. Les ministres vont évoquer les points fondamentaux de ce plan, mais je voudrais avant de passer la parole à Madame VIDAL, donner un certain nombre de directions dans lesquelles nous nous inscrivons.
Le premier axe consiste à aider les lycéens à réussir leur orientation. C'est toujours difficile de faire un choix, surtout quand on est jeune et que l’on est traversé par des envies ou par une absence d'envie et qu'au fond, on a du mal à faire la part entre ce qu'on a entendu de telle ou telle formation et ce qu’on sait véritablement de ce qu'elle est, de ce qu'elle permet, de ce qu'elle exige et de ce qu'elle ouvre comme direction. On peut avoir des envies, on peut en changer. L'exercice d'orientation vers l'enseignement supérieur est un exercice difficile.
Ce choix, il faut l'accompagner, il faut permettre aux lycéens de le murir et pour ça il faut lui donner des moyens. On sait bien que – et c’est cette partie des choses que certains décrivent comme une grande injustice et qui l’est à certains égards - certains peuvent être accompagnés par leur famille ou par leur milieu au moment de faire ce choix parce que les parcours sont mieux connus, parce que les orientations et les pièges parfois de l'orientation sont mieux identifiés. Pour tous les autres, c'est souvent la solitude qui prévaut face à ce choix.
Pour réussir l'orientation, il faut deux choses : il faut des interlocuteurs et il faut des informations. Et pour avoir des interlocuteurs et des informations, il faut lier l’humain et numérique pour donner à la fois une vue panoramique des offres des universités, des offres d'enseignement supérieur qui sont accessibles, de la performance, des conditions dans lesquelles ces offres peuvent être utilisées et puis des conseils individualisés. Le ministre de l'Education nationale vous indiquera comment les lycéens seront mieux accompagnés dès cette année, parce que l'enjeu de l’orientation est essentiel.
Le deuxième défi, la deuxième direction, le deuxième axe consistent à garantir à tous les bacheliers un droit à l'accès à l'enseignement supérieur. Je voudrais être aussi clair que possible dans les mots que j'emploie : je n'ai pas et je n'ai jamais eu peur du mot « sélection » mais ce n’est pas ce que nous proposons aux étudiants et aux lycéens français. L'objectif, ça n'est pas que l'université dise « non ». Dans la plupart des cas, elle dira « oui » et dans certains cas, elle dira « oui si ». Si quoi ? Si le candidat accepte un parcours adapté qui lui permet justement de réussir dans la filière qu'il a choisie.
Sur ce sujet, j'ai deux convictions.
D’abord, je ne pense pas que laisser un lycéen s'engager dans une voie dont on sait par avance qu'elle est semée d'embûches sans l'alerter, sans lui proposer une aide, un accompagnement, serait lui rendre service. Lui rendre service c'est beaucoup plus lui dire « vous n'avez pas reçu les apprentissages nécessaires pour suivre en première année dans cette filière, donc si véritablement vous êtes motivé pour cette filière alors on va vous proposer un parcours adapté pour vous donner toutes les chances de réussir dans cette filière. » Ça pour moi, c'est la différence entre abandonner quelqu'un à son sort et lui donner les moyens de son ambition. C’est la différence entre un droit et quelque chose qui est effectif, entre un droit qui est déclaré « vous ferez ce que vous voudrez » et un droit qui est effectif, c'est « vous aurez effectivement la chance de réussir dans la filière que vous choisissez. »
Nous allons donc, comme je m'y étais engagé dès la déclaration de politique générale, supprimer le tirage au sort, mettre en place une nouvelle plateforme plus simple, plus rapide, plus accueillante et un processus d'accès à l'enseignement supérieur véritablement organisé pour accompagner les lycéens dans leurs choix. Madame la ministre vous en dira plus dans quelques minutes.
Enfin troisième axe, renforcer l'autonomie des étudiants. Nous le savons, les conditions matérielles sont une des clés de la réussite. Nous devons donc faire en sorte que ces difficultés matérielles - qui ne disparaîtront pas parce que nous disons que nous voulons les faire disparaître - ne constituent pas ou plus un obstacle à la réussite ou qu’elles viennent perturber trop fortement le déroulement des études.
Santé, logement, pouvoir d'achat, nous avons voulu répondre à ces défis simples, à ces défis concrets. Je l’ai dit dès ma déclaration de politique générale : nous allons mettre en place des moyens en face de nos ambitions et nous voulons effectivement simplifier la vie des étudiants. Je voudrais prendre un seul exemple : la gestion de la Sécurité sociale et du régime étudiant. Je ne critique évidemment pas ceux qui y travaillent. Je note juste et je le note après que bien d'autres avant moi l'ont noté, plus experts, plus connaisseurs encore de ce dispositif : notre système ne marche pas bien. Les étudiants paient une cotisation de 217 euros par an. Elle leur permet de disposer d'un régime spécifique. Nous supprimerons cette cotisation et nous transfèrerons la couverture des étudiants au régime général dans un calendrier ordonné dont on vous dira un certain nombre d'éléments bientôt. Cette opération permettra de dégager plus de pouvoir d'achat pour les étudiants, elle permettra aussi de garantir leur accès aux soins à des meilleurs coûts de gestion et avec un meilleur service.
Voilà, Mesdames et Messieurs, quelles sont la philosophie et les grandes lignes de ce plan. C'est un plan global qui traite de la vie étudiante dans tous ses aspects, du premier cycle de l'enseignement supérieur dans tous ses aspects. C'est un plan ambitieux car malgré une situation budgétaire que chacun connaît et qui reste marquée par le souci de respecter les engagements que nous avons pris devant les Français, nous allons investir pour construire de nouveaux locaux, pour ouvrir des places supplémentaires dans les filières en tension et pour redonner du pouvoir d'achat aux étudiants.
Le déploiement du « plan étudiants » va s'accompagner d'une enveloppe de 450 millions d'euros dans le cadre du Grand Plan d'Investissement pour investir dans la rénovation du premier cycle de licence ainsi que d'un effort financier supplémentaire de 500 millions d'euros sur le quinquennat pour créer des places dans les filières en tension de l'université et dans les filières courtes professionnelles et technologiques. Au total sur le quinquennat, c'est plus d'un milliard d'euros qui seront affectés à ce plan et aux aspects relatifs à la réussite au premier cycle.
Nous présenterons en conseil des ministres le 22 novembre prochain un projet de loi sur l'orientation et la réussite étudiante, dit ORE. Conformément à l'engagement du Président de la République, cette réforme va engager une transformation profonde de la situation qui prévalait jusqu’à présent, une transformation qui prolonge, qui complète, qui renforce les deux autres chantiers que nous avons ouverts sur l'apprentissage sur la formation professionnelle. Vous voyez bien que « en même temps », si j'ose prononcer cette expression, nous allons aborder avec beaucoup d'ambition et de cohérence, l'ensemble des questions relatives à la formation, à l'apprentissage, au développement des compétences de la jeunesse et de nos concitoyens en général.
Cette transformation lève des verrous ; elle responsabilise, elle offre des nouveaux droits, elle offre des nouvelles garanties pour renforcer l'égalité des chances et surtout je crois qu'elle offre des perspectives aux lycéens français, aux étudiants qui veulent par l'école, par l'université, par leur travail, s'élever, s'épanouir, trouver leur place dans la société et participer à la transformation du monde qui vient.
Je vous remercie.
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