Discours d'Édouard Philippe, Premier ministre, pour le lancement du programme « Action Publique 2022 »

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 13/10/2017

Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les directeurs et secrétaire généraux,
Mesdames et messieurs,
Parler de réforme de l’Etat un vendredi à 17h est une gageure. Ça tombe bien, ce n’est pas de réforme de l’Etat dont je vais vous parler, mais de transformation. Croyez-moi, ça change tout.
Si comme moi, vous aimez l’action publique, si vous aimez gagner du temps, vous simplifier la vie et que vous êtes un peu geek, le sujet va vous passionner. Comme toutes ces innovations qui transforment, vraiment et dans la durée, le quotidien. Je pense :
  • À la déclaration des revenus et au paiement des impôts en ligne : quand vous entendez un contribuable vous dire qu’il est content de déclarer et de payer ses impôts en ligne, vous vous dites qu’on a déjà parcouru un bon bout de chemin ;
  • Je pense la déclaration sociale nominative qui remplace dans les entreprises, près de 30 déclarations sociales ;
  • Je pense au portail « France Connect » qui offre la possibilité d’accéder avec un identifiant unique à près de 250 sites publics ;
  • Je pense aux maisons de service au public qui permettent à l’usager d’effectuer dans un lieu unique des formalités administratives qui relèvent d’organismes différents ;
  • Je pense aux hôpitaux qui sont en train de révolutionner le paiement avec des solutions en ligne. Cela suppose de secouer un peu les colonnes du temple de la comptabilité publique, mais ils vont y arriver.
  • Derrière ces exemples, on voit apparaître quelques grandes tendances : la numérisation, la création de points d’entrée uniques, la simplicité d’usage et une certaine « fluidité ».  C’est dans ces solutions que nous voulons investir. Pour innover, pour transformer, pour simplifier la vie de nos administrations et des Français.
Nous aurions pu faire comme avant : présenter un plan d’économies. Nous avons voulu faire quelque chose de radicalement différent, à la fois de plus intelligent, de plus respectueux et de plus durable : transformer en profondeur l’action publique. C’est le sens de ce qu’avec Gérald Darmanin et Mounir Mahjoubi, nous souhaitons vous présenter aujourd’hui.
Une approche qui va d’abord essayer d’éviter trois écueils.
  1. Le premier est celui d’une approche qui serait uniquement « comptable » qui consiste « à faire moins avec moins ». Ça, c’est raboter, ce n’est pas réformer. Ce n’est évidemment pas ma conception de la transformation. Ce n’est pas la voie que nous emprunterons.
  2. Le deuxième écueil est celui du dogmatisme : la question du périmètre et des missions du service public a trop longtemps fait l’objet de débats plus idéologiques que stratégiques. J’ai été fonctionnaire. Je suis fils de fonctionnaire. J’ai le plus grand respect pour la fonction publique. Nous lui confions chaque jour, ce que nous avons de plus précieux : notre sécurité, notre santé, l’avenir de nos enfants. Et nous avons l’immense privilège de pouvoir le faire avec confiance, les « yeux fermés ». Mais je suis également convaincu que le service public doit aussi se transformer. Parce que certaines missions deviennent plus prioritaires que d’autres. Parce que les besoins des usagers changent. Parce que certains outils permettent de faire mieux, plus vite, moins cher.  J’aimerais qu’on puisse engager un dialogue serein sur ces sujets qui ont des conséquences très concrètes sur la vie quotidienne des Français.
  3. Enfin, le dernier écueil, c’est lui de l’approche théorique. Moi, je n’ai jamais « déjeuné avec un service public ». J’ai, comme des millions de Français, bénéficié d’un grand nombre de services qui m’ont bien aidé. Quand j’étais maire du Havre, j’ai travaillé avec des fonctionnaires territoriaux, des personnels hospitaliers. J’aimerais que, dans le cadre de nos réflexions, nous demeurions « à hauteur d’homme » ou « à hauteur de femme », sans oublier cette dimension profondément humaine qui caractérise les services publics français.
C’est pourquoi « Action publique 2022 » se placera :
- Du point de vue de l’usager d’abord qui attend, et c’est normal, des services de qualité. Comment ?
  • En passant d’une culture du contrôle à une culture de la confiance, bienveillante, orientée vers le service. C’est le sens du projet de loi sur le « droit à l’erreur » que Gérald Darmanin présentera en conseil des ministres à la fin du mois de novembre.
  • En simplifiant aussi ce qui doit l’être et en numérisant bien sûr tout ce qui peut l’être. Le Président de la République a fixé un objectif clair : offrir aux Français 100% de services dématérialisés d’ici 2022. Evidemment, cela implique d’accompagner nos concitoyens qui n’ont pas accès ou qui ne maîtrisent pas totalement les outils numériques. J’ai demandé à Mounir Mahjoubi de nous aider à tenir compte de cette dimension humaine.
- Le deuxième point de vue, c’est celui des agents. Nous voulons les doter des moyens, en particulier numériques, dont ils ont besoin. Nous voulons les accompagner dans ce changement, les former, les faire monter en compétences, comme nous voulons le faire avec des millions d’autres actifs. Dans le cadre du grand plan d’investissement, nous consacrerons 1,5 Mds d’euros à la formation des agents publics, en particulier aux métiers du numérique.
- Le dernier point de vue est celui de tous les Français, le vôtre, le mien, c’est-à-dire celui du contribuable. Il s’agit d’aborder le sujet sous l’angle de l’efficacité de la dépense publique et de la qualité de service.
  • Qui ne s’est pas demandé pourquoi il devait communiquer 15 fois les mêmes informations, des informations basiques, comme sa date et son lieu de naissance, l’adresse de son domicile, le nom de ses parents ?
  • Qui n’a pas souffert en renouvelant sa carte famille nombreuse de la SNCF ou en remplissant pour la énième fois la fiche de renseignements lors de la rentrée scolaire ?
  • Qui ne s’est pas arraché les cheveux en remplissant un document d’urbanisme dans une mairie ?
  • Qui n’est pas tombé à la renverse en découvrant, dans les salles d’audience, la muraille de dossiers papiers qui encombrent les tribunaux et les bureaux ?
  • De même, nous avons deux grands réseaux de prélèvement dans notre pays – l’URSSAF et les Impôts. En revanche, nous avons une myriade de micro-organismes qui prélèvent une multitude de micro-cotisations. Jusqu’à présent, on a fait avec, mais est-ce normal ? Est-ce efficace ?
Ces anecdotes, ces dysfonctionnements peuvent prêter à sourire. Mais ils en disent long sur les voies possibles d’amélioration pour réduire la dépense publique de manière intelligente. Cela suppose cependant de se poser les bonnes questions.
Pour moi, elles se résument à deux interrogations centrales :
  • La première est : qu’attend-t-on de l’Etat et de ses opérateurs aujourd’hui ? L’imagination politique a été assez fertile ces dernières années pour ajouter des structures aux structures, des missions aux missions. Quand vient le temps de l’évaluation, soudain, l’enthousiasme retombe. Nous devons faire ce travail fin, patient, honnête, dépassionné, d’évaluation. Non pour dénigrer, mais pour décider avec recul les missions que nous jugeons prioritaires et y concentrer les moyens. Sachons d’abord ce que nous voulons faire avant de parler des moyens.
  • La seconde n’est pas plus aisée. Elle vise à se demander quelle est la structure ou la collectivité la plus légitime ou la mieux placée pour exercer une mission ? A force de multiplier les structures, on a fini par diluer la responsabilité. Je souhaite qu’Action publique 2022 nous aide à remettre de l’ordre dans les chevauchements de compétences. Il s’agit d’une question de clarification des responsabilités entre les décideurs publics : les Français doivent savoir à qui demander des comptes soit directement, soit par l’intermédiaire de leurs représentants.
Adopter le bon point de vue, se poser les bonnes questions. Reste à employer la bonne méthode. Une méthode radicalement différente :
  • D’abord nous voulons raisonner dans le cadre d’un périmètre le plus large possible, qui comprend l’Etat et ses opérateurs bien sûr, mais aussi les administrations de sécurité sociale et les collectivités locales. On ne peut pas avoir d’un côté des services publics qui se modernisent et de l’autre, des services qui restent à l’écart de ce mouvement.
  • Ensuite, le président de la République et moi-même assurerons personnellement le suivi d’Action Publique 2022. Dans ce cadre, les ministres rendront compte publiquement et régulièrement des résultats obtenus.
  • Je souhaite que les administrations s’emparent de cette transformation, la nourrissent, l’amplifient. Je remercie les ministres et les secrétaires généraux qui sont présents ici aujourd’hui. Rien ne pourra se faire sans vous et votre connaissance intime du fonctionnement de nos institutions et de ses instruments. C’est de cette réalité vécue par vos équipes et vos agents dont nous aurons besoin pour réussir. J’irais plus loin : je veux redonner envie aux gestionnaires publics de transformer leur administration. Je veux aussi leur en donner les moyens. Les moyens; d’expérimenter ; de valoriser le travail des agents qui le méritent. N’ayons pas peur de sortir du cadre. Nous l’avons fait avec le président de la République en réduisant, de manière drastique, la taille des cabinets ministériels. Vingt ans qu’on en parlait ! Ça a été un peu dur au début. Mais le résultat est là : on a fait bouger les organisations, on a rapproché les directions centrales du ministre.
  • Enfin, dernier point : la grande différence avec les réformes qui ont été menées dans le passé, c’est que cette fois, nous allons investir pour accompagner la transformation. Oui, investir, avec un fonds dédié que nous allons alimenter à hauteur de 700 millions d’euros sur cinq ans. La meilleure façon de faire des économies intelligentes, c’est d’abord d’investir. Ce fonds permettra de financer, selon un principe d’appels à projet auprès des ministères, les investissements nécessaires à la mise en œuvre des réformes. Le critère de retour sur investissement sera simple : un euro d’économie par euro investi  à horizon de trois ans. Ces projets devront aussi répondre à d’autres critères qualitatifs comme l’amélioration de la qualité de services ou les conditions de travail des agents.
Un dernier mot sur le calendrier. Nous avons prévu une phase de diagnostic qui commence aujourd’hui et qui s’achèvera au mois de mars 2018. Elle s’appuiera sur trois piliers :
  • 1er pilier : le lancement, début novembre, du « Forum de l’action publique ». Il s’agira d’un grand débat national sous la forme d’une consultation numérique et de forums territoriaux. Il sera l’occasion d’interroger les Français sur des questions très concrètes comme les horaires d’ouverture, le maillage territorial, l’amélioration des parcours d’usagers.
  • 2è pilier : le comité d’action publique 2022 ou « CAP 22 » qui effectuera une revue des missions et des dépenses publiques. J’y reviendrai dans un instant.
  • 3è pilier : le lancement de 5 chantiers « transverses » interministériels. Dit comme ça, cela peut paraître un peu théorique, mais c’est très concret. De quoi s’agit-il ? De chantiers  « boîtes à idées » qui portent sur des problématiques communes à tous les services publics : la simplification, les ressources humaines, le numérique, la gestion financière et enfin à l’organisation territoriale des services publics.
J’en viens au comité action publique 2022. La diversité des profils qui le composent suffit à en incarner la vocation : croiser les regards, se nourrir d’expériences diverses, examiner toutes les bonnes idées, partir de la réalité vécue (celle de l’élu local, du haut fonctionnaire, de l’usager, du résident étranger, du chef d’entreprise).
Je veux remercier chacun d’avoir accepté de consacrer un peu de son temps, souvent précieux, à l’avenir de nos services publics. Mention spéciale tout de même au « triumvirat » qui en pilotera les travaux : Mme Véronique Bédague, Frédéric Mion et Ross McInnes. Je veux aussi remercier très chaleureusement Enrico Letta et Per Molander qui nous font l’amitié d’enrichir les réflexions de ce comité de leur regard extérieur et des bonnes pratiques étrangères.
Ce comité aura carte blanche pour explorer toutes les pistes, évaluer les périmètres, identifier les doublons de compétences. Ce que je leur demande à ce stade, c’est de faire preuve d’innovation et d’audace afin d’imaginer quelle pourrait être une organisation idéale des services publics, ce qui implique bien sûr, de réfléchir à l’évolution des périmètres des politiques publiques et de réfléchir à d’éventuels transferts de compétences.
Le Comité CAP 22 remettra au président de la République et à moi-même, ses propositions d’ici la fin du 1er trimestre 2018.
Enfin, pour finir : notre touche d’originalité. Je voudrais saluer la présence parmi nous, d’étudiants et de jeunes actifs. Ils font drastiquement baisser la moyenne d’âge de cette assemblée. Ils ont entre 19 et 29 ans. Ils sont une quinzaine d’horizons et de compétences aussi divers qu’utiles pour transformer notre pays (jeunes apprentis, futurs professeurs des écoles, futurs gardiens de la paix, start-upers). Ils ont accepté de nous aider à réfléchir de façon plus originale et innovante aux politiques publiques de demain. Parce que si nous lançons ce projet, c’est pour que les prochaines générations, celles de nos enfants, de nos petits-enfants continuent de bénéficier d’un enseignement, d’infrastructures, de services de santé et de sécurité de qualité.
Mesdames et Messieurs,
Durant trop longtemps, on a recherché les économies avant de penser l’organisation. « Action publique 2022 » propose l’inverse : d’abord mieux s’organiser, plus simplement, plus clairement, avec de nouveaux outils, plus performants, avec de nouvelles compétences, pour ensuite, mais ça, je dirais que c’est la conséquence logique, redonner du sens à l’action publique et mieux dépenser l’argent des Français.
Comme c’est le week-end et que ce concept est un anglicisme, je vais en utiliser un pour conclure. La semaine dernière, j’ai lu dans un journal qui paraît le dimanche, qu’à Matignon, on aimait les anglicismes. C’est vrai. J’ai un peu agi contre au début – je suis plus « locution latine » qu’anglicisme- mais que voulez-vous ? J’ai cédé. Ce soir c’est « Think outside the box » . À condition d’y ajouter ce qu’il faut de « French Touch », c’est-à-dire des services publics protecteurs et performants au profit de tous. Je vous remercie.

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