Lancement des chantiers de la Justice - TGI Nantes

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 06/10/2017

Seul le prononcé fait foi
Madame la ministre,
Madame la procureure générale
Monsieur le premier président
Monsieur le président, Monsieur le procureur de la République
Monsieur le bâtonnier,
Mesdames et messieurs les magistrats et fonctionnaires de justice,
Mesdames et messieurs
Je présente deux particularités. Sans doute les ignorez-vous. Cela me semblerait assez normal et je ne m’en vexerai absolument pas. La première, c’est que j’ai été juge. Juge administratif, pas juge judiciaire. Mais juge. C’est une mission passionnante, que j’ai adoré exercer. La vie m’a ensuite conduit sur une autre voie. Mais ce premier métier je l’ai choisi. Comme certains d’entre vous, j’ai instruit des dossiers. J’ai commandé des expertises, souvent complexes, techniques, pas toujours très concordantes. Et j’ai tranché des litiges dans un délai qui à mes yeux, me semblait raisonnable mais qui, à ceux du requérant, ne l’était pas toujours.
La seconde, c’est que je suis un fervent lecteur de Cicéron. Mon cabinet m’invite très régulièrement à ne pas trop en parler en public de peur d’ennuyer l’auditoire. A fortiori une veille de week-end. Même s’il est mort depuis des siècles, même si on a pu parfois le prendre en flagrant délit de mauvaise foi, Cicéron se révèle toujours de bons conseils.
De ces deux inspirations, professionnelle et littéraire, j’ai retenu, au fond, 3 observations et une conviction :
Première observation : aussi loin qu’on remonte dans l’histoire, la justice cristallise toutes les passions et toutes les critiques. Ceux qui ici, s’intéressent à l’histoire de leur profession, le savent : les archives nationales ou régionales regorgent de doléances. Des doléances qui sont d’ailleurs toujours les mêmes au fil des siècles. Elles concernent la complexité de la procédure, les difficultés d’accès à un procès équitable, le coût de l’action en justice. Que faut-il en déduire ? Qu’on attend énormément de la Justice. On attend d’elle ce qu’il y a souvent de plus important ou de plus tragique dans la vie d’un homme ou d’une femme : la réparation d’un droit bafoué, d’un préjudice ou, au contraire, la reconnaissance d’une innocence. L’exigence de la société est à la mesure de ses attentes. Immenses. Passionnées. Et reconnaissons-le, parfois pas toujours rationnelles. Mais c’est ainsi. Et nous devons, collectivement en tenir compte.
Deuxième observation, qui est aussi une constante : le temps de la justice est différent de celui de la société. C’est un fait : la justice a toujours été plus « lente » que la société. Rassurez-vous : ce décalage existait avant la création d’internet, avant le code Napoléon, avant la Révolution Française, avant même Saint-Louis ! Ce décalage correspond tout simplement au temps de l’instruction, de l’analyse pour traiter une affaire qui, sur le moment, soulève passions publiques ou privées. Qu’un travail bien fait, bien instruit, réclame du temps, personne ne le conteste. Comme je ne pense pas qu’une justice trop rapide soit le gage d’une justice plus juste. Vous en parlerez au sieur Pierre Landais, principal conseiller du duc François II de Bretagne, dont le gibet se trouvait en 1485 juste sous nos pieds, dans l’ancienne île de la Prairie au Duc, vous verrez ce qu’il en pensera. Il y a donc, me semble-t-il, un équilibre à trouver dans cette gestion, dans cette appréhension du temps. Il y a une lenteur nécessaire, saine, « incompressible », mais reconnaissons qu’il y a des lenteurs, moins justifiées, moins compréhensibles par les justiciables. En particulier dans la société dans laquelle nous vivons.
Troisième enseignement : quand un système ne fonctionne pas aussi bien qu’il le devrait, ce n’est pas toujours du fait de celles et ceux qui sont chargés de son fonctionnement. Il en va de la Justice, comme de d’autres domaines : on y trouve d’excellents professionnels, passionnés, passionnants et dévoués . On y trouve tant de bonnes volontés. Et puis, on tombe aussi parfois sur quelques conservatismes, quelques vieilles habitudes, quelques résistances. Mais ni plus, ni moins qu’ailleurs. . En clair, la réforme de la justice de notre pays n’est pas qu’une question de procédure, de professionnalisme, de bonne ou de mauvaise volonté, mais une question de contrat social. Une question de temps, d’énergie et de moyens que la France veut consacrer à sa Justice.
C’est là qu’intervient la conviction que j’évoquais tout à l’heure. Là qu’intervient Cicéron. Avec son style incomparable. Et son bon sens rustique de Romain. Dans son De Oratore, il écrivait « Même si tous devaient protester, je dirais mon sentiment : toute la collection des ouvrages des philosophes (…), me paraît dépassée par le petit livre de nos 12 tables, tant par son autorité imposante que pour sa féconde utilité ». Que veut-il dire ? Que l’organisation juridique romaine se révèle bien supérieure à la philosophie grecque. Pas seulement parce qu’elle est romaine, même s’il le pense sans doute très fortement. Mais parce que pour Cicéron, qui est un praticien du droit, sans décision de justice effective, sans accès réel aux juridictions, les plus grands principes au monde restent, in fine, lettres mortes.
******
Je suis aujourd’hui là pour vous dire que conformément aux engagements du Président de la République dans sa campagne, mon gouvernement mettra tout en œuvre pour rendre encore plus effectives vos décisions, pour donner encore plus de sens à votre mission, pour rétablir la confiance de nos concitoyens dans notre justice.
Je me doute que je ne suis pas le premier chef de Gouvernement à vous parler de réforme de la Justice. Je conçois aussi que certains d’entre vous puissent être encore à ce stade, pour le moins dubitatifs. C’est évidemment leur droit. À ceux-là, mais aussi à vous tous et par votre intermédiaire, à vos collègues, je voudrais expliquer en quoi la démarche que je vous propose aujourd’hui avec Nicole Belloubet, notre ministre de la Justice, est différente de celles qui ont été suivies dans le passé..
La démarche que je vous propose repose sur trois principes :
Un principe de confiance. Oui, de confiance. Une confiance qui a conduit le Gouvernement à augmenter, dans un contexte très difficile, le budget de la Justice. Parce qu’on peut tout demander à des hommes et des femmes bien formés et passionnés, sauf l’impossible. Donc, ce budget, en 2018, augmentera d’environ 3,9%. C’est plus que la moyenne des cinq années précédentes. Il se traduira dès cette année par la création de 1 000 postes supplémentaires et par une hausse de près de 10% des crédits de fonctionnement des juridictions. L’Etat investit dans sa Justice. Car il lui fait confiance.
Le deuxième principe est un principe de réalité. Cette réalité, c’est celle que vous vivez ici à Nantes, mais aussi dans les autres juridictions de France. Nos réflexions partiront de cette réalité vécue. Vécue par vous et par le justiciable pour voir comment on peut, sans effets de manche, sans annonce intempestive, avec rigueur, avec patience, améliorer les choses, les procédures, les outils. Je sais que c’est symbolique, mais c’est pour cette raison que la Garde des Sceaux et moi-même, nous avons voulu lancer ces travaux, non à Paris, mais ici, chez vous, à Nantes. C’est une façon de dire : nous partirons du terrain pour remonter les expériences et les propositions ensuite vers les ministères. Non l’inverse.
Le troisième et dernier principe, c’est un principe de cohérence.
Cohérence dans le temps. Nous avons cinq ans devant nous. Cinq ans, c’est à la fois long et assez court. Le président de la République, la Garde des Sceaux et moi-même, nous avons voulu profiter de ce temps long. La meilleure façon d’en profiter, c’est de donner l’impulsion très vite, dès le début du quinquennat. Une des raisons pour lesquelles certaines réformes n’ont pas fonctionné, c’est qu’elles ont été lancées un peu dans la précipitation, sans concertation, sans vision d’ensemble. Et souvent trop tard.
Cohérence de l’action gouvernementale. J’ai demandé à tous les ministres concernés, en particulier au Ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et au Secrétaire d’Etat chargé du numérique, de mobiliser leurs directions, leurs ressources, pour nous aider, vous aider à transformer ce qui doit l’être. Je veux vraiment insister sur cette dimension interministérielle qui est au cœur de la réussite de nos projets.
Cohérence enfin entre les moyens et les fins. Des réflexions vont s’engager. L’objectif est de présenter en Conseil des ministres au cours du premier semestre 2018 :
une loi de programmation pour les années 2018 à 2022 liant les engagements budgétaires aux perspectives de réformes ;
deux textes de simplification de procédure civile et pénale ;
L’objectif est d’en obtenir l’adoption à l’été prochain. Pourquoi cet horizon ? Pour que tout – par « tout », j’entends les dotations budgétaires, les réformes de procédures, la programmation- concorde et forme un ensemble cohérent.
Ces transformations, nous vous proposons de les nourrir par l’intermédiaire de cinq chantiers. Madame la Garde des Sceaux vous en précisera à la fois les modalités de pilotage et le calendrier. Pour ma part, j’en évoquerai, très rapidement, les points saillants :
Le premier chantier est celui de la transformation numérique. Une transformation que la justice française n’a pas mené, sans doute faute de moyens et d’impulsion suffisants. Nous allons, je l’ai dit, y consacrer des moyens. Des moyens conséquents. Nous allons aussi regarder de manière très précise ce qu’il est possible de faire en termes de suivi des procédures, de dématérialisation de certaines démarches ou de l’organisation du travail. Le tout autour d’un portail unique, comme on le voit dans d’autres administrations. Je pense que la justice française peut faire l’économie de quelques kilos de papier sans perdre en efficacité.
Le deuxième chantier, plus technique, est celui de la simplification de la procédure pénale. La procédure protège bien sûr. Mais elle pèse aussi, parfois de manière démesurée, sur le quotidien des forces de l’ordre, des parquets et des juges du siège. Il s’agira d’évaluer les effets des dernières mesures de simplification et d’en proposer de nouvelles. Pour mener ce chantier, nous aurons bien évidemment besoin de l’aide des services de la police nationale, de la gendarmerie, mais aussi celle des barreaux. Je profite de l’occasion de les remercier par avance de leur participation.
Troisième chantier : la simplification de la procédure civile. Une importante réforme de l’appel vient d’entrer en vigueur. Il faut évidemment se donner le temps avant d’en modifier à nouveau les règles. En revanche, nous devons et nous pouvons aller plus loin sur la procédure civile de première instance : dématérialisation, simplification des règles de saisine, développement de la conciliation et de la médiation, obligation d’avocat, office du juge et rôle des parties, cas d’ouverture de l’appel, exécution provisoire : autant de thèmes à ouvrir et explorer ensemble, pour que nos concitoyens changent leur regard sur la justice.
Le quatrième chantier concerne l’adaptation de l’organisation judiciaire. J’ai lu, vu, entendu les inquiétudes au sujet de la carte judiciaire. Je peux d’ores et déjà confirmer une chose : nous conserverons le maillage actuel. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas, parfois, s’organiser autrement. Dominique Raimbourg et Philippe Houillon mènerons une mission de concertation sur ce thème. Ils conduiront cette mission autour de deux principes : le maintien du contentieux du quotidien à proximité des justiciables et la mise en place d’équipes pluridisciplinaires autour des magistrats.
Enfin, dernier chantier : l’efficacité des peines. Le Président de la République et moi partageons la même ligne : il faut rendre nos prisons dignes, car c’est notre dignité qui est en jeu. Nous ferons donc ce qui doit être fait pour nos prisons. Mais comme je l’ai déjà dit, cela ne saurait induire une politique du tout carcéral. Or je ne choquerai personne si je dis que notre système d’aménagement est devenu trop complexe, parfois déresponsabilisant et qu’il n’atteint pas ses objectifs. J’ajoute qu’il est parfois très mal compris, voire mal ressenti par les Français. Je voudrais que ce chantier soit l’occasion de travailler ou de s’interroger sur le sens de la peine.
******
Nous sommes dans la ville de Nantes. Et donc dans la ville qui a donné son nom au célèbre édit de Nantes. Vous le savez, de nombreux édits de « pacification » l’ont précédé. Des édits – édit de Saint-Germain, édit d’Amboise, édit de Beaulieu - qui prévoyaient à peu de choses près, les mêmes dispositions. Au fond, si l’édit de Nantes a connu une pleine et quasi entière application dans le Royaume, c’est qu’Henri IV, c’est-à-dire l’Etat, a mis tout son poids et toute son autorité dans la balance. La Justice est, me semble-t-il, une question de volonté. De volonté collective. Je sais que vous l’avez. Peut-être me ferez-vous l’amitié de me croire animé d’une volonté identique. Si tel est le cas, alors, j’aurai rempli, ici à Nantes, ma mission. Je vous remercie.

Partager la page


Le choix de la rédaction