Discours de M. Edouard Philippe, Premier ministre
Conférence nationale des territoires
Sénat
Lundi 17 juillet 2017
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président, cher Gérard Larcher,
Mesdames et Messieurs,
Nous voilà donc réunis pour mettre en place une Conférence nationale des territoires. Cette Conférence a été proposée par le président de la République, elle a un objectif simple : qu’aucune décision affectant les collectivités locales ne soit prise sans y être discutée.
Elle porte un enjeu plus compliqué, sortir du face à face, parfois stérile, souvent méfiant entre l’État et les collectivités territoriales. Elle porte en vérité un défi immense, continuer le chemin et peut-être même à certains égards ouvrir la voie, nous permettant d’aboutir à une décentralisation pleinement assumée, agile et pour tout dire intelligente.
Il est heureux, Monsieur le président du Sénat, que nous puissions le faire ici justement, au Sénat et je voudrais en remercier très sincèrement et très chaleureusement Gérard Larcher, ainsi que l’ensemble des sénateurs qui nous accueillent aujourd'hui. Si nous pouvons le faire ici et je dirais même, Monsieur le président, si nous devons le faire ici, c’est parce que le Sénat a ce rôle si particulier : d’abord au terme de l’article 24 de la constitution, il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, et ensuite ses membres sont des élus, élus par des élus et à ce titre ils portent presque par nature les collectivités territoriales, leurs intérêts, leurs préoccupations, leurs difficultés parfois.
Notre objectif sera évidemment d’écouter et de discuter en évitant systématiquement les concurrences et les compétitions qui peuvent exister entre l’ensemble de ceux qui légitimement portent les intérêts des collectivités territoriales, de certaines strates de ces collectivités territoriales, de certaines catégories de ces collectivités territoriales et le Sénat. Merci donc Monsieur le président de nous y avoir accueilli et d’accepter de coprésider cette première réunion.
Il était heureux que nous puissions le faire non seulement ici, mais en mettant, j’allais dire autour de la table, mais en tout cas imaginons une table, tous les acteurs de ce défi collectif. L’État d’abord, bien entendu l’Etat représenté ici par de nombreux membres du Gouvernement qui interviendront au fur et à mesure de la matinée et de la journée et qui auront l’occasion d’expliquer nos objectifs. Les représentants désignés par les associations représentant les collectivités territoriales, les régions, les départements, les communes et les intercommunalités. Les présidents des instances permanentes de concertation, le comité des finances locales, le conseil supérieur de la fonction publique territoriale, le conseil d’évaluation des normes et bien entendu des représentants du Parlement, Assemblée nationale et Sénat.
Là encore à travers cette représentation, nous souhaitons permettre à chaque territoire dans toute la diversité qu’il représente d’être entendu, qu’il soit isolé ou lointain, qu’il soit représentant de la densité urbaine ou au contraire d’une périphérie qui le serait moins. Qu’ils soient des territoires que l’on présente trop souvent et qui se vivent parfois comme des territoires d’interstice entre deux zones très denses ; je pense notamment aux petites villes où aux villes moyennes.
Qu’ils portent des caractéristiques qui, au-delà de leur taille ou de leur situation géographique, soient très particulières ; je pense par exemple aux territoires de montagne, je pense au moins autant aux territoires littoraux, aux territoires touristiques ou aux territoires frontaliers et il y en a, bien entendu, beaucoup d’autres qui portent des logiques et des contraintes particulières.
Pour réussir cette Conférence nationale du territoire, je vous propose cinq chantiers et une méthode. Ces cinq chantiers, c’est d’abord pour le premier d’entre eux la question des structures. Nous voulons l’aborder, cette question des structures, sous l’angle des libertés. Il ne s’agit pas d’imposer ou de modifier une architecture globale des collectivités territoriales et certainement encore moins de l’imposer depuis Paris.
Il s’agit d’essayer, dans toute la mesure du possible, de laisser la liberté aux territoires d’adapter leurs structures aux réalités locales par des fusions de communes ou des fusions de départements ou par l’approfondissement du fait métropolitain, là où ce sera souhaité localement et quand ce sera dans l’intérêt général.
Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, présentera notre optique sur cette question de structures mais j’ai entendu ce que disait Monsieur le président du Sénat, l’objectif de liberté et de stabilité. En termes de compétences, nous voulons à la fois permettre aux libertés locales de s’exprimer tout en conservant l’idée d’une stabilité globale du dispositif.
Le deuxième chantier, c’est celui des compétences. Là encore, nous voulons concilier liberté et stabilité. Il ne s’agit pas d’imposer un nouveau big-bang ou de modifier profondément les équilibres qui ont été construits précédemment. On peut tout à fait penser qu’à certains égards, ils ne sont pas entièrement satisfaisants, mais je crois que personne n’envisage sérieusement de les remettre complètement sur le chantier et d’envisager ce nouveau big-bang que je décrivais pour l’écarter.
Mais cette stabilité, elle peut laisser la place là encore à la liberté par un droit à l’expérimentation, par un droit à la différenciation, par un droit à la délégation et notamment la délégation de compétences depuis l’Etat vers les collectivités territoriales – cela existe déjà -, depuis les collectivités territoriales vers d’autres collectivités territoriales. Il nous faut là encore innover, expérimenter, faire place à toute cette liberté.
Le troisième chantier, c’est le chantier du pacte financier. Il est sensible évidemment, car la question des moyens est évidemment indispensable pour l’action des collectivités territoriales, vécue comme un élément d’autonomie et de libre administration, héritière – disons-le clairement – de nombreux malentendus ou trop bien entendus entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Héritière aussi d’un système conçu bien avant la décentralisation qui a bien sûr évolué, mais dont on peut je crois dire sans trop se tromper que la lisibilité, l’efficacité et la justice du dispositif fiscal qui prévaut en matière de finances locales est aujourd'hui discutable.
Vous connaissez parfaitement la situation des finances publiques. Vous savez l’évolution des effectifs dans les trois fonctions publiques. Rien de tout cela n’est soutenable. J’ai eu l’occasion de dire lors de ma déclaration de politique générale, je l’ai redit depuis, je le redirai à chaque fois qu’il sera nécessaire de le redire, nous devons diminuer notre montant de dépenses publiques.
Les collectivités territoriales doivent prendre leur part à cet effort et cet effort sera globalement important. Plutôt que de parler directement et spontanément de baisse des dotations, nous devons essayer, et c’est un exercice délicat, de trouver un mécanisme assurant la baisse de l’endettement plus intelligemment que par l’imposition brutale d’une baisse des dotations.
Mais entendons-nous bien, trouver un mécanisme de pilotage des dépenses publiques, y compris des dépenses publiques locales, plus intelligent que simplement une baisse des dotations, ne veut pas dire qu’on pourrait contourner l’objectif de baisse des dépenses.
Il faudra que nous discutions en confiance, en transparence, pour mettre en place ces mécanismes qui nous permettrons d’arriver à un objectif qui lui ne sera pas discutable.
Nous devons donner plus de visibilité et plus de prévisibilité, je retrouve vos mots monsieur le Président, sur l’évolution des ressources des collectivités territoriales.
Et nous devons engager une réflexion d‘ensemble sur la fiscalité locale, sur la taxe d’habitation bien sûr - elle est annoncée -, mais plus généralement sur l’ensemble du système de financement des collectivités territoriales, parce qu’une décentralisation assumée et intelligente passe par un système de finance locale rénové.
Je n’ai aucun doute sur le fait que ce sera dur, et aucun doute sur le fait que ce sera long. Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup de doute non plus sur le fait que nous trouverons sans doute mille raisons de nous enliser. Mais le système qui prévaut aujourd’hui et qui garantit, à certains égards, l’action des collectivités territoriales, n’est pas un bon système. J’ai eu l’occasion de le dire devant le Sénat lors de ma première intervention, il n’est pas un bon système et il doit évoluer et nous devons réfléchir ensemble à la façon de le faire évoluer intelligemment.
Gérald Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics présentera dans quelques instants ce troisième chantier.
Le quatrième et le cinquième chantier sont des chantiers d’action publique, non pas d’organisation, non pas de moyen, mais de politique publique à mettre en œuvre ; il concerne la fracture territoriale, et nous voulons faire de la réduction de cette fracture territoriale une priorité nationale, c’est la raison qui a conduit le président de la République, sous ma proposition, à créer un ministère en charge de la Cohésion des territoires. C’est monsieur Jacques Mézard, bien connu dans cette maison, ainsi que monsieur Denormandie qui auront la charge de présenter ce quatrième chantier et d’animer, dans le courant de l’après-midi, des ateliers qui seront consacrés à ce qui au fond doit nous permettre de redonner un sens à cette notion à laquelle nous sommes tous attachés, d’égalité des chances. Ça passe par des réflexions sur les déserts médicaux, sur une pensée nouvelle en matière de mobilité, sur des questions de revitalisation des centres-bourgs, des petites villes, sur la question évidemment de la mise en place d’un dispositif permettant à chacun des territoires de notre pays d’avoir accès dans d’excellentes conditions au numérique, donc de pouvoir trouver une façon de s’inscrire dans la transformation du monde sans y être relégués.
Cinquième chantier, celui des transformations écologiques et numériques. Il s’agit de préparer et d’accompagner ces transitions qui sont à la fois inexorables, déstabilisantes - à bien des égards – et en même temps prometteuses. Nicolas Hulot, Sébastien Lecornu et Mounir Mahjoubi animeront des ateliers et présenteront la façon dont nous envisageons de discuter avec les collectivités territoriales de la mise en place de ces transitions.
Voilà pour les cinq chantiers qui feront l’objet des discussions. Je voudrais dire un mot enfin de la méthode, c'est-à-dire de la façon dont nous pourrions approfondir et discuter de ces sujets.
Le premier élément, je reprends là encore votre mot monsieur le président Larcher, qui est un mot, qui est un concept, qui est même une invitation, c'est celui de « confiance ». Et la confiance, nous savons parfaitement qu’elle ne se décrète pas, qu’elle ne se présume même pas. Elle peut au mieux se construire et se démontrer.
Et pour se construire et se démontrer il faut partir d’un bon pied et la renforcer, y compris dans des désaccords, mais en ayant toujours à l’esprit la nécessité d’échanges réguliers, francs, sérieux et assumés. Cette confiance elle peut se construire en dépit de désaccords, et d’ailleurs sur les bancs de toutes les assemblées, qu’elles soient parlementaires ou locales nous savons qu’il est possible de créer des liens de confiance en dépit de désaccords, je dirais même parfois avec des désaccords.
C’est vrai dans toutes les intercommunalités. En tout cas c’est particulièrement vrai dans celles que j’ai eu l’honneur de présider ou quelles que soient les appartenances politiques et quelles que soient les différences d’intérêt des communes qui étaient présentes dans l’intercommunalité, nous étions en mesure de créer justement ce lien de confiance qui permet, en dépit de désaccords, d’avancer, de créer des constats communs et d’envisager des politiques communes.
J’ai donc un bon espoir que nous soyons en mesure de construire cette confiance.
Notre méthode, elle, sera organisée autour d’une instance de dialogue resserrée, c’est celle qui nous réunit ce matin, qui pourrait tenir des réunions semestrielles avec justement une façon d’organiser le travail qui nous permettrait de préparer ensemble ces réunions, de travailler ensemble sur les sujets qui sont évoqués et sur la façon dont nous pouvons avancer, de choisir même ensemble les thèmes qui pourraient être abordés.
Dans l’intervalle, nous envisageons un processus de travail élargi à d’autres acteurs. Nous pouvons par exemple facilement mettre en place des missions d’analyses communes – collectivités territoriales-Etat -, des groupes de travail thématique sur des politiques publiques ou un certain nombre de ces thèmes. Peut-être que la fin de la matinée nous permettra de les arrêter ensemble.
Et puis une réflexion locale, car évidemment tout ne peut pas se passer au Sénat, monsieur le Président, beaucoup de choses peuvent s’y passer, mais il faut aussi – si nous voulons que la réflexion soit intense et enracinée – que nous puissions organiser des sessions dans les régions avec les représentants de l’Etat, avec les élus locaux pour discuter d’un certain nombre de sujets.
Cette méthode je propose qu’on l’écrive, que l’on conclut un contrat de méthode. J’ai la conviction que lorsqu’on se met d’accord sur la méthode, on ne s’est pas encore mis d’accord sur le fond, mais que si on ne se met pas d’accord sur la méthode on ne se mettra jamais d’accord sur le fond.
Et donc je vous propose que nous essayions de conclure ce contrat de méthode en reprenant ces objectifs, en reprenant ces priorités, en reprenant ces rythmes et ces principes. Cela pourrait être là aussi un des éléments d’arrivée de notre matinée.
Voilà ce que je voulais vous dire monsieur le Président, mesdames et messieurs, pour présenter d’un mot à la fois un peu long et sans doute trop bref l’objectif et les principes, ainsi que les thèmes que nous voulons discuter pendant cette conférence. Je vous propose, si vous en êtes d’accord, monsieur le Président, de commencer sans plus attendre à évoquer atelier par atelier les sujets qui nous rassemblent. Et peut-être de passer la parole à monsieur le ministre d’État, ministre de l’Intérieur pour qu’il nous dise un mot sur la façon dont il envisage cette réflexion.