Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Hier, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur vous a, comme le veut la coutume, donné lecture de ma déclaration de politique générale. Au lendemain du vote de la confiance par l’Assemblée nationale, je ne pouvais qu’être devant vous aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour m’adresser directement à vous.
N’ayant pas eu le privilège de siéger parmi vous, je n’ai pas le plaisir de tous vous connaître. Certes, des visages sur ces bancs me sont familiers. Certains ont jalonné mon parcours. D’autres m’ont aidé à le construire.
Et je ne parle pas de ces grandes figures de notre histoire politique – Victor Schœlcher, Victor Hugo, Georges Clemenceau ou le havrais René Coty-, dont les voix et les intelligences ont fait vibrer ces murs et le cœur de l’adolescent que j’ai été.
J’ai par ailleurs l’honneur de compter dans mon Gouvernement des membres de votre assemblée.
Le Sénat se confond avec la République. Il en est un "pôle d’équilibre". Il est à la fois en prise directe avec le quotidien de millions de Français et à l’écart de la fébrilité politique. Cette "sérénité démocratique" est une chance.
Hier, dans mon discours, j’ai commencé par rendre hommage à ces nouveaux députés qui, par leur parcours, ont remodelé le visage d’une partie de la représentation nationale. Je sais que, comme vous, ils auront à cœur de nouer un dialogue fructueux pour faire avancer le travail parlementaire et réussir la France.
Si je les mentionne de nouveau aujourd’hui, c’est que je m’adresse à une assemblée qui, durant 21 ans, a confié sa destinée au petit-fils d’un esclave. Elle l’a fait à une époque où les préjugés étaient encore plus rudes et injustes que de nos jours. Vos prédécesseurs n’ont pas choisi Gaston Monnerville pour ses origines, mais pour ses talents. Des talents qui n’auraient pu s’épanouir si la République ne les avait pas reconnus et encouragés.
C’est de cette République, de cette France de l’égalité des chances, que je veux vous parler aujourd’hui. Une France qui, dans les moments les plus difficiles de son histoire, a toujours été capable d’étonnants sursauts.
Cette France s’est exprimée durant la campagne présidentielle. Elle a exprimé sa colère. Mais elle a aussi exprimé son optimisme et sa volonté de rassemblement.
Avant-hier, devant le Parlement réuni en Congrès, le Président de la République nous a montré le cap. Ce cap est clair. Il doit être tenu.
Les Français ont d’ailleurs, dans un souci de cohérence, donné au Président et au Gouvernement une majorité claire et incontestable au sein de l’Assemblée Nationale.
Cette majorité claire, nul et moi le premier, ne la prend pour un blanc-seing. Elle implique autant de devoirs que de droits. Parmi ces devoirs, figure la nécessité de respecter les institutions démocratiques. J’y veillerai.
Mais la France doit avancer. Il y a dans « notre cher et vieux pays », une envie, une énergie, un espoir qui transcendent les courants politiques.
Je veux m’appuyer sur cette envie et cette énergie pour que la France retrouve confiance : confiance en l’action publique, confiance en sa justice, en sa sécurité sociale, en sa cohésion territoriale.
Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que collectivement, nous fassions preuve de courage. Courage devant les menaces terroristes et tout ce qui peut menacer la sécurité des Français. Courage devant le défi migratoire pour être fidèles à nos idéaux et à nos responsabilités. Courage aussi pour préparer l’avenir de nos enfants en refondant l’école, en rénovant notre modèle social, en réduisant la dette et la dépense publique.
Je veux m’appuyer sur cette énergie pour que la France redevienne conquérante. Pour qu’elle redevienne une terre d’accueil des compétences, des entreprises et des investissements. Pour qu’elle restaure la puissance de son agriculture. Qu’elle saisisse la chance de la transition écologique. Qu’elle assume sa vocation européenne et internationale.
Hier, j’ai indiqué la feuille de route du Gouvernement, son calendrier, sa méthode.
Cette méthode, je la résumerai en en quelques mots clés : la collégialité, la sincérité, et la recherche permanente non de la popularité mais de l’efficacité.
Auprès d’Alain Juppé, j’ai appris que l’exercice du pouvoir est avant toute chose un exercice de vérité : durant trop longtemps, notre pays a pris la mauvaise habitude de s’arranger un peu avec. J’y vois une des causes de la crise de confiance qui a secoué notre pays.
La vérité n’est pas bâtie dans l’antre des ministères et au sein des cabinets ministériels, mais elle se construit dans le respect et dans le dialogue avec les partenaires sociaux, avec les acteurs économiques, avec le monde associatif.
C’est pourquoi nous avons voulu avec le Président de la République prendre le temps de la concertation, du dialogue avec les parties prenantes sur les sujets qui structurent l’avenir du pays.
C’est le sens des états généraux de l’alimentation, des assises de l’outre-mer, des états généraux des comptes de la nation et j’y reviendrai tout à l’heure de la conférence des territoires.
Cette méthode a fait ses preuves. Beaucoup d’entre vous la connaissez, pour l’avoir pratiquée dans l’action publique locale. Elle est efficace pour produire les normes et définir les règles qui seront acceptées de tous. Je veux associer des phases de discussion à l’extérieur des assemblées à des phases de délibération à l’intérieur.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
Je ne vous infligerai pas une seconde lecture de ma déclaration de politique générale, ni même une lecture abrégée et commentée. Non, je veux profiter de ma présence ici pour aborder deux sujets qui vous tiennent à cœur. Deux sujets sur lesquels j’ai des choses à dire et sans doute, des choses à apprendre de vous.
I/ Le premier est institutionnel :
Je crois au bicamérisme. Je mesure le rôle du Sénat dans le bon fonctionnement de notre démocratie. C’est un ancien député qui vous le dit. Je connais la qualité de vos débats, celle de vos textes, de votre travail en commission. Je crois au bicamérisme et j’y tiens. Aucune démocratie ne fonctionne avec une seule chambre.
Je le respecterai d’autant plus que le bicamérisme prend plus encore son sens aujourd’hui. D’un côté, nous avons une Assemblée nationale profondément renouvelée. Ce renouvellement était nécessaire. Il était voulu par les Français. Il est une chance pour notre pays.
De l’autre, nous avons un Sénat où siègent « des élus élus par des élus ». Des élus qui connaissent mieux que quiconque la réalité des territoires de la République.
Un Sénat où depuis longtemps, on a renoncé aux clivages artificiels; où l’on pratique le sens du consensus et du compromis, l’alliance des bonnes volontés.
Un Sénat, qui de ce point de vue, a largement anticipé la logique que nous connaissons aujourd’hui.
Cette expérience, nous en aurons besoin pour préparer les réformes constitutionnelles dont le président a dessiné les contours avant-hier devant le Congrès.
Réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, limitation à trois du nombre de mandats successifs, suppression de la Cour de Justice de la République, refonte du Conseil économique social et environnemental, évolution du travail parlementaire pour le rendre plus efficace et, quand cela est nécessaire, plus rapide : ces réformes sont d’une ampleur inédite.
Je sais que le Sénat, sous l’impulsion de son président Gérard Larcher, a pris les devants. Le 11 mars 2015, votre conférence des présidents a adopté 46 mesures qui ont conduit à une modification du Règlement du Sénat le 13 mai 2015 et qui ont en particulier valorisé le travail en commission.
Cette expérience, vous aurez l’occasion de la faire valoir par l’intermédiaire de votre président dans le cadre de la réflexion qui s’engage avec le président de l’Assemblée Nationale, le ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et la Garde des Sceaux. J’y serai pour ma part, très attentif.
II/ Le second sujet que je voulais aborder avec vous concerne l’organisation territoriale de notre pays.
II-1/ Je l’ai dit hier devant l’Assemblée Nationale. Les jardins à la Française ont leur charme, mais ils se prêtent assez peu au foisonnement d’initiatives dont le pays a besoin et auquel les collectivités sont prêtes.
Car nous voulons que les collectivités locales soient fortes et libres :
1. Libres de s’organiser en développant des communes nouvelles ou des regroupements de départements à condition bien sûr, que ces fusions ne soient pas contraires à l’intérêt général.
2. Libres d’exercer de nouvelles compétences, libres aussi de mieux se les répartir, par exemple par le mandat de délégation.
3. Libres d’expérimenter, non seulement de nouvelles organisations, de nouvelles compétences mais aussi de nouvelles règles d’exercice de ces compétences dans le cadre d’un élargissement du pouvoir réglementaire local.
Liberté et confiance. Tels sont les deux fondements de la décentralisation d’aujourd’hui.
Une décentralisation qui ne se décrète plus depuis Paris, mais qui s’expérimente, se teste et s’adapte.
Ne décidons plus pour les autres, mais incitons ! Incitons les territoires à adapter localement leur organisation pour tendre partout où cela sera possible vers deux niveaux d’administration locale en-dessous du niveau régional.
Cette simplification répond à une exigence de bonne gestion. Elle répond aussi à une exigence de lisibilité : l’empilement actuel n’est pas compris de nos concitoyens.
II-2/ Bien évidemment, cette liberté s’accompagnera de solidarité.
Une solidarité qui s’exprime d’abord, au niveau de l’Etat, par la création d’un ministère de la Cohésion des territoires dont le titulaire est issu de vos rangs.
Cette solidarité s’exprimera aussi par de grands chantiers sectoriels :
1. Dans le domaine de la santé : j’ai demandé à la ministre de la Santé de préparer pour le mois de septembre, un plan de lutte contre les déserts médicaux. Je sais que le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet crucial pour l’égalité entre nos territoires. Ce plan sera construit dans le dialogue avec les élus locaux et les professionnels de santé pour trouver des solutions adaptées à chacun des territoires.
2. Dans le domaine de la mobilité. Dès la rentrée, se tiendront des Assises de la mobilité. Elles associeront les usagers, les opérateurs, les collectivités et des ONG. Leur but est double. Bâtir une stratégie adaptée aux besoins des territoires permettant de mieux utiliser les infrastructures existantes en bénéficiant des possibilités offertes par le numérique. Construire une programmation financière soutenable qui fait porter l’effort, non plus sur les grandes infrastructures, mais sur l’entretien et la rénovation des réseaux actuels.
3. Autre chantier sectoriel sur lequel le Sénat est devenu un expert : le numérique. Comme je m’y suis engagé hier, je souhaite un accès garanti pour tous et partout en France au très haut débit au plus tard en 2022. Mais là encore, gardons-nous de raisonner seulement en termes d’infrastructure. Pensons service, service à l’usager, service aux collectivités. Cette politique d’accès au numérique nous permettra de déployer de nouveaux projets, je pense notamment au compte citoyen en ligne qui sera l’interface entre les administrations et le citoyen.
4. Dernier chantier : la revitalisation des petites villes et des bourgs-centres, trop longtemps négligée dans les politiques publiques, qui mérite à la fois une attention particulière et une stratégie propre à chaque territoire ; la situation n’est pas la même en Alsace que dans le Massif central, ou outre-mer.
Ces chantiers poursuivent un objectif : combler le fossé qui se creuse entre deux France que certains voudraient opposer, mais qui pourtant ne peuvent ni vivre, ni réussir l’une sans l’autre. J’entends par là la France des métropoles mondialisées et la France dite "périphérique".
C’est tout l’objet de la Conférence nationale des territoires que la Président de la République a souhaité constituer et dont la première réunion se tiendra mi-juillet. Si vous en êtes d’accord, celle-ci pourrait justement se tenir au Sénat.
Vous serez évidemment représentée de façon permanente au sein de cette instance par ceux que votre assemblée aura désignés.
II-3/ Un dernier mot peut-être sur les aspects financiers.
Je l’ai dit hier : la situation de nos finances publiques est plus que préoccupante.
Elle est grave. Nous devrons tous contribuer à l’effort de redressement.
Je sais que les collectivités locales y ont déjà contribué. Je ne sous-estime pas, loin de là, les conséquences de ces efforts.
Je crois à la responsabilité des élus locaux, comme je crois à leur sens des réalités. Eux-mêmes sont amenés à gérer des budgets, parfois dans des conditions difficiles. Ils sont amenés à faire des choix, à revoir leurs priorités.
Je sais aussi que "faire avec moins" peut conduire à "faire mieux", c’est-à-dire à proposer des services plus simples, plus agiles, plus efficaces.
Nous ouvrirons le dialogue avec les élus pour bâtir une trajectoire commune de maitrise de la dépense publique.
Nous engagerons également la réforme de la taxe d’habitation qui doit, d’ici la fin du quinquennat, contribuer à rendre du pouvoir d’achat aux Français.
Je sais cette réforme attendue par les contribuables, mais redoutée par les élus. Parlons-en. Parlons-en avec le Sénat, et avec le comité des finances locales pour réformer cet impôt qui n’est pas le plus juste sans porter atteinte à l’autonomie financière des collectivités territoriales.
Ce sujet fiscal, comme celui de la dépense publique, seront évidemment au cœur de la prochaine Conférence nationale des territoires.
Au-delà de la taxe d’habitation, je crois pouvoir dire ici que les élus locaux, que les sénateurs encore plus que les élus locaux ont parfaitement conscience du caractère globalement insatisfaisant de la fiscalité locale.
Souvent incompréhensible, largement illisible, globalement inefficace. Et dans les faits souvent corrigée pour faire face au problème du moment. Si bien qu’elle est devenue, à bien des égards, incohérentes.
Je ne suis pas venu vous annoncer une grande réforme de la fiscalité locale, au-delà de ce que vous avons déjà inscrit dans nos priorités. Mais là encore, dans nos échanges, dans nos travaux collectifs, partageons ce constat et regardons ensemble comment nous pouvons faire évoluer ce système vers plus d’efficacité et plus de justice.
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je ne crois pas à l’omnipotence du politique. Mais je ne crois certainement pas à son impuissance.
Je sais ce que peut la volonté politique : j’ai pu, comme vous, en faire l’expérience en exerçant mon mandat de maire.
J’ai cette volonté. L’ensemble de l’équipe gouvernementale la partage.
Comme je vous l’ai exposé, elle travaille avec une méthode, celle de l’efficacité, du dialogue et de la collégialité.
Cette méthode de travail, le gouvernement la propose aux législateurs que vous êtes, en y ajoutant le respect et l’exigence de vérité.
Je vous propose d’œuvrer ensemble dans cet esprit de consensus, qui n’interdit pas la franchise, ni la contradiction, pour qu’à la fin de ce quinquennat, nous ayons réussi les réformes que les Français et vos territoires attendent.