Discours du Premier ministre Jean Castex - 60ème anniversaire du Centre national d’études spatiales

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié le 15/12/2021

Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
Madame la ministre déléguée auprès de la ministre des Armées,
Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs,
Chère Claudie Haigneré,
Monsieur le président du CNES, cher Philippe,
Mesdames et Messieurs
À vous toutes et vous tous en vos grades et qualités, chers amis,
Il y a donc 60 ans, quasiment jour pour jour, le général de Gaulle a créé le CNES. Il a créé le CNES avec une intention limpide : assurer l’indépendance et la souveraineté, mais aussi la grandeur de la France qui, je cite, « ne pouvait pas rester à l’écart de la conquête spatiale ».
C’est clair, net et précis. Il faut évidemment se souvenir du contexte de l’époque qui était celui de la guerre froide au cours de laquelle les deux grandes puissances, États-Unis et URSS, s’affrontaient aussi sur le plan symbolique en mettant en scène leur politique spatiale respective, et les historiens vous expliqueraient mieux que moi que leur rivalité dans l’espace était sans doute le point culminant en réalité de leur rivalité tout court.
La position du général de Gaulle que l’on peut presque qualifier de non-alignée faisait de la France un interlocuteur crédible entre les deux puissances rivales. En concevant une politique indépendante, la France se hissait au rang de troisième puissance spatiale, au même titre qu’elle devenait une puissance nucléaire. Sans ce choix fondateur, la France n’occuperait pas dans le monde la place qui est encore la sienne aujourd’hui.
La grande spécificité du CNES à cette époque, ce fut évidemment de doter notre pays d’un outil capable de s’adapter aux évolutions rapides tant des connaissances scientifiques que de la situation internationale.
Ainsi, dès sa création, le CNES privilégie la science mais aussi le pragmatisme et l’industrie. Cette collaboration, je le dis d’emblée, entre laboratoires de recherche et industrie reste l’une des grandes originalités du centre, pas une opposition, et l'une de ses forces principales.
Les objectifs fixés par le chef de l’État d’alors vont être atteints, autre conclusion remarquable, avec une rapidité étonnante puisque, cela a été dit, le satellite Asterix est envoyé dans l’espace dès novembre 1965 par le fameux lanceur Diamant, suivi 10 jours plus tard par le satellite FR1, FR comme France évidemment. La France donc, en moins de 4 ans, avait ainsi accédé à une sorte d’autonomie spatiale en construisant un modèle français spécifique. Dans les transformations actuelles, évidemment la situation d’aujourd’hui n’est plus celle de 1965, nous devons viser la même efficacité, la même rapidité et en tout cas la même ambition.
Aujourd’hui, 60 ans plus tard, les enjeux de la recherche spatiale ont évolué, tout comme l’ordre du monde. Mais il reste essentiel pour l’autonomie scientifique et économique, et pour la souveraineté militaire de notre pays.
Et 60 ans plus tard, les 2500 agents du CNES, que je salue avec vous mon cher Philippe, sont au cœur de ces enjeux.
Aujourd’hui, le CNES se repose naturellement sur l’excellence technique de ses ingénieurs car l’espace reste un immense terrain d’exploration scientifique. Et je salue ici le travail mené, chère Frédérique Vidal, par le ministère en charge de la Recherche et qui va se poursuivre dans les années à venir pour maintenir l'excellence de la recherche spatiale française. C'est grâce à l'exploration spatiale que l'on en sait davantage sur la formation de notre système solaire mais aussi sur le fonctionnement de notre planète.
Ces questions sont, on l'imagine bien, fondamentales à l'heure où la collectivité humaine dans sa quasi-totalité cherche à contrer le réchauffement climatique.
C'est fort de ces moyens que le rôle moteur de la recherche spatiale française a permis d'obtenir de nombreux succès, à commencer par le vol de Claudie Haigneré, de Thomas Pesquet et de l'ensemble des astronautes français qui sont devenus de véritables modèles. Vous faites rêver. Je suis comme vous frappé, mais pas surpris, du lien entre la nation et l'aventure spatiale française. On a vu Thomas parler. Tout le monde aura noté l'engouement qu'il a causé, y compris chez les jeunes. Je vois mes propres filles sortir de leur ordinateur ou de leur téléphone portable, pour suivre les aventures de Thomas. On peut aussi citer évidemment la mise en place du « Space Climate Observatory » avec 27 pays partenaires internationaux. Et c’est pour cela que la loi de programmation de la recherche votée sous mon Gouvernement sécurise une trajectoire financière ascendante des contributions du budget général tant au CNES qu’à l’agence spatiale européenne.
Mais ainsi que je l’indiquais il y a un instant, le CNES n’a jamais décoré les enjeux de recherche fondamentale de ceux de l’industrie qui en attendent évidemment une application concrète. Or, aujourd’hui, si le contexte international n’a évidemment plus rien avoir avec celui des années 60, il en va de même pour les secteurs industriels. Et je suis frappé de ce que les États, même les superpuissances, ne sont plus toujours en mesure d'aller aussi vite et aussi loin que certaines multinationales. Les menaces sont fortes, il faut bien le dire, sur notre industrie de « SpaceX » aux acteurs de tous les pays qui souhaitent entrer dans la course spatiale.
Il est donc important, que dis-je, vital pour la France, que l'État, en collaboration avec les entreprises privées, ne décroche pas de ce qui reste une course technologique de plus en plus rapide et exigeante. Cette souveraineté, évidemment, là comme ailleurs, non seulement je le dis devant vous, mais je le revendique, sortant d'un débat à l'Assemblée nationale sur les priorités françaises pour la présidence française de l'Union européenne, cette souveraineté, nous la partageons avec l'Europe, car ce sont notamment les lanceurs européens qui confèrent à l'Union, et donc à la France, son rang de puissance spatiale.
Enfin, il s'agit naturellement, chère Geneviève, d'un enjeu militaire qui était déjà au cœur de la politique initiée par le général de Gaulle. Aujourd'hui, nous devons faire face à de véritables tentatives de piraterie spatiale où certains États ont utilisé leurs propres satellites pour tenter de détourner les autres. Il nous faut donc disposer d'une défense active et être en mesure d'identifier et de caractériser et de repousser les actions malveillantes. C'est la raison pour laquelle le président de la République, dans le cadre de la stratégie spatiale de défense qui prévoit, je vous le rappelle, près de 5 milliards d'euros d'investissements sur la période 2019-2025, a souhaité ajouter aux missions classiques d'observation, de télécommunications et d'écoute une véritable capacité d'opérations militaires in situ. Le chef de l'État a ainsi annoncé la création et le rattachement à l’armée de l’air et désormais de l’espace d’un grand commandement de l’espace et c’est là Mesdames et Messieurs un virage historique.
Afin de bénéficier des synergies entre le spatial civil et militaire, la ministre des Armées a souhaité que le commandement de l’espace soit localisé au plus près du Centre spatial de Toulouse du CNES et s’ajoute à cela l’installation sur site du Centre d’excellence de l’OTAN dans le spatial. C’est bien là une preuve de l’attractivité de ce site. Au début de l’année prochaine dans le cadre d’une ordonnance qui sera prise en application de la loi de programmation pour la recherche, un nouveau cadre juridique sera mis en place en matière d’opération spatiale intéressant notre défense nationale.
Pour autant, si la France maintient son ambition d'autonomie et de souveraineté de recherche industrielle stratégique, elle n'exclut, vous l'avez dit, Philippe, en aucun cas les coopérations. Elle les recherche même. C'est d'abord un moyen de maximiser le rendement opérationnel, scientifique, technologique, industriel de nos interventions. Ainsi, les équipes qui, par exemple, coopèrent directement avec la NASA sur toutes les missions martiennes, elles ont été choisies, vous le savez, pour leur expertise reconnue et on pourrait illustrer mon propos par l'instrument d'« Inside », qui est le cœur de la capsule posée sur Mars.
Et enfin, et alors que la France, je le disais il y a un instant, est à la veille de prendre la présidence de l'Union européenne, c'est évidemment dans ce cadre que cette collaboration en matière spatiale est la plus intense car à la différence de la France des années 60, notre pays est aujourd'hui intégré dans une Europe qui participe pleinement à l'aventure spatiale. Et nous avons eu ces dernières années de beaux succès. Je pense évidemment aux programmes Copernicus et Galileo aux accords sur le règlement Espace de l'Union européenne. C'est récent, fin décembre 2020, il y a un an, à l'émergence de nouveaux programmes en matière de surveillance de l'espace et de communication gouvernementale sécurisés. Mais je pense aussi à l'accord franco-allemand signé cet été après de longs travaux, ainsi qu'aux accords franco-italiens sur les lanceurs signés eux plus récemment, vous l'avez vu dans le cadre du traité du Quirinal et qui permettent, avec nos grands voisins, de construire l'avenir des lanceurs, notamment en assurant leur charge par nos lancements. Je veux remercier à ce titre l'ensemble des ministères qui ont permis ces résultats et qui vont me permettre par ailleurs d'assurer au site de Vernon un avenir solide. Il nous faudra évidemment collectivement être vigilants sur la pleine mise en œuvre de ces accords.
Enfin, l'Agence spatiale européenne constitue également un lieu naturel de soutien à cet effort et je sais les excellentes relations que vous entretenez avec cette importante institution depuis toutes ces années, avec là aussi de beaux succès, y compris récents, comme la conférence ministérielle de Séville qui a vu la confirmation du programme Ariane 6, avec aussi, je ne l'oublie pas, en perspective c'est pour l'automne prochain, la nouvelle conférence ministérielle que nous accueillerons à Paris.
C'est, Mesdames et Messieurs, cette politique nationale, scientifique, industrielle et militaire, cette politique européenne qui nous permet non seulement de rester dans la course, mais de participer aux projets les plus novateurs. J'en veux pour preuve le lancement du « James Webb Space Télescope », prévu, je crois, la semaine prochaine. Il s'agit tout simplement d'envoyer en orbite un bijou technologique dont j'ai compris aussi qu'il s'agissait de l'instrument le plus cher de l'histoire spatiale. Je veux y voir la preuve de la confiance témoignée par les plus grandes agences mondiales au CNES, au Centre spatial guyanais, à notre lanceur, Ariane 5, est à l'industrie spatiale française en général, mais aussi la preuve de l'excellence de nos laboratoires de recherche qui ont contribué au développement des instruments à bord. Ce nouveau télescope devrait ainsi permettre à l'humanité de faire des pas de géant dans la connaissance des origines de notre univers.
Et si nous avons été là pendant 60 ans, c'est parce que le CNES, fidèle à la mission de ses origines, a toujours su évoluer. Cette capacité d'adaptation passe par l'esprit de réforme et je crois que c'est ce que nous devons maintenant collectivement arriver à faire pour prendre le grand tournant de ce qui s'appelle désormais le « New Space » et dont Thomas a parlé dans son allocution car je l'ai dit, malgré ses succès passés et présents, la compétition mondiale accélère fortement.
Les acteurs privés démultiplient leurs actions, leurs projets, allant jusqu'à concurrencer les États dans leur ambition, de la Chine aux États-Unis, en passant par la Russie, l'Inde, mais aussi tous les acteurs européens. Le spatial redevient un haut lieu de compétition scientifique et technologique et un domaine d'accélération formidable. Le déficit de compétitivité et d'innovation sera fatal pour les pays qui n'ont pas investi et accéléré comme cela a pu l’être toute proportion gardée dans la course aux vaccins.
C’est pour cette raison que l’État et le CNES s'apprêtent à fixer le cap vers ces nouveaux espaces dans un contexte où l’espace est plus que jamais au cœur des grands enjeux de la décennie : souveraineté, climat, coopération scientifique.
Cette stratégie spatiale doit s’appuyer sur nos forces dont le CNES fait évidemment partie, mais aussi sur notre modèle européen et sur tous nos acteurs privés, les historiques qui sont les « leaders » mondiaux des lanceurs ou des satellites, les équipementiers et toute la filière que nous avons su, je le rappelle, soutenir fortement à travers France relance, et toute la génération des acteurs émergents qui viennent comme on dit challenger tous les modèles établis et ne demandent eux aussi qu’à accélérer. Ce n’est que par cette collaboration et ces synergies que nous pourrons avancer. Et je salue à cette occasion toutes les initiatives que je sais nombreuses de rapprochements entre ces acteurs, notamment le projet « SpacEarth » lancé il y a quelques jours seulement par la filière.
Pour prendre ce virage et à la demande du président de la République, mon Gouvernement a pris et prend des décisions fortes.
Ainsi, le contrat d'objectifs et de performance que nous nous apprêtons à signer avec le CNES va le renforcer en sa qualité de bras armé de l'État pour déployer une politique spatiale au service de notre rayonnement, de notre souveraineté, de notre compétitivité et de notre planète. Le CNES a toujours su évoluer, s'adapter pour mieux servir ses objectifs et nous ne pouvons que nous en féliciter en regardant ces réalisations, ces premières réalisations véritablement « New Space », certaines ont été évoquées, « Cosmic Capital », « Space Founders Connect by CNES », mises en œuvre notamment, je le cite encore, grâce au plan de relance.
Cela passe aussi par de nouvelles manières d'intervenir auprès des entreprises, par le renforcement des compétences numériques indispensables pour le traitement des données spatiales, par le choix de coopérations encore plus stratégiques.
En complément de cette transformation, le 12 octobre dernier, le président de la République, dans le cadre de la présentation du plan France 2030, a réaffirmé l'importance de la politique spatiale de la France. Le 1,5 milliard d'euros qui y seront consacrés vont permettre à la fois de rattraper le retard sur certains segments des marchés clés, comme les lanceurs réutilisables et que nous ne pouvons pas ne pas maîtriser. Mais le président a annoncé aussi le projet d'un mini lanceur réutilisable d'ici 2026. Nous nous engagerons donc dans les prochains jours un appel à projets pour permettre de soutenir les projets de micro et mini lanceurs.
Ce soutien sera financier, bien sûr, mais il sera aussi technique avec le CNES, notamment, et pourra déboucher sur des commandes. Et c'est notre objectif, un premier tir dès 2024. Ariane Groupe que je salue, prendra évidemment sa part avec l'aventure avec le programme « Mahia Space » de mini lanceurs réutilisables et nous adapterons le site de Kourou afin qu'il puisse accueillir les nouveaux projets européens de micro et mini lanceurs. Mais France 2030 doit également permettre à la France de prendre toute sa place sur les nouveaux usages du spatial, que ce soit la surveillance de l'espace et des débris ou la valorisation des données spatiales. Des financements sous la forme de concours ou d'appels à projets seront lancés dès l'année prochaine afin de développer de nouveaux segments de marché.
Enfin, France 2030 permettra de soutenir des projets français et européens de constellations lorsque ceux-ci auront émergé, et je sais que de tels projets se multiplient, tous plus ambitieux les uns que les autres.
Au total, Mesdames et Messieurs, France 2030 doit marquer un tournant dans notre politique spatiale en soutenant des projets avec des fonds, de l'expertise technique et des commandes, mais également parce que nous voulons et nous devons faire confiance aux acteurs et projets risqués et émergents dans des proportions sans doute beaucoup plus importantes que par le passé. 60 ans après la création du CNES, la France peut encore une fois se féliciter de la vision politique et stratégique du général de Gaulle. Grâce à lui, notre pays ne s'est pas contenté de voir passer au-dessus de lui des fusées ou tourner des satellites.
Malgré ses 60 ans d'histoire, l'exploration de l'espace n'en est sans doute qu'à ses balbutiements au regard de l'histoire de l'humanité. Ce qui ouvre des perspectives immenses à notre pays qui n'a jamais quitté cette course. La France et l'Europe doivent avoir une politique spatiale offensive.
C'est la conviction du président de la République, c'est ma conviction, c'est la conviction de mon Gouvernement et c'est la raison, Mesdames et Messieurs, pour laquelle nous nous donnons les moyens, notamment avec ce plan France 2030 qui, vous l'avez vu, prévoit des investissements majeurs et inédits.
Je veux ici vous dire la fierté de la France de disposer depuis 60 ans d’une institution comme le CNES, vous dire la gratitude du pays pour l’engagement de ces collaborateurs, salariés, la variété et l’excellence de leur compétence, l’attachement que je sais profond à leur haute mission, vous dire la confiance du pays dans la capacité du CNES à s’adapter, à évoluer dans un environnement mouvant, à relever les défis d’une concurrence accrue. Bon anniversaire au CNES.
L’avenir s’annonce exigeant mais ô combien exaltant. Les défis ne manquent pas. Par ma présence, je suis venu vous affirmer que l’État est là à vos côtés pour les relever au service de la science, du progrès et de la souveraineté nationale et européenne.
Je vous remercie.

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