Discours du Premier ministre Jean Castex - Honneurs militaires rendus au Général Gudin

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié le 02/12/2021

Monsieur le ministre-conseiller de l'ambassade de Russie,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Mesdames, messieurs les élus,
Monsieur le chef d’État-major des Armées, mon général,
Monsieur le gouverneur militaire de Paris, mon général,
Monsieur le gouverneur des Invalides, mon général,
Messieurs les officiers généraux,
Officiers, sous-officiers, militaire du rang, personnel civil des armées,
Mesdames, messieurs,
Il aurait pu avoir le destin du colonel Chabert et revenir d’entre les morts, au beau milieu du Paris de la Restauration, réclamer sa famille, ses titres, sa fortune et les honneurs que la France, quel que soit le régime qui préside à ses destinées, doit à un grand soldat.
Or, il n’en fut rien. Enterré à la hâte le long des murailles de la ville de Smolensk, le général Gudin, fauché par un boulet de canon le 16 août 1812 lors de la campagne de Russie, mort quelques jours plus tard des suites de ses blessures, n’a pas, comme Chabert pris appui sur les cadavres de ses frères d’armes pour remonter de la fosse commune vers le monde des vivants.
Il n’eut pas, ainsi, à affronter, comme son jumeau littéraire, l’ingratitude de ses contemporains après que l’aigle, baissant définitivement la tête, se soit envolé du Palais des Tuileries pour ne plus jamais y revenir.
La dépouille du général Gudin est donc restée ensevelie pendant plus de deux siècles dans la terre russe où le souvenir de son héroïsme, puis de sa seule présence s’est peu à peu effacée jusqu’à sortir définitivement de la mémoire des Hommes. L’hiver, le terrible hiver russe, qui avait eu raison de la Grande Armée et des ambitions continentales de l’Empereur Napoléon I er avait donc aussi recouvert du manteau de l’oubli les restes de ce général français. Pendant les deux siècles qui suivirent, d’autres guerres, d’autres révolutions, d’autres morts, se sont succédés en Russie au point de mélanger en une seule et même tragédie humaine des millions de destinées individuelles broyées par l’Histoire. Que pesait le souvenir de Charles-Etienne Gudin, comte de la Sablonnière et général d’Empire face à ces deux siècles de tourments et d’effrois qui avaient vus l’Europe sombrer dans la folie, la nuit et le brouillard ?
Il a fallu l’opiniâtreté d’une poignée de passionnés, Français et Russes, pour que sa sépulture soit découverte dans les sous-sols d’une ancienne discothèque, miraculeusement épargnée par une coulée de béton qui aurait dû en emporter, mais cette fois-ci définitivement, son souvenir.
Authentifiés, grâce à une expertise ADN, les restes de Charles-Etienne Gudin ont ainsi pu être rendus à sa famille et à la France avec l’accord du gouvernement russe que je me dois de remercier, ici, pour ce geste plein de noblesse.
La carrière militaire du général Gudin commence, avant que l’Histoire de notre pays ne change de face, sous l’Ancien Régime, à l’école militaire de Brienne où il aura pour condisciple un jeune homme au fort accent corse et qui répond alors au curieux prénom de Napoléon. Cette jeunesse partagée va bien évidemment marquer la vie et le destin de celui auquel nous rendons aujourd’hui les honneurs militaires. Napoléon ne pointait pas encore sous Bonaparte, lorsque le jeune Gudin entre dans le corps des gendarmes du Roi puis au régiment d’Artois-Infanterie où son père a servi et dont son oncle a commandé une compagnie. Pour quelques années encore la naissance, fut-elle de Robe, restait le passeport indispensable pour espérer la gloire militaire.
Alors que la Révolution bat son plein, le jeune officier est envoyé avec son régiment à Saint-Domingue. Destin paradoxal que celui de cette île sucrière, possession française depuis le règne de Louis XIV, dont l’activité économique est alors entièrement construite sur l’esclavage mais qui va servir de base arrière pour l’armée française au moment de la guerre d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique et verra se lever, dès avant 1789, le puissant courant de pensée abolitionniste qui un jour emportera définitivement ce système inhumain. Gudin est alors le témoin de la lutte acharnée que vont se livrer les planteurs et les esclaves insurgés qui révélera Toussaint Louverture et annonce avec plus d’un demi-siècle d’avance la future guerre de sécession aux Etats-Unis.
Après moins d’un an passé sur l’île, dont l’histoire n’a rien retenu d’autre que sa présence, le jeune condisciple de Bonaparte à Brienne rentre sur le continent où il s’engage dans les guerres de la Révolution et du Directoire. Simple aide-de-camp en 1792, remarqué et estimé par les plus grands, de Desaix à Gouvion Saint-Cyr en passant par Moreau, il est promu général de brigade à trente ans pour sa grande bravoure.
Ce fut aussi le rôle de l’armée de la Grande Nation, de cette armée dont les militaires présents aujourd’hui sont les héritiers directs, que de promouvoir le talent et le courage sans distinction d’origine ou de naissance. Une armée qui donnait sa chance à un fils de maçon, de cultivateur, d’aubergiste ou de garde champêtre de devenir un jour Maréchal. Une armée enfantée par la Révolution et magnifiée par la gloire de l’Empire qui allait ouvrir l’horizon social de milliers d’hommes en leur offrant des trajectoires et des carrières impossibles sous la monarchie alors que les grades militaires étaient la chasse gardée d’une caste nobiliaire.
On ne comprend pas l’immense popularité de Napoléon, une popularité qui permettra même à son neveu de se faire élire Président de la République au suffrage universel en 1848 si l’on ne prend pas conscience de l’immense espoir de promotion et même d’éducation que la Grande Armée a fait naitre en son temps dans les profondeurs de la société d’alors marquée depuis des siècles par le poids des privilèges.
Cet idéal d’élévation et de promotion, je le dis ici devant la dépouille d’un soldat devenu général à trente ans, est toujours resté celui de l’armée Française. Une armée qui offre une chance de s’élever et d’apprendre à tous ceux, quel que soit là encore leur origine et leur formation initiale, qui font le choix de la rejoindre.
A la tête du 3 ème corps de cette Grande Armée, le général Gudin se couvre de gloire à Auerstaedt, Eylau, Abensberg ou Presbourg. Partout sa bravoure fait l’admiration de l’Empereur comme de l’ennemi. Partout ses hommes sont les premiers à monter au front ce qui leur vaudra l’honneur d’entrer les premiers dans Berlin lors de la campagne de Prusse au cours de laquelle leur général est lui-même blessé.
Les actions de ce grand soldat auraient déjà pu suffire à orner une frise de cet Arc de Triomphe où son nom est gravé pour l’éternité.
Après avoir réorganisé sa division en Allemagne, le général Gudin reprend la tête de la 3 ème division du 1 er corps de la nouvelle Grande Armée qui s’engage alors dans la campagne de Russie. Une campagne dont il ne reviendra pas et qui marquera, pour l’Empire et l’Empereur, le début de la fin car l’armée Française va se heurter au patriotisme et à l’immensité Russe. La Grande Nation voit soudain la Grande Russie se dresser devant elle. Robespierre l’avait en son temps prophétisé devant le club des Jacobins : « les Peuples n ’ aiment pas les missionnaires armées » et ce fut le cas du Peuple russe dont l ’ h é ro ï sme n’est plus à démontrer.
Aux idéaux de la Révolution Française que les soldats Français transportaient dans leurs bagages, les russes vont opposer le seul amour de leur pays. Pourtant, une fois la « guerre patriotique » terminée, c’est le nom que l’historiographie russe donne à ce que nous appelons, en France, la campagne de Russie, ces idées de liberté, d’égalité et de fraternité ne se sont pas retirées en même temps que la Grande Armée faisait retraite. Un peu moins de dix ans après Waterloo et la défaite définitive de Napoléon, l’insurrection décabriste éclate à Saint Pétersbourg pour tenter d’en finir avec l’autocratie et contraindre le Tsar à accepter une Constitution. C’est un échec militaire mais un premier pas politique vers la liberté du peuple russe. En 1861, l’abolition du servage libère vingt-trois millions de paysans de la servitude et en février 1917, la Révolution Russe se réclamera directement de 1789 et de son héritage.
Alors certes, et c’est là une immense avancée de notre pays, l’armée française n’est plus une armée de conquête mais à l’instar de la Grande Armée elle continue à porter haut ce drapeau tricolore qui, comme le dira Lamartine au balcon de l’Hôtel de Ville de Paris en 1848, « a fait le tour du monde avec la R é publique et l ’ Empire, avec notre liberté et notre gloire » .
Aujourd’hui, notre armée, nos soldats partout où ils sont en mission le sont au nom de la défense de la liberté, de l’égalité et de la Fraternité.
Oui l’armée Française défend aujourd’hui dans la grande tradition de Valmy les intérêts de la France et cet idéal universel qui dépasse chacun de nous. Un idéal qui porte notamment la défense des droits fondamentaux comme objectif fondamental et celle du multilatéralisme comme levier privilégié.
Le 16 août 1812, l’armée de Napoléon a mis le siège devant la ville de Smolensk qui résiste grâce à un renfort inattendu de l’armée Russe. Alors que Davout s’empare des faubourgs la division de Gudin se fraie un chemin à coups de baïonnettes jusqu’aux murs de la citadelle. La place est prise, l’armée russe reflue vers Moscou, la victoire est à portée de main mais le Maréchal Ney se retrouve bloqué sur le plateau de la Valoutina et donc dans l’impossibilité de poursuivre l’ennemi pour transformer sa retraite en déroute. C’est en lui venant en aide pour essayer de dégager sa position que le général Gudin a la jambe emportée par un boulet de canon.
Il est aussitôt transporté derrière les murs de Smolensk au-dessus duquel flotte désormais le drapeau tricolore et l’Empereur, renouvelant ainsi le geste chevaleresque du connétable de Bourbon à la mort du chevalier Bayard, se rend à son chevet. Le général meurt trois jours après et le 23 août Napoléon I er rendra lui-même hommage à son condisciple de Brienne dans le Bulletin de la Grande Armée.
Gudin ne connaîtra pas la fin de l’Empire ni la défaite à Waterloo mais il aura appartenu pleinement à l’Histoire de l’Empire. Cette Histoire dont la gloire mais aussi les ombres marquent encore aujourd’hui profondément notre pays et l’Europe. À Eylau, où il voit l’Empereur à cheval, le jeune Hegel le désigne comme cette « âme du monde » sans laquelle le « progr è s » n ’ aurait pas é t é possible.
Nous sommes aujourd’hui évidemment plus nuancés que le philosophe allemand mais il serait vain de nier la place que l’héritage de l’Empire occupe aujourd’hui dans notre droit et dans nos institutions.
Aujourd’hui, près de deux cent dix ans plus tard, le général Gudin, mort pour la France en volant au secours de l’un de nos plus grands maréchaux, revient enfin dans sa patrie pour recevoir les honneurs qui lui étaient dus et reposer, désormais pour l’Eternité, auprès du tombeau de porphyre et de tous ceux qui, avec lui, ont servi la gloire de la Grande Nation, la gloire de l’Empire, la gloire de la France.
Vive la République ,
Vive La France !

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