100ème anniversaire du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Jean Castex.

Publié le 18/10/2021

Monsieur le Cardinal Secrétaire d’État,
Éminences,
Excellences,
Monsieur le Nonce,
Monsieur le Chanoine,
Ma Sœur,
Messieurs les ministres,
Madame l’ambassadrice,
Monsieur le député,
Mesdames et messieurs,
Le destin si particulier de la France, celui d’une Nation consciente d’elle-même et de ses devoirs à l’égard du reste du monde depuis plus de quinze siècles ne saurait se concevoir sans l’évocation de son lien millénaire, au point d’être qualifié de filial, avec l’Eglise Catholique.
Un lien que l’on crut longtemps indissoluble, car je n’oserai pas utiliser, ici, devant tant de théologiens, le terme de consubstantiel, mais qui fut paradoxalement marqué par des crises violentes, des ruptures profondes et une émancipation parfois mal vécue ou mal comprise de part et d’autre.
Si la préhistoire de notre pays trouve son origine au fond d’une grotte à Lascaux, l’Histoire de la France, en tant que Nation naît à Reims, dans la cuve d’un baptistaire. Avec Clovis et ses successeurs, qu’ils soient mérovingiens ou carolingiens, les papes de Rome ont patiemment construit un discours politique et théologique qui assigne alors au peuple Français et à ses souverains un véritable rôle messianique en le désignant comme le nouveau peuple élu de la Nouvelle Alliance et le chargeant, à ce titre, d’accomplir la volonté de Dieu. Ce « gesta dei per Francos » visait à faire du Peuple Franc le Peuple Hébreux du Nouveau Testament.
Pourtant, malgré cette histoire millénaire, Sa Sainteté le Pape François que je viens d’avoir l’honneur et le plaisir de rencontrer en audience ce matin même a un jour qualifié la France, je le cite, « d e fille aînée de l’Eglise mais pas toujours fidèle… ».
Si la rupture des relations diplomatiques intervenue en 1904 entre la France et le Saint-Siège a marqué autant l’Histoire que les esprits, elle ne résume pas, à elle seule la longue suite des turbulences de cette fille aînée.
Car, et ce n’est pas le moindre des paradoxes qui marque l’histoire des relations entre la France et le Saint-Siège, si la Chrétienté a contribué à la naissance de la Nation, celle-ci s’est aussi construite, dès le début du XIVème siècle, contre l’autorité pontificale et ses ambitions de souveraineté universelle.
La première fois que le Peuple Français a été consulté en tant que corps politique constitué, c’est à l’occasion des Etats Généraux de 1302 réunis par le Roi Philippe Le Bel dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il s’agissait, alors, pour le Roi de France de s’opposer directement au Pape qui venait de décréter la supériorité de son pouvoir spirituel sur tout pouvoir temporel quel qu’il fut.
Or le roi tenait à s’assurer, en son Royaume, de l’obéissance du Clergé et du droit de prélever l’impôt sur les biens de l’Eglise.
Chacun sait ce que le conflit s’envenima, on connaît l’épisode de la gifle d’Anagni, la mort de Boniface VIII et l’assignation à résidence pour près d’un siècle de la papauté en Avignon sous l’étroite surveillance des rois de France. Le gallicanisme était né.
Cinq siècles plus tard, les papes Pie VI et Pie VII seront à nouveau les hôtes bien involontaires de la France révolutionnaire.
C’est pour rétablir des liens pacifiés, entre la France issue de la Révolution et la papauté, que Bonaparte et le pape Pie VII négocièrent le Concordat de 1801. Il s’agissait, pour le Premier Consul, d’assurer la paix religieuse après dix ans de guerres civiles en Vendée et pour le Pape d’obtenir pour les catholiques Français la liberté et la publicité du culte.
On peut ici saluer l’intelligence politique et la hauteur de vue du Souverain Pontife, qui renonça à conditionner la négociation de ce nouveau Concordat à une réparation des torts matériels infligés à l’Eglise par la Révolution. Seule comptait à ses yeux la reconnaissance d’un droit à une complète liberté de religion. Droit qui devait être reconnu, protégé et garanti par l’autorité de l’Etat.
Il ne m’appartient pas, dans le cadre de la commémoration d’aujourd’hui, de revenir en détail sur les raisons qui conduisirent à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège. Elles sont multiples et ne tiennent pas uniquement à la Loi de séparation car certaines lui sont même antérieures. C’est l’interdiction de l’enseignement aux congrégations religieuses et la visite du Président Emile Loubet au roi d’Italie Victor-Emmanuel III, vécue comme une humiliation par le Pape Pie X, qui précipitèrent la fin d’un Concordat devenu caduc ipso-facto . Il convient d’ailleurs de noter que si, en 1904, la République rappela son ambassadeur, le Saint-Siège, lui, maintint une représentation diplomatique, même discrète, à Paris.
Cette rupture a sans doute été vécue comme un traumatisme par le Saint-Siège alors même que, quelques années plus tôt, le pape Léon XIII avait autorisé les catholiques Français à rallier la République par la publication de l’encyclique « Au milieu des sollicitudes » du 16 février 1892. Le Saint-Siège se refusait, ainsi, comme il le fera avec la condamnation de l’Action Française en 1926, à entretenir même indirectement en France des ferments de haine et de division.
Avec un siècle de recul, alors que notre pays est victime d’une haine terroriste qui prend une Religion pour prétexte, la profonde sagesse des Papes Léon XIII et Pie XI est une leçon adressée à tous ceux qui pensent que croire en la transcendance divine autorise à s’affranchir de tous les droits humains.
Aussi, la rupture entre la France et le Saint Siège ne durera pas. La Grande Guerre, le sacrifice de près d’un million de Français, l’union sacrée de ceux qui croyaient au ciel et de ceux qui ni croyaient pas, le soutien des aumôniers aux poilus dans les tranchées, le retour dans le giron national de l’Alsace et de la Lorraine encore régies par le Concordat, l’élection d’une chambre bleue horizon et enfin la personnalité du Pape Benoît XV qui déclarait « regretter de ne pas être Français de naissance mais l’être de cœur » allaient évidemment changer radicalement les choses.
La canonisation de Jeanne d’Arc en 1920 et sa proclamation comme patronne de la France le 2 mars 1921 étaient les signes de la nouvelle bienveillance du Saint-Siège à l’égard de notre pays. Comme le Pape Pie VII, en son temps, le Pape Benoît XV eut alors la finesse de ne pas conditionner la reprise des relations diplomatiques à un retour à la situation antérieure et d’entériner, ainsi, la fin du Concordat.
De son côté, le Président Millerand acceptait de traiter de puissance à puissance avec le Saint-Siège, alors même que le Vatican n’était plus considéré comme un Etat de droit international depuis 1870. Il faudra attendre pour cela, on le sait, les fameux accords du Latran de 1929.
On serait alors en droit de s’étonner que le pape Benoît XV ait accepté avec une facilité apparente la Séparation de l’Eglise et de l’Etat alors même que son prédécesseur immédiat la tenait pour un terrible casus belli . C’est que la Loi de 1905 avait mis fin, en réalité, à sept siècles de gallicanisme, rendu à l’Eglise Catholique sa totale liberté et au Pape une autorité pleine et entière sur le clergé de France.
Votre lointain prédécesseur, Eminence, le Cardinal Secrétaire d’Etat, Rafel Merry del Val, ne s’y était pas trompé lorsqu’au lendemain du vote définitif de la Loi de Séparation il écrivait au chargé d’affaire de la Nonciature resté en poste à Paris : « il est de toute nécessité que la presse catholique ne fasse pas état du succès obtenu. Ce serait de la mauvaise politique… »
Pour mieux comprendre cette évolution dans l’appréciation du principe de laïcité par le Saint-Siège, il suffit de rappeler, ici, devant vous, que sous le régime concordataire, les évêques étaient nommés par le chef de l’Etat, avant d’être confirmé par le Pape, qu’ils avaient, par ailleurs, interdiction de se réunir entre eux et de communiquer avec le Saint-Siège sans l’autorisation du gouvernement et qu’enfin, les sermons des prêtres étaient soumis à la censure des préfets dès lors qu’ils abordaient des sujets considérés comme politiques.
Alors je sais bien qu’il a souvent été question de qualifier la laïcité française. On lui a parfois demandé d’être « positive », « constructive », « ouverte » ou, à l’inverse, « vigilante » voire « intransigeante ».
Or, je suis convaincu que dès lors qu’elle est conforme à l’esprit comme à la lettre de la Loi de 1905 et de ses différentes modifications, la Laïcité n’a pas besoin de qualificatifs. Loin d’être, comme certains font semblant de le croire, le moyen d’exclure le fait religieux de l’espace social et du débat public, elle délimite simplement les domaines d’intervention de l’Etat d’un côté et de la Religion de l’autre. Il n’est pas question d’un conflit de transcendance mais simplement de rendre à la République ce qui est à la République et à Dieu ce qui est à Dieu…
A cet égard, je n’ignore pas que les inquiétudes qui se sont faites jour à l'occasion des débats sur la loi confortant les principes de la République, qui a actualisé le régime d’organisation des cultes issu de la loi de 1905. Ce dernier datait d’une époque où l’islam était absent de France métropolitaine. Elle était pour partie tombée en obsolescence. Nous avons pris grand soin que la préparation du texte puis le débat parlementaire soit marqué par le respect le plus rigoureux des libertés constitutionnellement et conventionnellement garanties. In fine, le statut des associations cultuelles et diocésaines est modernisé et conforté. Leurs sources de financement sont étendues, sans que cela n’entraine aucun alourdissement administratif. C’est la raison pour laquelle le ministre de l’intérieur veillera attentivement à ce que dans le décret d’application la loi, la demande quinquennale de renouvellement de la qualité d’association cultuelle soit la plus simple possible et que les formalités pour dons et legs soient allégées.
La loi confortant les principes de la République n’est donc en rien constitutive d’un changement de paradigme de la laïcité républicaine mais vient au contraire la consacrer en l’adaptant au temps présent.
Pourtant, et c’est toute la subtilité d’une République laïque qui entretient des relations diplomatiques avec le Saint Siège, le gouvernement Français ne pouvait pas rester totalement étranger à la nomination d’évêques qui, chacun dans leur département, occupaient et occupent toujours une place importante qui les met, de fait, en lien étroit avec les autorités civiles. Un accord fut donc trouvé dans le cadre de la reprise des relations diplomatiques. Le Nonce Apostolique en France, aujourd’hui Monseigneur Migliore pour lequel j’ai, à titre personnel, je tiens à le dire ici, estime et amitié tant je puis témoigner tout à la fois de son sens de la mesure et de l’intérêt général, retrouvait toute ses prérogatives et en particulier son rôle de doyen du corps diplomatique en France. Le gouvernement Français, obtenait quant à lui, le droit de se voir communiqué le nom des évêques pressentis quinze jours avant leur nomination et la possibilité de soulever une objection d’ordre politique. En un siècle cet accord a prouvé sa validité.
Le plus marquant pour les spécialistes de l’histoire diplomatique est que cet accord ne donna lieu à aucun traité ni texte de nature internationale mais qu’il prit simplement la forme de lettres d’intention et de simples aide-mémoires. Preuve que l’on peut faire de la grande diplomatie avec une économie de moyens et de mots…
Entre la France et le Saint-Siège, 1921 ne marque donc pas le retour au régime du Concordat mais bien à celui de l’esprit de concorde. Aussi, je suis venu affirmer ici, dans cette villa Bonaparte ou siège de notre représentation près l’Etat de la Cité du Vatican, que malgré les difficultés ou les incompréhensions qui ont pu troubler, depuis, les relations entre la France et le Saint-Siège, c’est toujours l’esprit de concorde qui finit par l’emporter sur la tentation de la rupture.
Un esprit de concorde qui depuis la reprise des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège a rendu possible la signature de quatorze conventions ou accords de gouvernement. L’un des plus récents adopté en juillet 2016 concerne les Pieux établissements Français à Rome placés, vous le savez, sous la Présidence de notre ambassadrice. Qu’il me soit permis de dire ici combien je partage l’opinion de Monseigneur Paul-Richard Gallagher, Secrétaire pour les relations avec les Etats, qui voyait dans la permanence de ces fondations religieuses dont certaines remontent au XIVème siècle un signe « de l’excellent esprit d’entente bilatéral qui existe entre le Saint-Siège et la France. »
Un esprit de concorde qui a permis à la République Française d’accueillir plus de quatorze Nonces Apostoliques en un siècle, dont un, le Cardinal Angelo Roncalli -, qui recevra, à genoux, la barrette des mains du Président Auriol au Palais de l’Elysée, - est entré dans l’Histoire sous le nom de pape Jean XXIII.
Un esprit de concorde qui a permis au Saint-Siège de recevoir les lettres de créances de plus de trente ambassadeurs de France parmi lesquels on compte le philosophe Jacques Maritain. Si je cite Jacques Maritain c’est parce que je persiste à croire, et c’était aussi le cas du général De Gaulle, qu’au-delà de la Foi des catholiques de notre pays, la pensée chrétienne, parce que le Christianisme est la religion de l’incarnation et donc d’un humanisme, est en mesure de parler à toutes les consciences et donc à toutes les bonnes volontés.
Le Pape Jean-Paul II rappelait dans son homélie du Bourget, il y a plus de quarante ans maintenant, que cet Humanisme Chrétien que j’évoquais à l’instant a beaucoup en partage avec celui de la République Française car lui aussi promeut, enseigne et défend à travers l'idée de liberté, d'égalité et de fraternité.
Ainsi, lorsque la République Française accueille des Afghans qui fuient leur pays, elle est évidemment fidèle au troisième mot de sa devise qui est Fraternité mais ce faisant elle rejoint aussi la préoccupation permanente du pape François sur la question des migrants et de leur accueil, au nom de cet idéal de « fraternité humaine » objet de sa dernière encyclique et illustrée en France, cher monseigneur Aupetit, par ce beau projet qu’est la maison Bakhita inaugurée voici deux semaines dans le 18 ème arrondissement de Paris. J’ai à l’esprit l’engagement discret et efficace des associations catholiques dans l’accueil des plus pauvres, certaines d’entre elles étant des partenaires majeurs des pouvoirs publics contre la pauvreté.
J’y vois une autre contribution des catholiques à ce que le Président de la République qualifiait dans son discours aux Bernardins « d’humanisme réaliste », dont nous avons tant besoin pour ne pas laisser prévaloir les discours de rejet, qui se font si facilement entendre ces temps-ci.
L’émotion légitime de notre opinion publique après la publication des conclusions de la commission présidée par Monsieur Jean-Marc Sauvé sur les abus sexuels dans l’Eglise, dit, à elle seule, combien les Français attendent de cette institution séculaire, protection, bienveillance et exemplarité. Mes pensées vont d’abord à toutes les victimes et notamment à celles qui ont eu la force de briser le silence après des décennies de souffrance.
C’est l’église de France qui a commandé ce rapport et permis à cette commission de travailler en totale indépendance en lui en donnant les moyens matériels. Il lui appartient maintenant de trouver les réponses nécessaires. Mas la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce n’est en aucun cas la séparation de l’Eglise et de la Loi.
Cet esprit de concorde se manifeste également sur la scène internationale, où le Saint Siège et la France se retrouvent sur l’essentiel : l’attachement à la paix et au développement durable, une même préoccupation face à la mise à mal des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, un engagement sur le terrain aux côtés des populations, et notamment des Chrétiens d’orient.
Nous nous retrouvons aussi sur les enjeux climatiques : l’encyclique Laudato Si a ouvert la voie à l’adoption des Accords de Paris, en 2015, et reste un texte de référence. L’appel du Saint Père, au début du mois, à ce que la COP 26 agisse avec urgence pour offrir des réponses, est à la hauteur de la gravité de la crise écologique.
Cet esprit de concorde se manifeste enfin dans le dialogue entre l’Etat et les responsables de l’Eglise catholique à l’occasion des instances annuelles qui se réunissent à Matignon, sous la co-présidence du nonce apostolique. J’ai pu apprécier en mars dernier le caractère à la fois ample et concret de nos échanges, qui ont duré trois heures. Le gouvernement que je dirige y attache la plus haute importance et je ne laisserai pas dire, comme certains le laissent à penser, que les catholiques sont en France au mieux écoutés, rarement entendus, au motif que la France se séculariserait. Nous pouvons ne pas être d’accord mais, comme l’a indiqué le Président de la République ; « nous écoutons une voix qui tire sa force du réel et sa clarté d’une pensée où la raison dialogue avec une conception transcendante de l’homme. Nous l’écoutons avec intérêt, avec respect et même nous pouvons faire nôtres nombre de ses points ».
Comme en échos, et l’esprit de concorde que je n’ai cessé d’évoquer au cours de mon propos autant que la courtoisie républicaine m’invite à le faire, je voudrais citer, pour finir, les mots d’un prélat Français.
En 1996, Monseigneur Dagens disait en substance ; « la Séparation se présentait à l’origine comme une idéologie conquérante et anticatholique. La Laïcité est aujourd’hui un cadre institutionnel et, en même temps, un état d’esprit qui aide à reconnaître la réalité du fait religieux et spécialement du fait religieux chrétien dans l’histoire de la société française ».
Il me semble que le Président de la République et l’évêque membre de l’Académie Française ont su résumer par leurs propos et à vingt ans d’intervalle, la réalité d’un lien qui appartient à l’histoire de France.
Je vous remercie.

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