Discours de clôture du Premier ministre Édouard Philippe à la conférence internationale sur les Sargasses

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 26/10/2019

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Clôture de la conférence internationale sur les Sargasses
Guadeloupe, 26 octobre 2019
Mesdames et messieurs les ministres, ministres et représentants des gouvernements, des territoires et des organisations régionales,
Mesdames les ministres,
Monsieur le président du conseil régional de Guadeloupe, cher Ary,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin,
Mesdames et messieurs,
Vous vous souvenez peut-être de ce vieil homme qui n’arrive plus à pêcher du poisson. Santiago, le pêcheur cubain du Vieil homme et la mer, d’Ernest Hemingway. Tout le monde se détourne de lui, car sa malchance inquiète et c’est une tendance naturelle d’aller vers les gens ou les lieux à qui tout réussit. Mais Santiago, qui aime le base-ball et la mer, a la fierté et le courage de ceux qui ne renoncent pas. Alors il part, seul sur sa barque, dans le Gulf Stream, au-milieu des sargasses.
Dans cette fable, ce vieil homme fatigué représente au fond notre humanité. Une humanité qui a conscience de ses limites, mais qui sait se dépasser. Non par orgueil. Mais pour les générations à venir. Car tout au long de son périple, qui l’éprouve au plus profond de sa chair et de sa bravoure, Santiago pense à Manolin, qui est comme un fils à qui il a appris le métier de pêcheur.
Des Santiago, des Manolin, j’en ai rencontré beaucoup en Guadeloupe. Des femmes et des hommes qui connaissent intimement la mer. Qui savent qu’elle est leur meilleure alliée. Et pour autant, qui savent que la mer est porteuse de menaces qui les éprouvent. J’ai rencontré tout à l’heure M. Roméo RAMBINAISING qui gère, avec sa famille, le restaurant « chez Coco ». C’est un lieu très touristique, la Porte d’Enfer, c’est un lieu qui subit de plein fouet les échouages d’algues sargasses. Et comme lui, dans tous les Etats riverains de la Caraïbe, des hommes et des femmes subissent ce phénomène récent, qui ne doit pas nous laisser en échec.
C’était donc une priorité pour la France d’accueillir cette conférence internationale sur les sargasses en Guadeloupe. Je vous remercie tous pour votre engagement, notamment le Président Chalus, ainsi que le sénateur de Guadeloupe, Dominique THEOPHILE, à qui j’avais confié une mission sur les sargasses qui a débouché sur cette conférence internationale.
Son format et ses ambitions sont inédits puisqu’elle réunit tous les Etats de la Caraïbe et les organisations régionales avec des acteurs non étatiques de droit international, des chercheurs, des experts et des collectivités. Etant confrontés au même problème, il nous revient de mutualiser nos forces pour bâtir une réponse coordonnée et efficace à l’échouage des sargasses sur nos côtes.
Ce phénomène est un désastre. D’abord pour nos écosystèmes littoraux, qui en sont profondément altérés. Ensuite pour nos économies, notamment quand elles sont orientées vers le tourisme, pour la pêche et pour l’aquaculture. Enfin pour nos populations, affectées par les émanations de sulfure d’hydrogène. J’en ai mesuré les effets, ce matin, à l’Anse Bertrand.
C’est pourquoi la déclaration finale que nous venons d’adopter et qui vient d’être lue acte la nécessité de répondre à ce fléau par une coopération multilatérale, dans l’esprit de la convention de Carthagène qui pose un cadre multilatéral de dialogue et de coopération pour gérer les risques naturels et la pollution. Nous nous appuierons sur le programme INTERREG « pour un observatoire caribéen de lutte contre les sargasses », élaboré par la Guadeloupe. Le but de cette coopération multilatérale est simple : transformer ce fléau des sargasses en une opportunité scientifique, économique et écologique.
Permettez-moi de rappeler la doctrine d’action du Gouvernement. La première manifestation de cette crise des sargasses remonte à 2010. Mais l’effort entrepris à ce moment-là n’a pas été continu. Quand les échouages de sargasses ont repris en 2018, la mémoire faisait donc défaut au plan national.
C’est pourquoi, il y a un an, nous avons décidé de construire un plan national de prévention et de lutte contre les sargasses : l’extrême intensité du phénomène exige que la solidarité nationale soutienne les collectivités chargées de leur évacuation et de leur élimination. La pérennité des échouages imposait par ailleurs que nous disposions d’un guide opérationnel pour favoriser l’enlèvement des sargasses échouées en 48 heures.
Nous avons aussi élaboré des plans départements, en Guadeloupe et en Martinique. En Guadeloupe, je salue la « mission sargasses » menée, depuis mai 2017, sous l’autorité du préfet Philippe GUSTIN et du sous-préfet de Pointe-à-Pitre, Jean-Michel JUMEZ.
Le plan national a d’abord mis en place un système de prévision et de suivi des échouages, notamment par satellite, grâce à Météo France.
Ce plan national place ensuite la santé de nos concitoyens au cœur de ses préoccupations. Les agences françaises de santé ayant fixé des références et des seuils d’exposition aux émanations des sargasses, nous continuerons à mesurer avec la plus grande vigilance la qualité de l’air. En Guadeloupe, 24 sites prioritaires font déjà l’objet d’une veille quotidienne sur la base de données provenant du réseau de capteurs fixes installés par GWAD’AIR : ils suivent en permanence les concentrations en sulfure d'hydrogène et en ammoniaque. Idem en Martinique.
Avec la déclaration finale que nous venons d’adopter, les collectivités et la population seront informées en temps réels des relevés de mesures permanentes effectuées quotidiennement sur le territoire.
Enfin, ce plan accompagne les concitoyens et les entreprises touchés par les sargasses pour limiter les pertes économiques. L’Etat a engagé des discussions avec les compagnies d’assurance pour inclure le risque sargasse dans les contrats d’assurance. Par ailleurs il apporte des outils, aux entreprises, dans le cadre des guichets uniques : l’accompagnement va de l’échelonnement des cotisations sociales à la relocalisation des activités.
En Guadeloupe, 111 entreprises ont actuellement recours à ce guichet unique et je vais rappeler par une instruction au préfet, au directeur des finances publiques et aux organismes de sécurité sociale les principes d’accompagnement des entreprises.
Par ailleurs, je le disais, notre objectif est d’intervenir en moins de 48h pour éviter la décomposition des algues. Ce qui implique de financer le matériel de ramassage spécifique. L’État s’est engagé à cofinancer avec les collectivités un plan d’équipement des territoires à hauteur de 4 à 5 M€ sur 2018-2019 au sein d’un plan global d’équipement qui s’élève à 12 millions d’euros. Pour la Guadeloupe, en 2019, l’État a financé 1,7 M€ de matériel d’équipement. Et, sur les trois prochaines années, nous contribuons au fonctionnement du dispositif de grande ampleur que la région Guadeloupe est en train d’acquérir. Au total, en 2018 et en 2019, l’Etat aura engagé près de 10 M€ chaque année pour la recherche, l’enlèvement et la valorisation des sargasses.
Et si l’échouage des sargasses atteind des intensités exceptionnelles, vous pourrez compter sur la solidarité nationale car je sais que le budget des communes peut être tendu. Dans le budget pour 2020, nous commençons la première étape d’alignement des dotations de péréquation des communes d’outre-mer sur celles de l’Hexagone : les communes d’outre-mer devraient toucher 17 M€ de plus qu’en 2019. Pour les communes de Guadeloupe et de Martinique, cela représentera 4,7 M€. C’est un premier pas. J’ai confié au président de la délégation aux collectivités territoriales de l’Assemblée nationale, Jean-René CAZENEUVE, et au sénateur Georges PATIENT, une mission sur les modalités d’alignement des dotations : elles pourront prendre en compte les charges spécifiques des collectivités.
Nous devons aussi concevoir des modes de financement spécialement dédiés à la lutte contre les sargasses. Je suis à l’écoute des propositions que formuleront les élus des collectivités et les parlementaires. Parlons-en.
Dans ce front commun que nous opposons à l’invasion des sargasses, la recherche scientifique doit évidemment continuer à nous guider, en nous aidant à comprendre et à agir. Et à l’inverse, ce fléau des sargasses peut et doit être une opportunité pour la recherche.
Avant 2010, les algues brunes abondaient uniquement dans l’océan tropical Atlantique Nord, notamment dans la bien-nommée mer des Sargasses. La prolifération actuelle a vraisemblablement des origines humaines. On sait que l’intensification de la déforestation et l’agriculture augmente les sédiments et les engrais charriés par l’Amazone.
La recherche est donc notre alliée la plus sûre pour éclairer les causes, anticiper les conséquences sanitaires et environnementales, et proposer des stratégies de combat. Nous ne pourrons construire aucune solution durable sans miser sur la science, en finançant des programmes de recherche internationaux.
Je salue donc d’ailleurs vivement l’appel à projets de recherche sur les sargasses initié, en juillet 2018, par le MESRI et par l’Agence nationale de la recherche. Cet appel à projets est doté de 8,5 M€ notamment financés par l’Europe, l’ANR et l’ADEME, mais aussi par les collectivités et par le fonds de recherche de l’Etat de Sao Paulo, pour unir nos moyens et nos compétences scientifiques.
Les douze projets retenus, qui associent des équipes françaises et des pays de la Caraïbe et d’Amérique, pourront débuter début 2020, pour trois ans, et couvrent tout le champ des questions posées par les sargasses, de leur origine à leur valorisation.
Cette coopération scientifique internationale sur les sargasses a vocation à se poursuivre par un nouvel appel à projets, en 2020. Là encore, nous souhaitons que l’ANR, aux côtés de ses homologues brésiliennes, mexicaines et américaines, fédère les forces vives de la recherche française et internationale, à commencer par l’Université des Antilles et les organismes de recherche auxquels elle est associée.
Les sargasses peuvent enfin devenir une formidable source d’opportunités économiques, si on trouve comment les valoriser. Car ces algues sont des incubateurs de biodiversité, de micro écosystèmes inestimables. Ce n’est pas un hasard si les tortues y pondent leurs œufs. Toute une économie bleue reste à inventer.
J’ai rencontré cet après-midi comme vous des participants du salon « Sarg’Expo », le salon international des techniques innovantes de prévision, de suivi, de collecte et de valorisation des algues sargasses. Des entreprises de différents pays ont tout un tas d’idées pour empêcher les sargasses de s’échouer, grâce aux barrages ou aux barges aspirantes, mais aussi pour les valoriser.
De premières pistes de valorisation des sargasses commencent à se dessiner. Elles peuvent servir à la production de bioplastique, comme les algues vertes en Bretagne, ou produire du charbon actif qui filtre l’eau. Le compostage de ces algues peut aussi être utilisé comme engrais agricole pour l’épandage.
Cette conférence internationale, Mesdames et Messieurs, a été labellisée par la Commission océanographique intergouvernementale pour les Caraïbes comme une contribution française à la Décennie des Nations-Unies pour les sciences océaniques au service du développement durable. Cette Décennie s’ouvrira officiellement le 1er janvier 2021 et vise à renforcer la coordination de la communauté scientifique, des gouvernements, de la société civile et du système onusien pour « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. »
La France veut rester à l’avant-poste du basculement vers une économie verte et bleue. Nos concitoyens comptent sur nous, d’un bout à l’autre de la planète. Et c’est par l’engagement de chacun tout comme par la coopération internationale que nous réussirons. De grands rendez-vous nous attendent. Le 2 décembre, la COP 25 sur le climat se réunira au Chili, et nous sommes déterminés à ce qu’elle soit une « COP bleue » au sens où nous l’entendons. La France va aussi organiser le Congrès mondial de la Nature, du 11 au 19 juin 2020, à Marseille. Nous sommes tout aussi engagés dans les travaux préparatoires de la COP 15 de la Convention sur la diversité biologique qui se tiendra en Chine, fin 2020.
J’espère, Mesdames et Messieurs, que cette crise des sargasses nous rappellera l’essentiel. Quand la nature semble nous menacer, c’est une invitation à l’humilité, à la mesure mais aussi à l’intelligence collective. Tous les lecteurs des épopées de la mer le savent. Parfois, le monstre a le visage effrayant d’une baleine. Parfois, il ressemble à ces prairies brunes de sargasses qui effrayèrent tant Christophe Colomb et son équipage, tout en leur laissant supposer qu’ils approchaient de quelque chose qu’il n’imaginait pas complètement.
Un de nos auteurs français les plus populaires, Jules Verne, consacre aussi un chapitre à la mer des Sargasses, dans Vingt mille lieues sous les mers, qui est un peu notre Moby Dick à nous. Aujourd’hui, les sargasses ne sont plus circonscrites à la mer des Sargasses mais Jules Verne est étonnamment visionnaire quand il décrit ces algues comme une « réserve précieuse que prépare la prévoyante nature pour ce moment où les hommes auront épuisé les mines du continent. »
Jules Verne était aussi un précurseur de l’économie bleue. Il est grand temps de transformer son intuition en réalité, pour continuer à sillonner nos océans avec émerveillement et sécurité.
Je vous remercie.

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