Commémoration des combats de Bazeilles à Fréjus

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 01/09/2019

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre

Commémoration des combats de Bazeilles à Fréjus

Le 31 août 2019
Officiers,
Sous-officiers,
Caporaux-chefs,
Caporaux, marsouins, bigors et sapeurs de marine, dignes héritiers de la Division bleue,
C’était la dernière cartouche. Et, avec elle, le dernier espoir qui partait en fumée. Bazeilles était en flammes, comme un brasier sinistre. Mais cette dernière cartouche allait marquer l’histoire. Car la victoire venait de faire défaut aux héros de Bazeilles. Mais pas l’honneur, ni la bravoure.
La veille, le 31 août 1870, vers cinq heures du matin, l’ébranlement du canon avait fait tressaillir les habitants de ce petit village des Ardennes. Certains étaient partis, à l’approche des combats. D’autres étaient arrivés pour défendre cette frontière, pour défendre leur nation.
Ce n’était pas n’importe quels combattants qui montaient au combat. C’était les troupes de marine qui formaient « la Division bleue », sous le commandement du général de Vassoigne. Certains de ces soldats avaient déjà sillonné les ports métropolitains et les garnisons d’outre-mer, à bord des bateaux de la marine impériale. Aux côtés de ces « lions de la mer », d’autres recrues étaient moins aguerries, mais non moins valeureuses.
Dans La Débâcle, Emile Zola décrit « ces jeunes soldats [qui] arrivaient de Toulon, de Rochefort ou de Brest, à peine instruits, sans avoir jamais fait le coup de feu ; et, depuis le matin, ils se battaient avec une bravoure, une solidité de vétérans ». Ces hommes, jusqu’alors « alourdis d’inaccoutumance, se révélaient comme les mieux disciplinés, les plus fraternellement unis d’un lien de devoir et d’abnégation, devant l’ennemi. »
Ces héros, un à un, donnèrent leur vie pour écrire une page de notre histoire collective. Une page glorieuse et tragique de notre histoire militaire et européenne. Nous la commémorons aujourd’hui avec une très grande solennité et beaucoup d’émotion. Car vous incarnez la continuité des plus hautes valeurs militaires. Et vous défendez la grandeur de la France, non plus contre l’Europe ou seuls en Europe, mais au sein d’une Europe réconciliée.
Ce récit, vous le connaissez par cœur. Il marque un point d’orgue de la guerre franco-prussienne. Depuis le 19 juillet 1870, cette guerre opposait une France, isolée diplomatiquement, à la Confédération de l’Allemagne du Nord, que dirigeait une Prusse redoutable militairement.
A quelques kilomètres de Sedan, Bazeilles résiste. A deux reprises, marsouins et bigors de la « Division bleue » expulsent l’ennemi. Mais le lendemain, le 1er septembre 1870, les Bavarois reviennent en nombre. Pour les soldats français, l’infériorité numérique et matérielle devient écrasante.
Quelques officiers et une trentaine de soldats se retranchent dans une auberge en feu, un peu isolée, la maison Bourgerie. La plupart de ces hommes sont blessés. « Les balles sifflaient comme un vent d’équinoxe », décrit Zola. Ces héros repoussent encore les assaillants pendant quatre heures. Enfin, la dernière cartouche est brûlée.
Cette « dernière cartouche », le peintre Alphonse de Neuville l’a immortalisée comme l’un de nos symboles patriotiques. Le symbole « d’une nation vaincue mais glorieuse ». Le symbole d’une poignée d’hommes qui ont lutté jusqu’aux limites extrêmes du devoir, jusqu’au sacrifice de leur vie. L’ennemi lui-même rendit les honneurs à ceux qui avaient refusé de baisser les armes. A ces soldats de marine qui jetèrent l’ancre à Bazeilles, pour la dernière fois.
Depuis longtemps déjà, les vétérans de Bazeilles ont rejoint les champs d’honneur de notre postérité militaire. Depuis longtemps aussi, le Prussien ou l’Allemand n’est plus « l’ennemi », mais notre allié.
Pour autant, cette histoire de Bazeilles, vous ne la connaissez pas seulement par cœur. Vous la connaissez aussi par le cœur, intimement, par l’expérience de vos engagements dans le Golfe, en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, et plus récemment en Afghanistan, au Sahel ou au Levant. Le récit de Bazeilles, c’est toujours le vôtre, malgré la réconciliation européenne. C’est le quotidien de celles et ceux qui se battent en ce moment-même sur tous nos théâtres d’opération. Le quotidien de ces femmes et de ces « homme[s] de fer que rien ne lasse » [hymne des troupes de marine].
Cette ancre d’or que vous arborez sur vos coiffes est la marque d’un style très spécifique, forgé au service des outre-mer et des expéditions lointaines. Elle est la marque d’une grande faculté d'adaptation aux situations les plus insolites, les plus extrêmes, les plus dangereuses. La marque d’une fraternité d’armes indéfectible. La marque d’une ouverture aux autres et au monde.
L’héroïsme de Bazeilles, c’est celui des combattants qui vous ont précédés, notamment les Anciens que vous mettez à l’honneur ce soir. Ce sera celui des soldats que vous accueillez aujourd’hui dans vos rangs, au service de la France, au péril de leur confort, de leur intégrité et peut-être de leur vie.
L’héroïsme de Bazeilles consiste à porter au plus haut niveau des vertus militaires universelles que vous connaissez mieux que quiconque : le courage qui permet aux hommes de se dépasser « dans la bataille et la tempête » ; la volonté de faire face pour ne jamais subir ; la fidélité à la parole donnée, « contre vents et marées » ; l'esprit de sacrifice qui fait de l’infanterie de marine « l’arme de tous les héroïsmes et de toutes les abnégations », selon les mots du maréchal Lyautey. Bazeilles n’est pas seulement un haut fait militaire devenu lieu de mémoire. C’est une manière d’être au monde, jusqu’à l’héroïsme, parfois tragique : c’est l’autre nom de Camerone, de Sidi Brahim, de Monte Cassino, ou de Dien Bien Phu.
Bazeilles, c’est aussi l’esprit de résistance. La résistance de la Nation en armes qui refuse de voir son territoire mutilé. Arrêter, défendre, tenir, contre-attaquer, vous connaissez et vous incarnez la pugnacité qu’il faut mobiliser lorsque ces mots prennent un sens très concret. Celui de la survie, individuelle et collective.
L’esprit de résistance consiste enfin à endiguer les obscurantismes et les fanatismes. A contrer, à éduquer, à réprimer ceux qui nous menacent pour ce que nous sommes, ce en quoi nous croyons. Les héros de Bazeilles défendaient notre frontière territoriale. Actuellement, nous défendons également des frontières moins visibles mais tout aussi vitales pour notre avenir, pour notre intégrité. Vous défendez un monde où la liberté et la raison restent des valeurs cardinales.
C’est précisément pour cela, et parce que nous vivons dans un monde dangereux où nous devons défendre nos intérêts, que la France a décidé, par la voix du Président de la République, avec l’accord du Parlement, de consacrer depuis 2018 des moyens chaque année accrus à nos armées.
C’est pourquoi aussi la ministre des armées et le chef d’état-major de l’armée de Terre accordent une grande attention à nos blessés, à leur famille, et plus généralement à la condition du personnel. J’y suis très attentif car il ne saurait y avoir de combat victorieux à l’avant sans un soutien efficace à l’arrière. Je sais que, sur leur lit d’hôpital, les blessés affrontent un nouveau combat. Ils sont soutenus et soignés par le service de santé des armées, dont l’action est exemplaire, et j’ai une pensée toute particulière pour Marc Laycuras, médecin militaire tombé le 2 avril dernier au Mali, aux côtés de ses frères d’armes du 2ème de Marine.
Ce soir, en commémorant le 149ème anniversaire de Bazeilles, je m’incline avec un immense respect devant vos drapeaux et vos étendards. Ils portent haut les couleurs de la France et les plis de leur soie gardent en mémoire le sacrifice de tant des vôtres.
Ce soir, marsouins, bigors, sapeurs de marine, soyez fiers de ce que vous êtes. Un jour, vous défendrez peut-être, vous aussi, votre maison Bourgerie. Et vous serez peut-être également face à vous-mêmes. Ce jour-là, souvenez-vous de Bazeilles. Souvenez-vous de ce qui nous rend plus grand. Souvenez-vous de la France.
Vive les Troupes de Marine, vive la République, vive la France !

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