Discours du Premier ministre lors du débat sur la motion de censure du 13 décembre 2018

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 13/12/2018

Discours de M. Édouard Philippe, Premier ministre
Débat sur la motion de censure déposée par MM. André CHASSAIGNE, Olivier FAURE, Jean-Luc MELENCHON et 59 membres de l’Assemblée
Assemblée nationale
13 décembre 2018
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les députés,
Monsieur le président Chassaigne ,
Entre le moment où votre motion de censure a été déposée et le moment où nous l’examinons aujourd’hui, il s’est produit à Strasbourg un événement tragique.
M. le président, vous avez rendu hommage aux victimes du marché de Noël de Strasbourg, à leur famille et à leurs proches. Permettez-moi de m’y associer. Je veux aussi exprimer la totale solidarité de l’Etat, du Gouvernement avec la population et les élus de Strasbourg. Nous avons mis des moyens considérables à la disposition du procureur de la République de Paris pour interpeller le principal suspect.
Je sais que certains d’entre vous ont sollicité le report de notre débat d’aujourd’hui, et j’ai rappelé hier, en réponse à une question du président Mélenchon , que le Gouvernement se tenait à la disposition de la représentation nationale. L’Assemblée nationale a décidé que le débat démocratique devait vivre, et que rien ne devait pouvoir le compromettre. Et c’est très bien ainsi.
Nous voici donc réunis pour débattre de la motion de censure que vous avez déposée, Mesdames et Messieurs les députés du groupe socialiste, du groupe de la France insoumise et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine à l’encontre de la politique du Gouvernement, en application de l’article 49 alinéa 2 de notre Constitution.
J’imagine que pour parvenir à déposer cette motion ensemble, vous avez dû peser chaque mot, car j’ai cru comprendre qu’entre vos trois groupes, des profondes divergences existent par ailleurs. D’une certaine manière, peut-être les députés du groupe socialiste nous reprochent-ils aujourd’hui de détricoter ce que les Insoumis et vous-mêmes reprochaient autrefois aux socialistes de tricoter. Je crois me souvenir, par exemple, que n’étiez pas aussi unanimes au moment de la loi dite El Khomri . Et vous voici, aujourd’hui, réunis, dans un compromis de circonstance.
Dans mes vieux souvenirs de droit constitutionnel, je crois me rappeler que lorsqu’on censure un Gouvernement, on doit, en théorie, se tenir prêt à présenter un projet alternatif. Je serais curieux de connaître le programme qui vous serait commun, si vous me permettez l’expression.
Que vous ne soyez pas d’accord avec tout ce que vous venez d’évoquer, ne m’étonne pas. En revanche, vous connaissant et connaissant votre sensibilité politique, je ne peux pas croire que cette motion censure les mesures de justice sociale que sont :
  • La hausse de 90 euros par mois de l’allocation adulte handicapé que cette majorité a votée ;
  • La hausse de 100 euros par mois du « minimum vieillesse » ;
  • Le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones d’éducation prioritaire ;
  • Je ne peux pas croire que vous censuriez la prise en charge, à partir de 2019, de 100% des frais de soins dentaires, d’optique ou de prothèses auditives ;
  • Comme je ne pense pas que vous soyez opposé à ce qu’1,6 million de Français modestes bénéficient d’une complémentaire santé pour des soins de bonne qualité au prix d’un euro par jour ;
  • Enfin, je ne vous savais pas l’adversaire de la revitalisation des centres de 222 villes moyennes, ni celui de la couverture de tout le territoire en très haut débit d’ici 2022.
La liste est longue. Je veux parler de ces mesures qui, jour après jour, offrent un soutien, donnent un avantage à ceux qui ont moins, évitent une dépense, augmentent des ressources modestes, recréent de l’égalité entre les territoires.
Ces mesures figuraient dans le projet du président de la République. Et ce Gouvernement, cette majorité, les ont mises en œuvre. Je n’ai rien contre la caricature. Mais j’aime aussi la vérité. Et ces mesures, quoi qu’on en pense, elles existent. Vous auriez pu les rappeler vous-même. Et dans le climat qui est le nôtre, où il est de notre responsabilité d’opposer le calme de la démocratie représentative aux soubresauts des débats médiatiques, j’aurais aimé que vous constatiez au moins que sur certains points, nous pouvons être d’accord.
Mais parlons de ce qui nous oppose. Des choix que nous faisons et qu’effectivement, vous n’avez jamais faits.
Notre choix, c’est d’abord celui du travail :
- Choisir le travail, c’est permettre d’y accéder dans les meilleures conditions qui soient : c’est le sens du développement massif de l’apprentissage. Le sens de PARCOURSUP, qui améliore l’accès à l’enseignement supérieur et remet le mérite et l’esprit républicain au cœur du système ;
- Choisir le travail, c’est mieux former tout au long de la vie : c’est le sens du plan d’investissement dans les compétences. Le sens de la refonte de notre système de formation professionnelle car nous voulons que celle-ci profite à ceux qui ont en le plus besoin ;
- Choisir le travail, c’est favoriser les indépendants, qui travaillent dur : nous sommes le Gouvernement qui a supprimé le R.S.I et aligné la protection sociale des travailleurs indépendants sur celle du régime général ;
- Choisir le travail enfin, c’est faire en sorte qu’il paye et qu’il paye mieux. C’est ce que je retiens d’abord du mouvement des « Gilets jaunes ». Ils nous parlent de dignité. De volonté de vivre des fruits de son travail. Du besoin de vivre, sans que la moindre sortie en famille vire au casse-tête financier. Ce choix, nous l’avons fait dès le départ. Mais nous n’avons pas été assez vite. Les Français ont vu les transformations rapides que nous mettions en œuvre, mais ont trouvé trop lentes celles qui amélioraient directement leur pouvoir d’achat. Ils ne l’ont pas accepté. C’est pourquoi le Président nous a demandé d’accélérer, en mettant en œuvre trois mesures massives.
D’abord, augmenter le revenu des travailleurs au niveau du SMIC de cent euros par mois. Lorsque je vois la gauche, à nouveau unie, temporairement ou durablement, l’avenir nous le dira, souhaiter censurer un Gouvernement qui augmente de 100 euros les travailleurs au SMIC, je me dis qu’il n’y a plus guère de repères en ce bas monde.
Cette hausse de 100 euros elle se fera d’abord en accélérant considérablement l’engagement pris par le Président de la République d’augmenter la prime d’activité au niveau du SMIC ; ce qui devait se faire en 3 ans, entre 2019 et 2021 se fera en une seule étape, dès janvier 2019.
Soyons clair également : ces 100 euros viennent s’ajouter à la baisse des cotisations mise en œuvre en 2018. Cela veut dire qu’entre janvier 2018 et janvier 2019, la hausse sera plutôt de l’ordre de 125 euros.
Mais nous irons plus loin; nous avons entendu les critiques de ceux qui pointaient les limites du champ couvert par la prime d’activité ; nous voulons couvrir nettement plus que les 3 millions de ménages aujourd’hui bénéficiaires de la prime. C’est un soutien supplémentaire de très grande ampleur pour ceux qui travaillent et disposent de revenus modestes dans notre pays ; ce sont eux qui ont exprimé leur colère ces dernières semaines ; c’est à eux que sont destinées ces mesures.
Deuxième mesure : la défiscalisation des heures supplémentaires. Je trouve curieux que ceux qui aujourd’hui nous accusent de « ne pas en faire assez pour le pouvoir d’achat » soient ceux qui ont supprimé ce revenu supplémentaire. Cette mesure, c’est un gain de 360 euros par an en moyenne. Ce gain, monsieur le président, vous et vos amis l’avez repris.
Enfin, troisième mesure : nous créons une prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat, totalement exonérée d’impôts et de charges et pour un montant qui peut atteindre 1000 euros. Je note que depuis cette annonce, beaucoup d’entreprises se sont engagées à la verser et je veux saluer cet engagement.
Choix du travail, choix aussi de la compétitivité de nos entreprises et de l’attractivité de notre pays. Parce que l’entreprise est la première source d’emplois en France. Parce qu’on n’a encore rien trouvé de mieux que l’entreprise pour créer de la richesse. Parce que la réalité de l’entreprise dans notre pays, ce n’est pas uniquement le CAC 40, mais des millions de PME. Parce que s’il n’y a pas d’investissement et de capital, il n’y a pas d’emploi. Alors oui dès le départ, nous avons fait le choix de la compétitivité. Et nous confirmons ce choix en évitant de faire peser sur les entreprises le poids de la hausse de la rémunération du SMIC.
Enfin, dernier choix, celui du sérieux budgétaire. Je note que juste après les annonces du président de la République, beaucoup de responsables et de commentateurs se sont soudain convertis à cette vertu, ce dont je me réjouis. Mais ce souci traduit aussi une réalité : tout ce qui n’est pas financé, n’est ni certain, ni durable. Ce sérieux budgétaire n’est donc pas pour moi une question de dogme, mais d’éthique. Parce que ce n’est pas à nos enfants, à nos petits-enfants de boucler nos fins de mois. Et qu’un Etat providence qui vit à crédit est un Etat providence qui organise sa future défaillance.
La vérité c’est que si aujourd’hui on peut se permettre de financer ce plan massif en faveur des ménages, c’est parce que nous avons fait des efforts considérables en 2017 et en 2018. Et parce qu’aussi, nous avons convaincu nos partenaires et ceux qui nous prêtent de l’argent, de notre totale détermination à transformer le pays durant toute la durée de ce quinquennat.
Pour financer cet effort, nous présenterons la semaine prochaine des mesures d’économies budgétaires et de recettes sur les entreprises. Il y a plusieurs solutions possibles. Le débat avec le Parlement sur ce sujet est sain.
Mesdames et messieurs les députés, le temps presse. C’est pourquoi le Gouvernement entend mettre en œuvre ces mesures sans tarder.
Un projet de loi resserré, qui consolidera les mesures d’urgences économiques et sociales souhaitées par le Président de la République sera déposé en Conseil des ministres mercredi prochain le 19 décembre. Le Parlement pourra s’en saisir immédiatement.
Ce projet permettra aussi de supprimer la hausse de la CSG pour les pensions inférieures à 2 000 euros, ce qui permet à l’Etat de rendre aux retraités modestes environ 300 euros de pouvoir d’achat par an. Là aussi nous avons écouté et entendu les Français, qui nous ont dit que l’effort demandé à ces retraités était trop important.
Ces mesures massives doivent nous permettre de continuer à transformer le pays. Le Président de la République l’a dit. Il ne s’agit pas de revenir en arrière ni de faire comme si rien ne s’était passé.
Pour mieux associer les Français à ces transformations, nous engagerons le grand débat national voulu par le Président de la République. Un débat qui va porter sur quatre questions majeures :
  • La transition écologique que nous devons aborder territoire par territoire pour trouver des réponses très concrètes : comment se loger, comment se déplacer, comment se chauffer. L’urgence écologique demeure. Elle s’impose à nous. Les solutions classiques ont montré leurs limites. À nous de nous montrer innovants.
  • La deuxième question, c’est celle de la fiscalité. Derrière le rejet de la hausse de la taxe carbone, il y a de vraies questions et parfois de fortes critiques sur notre système fiscal. Quels sont les bons prélèvements ? Quel est le bon niveau de dépense ? Qu’est-ce qu’une fiscalité efficace et compétitive dans le monde d’aujourd’hui ? Comment rendre cette fiscalité plus simple, plus lisible ?
  • Troisième objet du débat, notre démocratie et la citoyenneté. Ces sujets méritent que nous décalions l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle pour y insérer d’éventuelles modifications voulues par les Français. Comment mieux associer les citoyens à la prise de décision ? Comment mieux représenter les sensibilités ? Comment répondre aux questions des Français sur l’immigration ? Comment mieux vivre ensemble et mener une politique d’intégration plus efficace et plus juste ?
  • Enfin, l’organisation de l’Etat et des services publics. Comment organisons-nous leur présence sur le territoire national dans un monde et dans une France qui changent ; dans une France où les mouvements de populations n’ont jamais été aussi massifs depuis 20 ou 30 ans. Comment prendre en compte la révolution numérique dans cette organisation ? Comment lutter contre le réflexe de la concentration ?
Ce débat, il a déjà commencé. Les partenaires sociaux travaillent depuis la semaine dernière, et hier encore, sur la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat et sur des solutions innovantes en matière de transport du quotidien. De nombreux maires ont ouvert leur mairie pour que puissent s’exprimer un certain nombre de revendication. Vous-mêmes, parlementaires, vous y prenez déjà, dans vos circonscriptions, toute votre place. Le Gouvernement proposera un cadre général pour fournir des supports, éclairer les questions, garantir la fiabilité de la remontée d’information. Mais le débat doit rester l’affaire de tous et le gouvernement compte sur les élus, les partenaires sociaux et la société civile pour l’aider à l’organiser.
Je l’ai dit la semaine dernière : aucune taxe ne justifie de mettre en danger l’unité de la Nation. Mais aucune suspension de taxe ne justifie de remettre en cause les transformations que les Français ont validées. Nous devons écouter cette colère. Nous savons qu’elle vient de très loin. Notre devoir était d’en prendre notre part de responsabilité. De corriger ce qui devait l’être. D’y répondre.
L’autre urgence, si vous me pardonnez ce paradoxe, c’est celui du temps long. Dès le mois de janvier, nous reprendrons le vaste mouvement de transformation du pays. Transformation de l’assurance chômage pour inciter au maximum au retour vers l’emploi et offrir plus de justice sociale. Transformation de notre fonction publique pour la rendre plus attractive, plus agile, plus fière d’elle-même aussi. Transformation de notre système de retraite. Pour en garantir la transparence, la robustesse et l’équité. Nous devrons anticiper le « choc humain et financier » de la dépendance pour que chacun en France, quels que soient ses moyens, sa situation familiale, son lieu de résidence, puisse vieillir dans la dignité.
C’est l’honneur de cette majorité de savoir concilier ces deux échelles de temps : le quotidien et l’avenir. De ne pas faire passer de manière systématique « Leurs enfants après eux » pour paraphraser le titre du beau roman de Nicolas MATHIEU. C’est l’honneur des hommes et des femmes qui la composent d’avoir quitté le confort d’une situation professionnelle, familiale, pour servir leur pays. Pour construire son avenir quitte, on l’a vu, à essuyer des coups parfois terribles. Et ce qui nous unit, au-delà de notre adhésion à cette stratégie, c’est la claire conscience qu’une seule chose serait pire que de décevoir, ce serait d’échouer.

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