Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Conseil national de l’industrie
Paris
Jeudi 22 novembre 2018
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le vice-président du CNI, cher Philippe VARIN,
Mesdames et messieurs, chers amis,
Certains d’entre vous le savent peut-être : à l’occasion de la première exposition universelle française, Napoléon III avait chargé l’architecte Jean-Marie-Victor VIEL et l’ingénieur Alexis BARRAULT de construire, ici-même, un « Palais de l’industrie ». Et le 15 novembre 1855, près de 40 000 invités se sont pressés à son inauguration.
163 ans après, le « Grand-Palais » a remplacé le « Palais de l’industrie » qui lui, a disparu. Cependant, ce qui demeure, c’est cette passion, cet intérêt encore largement partagé, pour tout ce qui touche de près ou de loin à l’industrie, aux machines, à l’innovation. Ainsi, d’ici quelques heures, à peu près autant de visiteurs qu’en 1855 arpenteront les allées de cette exposition. Et durant quelques jours, le « Palais de l’Industrie » percera de nouveau derrière le Grand-Palais.
Si, à 160 ans d’intervalle, des milliers de personnes continuent de répondre à l’appel, c’est que l’usine n’a rien perdu de son caractère « extraordinaire » comme vous le rappelez très justement.
D’abord, parce qu’en visitant les usines, on découvre que tout ce qui nous semble très ordinaire – une éolienne, un oreiller, un médicament – est le résultat de véritables miracles d’ingéniosité. Le résultat de compétences, d’investissements souvent lourds, de prises de risque et de pas mal de sueur.
Ensuite, parce qu’on ne devient pas ou on ne reste pas une grande puissance économique, voire une grande puissance tout court, sans un outil industriel innovant et compétitif. Toutes les grandes puissances économiques ont une industrie puissante.
Enfin de la santé de l’industrie dépend la santé économique et sociale de centaines de villes petites et moyennes. La santé aussi de dizaines d’écoles, de filières professionnelles, de milliers de métiers qualifiés et de savoir-faire dont notre pays a besoin s’il veut garantir sa souveraineté et construire son avenir.
C’est pourquoi, il y a précisément un an, au mois de novembre 2017, nous avons engagé une stratégie déterminée de reconquête industrielle. Une stratégie qui repose sur 4 piliers : l’amélioration de notre compétitivité-coût ; l’innovation ; la formation ; et une forte présence territoriale. Et nous avons mis cette stratégie en musique.
C’est le rôle pivot que nous avons donné au Conseil National de l’Industrie pour mener les initiatives que Bruno Le Maire et Philippe VARIN ont rappelées tout à l’heure.
C’est la structuration de 18 filières industrielles autour de contrats stratégiques de filières , qui seront tous signés d’ici la fin de l’année.
C’est la mobilisation de tous les ministres qui, dans leur champ de compétences, mènent des politiques publiques qui intéressent directement l’industrie.
C’est par exemple le cas de l’énergie. La PPE que prépare François DE RUGY inclut ainsi deux objectifs clairs : positionner nos industriels en priorité sur les technologies de la transition énergétique ; garantir à l’industrie française un approvisionnement bon marché en énergie.
C’est le cas de la formation : les transformations de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle que conduisent Frédérique VIDAL et Muriel PENICAUD, doivent permettre d’offrir à l’industrie les compétences dont elle a besoin.
Autre domaine : l’économie circulaire. Le projet de loi que prépare Brune POIRSON a pour but de faire de l’économie circulaire une source d’innovations et d’opportunités pour l’industrie, pas de lui imposer de nouvelles contraintes.
Enfin, le président de la République et moi-même avons souhaité confié à Mme Agnès PANNIER-RUNACHER une mission très claire de reconquête industrielle.
Nous avons par ailleurs doté notre pays des instruments nécessaires à notre ambition. C’est le plan d’investissement dans les compétences. C’est le fonds pour l’industrie et l’innovation. C’est le plan pour l’industrie du futur que j’ai annoncé le 20 septembre et dont nous avons engagé le déploiement. C’est la « French Fab » qui réunit toute notre industrie sous une bannière commune.
Je suis toujours prudent avec les résultats. En particulier dans l’industrie où on raisonne sur une échelle de temps longue. Cela n’interdit pas de nous réjouir de quelques signaux positifs.
D’abord et pour la première fois depuis dix ans, les entreprises recréent des emplois industriels en France.
Ensuite, la croissance de la production industrielle française dépasse désormais celles de nos principaux voisins européens.
Enfin, la France est le pays qui a accueilli en 2017 le plus d’investissements industriels étrangers en Europe.
Cela étant, nous risquons d’entrer dans une zone de turbulences.
C’est vrai en France s’agissant de certains dossiers très précis.
Mais c’est vrai surtout au niveau mondial : avec le retour des tensions commerciales et la hausse des tarifs douaniers. Avec le ralentissement de la croissance. Avec la transition écologique, que certes nous soutenons, mais qui bouleverse nos équilibres plus vite que prévu.
Tout cela va nous conduire à mettre l’accent durant l’année 2019 sur trois enjeux majeurs : l’Europe, l’innovation et surtout, les territoires.
Premier enjeu : l’Europe.
Comme vous le savez, l’année 2019 s’annonce déterminante pour l’Europe. Déterminante parce que les peuples se prononceront en mai sur des lignes extrêmement claires. Et parce que le Brexit connaîtra son épilogue ou, du moins, franchira une étape importante le 29 mars prochain.
Nous voulons donc en profiter pour replacer l’innovation et l’industrie au cœur du projet européen. Concrètement, cela signifie que nous sommes prêts, comme le propose l’Allemagne, à construire une filière de batteries européennes. Parce que demain, ces batteries représenteront la moitié de la valeur ajoutée d’un véhicule.
Cela signifie aussi que nous voulons faire de l’Europe une place forte de l’intelligence artificielle, dans le droit fil du plan que nous avons annoncé au mois de mars.
Cela signifie enfin que nous devons pouvoir construire des champions industriels européens. Je pense en particulier au domaine ferroviaire. Mais pour cela, nous devons avoir une vision équilibrée de la politique de la concurrence en Europe. Une vision qui tienne compte de la capacité de nos champions à résister à la concurrence internationale.
Pour évoquer ces sujets et les défendre en commun dans les enceintes européennes, nous réunirons le 18 décembre prochain à Paris, les ministres des pays européens qui partagent cette préoccupation de l’industrie, en particulier l’Allemagne.
Le Brexit ensuite. Qu’il soit dur ou non, il s’agit d’une perte pour l’Europe dans son ensemble.
Nous devons donc limiter ses conséquences négatives et jouer aussi notre carte, en rappelant par exemple que c’est le bon moment pour installer des usines chez nous et y investir.
Pour construire cette stratégie d’attractivité, pour la faire connaître aussi, nous avons fait appel au plus français des membres du Commonwealth, je veux parler de Ross Mc INES (ndlr : né à Calcutta de parents australiens ; diplômé d’Oxford, nationalité française).
Et le 21 janvier 2019, nous lancerons la 2 ème édition du sommet « Choose France » à Versailles, en nous adressant en priorité aux investisseurs industriels.
Deuxième grand enjeu de l’année 2019 : l’innovation.
Seul un lien très fort entre recherche, innovation et industrie nous permettra de tenir dans la compétition internationale dans quelques grands domaines d’excellence. C’est pour cette raison que nous avons, avec Bruno LE MAIRE et Frédérique VIDAL, intégré l’innovation à tous les contrats de filière.
Et c’est pourquoi nous avons décidé d’accompagner, – on l’a encore vu ce matin – les grands projets d’innovation des filières, en particulier ceux qui permettent de préparer les solutions de demain aux attentes de nos concitoyens.
Je veux parler des projets sur les batteries de 4 ème génération et sur l’hydrogène qui doivent nous aider à répondre aux enjeux de la PPE. Nous accompagnerons notamment la filière ferroviaire dans la conception d’un train à hydrogène capable de remplacer à un horizon 2030 les locomotives qui fonctionnent au diesel.
Autre projet innovant que nous allons accompagner cette fois dans le domaine de la santé, celui qui concerne la « Bioproduction» dont nous avons besoin pour vaincre le cancer.
Dans le droit fil des Etats généraux de l’alimentation, nous soutiendrons des projets dans le domaine de l’agro-alimentaire, en particulier sur la traçabilité des aliments.
Troisième et dernier défi de cette année : la reconquête des territoires d’industrie.
Je ne suis pas totalement sûr que si on demande aux Français quelles sont, selon eux, les cinq zones d’emplois les plus industrielles de France, ils vous répondent tous de manière uniforme et spontanée : la vallée de la Bresle en Seine-Maritime ; Oyonnax dans l’Ain ; la vallée de l’Arve en Haute-Savoie ; la Ferté-Bernard dans la Sarthe et enfin, Gien dans le Loiret. Et pourtant, l’avenir de l’emploi industriel du pays, c’est en grande partie dans ces territoires qu’il se joue.
Pour soutenir ces territoires, nous avons voulu construire une approche nouvelle. Une approche qui épouse de manière beaucoup plus fidèle la géographie industrielle de notre pays. Qui épouse aussi sa réalité institutionnelle, celle de la montée en puissance dans le domaine économique, des conseils régionaux et des intercommunalités.
Cette approche, elle doit surtout permettre de soutenir et de développer nos entreprises industrielles dans les villes moyennes et petites, celles où justement s’expriment avec le plus de force, la colère et l’inquiétude. Or, un des meilleurs moyens d’obtenir des gains de pouvoir d’achat, c’est d’aider nos usines, nos PMI, nos PME. Jusqu’à présent, on n’a rien trouvé de mieux pour créer de la richesse. Une richesse qu’on doit ensuite partager de manière équitable, sous la forme de hausses de salaires, d’intéressement, de prestations sociales et de services publics.
Pour conduire cette nouvelle méthode, nous avons demandé à une équipe aux profils divers de nous aider. Je voudrais ainsi remercier très sincèrement de leur aide : le député Bruno BONNELL, le vice-président de la région Centre, Harold HUWART, la maire de Port-Jérôme Virginie CAROLO ainsi que la chef d’entreprise Clémentine Gallet et Olivier LLUANSI.
Cette nouvelle approche repose sur trois principes.
Un principe de ciblage. Le C.N.I a dévoilé ce matin la carte des 124 territoires d’industrie que nous avons identifiés.
Ces territoires sont répartis dans toute la France : à Cholet, à Figeac, dans la vallée de l’Orne, en Corse, à la Réunion ou en Guyane. Leur superficie correspond à peu près à celle d’un bassin d’emploi et de consommation. Cette liste n’est ni figée, ni fermée. Elle est plus un début qu’une fin et c'est aux acteurs locaux qu’il reviendra de l’affiner.
Comme vous le verrez aussi sur la carte, dans leur grande majorité, ces territoires se situent en-dehors des métropoles, même si nous n’en n’avons pas fait une question de principe. Parfois, ils se situent à leur périphérie.
Ces 124 territoires, qui associent des industriels et des collectivités intéressées, vont signer durant les prochains moins, un contrat de « projet territorial industriel » pour formaliser les engagements que prendront les parties prenantes.
Le deuxième principe est un principe de gestion décentralisée. Les projets devront d’abord être gérés et animés par les acteurs locaux : industriels, maires, présidents d’EPCI. Car c’est par là que tout commence.
Mais, le pilote du dispositif, ce sera le président de région. Parce que la région est désormais devenue le principal acteur du développement économique territorial. J’entends souvent dire que nous aurions des difficultés à travailler avec les collectivités locales. La preuve que non : nous avons très bien travaillé avec celles et ceux qui ont bien voulu s’impliquer. Et je voudrais remercier très chaleureusement l’A.R.F et son président Hervé MORIN, ainsi que l’ensemble des présidents de régions. Je voudrais aussi remercier l’assemblée des communautés de France et son président, Jean-Luc RIGAUT qui mène depuis des mois une réflexion sur ces enjeux industriels.
Ce dispositif « Territoires d’industrie » sera d’ailleurs au cœur du dialogue que Bruno LE MAIRE a proposé de poursuivre de façon plus régulière et structurée avec les présidents de région dans le domaine du développement économique, dans la continuité des engagements que nous avons pris mi-octobre à Matignon.
Troisième principe : la concentration des moyens. Ces moyens sont à la fois financiers, avec plus d’un milliard d’euros de financements orientés en priorité vers ces territoires, administratifs, techniques et humains. Ces moyens forment une sorte de « panier de services » à destination des territoires d’industrie. Des services qui se structurent autour de 4 enjeux.
Premier enjeu : renforcer leur attractivité. Nous mettrons les bouchées doubles pour accélérer la couverture numérique de ces territoires. Nous avons sollicité la Banque des territoires pour qu’elle finance en priorité leurs projets, notamment fonciers. Business France effectuera des diagnostics d’attractivité et nommera un conseiller export pour chacun d’entre eux.
Le deuxième enjeu est celui des compétences. Nous mobiliserons en priorité les moyens du Plan d’investissement dans les compétences sur ces territoires. Avec l’aide de Bpifrance, nous voulons également y développer le « volontariat territorial en entreprise ». Son principe : orienter de façon privilégiée les étudiants en écoles d’ingénieurs ou de commerce vers des PME, qui ont souvent grand besoin de leurs compétences.
Troisième enjeu : l’innovation. Les territoires d’industrie bénéficieront en priorité des dispositifs que nous venons de lancer dans le cadre du Plan pour l’industrie du futur, du PIA régionalisé ou du dispositif « Territoires d’innovation » dont nous publions aujourd’hui le cahier des charges.
Dernier enjeu : la simplification. Nous lancerons un appel à projets « France expérimentation » dans les territoires d’industrie pour y faciliter les demandes de dérogations administratives et règlementaires. Nous y mettrons également en œuvre de manière prioritaire, l’usage du rescrit environnemental dans le but de sécuriser les projets en cours de développement.
En 1855, les autorités avaient décoré l’entrée du « Palais de l’industrie » avec une sculpture qui représentait la France en train de distribuer des couronnes à l’industrie pour lui témoigner reconnaissance. La couronne est aujourd’hui un peu passée de mode.
En revanche, la reconnaissance du pays est entière. Reconnaissance pour le travail qu’ont accompli le CNI, les collectivités territoriales et leurs groupements en faveur de l’industrie locale. Reconnaissance pour les entreprises et les associations qui ont accepté de soutenir ce pari un peu fou « d’Usine extraordinaire ».
Un pari dont j’ai maintenant assez retardé le coup d’envoi. Merci à tous de votre attention. Et vive l’industrie française.