Discours d'Édouard Philippe lors de la cérémonie d'investiture au rang d'officier honoraire de l'Ordre d'Australie

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 12/11/2018

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Cérémonie d'investiture au rang d'officier honoraire de l'Ordre d'Australie
Dimanche 11 novembre 2018
Paris
Seul le prononcé fait foi
Dear Mr Governor-General,
Ambassador,
Ladies and gentlemen,
Dear Australian friends and neighbours,
You heard me correctly; my English is not at fault. I did say “neighbours”. This is not something that is obvious when looking at a world map. Nor, perhaps, is it how our peoples consider each other. However, it is the truth: we are indeed neighbours.
We are neighbours because we defend shared values: freedom, democracy and respect for the rule of law. In defending these values, our peoples have paid and still pay a heavy price. Mr Governor-General, please allow me to express my most sincere condolences and assure you of France’s solidarity following the terrorist attack that led to one person being killed and two others being wounded in Melbourne on 9 November.
We are neighbours because we fought on the same beaches and in the same trenches. We felt the same cold, the same fear and the same shock. On 11 November 1918, we also experienced the same strange and oppressive silence, which spread from the glade in Rethondes to the thousands of kilometres of frontline. And when the world again plunged into war, more Australians lost their lives – in the Middle East, at Bardia in Libya, at Crete in Greece, at El Alamein in Egypt, and in Sicily. They also fell in the Pacific, alongside British troops, in New Guinea and the Philippines. More recently, our soldiers have fought together in Afghanistan and the Middle East. The blood we have spilled together has forged a special kind of relationship between us – we are neighbours regardless of time or space. Lastly, we are neighbours because of France’s presence in the South Pacific, in French Polynesia and New Caledonia, which I visited last Monday.
Quand j’étais enfant, ce voisinage était, je le reconnais, loin d’être évident. Et longtemps, l’Australie m’est apparue comme une terre lointaine. Une terre dont on mordait assez souvent la poussière quand elle nous rappelait que nous avions quelques progrès à accomplir en rugby. Mais la fascination l’emportait largement chez moi sur l’amertume de la défaite. Fascination pour un paysage grandiose, surnaturel, à la beauté démesurée. Je me souviens avoir contemplé à de nombreuses reprises, des photographies de l’ Uluru-Ayers Rock . Et m’être dit : « J’irais là-bas ». Je ne l’ai pas encore fait.
Les frères Farriss et Michael Hutchence du groupe INXS me fascinaient. Je ne sais pas pour vous, mais « Need you tonight » et « Never tear us apart » ont nourri ce que j’appellerais la « Bande originale » de mon adolescence. Dans cette B.O, on trouve évidemment le célébrissime « Beds are burning » de « Midnight Oil » et de son immense – au sens propre comme au sens figuré – interprète Peter Garret. Et n’importe quel adolescent français des années 80 vous dira le choc esthétique – voire le choc tout court- qu’il a ressenti devant la trilogie Mad Max de George Miller. Un choc auquel seuls les paysages australiens pouvaient donner cette puissance évocatrice.
Ma relation à l’Australie aurait pu s’arrêter là, ce qui après tout, aurait suffi à nouer une forme de familiarité avec une culture extrêmement riche et singulière. Mais voilà, je suis Havrais. Et progressivement, j’ai eu le bonheur de découvrir les liens à la fois anciens et puissants qui unissent le Havre à l’Australie. Et c’est ainsi que cette terre en apparence lointaine a fait son entrée dans mon voisinage le plus proche.
Ce lien, on le doit en particulier à un homme. À un Havrais bourré de talents et de curiosité – les deux vont souvent ensemble. Un Havrais qui n’avait pas froid aux yeux. De ceux qui, pour paraphraser Herman Melville dans Moby Dick, « sont tourmentés d’une éternelle démangeaison pour les choses lointaines et qui aiment naviguer sur les mers défendues ». Ce Havrais, c’est Charles-Alexandre Lesueur. Certains d’entre vous le connaissent peut-être.
Le 19 octobre 1800, Lesueur embarque sur l’un des deux navires qui composent l’expédition scientifique que conduit Nicolas Baudin. Le 27 mai 1801, après quelques aventures, l’équipage aperçoit ce qu’on appelle encore la « Nouvelle Hollande ». Tandis que l’expédition cartographie les côtes et répertorie les espèces – plus de 120 000 spécimen dont 1 500 nouvelles, ce qui en fait à ce jour, la plus grande expédition scientifique de tous les temps-, Lesueur observe, croque, dessine parfois en grand format, les hommes, les objets, les animaux, les reliefs qu’il découvre. Et de ce trésor de précision, d’étonnement émerveillé, le musée d’histoire naturelle du Havre conserve 1 200 dessins exceptionnels.
Ce témoignage quasi direct, de « première main » d’une Australie à la beauté brute, j’ai eu envie de le faire partager aux Australiens. De leur faire partager ces paysages, ces profils de côte, ces portraits, ces animaux, ces objets qui constituent le terreau de leurs racines et de leur culture. Quatre cent dessins ont ainsi quitté le Havre pour emprunter – par d’autres voies, je vous rassure – le chemin inverse de celui qu’ils avaient effectué il y a deux siècles et entreprendre une sorte de retour aux sources.
Avec une première halte ici même dans cette ambassade, en votre présence monsieur le Gouverneur général, au mois de juin 2016. D’autres étapes ont suivi : en Tasmanie, à Canberra, au musée maritime d’Adélaïde, au musée maritime de Sydney et au moment où je vous parle, à Perth. Et grâce à certains de ces dessins, les Australiens, en particulier ceux de culture aborigène, ont pu redécouvrir des objets oubliés. Et parfois les recréer. Ainsi, en Tasmanie, des artisans ont reconstitué des paniers en algues et des canoës en écorces que confectionnaient leurs ancêtres.
Et comme il n’y avait aucune raison pour que seuls les dessins et les scientifiques voyagent, je me suis rendu pour la première fois en Australie en mai 2015 pour signer les protocoles d’accord avec les six institutions culturelles qui participent à ce projet. Le voyage a été plus rapide que celui de Lesueur. J’y ai découvert des choses peut-être un peu moins exotiques, mais tout aussi étonnantes. L’opéra et les plages de Sydney. Incontournables. L’incroyable Museum of Old and New Art à Hobart en Tasmanie. Le whisky tasmanien. Avant et surtout après la visite. J’ai aussi découvert Canberra, Adélaïde. La chaleur et la générosité de l’accueil australien.
Une fois de plus, les choses auraient pu en rester là. J’avais largement de quoi me sentir presque chez moi chez vous.
Mais mes fonctions de premier ministre m’ont permis d’aller encore plus loin dans la conscience de ce voisinage. D’abord, en me rendant le 24 avril dernier à Villers-Bretonneux pour l’inauguration du centre Sir John Monash. Puis, en participant le lendemain à l’aube, aux cérémonies de l’ANZAC Day. Durant ces deux jours, j’ai découvert une ferveur, une fidélité à la mémoire qui m’ont bouleversé. Comme m’a bouleversé le lien si particulier qui unit la population de Villers-Bretonneux à l’Australie. Une ferveur, une fidélité qui donnent tout leur sens à ces quelques vers quasi prophétiques du poète australien Banjo Paterson qui datent je crois de 1916 : « They fixed their grip on the gaunt hillside / With a pluck that has won them fame / And the home-folks know that the dead men died/ For the pride of Australia’s name ».
Ces liens, cette mémoire, cette fierté, il nous appartient, maintenant que les cérémonies du Centenaire s’achèvent, de les faire vivre et de les transmettre. C’est pourquoi, monsieur le Gouverneur général, la France a proposé à votre pays de créer une fondation franco-australienne pour identifier et financer des projets éducatifs et culturels au sujet de cette histoire commune. Cette fondation, dont monsieur l’ambassadeur Stephen Brady assurera la présidence, devrait voir le jour au début de l’année 2019. Des centaines de milliers de Français et d’Australiens continueront ainsi d’évoquer, année après année, le souvenir de ces jeunes Français, de ces jeunes Australiens qui, ensemble, souvent côte à côte, sont morts à la fois pour la France et pour l’Australie.
Enfin, même si j’en connaissais l’existence, j’ai découvert de manière très concrète, le rôle que les forces françaises et australiennes jouent dans la surveillance et la sécurisation des voies maritimes du Pacifique Sud. Le rôle que jouent aussi nos deux pays dans l’assistance qu’ils apportent aux Etats insulaires qui font face à des urgences sanitaires. Une coopération militaire, humanitaire, stratégique qui est également, en particulier depuis 2016, industrielle.
Année après année, l’Australie s’est donc invitée dans mon imagination, dans l’histoire de mon pays, dans mes origines et enfin dans les fonctions que j’assume.
Je vais d’ailleurs vous faire une petite confidence : j’ai, dans un coin de ma tête, l’idée qu’un jour, quand je ne serai plus premier ministre, j’irai passer quelque temps chez vous. Pour parfaire ma connaissance du whisky tasmanien dont on ne maîtrise jamais totalement les subtilités. Pour bénéficier une nouvelle fois de la chaleur et de la générosité de votre accueil. Et pourquoi pas, pour y enseigner si une université australienne accepte de m’accueillir.
Vous le savez, j’aime l’histoire. Et j’aime les symboles, les coïncidences qui incarnent, illustrent, émaillent cette histoire. Comme par exemple la présence de cette petite couronne au-dessus de la médaille de l’ordre. Cette couronne, c’est celle du roi Edouard le Confesseur, plus connu sous le nom de « Saint Edouard ». En clair, c’est celle de mon Saint Patron. Libre à chacun d’en tirer les conjectures qu’il souhaite. Avant qu’Olivier Cromwell ne la détruise, cette couronne aurait paraît-il, servi au couronnement de Guillaume le Conquérant le jour de Noël 1066. Si tel est le cas, la boucle Australie-Normandie est belle et bien bouclée.
L’autre symbole, c’est le mimosa, qui est un des symboles de l’Australie. Une variété de mimosa que l’on connaît en France, en particulier sur la Côte d’Azur depuis son introduction au 19è siècle, sous le nom de « mimosa d’hiver ». Une légende – botanique cette fois – raconte que si cette variété de mimosa fleurit chez nous à partir de la fin de l’automne, c’est qu’elle se rappelle de sa période de floraison en Australie.
Monsieur le Gouvernement général, ce mimosa-là, celui qui figure sur cette décoration, ne fanera jamais. Il me rappellera toujours l’Uluru, la culture pop de mes jeunes années, les dessins de Lesueur, la générosité, la fidélité, la bravoure des Australiens, les peines et les souffrances que nos deux peuples ont partagées. La force aussi de notre alliance.
Et quand je porterai cette décoration, l’Australie se trouvera à la place qui lui revient, à sa place naturelle, à savoir tout près de mon cœur. Car comme on le dit si bien dans la Somme, avec fierté, avec ferveur et avec émotion : « Let us never forget Australia ».

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