Seul le prononcé fait foi
Mesdames et messieurs les Ministres,
Monsieur le vice-président du CNI, cher Philippe Varin,
Monsieur le Directeur Général de Dassault Systèmes, Cher Bernard Charlès qui nous accueillez aujourd’hui,
Mesdames et messieurs les présidents,
Mesdames et messieurs,
Début août, dans un numéro de L’Express consacré aux villes du futur, une nouvelle inédite de Bernard Werber imaginait une cité intelligente. Elle serait plus verte, hyperconnectée et pilotée par un maire virtuel. En conséquent, cet édile serait à la fois infatigable, incorruptible et infaillible. Peut-être que, dans quelques années, un Premier ministre virtuel et en 3D se tiendra devant vous et, si c’est le cas, je ne serais pas surpris que ses concepteurs se trouvent dans cette salle, ici, chez Dassault Systèmes.
Car Dassault Systèmes est aujourd’hui à la pointe de la 4ème révolution industrielle, caractérisée par l’usage systématique du numérique et l’utilisation massive des données. Mais cette nouvelle révolution industrielle ne doit pas rester l’apanage de quelques groupes, aussi performants soient-ils. Elle doit se propager dans toute notre industrie, des grands groupes aux ETI et aux PME. C’est un défi majeur auquel, tous ensemble, Etat, régions, industriels, opérateurs publics, nous devons contribuer à répondre.
En novembre dernier, devant le Conseil National de l’Industrie (CNI), j’annonçais un ensemble de mesures pour « redonner aux Français une envie d’industrie et de progrès technologiques ».
Depuis, nous avons progressé et posé des jalons importants avec Bruno Le Maire et Delphine Geny-Stephann :
Nous avons repensé le CNI en le rendant plus opérationnel et nous avons installé 16 filières qui doivent être autant de piliers de notre politique industrielle.
Nous avons pris des mesures nécessaires pour améliorer la compétitivité de l’Industrie : transformation du dialogue social et du droit du travail, grand plan d’investissement avec notamment son volet compétences, sanctuarisation du crédit d’impôts recherche, transformation du CICE en un allégement de charges pérenne…
Nous avons renforcé notre dispositif public d’accompagnement et de financement à l’export.
Nous avons fait le pari de l’innovation en créant un fonds pour l’innovation et l’industrie, en réformant des pôles de compétitivité, en simplifiant la vie des chercheurs-entrepreneurs, en fluidifiant le dépôt de brevets, en préparant le déploiement de la 5G…
Beaucoup a été fait, mais deux fragilités structurelles persistent. D’abord, la vulnérabilité de l’emploi industriel. Depuis un an, la baisse a été endiguée, mais il est trop tôt pour dire que la tendance s’est structurellement inversée. Ensuite, le manque de compétitivité de notre industrie à l’export. La balance commerciale des biens continue à se dégrader, ce qui grève la croissance française.
Pour s’attaquer à ces fragilités, les réformes macroéconomiques et transversales que nous avons déjà mises en œuvre sont indispensables, mais elles ne sont pas toujours suffisantes. Il faut aller plus loin, en agissant sur les acteurs économiques eux-mêmes, au plus près des filières et des territoires de production, en ouvrant un nouveau volet, plus microéconomique, de notre politique économique.
Posons d’abord un diagnostic lucide pour accompagner et accélérer la transformation de notre industrie
Premier point, il faut continuer à améliorer la compétitivité-coût : nous travaillons sur le coût du travail avec la bascule du CICE en allégements de cotisations patronales pérennes renforcés au niveau du SMIC. Nous savons aussi que les impôts de production pèsent sur les coûts de production. Je vous confirme ce que nous nous sommes dit le 28 mai dernier CNI : nous nous y attaquerons dès que nous aurons recouvré les marges de manœuvre budgétaires.
Mais cela ne suffit évidemment pas. Depuis 2013, la compétitivité-coût s’est d’ailleurs redressée de 2% par rapport à l’Allemagne alors que nos exportations ont cru moins vite que les exportations allemandes. Cela signifie que nous avons perdu sur le différentiel, c’est-à-dire en compétitivité hors-coût. C’est-à-dire que nous avons encore des efforts à consentir pour améliorer notre rapport qualité-prix et notre positionnement de gamme. Et pour rendre notre réseau national de production plus efficace, nous devons commencer par identifier les goulots de production pour diagnostiquer et résoudre les problèmes.
Dans certains cas, on verra qu’il manque des compétences : en 2019, nous concentrerons le Plan d’Investissement des Compétences sur les besoins précis de chaque filière et de chaque bassin d’emplois.
Dans d’autres cas, on verra que l’outil productif est de mauvaise qualité. Entre 2012 et 2015, nous sommes le seul pays d’Europe où le ratio « robots sur salariés » dans l'industrie a baissé. Et dans le même temps, l'écart avec l'Espagne et l'Italie, sans même évoquer l'Allemagne, s’est creusé. Ce qu’ils ont acquis en termes de performance et de productivité, ces pays l’ont aussi gagné en marges de manœuvre pour transformer leur chaîne de valeur, pour inventer de nouveaux modèles d’affaires et de services.
Enfin, dans certains cas, on verra qu’il faut améliorer les liens entre fournisseurs et clients, faciliter les échanges et le travail en commun. Auquel cas, il faudra nous poser quelques questions simples : quels sont les bassins d’emplois à faire travailler ensemble ? Quels sont les besoins d’infrastructures prioritaires ? Comment diversifier les liens entre fournisseurs et clients, pour assurer une meilleure résilience face aux chocs et une meilleure diffusion de l’innovation ? Comment mieux aligner nos chaînes de production ? Un exemple édifiant pourrait être celui de la filière du bois : nos fabricants de meubles importent plus de 30% de bois de l’étranger, alors que nous possédons des forêts abondantes qui ont du mal à écouler leur propre bois.
Pour répondre à ce lot de paradoxes, nous lançons aujourd’hui deux nouvelles initiatives.
Première initiative, un plan d’action pour accélérer la transition vers l’industrie du futur.
Dans les grands groupes, la diffusion des technologies de l’industrie du futur est bien amorcée. Mais pour une plus petite entreprise, franchir le pas, investir vers l’industrie du futur, se transformer, accompagner le changement, est plus délicat. Pourtant, ce sont précisément ces investissements qui pourraient booster sa compétitivité. Nous voulons donc renforcer le parcours de croissance des PME vers l’industrie du futur.
Première étape, sensibiliser les entreprises pour qu’elles perçoivent ces technologies comme des opportunités. Notre but est de toucher les 30 000 PME industrielles d’ici 2022, en créant un « porte à porte de masse ». Nous ne partons pas de zéro car de nombreuses initiatives existent déjà, pilotées notamment par les Régions, et c’est une très bonne chose. Mais nous souhaitons décupler ces offres en apportant des financements complémentaires du Programme pour les Investissements d’Avenir et en fédérant l’action des différents intervenants : Régions, Bpifrance, centres techniques industriels, grandes écoles, universités, mais aussi et avant tout les industriels eux-mêmes. Je pense en particulier aux « vitrines de l’industrie du futur », ces entreprises « modèles » en matière d’industrie du futur et qui mettent les concepts en pratique. 40 vitrines sont aujourd’hui labellisées : par exemple, l’entreprise Magafor en région parisienne, l’entreprise Baud en Haute-Savoie, l’entreprise SEW en Alsace… Il faut s’appuyer sur ces dirigeants exemplaires, qui montrent la voie. Je souhaite que nous puissions compter plus de 100 vitrines partout en France d’ici 2020 et qu’elles ouvrent davantage leurs portes à leurs pairs.
Ensuite, pour les entreprises qui ont pris conscience de la nécessité de se transformer, aidons-les à accélérer leurs projets, pas trop loin de chez elles si possible. Notre ambition est de mailler le territoire de « centres d’accélération ». Au moins une vingtaine, comme le suggère l’Institut Montaigne qui a publié hier un intéressant rapport sur le sujet, sous votre coprésidence, Cher Bernard Charlès. Pour créer ces « centres d’accélération », nous nous appuierons, lorsque c’est possible, sur des structures existantes : centres techniques comme celui du CETIM que j’ai visité récemment à Bourges, IRT comme celui que nous avons visité à Metz, fablabs industriels comme Factory Lab sur le plateau de Saclay, vitrines de l’industrie du futur. Et nous les ferons changer d’échelle pour qu’ils deviennent ce « chaînon manquant » de l’accès à l’innovation et à la R&D pour les PME. J’ai demandé à Madame la députée Anne-Laure Cattelot et à Monsieur Bruno Grandjean, président de l’Alliance Industrie du futur, de préparer la mise en place de ces centres.
Le nerf de la guerre, ensuite, sera évidemment l’investissement : une fois que les chefs d’entreprise ou les porteurs de projets ont été convaincus et formés, l’essentiel est qu’ils investissent pour transformer leur outil de production. Bpifrance est là pour les aider. Il y a par exemple les prêts French Fab, avec une enveloppe de 1,1 Md€ jusque 2022, dont la moitié reste ouverte.
Mais nous avons décidé d’aller plus loin en introduisant une nouvelle incitation pour les PME à investir dans les technologies de l’industrie du futur : une mesure de suramortissement de 40 %, ouverte sur une période de deux ans. Concrètement, cela représentera jusqu’à 11% de baisse du coût de l’investissement dans, par exemple, des machines de fabrication additive, des logiciels de gestion de la production ou encore des capteurs connectés. Ainsi, un équipement à 100 k€ ne coûtera plus que 89 k€.
Nous souhaitons ainsi répondre au diagnostic que j’ai formulé il y a quelques minutes par une action coup de poing, pour s’attaquer à un talon d’Achille de la compétitivité hors-coût de l’industrie française, pour réorienter l’investissement et pour créer des emplois. Car cela peut parfois surprendre, mais robotiser davantage, automatiser davantage, moderniser, ce n’est pas supprimer des emplois : c’est gagner en efficacité, en marges de manœuvre, en qualité des conditions de travail et c’est permettre aux salariés de se consacrer davantage aux besoins des clients.
Je veux ainsi redonner aux patrons français le goût de produire en France.
A cette fin, les filières ont un rôle décisif à jouer. Actuellement, seules deux des 16 filières du CNI sont dotées d’une plateforme numérique opérationnelle : l’aéronautique et l’automobile. Or en 2018, une filière dépourvue d’ossature numérique n’a pas de colonne vertébrale. Nous fixons donc à chaque filière l’objectif de se doter d’une plateforme en définissant les priorités qui lui correspondent. Ce sera par exemple la gestion des approvisionnements et la traçabilité pour la filière alimentaire. Ce sera aussi le travail collaboratif, comme dans le nucléaire ou dans le naval, où de nombreuses entreprises interviennent sur un même objet industriel et où il est nécessaire de se coordonner parfaitement … Nous allons encourager les projets des filières, avec un appui financier du PIA. Et nous ouvrirons lorsque c’est nécessaire, les données publiques. Nous le faisons par exemple dans la santé, de façon maîtrisée, avec le Health Data Hub.
En tout, c’est 500 M€ que l’Etat va consacrer pour accompagner toutes les PME et toutes les filières vers cette mise à jour numérique : la moitié en suramortissement, l’autre moitié en subventions du PIA.
Deuxième initiative, le renforcement de nos écosystèmes industriels territoriaux.
Le dynamisme des villes moyennes et des zones rurales dépend bien souvent de l’industrie. Or depuis 1975, les villes de moins de 20 000 habitants ont perdu près de 440 000 emplois industriels au total. C’est dramatique et cela explique une partie des fractures territoriales qui traversent aujourd’hui notre pays.
C’est pourquoi nous entendons mieux mobiliser et articuler tous les leviers de l’action publique sur les bassins d’emplois industriels. Ces leviers, c’est par exemple le très haut débit, pour qu’il irrigue bien toutes les zones industrielles prioritaires. Ce sont les moyens du Grand plan d’investissement, comme le dispositif des « Territoires d’innovation de grande ambition », que nous souhaitons recentrer vers un nombre limité de priorités, dont les territoires industriels. C’est le Plan d’investissement dans les compétences, que nous allons mobiliser à des endroits ou dans des métiers très précis. Ainsi, nous voulons identifier, d’ici fin novembre, en lien étroit avec les collectivités concernées, au premier rang desquelles les Régions et les intercommunalités, une centaine de « Territoires d’industrie » qui pourront concentrer nos moyens et nos énergies. On pense ainsi spontanément à la vallée de l’Arve, à Figeac, à Rodez, au Jura, à Saint-Avold !
Pour préciser cette liste, j’ai confié aujourd’hui même une mission au député Bruno Bonnel, au vice-président de la Région Centre-Val de Loire Harold Huwart, à la maire de Port Jérôme sur Seine Virginie Carolo, à la cheffe d’entreprise Clémentine Gallet et à l’expert Olivier Lluansi. Je les remercie de l’avoir acceptée.
Nous devons fédérer l’ensemble des acteurs vers cet objectif de transformation de l’industrie : filières, « offreurs de solutions numériques », collectivités, Etat.
Les filières sont au cœur du réacteur de cette transformation, comme le souhaitait le CNI qui a confié leur présidence aux industriels. Mon message aux filières est clair : maintenant que vous avez les clés du camion, à vous de le mettre en marche.
D’ici la fin de l’année, il faudra que nous ayons signé les 16 contrats de filières industrielles. Comme je l’ai indiqué, chacun de ces contrats devra prévoir la mise en place de plateformes numériques de filière et d’une offre d’accompagnement pour les PME. Les filières devront également s’appuyer sur les outils de transformation des compétences mis en place par le Gouvernement et adopter un plan de développement international en réfléchissant à des stratégies coordonnées de sourcing (à l’import) et à une approche plus systématique de la conquête des nouveaux marchés (à l’export).
Je veux aussi parler des entreprises qui développent et proposent aux entreprises industrielles des produits et des solutions à la pointe de la technologie. On les appelle parfois les « offreurs de solutions ». Ces entreprises sont essentielles. Nous avons de la chance de compter plusieurs champions en la matière. Mais je pourrais également citer Fives, Atos ou encore OVH, parmi d’autres.
Je pense en particulier au secteur du logiciel, que nous souhaitons encourager en le faisant bénéficier d’une extension du taux réduit brevet. Je pense aussi aux 192 datacenters que compte notre territoire. Là aussi, j’ai le plaisir de vous annoncer que nous allons mettre en place, dans le PLF 2019, un tarif réduit de TICFE (Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité) pour les datacenters « électro-intensifs » (c’est-à-dire caractérisés par un certain niveau de consommation électrique au regard de leur valeur ajoutée). Cette réduction de la TICFE va rendre la France plus attractive dans le contexte du Brexit et du Cloud Act qui vont mécaniquement déclencher des nouveaux investissements sur le sol européen. Et cette mesure n’augmentera pas pour autant la consommation électrique du secteur : le secteur s’est engagé à baisser sa consommation énergétique de 15 % d’ici à 2022. Je pense aussi aux technologies de supercalculateurs, essentielles pour les industries de pointe. Nous soutenons le programme de R&D entre Atos et les CEA, à hauteur de 44 M€ sur 2018-2022.
Je pense enfin à L’Alliance Industrie du futur qui joue un rôle primordial pour favoriser la convergence entre notre tissu industriel et ces « offreurs de solutions ». Car, souvent, ces technologies s’exportent avant même d’être adoptées par les entreprises françaises.
L’équipe de France de l’industrie compte par ailleurs les collectivités, Régions et Intercommunalités, qui ont vocation à accroître leur rôle. C’est avec elles, main dans la main, que nous portons la démarche des 100 Territoires d’industrie. C’est avec elles que nous souhaitons construire une offre ambitieuse d’accompagnement des PME industrielles et que Delphine Geny-Stephann et Mounir Mahjoubi lanceront une initiative en faveur de la transformation numérique des TPE/PME, le 15 octobre prochain.
Je suis prêt à jouer le jeu. Mais si le jeu repose sur la confiance, il faut accepter que lorsqu’une entreprise est en difficulté, l’Etat ne soit pas simplement là pour payer si la Région l’exige. Sa responsabilité c’est d’examiner la qualité des projets de reprise et leur viabilité avant de se prononcer.
L’Etat enfin doit jouer un rôle de fédérateur. Il doit faire levier sur les financements du Grand Plan d’investissement et sur l’action efficace de ses opérateurs, au premier rang desquels Bpifrance, au service des territoires, des filières et des entreprises industrielles
Mesdames et Messieurs, pour beaucoup de Français, l’industrie et le numérique continuent à évoquer des réalités antithétiques. L’image d’Epinal de l’industrie serait encore un bâtiment massif surmonté d’une immense cheminée, à proximité des cités-ouvrières. Tout le contraire du numérique qui évoque l’immatériel, la fibre, l’instantanéité.
Eh bien, justement, l’industrie du futur réconcilie notre histoire industrielle, puissamment ancrée dans nos territoires, et le potentiel inédit des nouvelles technologies. L’enjeu est double : rattraper le retard de la France par rapport aux pays qui ont décuplé leur compétitivité grâce aux industries du futur. Et miser sur les compétences pour replacer l’humain au cœur de nos industries.
Je vous remercie pour votre attention.