Discours à l'occasion de la Conférence des Villes – France Urbaine

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 19/09/2018

Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président, cher Jean-Luc Moudenc,
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les maires,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
J’étais venu l’année dernière pour exposer l’ambition du Gouvernement pour les territoires. J’ai donc souhaité revenir pour en tirer un premier bilan. Cette ambition, c’est celle de la feuille de route que j’ai présentée lors de la conférence des territoires du mois de juillet 2017. Celle de la fin de la baisse unilatérale des dotations et de son remplacement par un contrat de maîtrise des dépenses locales. Celle de la différenciation, que nous avons inscrite dans la révision constitutionnelle ; celles de la cohésion des territoires et de la réussite des transitions écologique et numérique.
Chacun est évidemment libre de tirer le bilan qu’il veut de cette nouvelle relation. D’autant qu’on le sait : chaque groupe de collectivités a des attentes, des espoirs différents.
Je note toutefois que nous étions nombreux à appeler de nos vœux une décentralisation qui soit contractuelle plutôt que conflictuelle ; une décentralisation qui pousse à la cohérence et non à la concurrence. Bref, à appeler de nos vœux une décentralisation mâture, la plus simple et la plus sereine possible, totalement assumée. Et je crois que l’ambition dont je parlais doive nous y conduire.
Assumer la décentralisation, qu’est-ce que cela signifie ?
C’est tout d’abord donner tout son sens à la « République décentralisée » qui figure à l’article 1er de notre Constitution. Confier une compétence à une collectivité territoriale, remettre une politique publique entre les mains d’un échelon décentralisé, c’est un choix. Un vrai choix, qui s’effectue sous le contrôle du Parlement et, s’agissant de ses modalités de financement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. C’est un choix qui doit être soumis à évaluation, qui peut être remis en cause, mais tant qu’il est en vigueur, ce choix doit être respecté. C’est pourquoi, dans la circulaire que j’ai signée le 24 juillet pour lancer une nouvelle étape de la réorganisation territoriale de l’État, nous assumons de mettre fin aux doublons.
C’est ensuite un État pleinement investi dans ses compétences régaliennes, et pleinement mobilisé dans sa fonction de protection : la lutte contre la pauvreté et les fractures territoriales.
C’est un État qui fait du contrat le cœur de sa relation avec les collectivités, comme nous l’avons fait avec les contrats de maîtrise de la dépense locale, dit désormais de « contrat de Cahors ». Avec G. Collomb, G. Darmanin, J. Gourault et O. Dussopt, nous avons fait le choix de rompre avec les approches unilatérales et mis fin à plusieurs années de baisses des dotations.
Je sais l’exigence que fait reposer sur une agglomération l’effort de maîtrise de ses dépenses. Cela implique de faire des choix, de se concentrer sur l’essentiel pour ne pas casser une dynamique. 90% des collectivités que vous représentez ont signé ce contrat. Pas toujours de gaieté de cœur, j’en conviens. C’est en effet plus difficile à assumer politiquement que de subir des baisses de manière unilatérale. Mais c’est plus honnête aussi. Et je ne pense pas que nous regretterons cette démarche. En tous cas pas plus que la précédente.
Faut-il (déjà) adapter ce contrat ? Dans l’absolu, je ne suis pas contre le principe. Comme tout objet nouveau, celui-ci est perfectible. Mais attendons de l’avoir testé durant un exercice complet et prenons date, par exemple au printemps. Nous avons fait le plus dur : respecter le taux de 1,2% - dont les projections montrent qu’il était accessible. Si vous finissez l’année comme vous l’avez commencée, l’exercice sera réussi. Le comité de suivi, auquel vous appartenez avec J. Gourault et O. Dussopt, doit maintenant ajuster le cadre du dialogue entre préfets et, présidents et maires. Essayons, dans la mesure du possible, d’éviter les règles trop précises qui ne répondraient pas aux particularités de chacun et qui conduiraient à une lecture encore plus stricte du texte de la loi et des conditions de reprise en cas d’écart. Laissons-nous des marges.
Assumer la décentralisation, c’est aussi admettre que, quelle que soit notre organisation administrative, nous avons des comptes à rendre à nos concitoyens sur la façon dont nous exerçons nos responsabilités respectives. Toutes les politiques publiques doivent donner lieu à une évaluation. Et c’est au Parlement de contrôler de manière régulière, le choix de répartition des compétences.
C’est, je crois, l’esprit de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
C’est le sens de la mise en place d’un service public de l’insertion pour rompre avec les disparités territoriales dans l’accompagnement des bénéficiaires de prestations sociales. Assumer la décentralisation, en l’occurrence, c’est assumer le rôle de protection de l’État. Mais l’État ne veut pas les choses tout seul : il veut construire ce service public avec les collectivités – avec l’ensemble d’entre elles -, car nous voulons quelque chose qui fonctionne. C’est pourquoi l’État reviendra aux côtés des départements, des métropoles, des associations pour cette mobilisation générale en faveur des personnes les plus éloignées de l’emploi et construire ce service public de l’insertion.
J’entends, bien sûr, la critique sur le retour de l’État jacobin et centralisateur. Elle est classique. Les débats institutionnels sont passionnants mais en l’espèce, je ne pense pas que ce soit ce qu’attendent nos concitoyens les plus démunis. Ils attendent de l’équité, de l’efficacité. Nous avons un an de travail devant nous, je sais pouvoir compter sur vous pour le mener à bien.
Pour s’assumer, cette décentralisation doit reposer autant que possible, sur la confiance. Une notion qui, en politique, a parfois une réalité toute relative.
J’ai bien entendu votre message, cher Jean-Luc. La confiance ne se présume pas ; elle se nourrit de preuves. Des preuves, vous en trouverez d’abord dans le projet de loi de finances que nous présenterons la semaine prochaine :
C’est la refonte de la dotation d’intercommunalité qui introduit davantage de prévisibilité dans le calcul de la dotation, mais renforce également son rôle péréquateur. Nous avons travaillé cette réforme avec vous ; celle-ci ne devrait pas vous décevoir.
Ces preuves, c’est aussi la confirmation de l’engagement pris sur la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle en cours d’année.
Des preuves, vous en trouverez également dans les réflexions sur la refonte de la fiscalité.
Le Gouvernement a pris la décision en juillet de « redescendre » la taxe sur le foncier des propriétés bâties aux communes et de garantir une compensation dynamique aux EPCI. Vous tenez à cette dynamique et je vous comprends ; de même que vous tenez à votre autonomie financière. Certains d’entre vous plaident pour l’attribution de la CVAE des départements ; d’autres pour une fraction de TVA ; d’aucuns plaident enfin pour une mesure d’incitation aux présidents de métropoles bâtisseurs ; certains plaident pour un reversement de la contribution énergie climat ; certains justifient enfin des logiques propres aux seules métropoles d'envergure européenne.
J’entends tout cela. Tout se discute. Nous aurons à en débattre à la prochaine conférence nationale des territoires, le 15 octobre, avec toutes les collectivités concernées car nous avons besoin d’être au complet autour de la table. Ma conviction c’est de voir les villes et les agglomérations bénéficier d’un panier fiscal représentatif des politiques menées par les maires et présidents d’intercommunalité en faveur des entreprises et de l’offre de logements.
Des preuves concrètes, le projet de loi en faveur des mobilités en contient aussi :
Cette loi donnera aux autorités organisatrices la possibilité d’exercer la compétence mobilités de manière plus souple qu’aujourd’hui, et avec des outils qui seront plus en phase avec les nouvelles formes de mobilité.
Les preuves concrètes, vous les trouvez aussi dans les annonces récentes sur le financement des infrastructures de transport et dans le plan vélo : nous dédierons, dans les prochaines années, 1,2Md€ à l’accompagnement des autorités organisatrices dans les mutations des mobilités du quotidien par l’intermédiaire d’appels à projets : développement des transports en commun, des pôles d’échanges multimodaux, des nouveaux services de mobilités, du vélo et des autres modes actifs.
Des preuves, vous en aurez enfin dans le cadre du projet de loi ELAN qui est actuellement en discussion en commission mixte paritaire :
Un projet qui comprend des dispositions majeures pour accompagner les collectivités locales dans la conduite de grands projets d’urbanisme. Dès le vote définitif de la loi, nous proposerons aux collectivités qui le souhaitent, de conclure avec l’État, des projets partenariaux d’aménagement et d’enclencher des Grandes Opérations d’Urbanisme définies dans la loi.
Ce nouveau cadre donnera à l’intercommunalité, dans le respect des communes, les capacités à mieux fédérer autour de ces projets et à dépasser les frontières communales pour mener à bien ces opérations d’intérêt communautaire ou métropolitain. L’État jouera quant à lui, un rôle de facilitateur.
Par ailleurs, nous verrons ce à quoi aboutit la commission mixte paritaire, mais il ne serait pas absurde qu’à partir du moment où une intercommunalité se saisit, à son niveau, de toutes les compétences de planification et de la délégation des aides à la pierre, celle-ci devienne responsable de la mise en œuvre de la loi SRU sur son territoire en mutualisant l’effort de construction. Nous pourrions expérimenter cette pratique sous réserve évidemment qu’elle soit strictement encadrée.
Enfin, il y a des concrétisations qui nous obligent, Gouvernement et métropoles, vis-à-vis de nos territoires.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire à Dijon : l’émergence des métropoles et des intercommunalités est certainement l’un des grands faits majeurs de ces dernières décennies.
Ces grandes agglomérations créent de la richesse sur le territoire, elles ont permis de rompre avec la fatalité de « Paris et le désert français ».
Pour autant leur effet d’entraînement n’est pas automatique. Quand il existe, il est souvent le fruit d’une stratégie territoriale, d’une solidarité et de choix. Une solidarité métropolitaine qui est à mon sens, la clef du futur modèle territorial français. Cette solidarité, elle se joue à différentes échelles, au sein de l'intercommunalité et dans son aire de rayonnement.
La première échelle est celle des quartiers de la politique de la ville. Inutile, je crois, d’en rappeler les enjeux : 5 millions de personnes y vivent, soit 8% de la population nationale. Malgré les efforts entrepris, ces quartiers continuent de concentrer toutes les difficultés. La question est de se demander : comment faire mieux ? C’est la question que le président de la République a posée le 22 mai dernier.
Métropoles et agglomérations ont évidemment un rôle crucial à jouer. Parce que la politique de la ville entre dans leur champ de compétences. Mais surtout, parce que ce niveau de pilotage est le plus pertinent et le plus efficace. On ne réaménage pas à l’échelle d’un seul quartier, mais suivant un plan d’ensemble.
C’est le sens du pacte de Dijon que nous avons signé en juillet et qui mobilise 82 métropoles et intercommunalités. Qu’y a-t-il derrière ce pacte ? Un engagement à faire plus et à faire mieux en matière de développement économique et d’emploi, l’habitat et le renouvellement urbain, de mobilité, en contrepartie d’engagements forts de l’État dans les domaines de l’éducation, de la santé ou de la sécurité et de la justice :
C’est le dédoublement des classes qui commence à produire ses effets.
C’est le projet d’adaptation du fonctionnement de l’ANRU (simplification des procédures, facilitation des financements pour les opérations de démolition et de restructuration des copropriétés dégradées).
C’est le déploiement à partir de ce mois de septembre de la PSQ dans quinze premiers quartiers.
J’ai réuni hier les préfets et procureurs de la République compétents sur 25 quartiers particulièrement marqués par les enjeux de la lutte contre les trafics et la criminalité organisée, et décidé d’un pilotage très resserré de ces quartiers, sous la double houlette du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice. Sans action visible et efficace contre les réseaux qui animent l’économie souterraine et la criminalité organisée, aucune des mesures engagées pour les quartiers ne pourra jouer son plein effet.
La deuxième échelle, c’est celle des territoires, celle de « l’alliance des territoires » que vous appelez de vos vœux. La carte des déplacements quotidiens ou des flux de marchandises vers les métropoles nous invite d’ailleurs à imaginer ensemble un nouveau modèle de développement territorial. Nous y avons tous intérêt :
- entreprises, qui cherchent à développer du télétravail et à fidéliser des salariés par un meilleur équilibre vie professionnelle – vie privée à leurs salariés ;
- métropoles, qui cherchent à fidéliser leurs entreprises tout en réglant leurs problèmes de congestion ;
- villes et communes périphériques qui voient leurs résidents travailler, non seulement vivre, mais également travailler sur place, et y voient une opportunité pour recréer de l’activité dans leur centre-ville.
Nous devons accélérer la structuration de ces alliances. C’est tout le sens des travaux sur les tiers-lieux que Patrick Lewy-Waitz a remis ce matin à Julien Denormandie et que le Gouvernement souhaite accompagner.
Pour paraphraser Paul Valéry : « Il n’y a qu’une chose à faire : se refaire ». Ce à quoi, il ajoute, que « ce n’est pas simple ». En l’espèce, « se refaire » consiste au fond, à adapter notre grammaire, à miser sur les atouts des uns, à accompagner les autres. À sortir aussi de vieux débats, de vieilles querelles qui ont eu leur justification il y a 20 ou 30 ans, mais qui aujourd’hui ne me semblent plus représenter les attentes des Français vis-à-vis de leurs territoires. Ces attentes, elles ne sont pas théoriques ou institutionnelles. Elles sont très concrètes : où puis-je trouver un travail ? Est-ce que je vais pouvoir créer mon activité ? Comment me rendre à mon travail ? Quelles sont les chances qui s’offrent à mes enfants ? Vous y répondez tous les jours à ces attentes et de mieux en mieux. Votre invitation, vos initiatives, votre confiance, le dialogue que nous avons noué, le prouvent aussi.

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