Discours d'Édouard Philippe en réponse aux motions de censure
Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.
Publié le 31/07/2018
Seul le prononcé fait foi
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le président JACOB et Monsieur le président CHASSAIGNE, je vous ai écoutés avec attention. Je vous ai entendus dénoncer, je vous ai entendus accuser, je vous ai entendus convoquer dans cet hémicycle le spectre d’une affaire d’État que vous appelez presque de vos vœux.
Messieurs les présidents, je vous ai entendus et je vais vous répondre.
Un an après que cette assemblée a, et largement, voté la confiance au gouvernement que je dirige, vous vous êtes emparés de la soi-disant grande affaire qui serait susceptible de la lui retirer.
Cette grande affaire, dite « BENALLA », quelle est-elle ?
C’est l’affaire d’un collaborateur de l’Elysée qui est sorti de son statut d’observateur lors des manifestations du 1er mai en commettant des actes inacceptables. Il a se faisant de façon très certainement manqué aux devoirs de sa fonction.
C’est l’affaire de dysfonctionnements dans la préparation et le déroulement de cette mission d’observation.
C’est l’affaire de fautes individuelles, de compromissions insidieuses et de petits arrangements entre un chargé de mission et des policiers affectés à la Préfecture de police de Paris.
C’est, je l’ai dit, inacceptable.
Je l’ai dit devant votre assemblée, je l’ai dit devant le Sénat.
Mais ce qui devait être fait l’a été.
Le 1er mai, Alexandre BENALLA a eu un comportement choquant et le 4 mai, il a été sanctionné. On peut gloser à l’infini sur l’adéquation de la sanction. Mais sanction il y a eu.
Puis, lorsqu’un fait nouveau est apparu, M. BENALLA a été licencié et les fonctionnaires qui sont soupçonnés d’avoir violé la loi pour l’aider dans sa défense ont été immédiatement suspendus.
La démocratie Mesdames et Messieurs les députés a fonctionné :
Le pouvoir exécutif a diligenté une enquête administrative dont les résultats ont d’ores et déjà été rendus publics ;
Le pouvoir judiciaire a diligenté une enquête, qui a d’ores et déjà abouti à plusieurs perquisitions, plusieurs gardes à vue et plusieurs mises en examen ;
Et le pouvoir législatif a diligenté deux enquêtes parlementaires, dont personne ne peut dire qu’elles se déroulent en catimini.
Quel contraste Mesdames et Messieurs les députés avec les périodes précédentes !
Permettez-moi de rappeler à l’Assemblée Nationale ce qui s’est passé à l’occasion de l’affaire CAHUZAC : des faits révélés le 4 décembre 2012, une demande de commission d’enquête formulée début avril 2013, la décision de créer celle-ci le 24 avril et le début des travaux le 15 mai, soit 5 mois au total après la révélation des faits.
Permettez-moi également de rappeler à certains d’entre vous que je les ai connus en d’autres temps beaucoup plus sourcilleux sur la séparation des pouvoirs, notamment lorsqu’ils refusaient en 2010 la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire dite des « sondages de l’Elysée ». Sans doute, Monsieur le président JACOB, avez-vous conservé quelques souvenirs de cet épisode. Sans doute, Monsieur FAURE, en avez-vous aussi quelques-uns, probablement plus amers. Je les ai pour ma part parfaitement en tête.
De notre côté, nous n’avons, ne vous en déplaise, jamais prétendu être infaillibles. Mais nous avons voté des lois pour redonner confiance en notre démocratie et nous pouvons dire, haut et fort, que, oui, la démocratie fonctionne.
Depuis 15 jours que nous discutons de cette affaire, les faits apparaissent désormais clairement.
Ils ne permettent à personne d’évoquer je ne sais quelle « milice parallèle » et d’alimenter les populismes et les théories du complot.
Ils ne permettent à personne de parler de dérive monarchique ni d’impunité.
Nul n’est au-dessus des lois. La République exemplaire n’est pas la République infaillible. Car qui ici peut se croire à l’abri de toute faute qui serait commise par l’un des siens ?
Personne.
La République exemplaire, c’est celle qui sanctionne les faits délictueux, c’est celle qui fait respecter la loi, que l’on soit puissant ou misérable. En l’espèce, j’ai rappelé que des sanctions avaient été prises et que d’autres le seraient si nécessaire.
C’est ça, la République exemplaire.
Et je voudrais que dans cette affaire, nous le soyons tous.
Un peu de modération serait parfois de bon aloi, et permettrait d’éviter une triple confusion, parfois entretenue à dessein, mais néfaste à tous :
Confusion sur l’objet des commissions d’enquête par exemple.
Celle de l’Assemblée Nationale a été ouverte afin de – je cite – « faire la lumière sur les événements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018 ».
Celle du Sénat porte – je cite et je prends mon souffle – sur « les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements ».
Faute d’y trouver matière à une mise en cause personnelle du président, elles semblent désormais porter sur les modalités de la campagne présidentielle, ou sur l’organisation même de la Présidence, ou que sais-je encore et plus tellement sur leur objet initial.
2ème confusion entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir d’enquête du Parlement.
La Constitution le précise très clairement, dans son article 51-2, lequel prévoit, en complément de l’article 24, je cite là encore : « Pour l'exercice des missions de contrôle [ de l’action du Gouvernement ], (…) des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information ».
Puisqu’il est arrivé qu’on nous parle de droit, permettez-moi de rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 22 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit, dans son troisième alinéa, qu’ « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter. »
On pourrait m’objecter qu’il s’agit là de dispositions anciennes, mais je constate en me référant aux meilleurs sources, à savoir le site de l’Assemblée nationale, mis à jour en octobre dernier, qu’elles figurent en bonne place dans les termes suivants : « Quoi qu’il en soit, les travaux d’une commission d’enquête sont automatiquement interrompus par l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits qui ont motivé sa création. »
Cette disposition, je n’ai pas beaucoup entendu les éminents juristes qui font la leçon au Gouvernement en faire état. Et pourtant la loi, et la séparation des pouvoirs, ne s’appliquent pas qu’au seul pouvoir exécutif, mais bien à l’ensemble des pouvoirs constitutionnels.
Il se trouve, Monsieur JACOB, Monsieur CHASSAIGNE, qu’une information judiciaire a été ouverte, le 22 juillet 2018, soit 3 jours après que la commission des lois de l’Assemblée s’était vu attribuer les prérogatives d’une commission d’enquête.
Confusion institutionnelle enfin.
Pardon de rappeler que le Gouvernement et la Présidence de la République, ce n’est pas la même chose. Il y a seulement trois semaines, ceux-là même qui aujourd’hui voudraient mettre en cause la responsabilité du président de la République, par le biais de motions de censure à l’encontre du Gouvernement, ceux-là mêmes dénonçaient un « changement de régime » parce que le président proposait de les écouter et de leur répondre au Congrès.
Nous voyons bien qu’à travers cette affaire, il se joue tout autre chose que la recherche de la vérité.
Sans attendre les conclusions des enquêtes, l’instrumentalisation politique a fait son ouvrage. Comme il y eut, autrefois, ce que le Général de GAULLE baptisait des « Gouvernements de rencontre », autrement dit de circonstance, il y a, désormais, des oppositions de rencontre, qui, si je devais les montrer du doigt, ce qui ne se fait pas, nécessiteraient l’usage de mes deux bras, ici bien à gauche, et ici bien à droite.
Vous qui prétendez-vous combattre, vous voilà désormais prêts à voter un texte analogue au nom de deux espoirs communs :
Votre premier espoir, je l’ai dit, est d’atteindre le chef de l’État à travers les comportements imputés à son collaborateur, et, en filigrane, d’engager la responsabilité, non pas du Gouvernement, mais du président de la République lui-même, devant le Parlement. Vous n’y parviendrez pas.
D’abord, parce que contrairement à ce que vous essayez de nous faire croire, les évènements du 1er mai ne disent rien de la présidence de la République. Rien. Ils ne mettent pas en jeu le fonctionnement de l’État autrement qu’à des niveaux subalternes. Et les tentatives pour mettre en cause le président de la République n’ont pas d’autre objectif que politique.
Ensuite, parce que le président de la République n’est pas responsable devant vous. Il est responsable devant le peuple Français. Cette responsabilité, il l’assume. Il a, très clairement, fait savoir qu’il condamnait les agissements de son collaborateur, qu’il corrigerait les dysfonctionnements, et qu’il n’entendait pas sacrifier je ne sais quel fusible.
Votre second espoir est de ralentir le rythme de la transformation du pays pour lequel les Français nous ont donné mandat il y a 14 mois.
Vous m’accorderez qu’au sens étymologique, une motion, c’est censé être un mouvement. C’est d’impulser une direction. Or vos motions de censure ne sont rien d’autre que des motions de blocage. Vous venez d’inventer l’oxymore institutionnel. Vous avez certes réussi à retarder de quelques semaines une réforme de nos institutions pourtant voulue par une majorité de nos concitoyens.
C’est votre droit.
Mais ce n’est pas la volonté des Français.
Et je vous remercie de m’offrir l’occasion de poser les vrais termes du débat qui sous-tend ces motions de censure, au moment où se clôt une année de travail parlementaire qui aura été, et c’est sans doute l’essentiel, utile pour la France et les Français. Une année parlementaire qui a déjà permis le vote – et ce n’est pas rien – de 41 textes indispensables pour réparer le pays, pour le transformer et pour le préparer aux défis auxquels il fait face.
Je souhaite adresser à la majorité mes chaleureux remerciements pour sa force de proposition, sa ténacité et son soutien sans faille aux réformes ainsi engagées.
Je note aussi, et je m’en réjouis, que ces votes ont très souvent fédéré au-delà des bancs de la majorité. C’est cela que je veux retenir, plus que ces motions de censure dont j’ai du mal à percevoir le sens.
Car enfin, que voulez-vous censurer ?
Peut-être les transformations que nous avons lancées pour moderniser notre économie et rompre avec des années de résignation dans la lutte contre le chômage ?
Les ordonnances du 22 septembre 2017 ont transformé le code du travail, ce que vous étiez nombreux à souhaiter sans oser l’entreprendre. Je note que certains à gauche nous accusaient de casser le code du travail quand d’autres à droite proclamaient (sans jamais l’avoir fait) qu’il fallait aller plus loin.
Peu importe car la France se dote enfin de règles modernes qui favorisent le dialogue social et encouragent les chefs d’entreprise à embaucher, comme dans toutes les grandes démocraties européennes.
Enfin la France place la compétence et la formation au cœur de ses priorités au lieu de subventionner des emplois publics précaires. Croire en l’individu, c’est croire en ses compétences, en sa capacité à progresser. Notre logique est simple : personne n’est inemployable à condition d’être formé. C’est l’ambition du plan d’investissement dans les compétences qui permettra de former un million de jeunes décrocheurs et un million de demandeurs d'emplois.
Enfin la France se bat pour redevenir l’un des pays les plus attractifs au monde.
C’est le sens de notre politique fiscale qui vise à garder les investisseurs en France, à attirer ceux qu’on a trop longtemps dissuadés de s’y installer.
Censurez-vous nos résultats en matière de redressement de nos finances publiques ? Nous avons réussi à sortir de la procédure européenne de déficit excessif, ce qui n’était pas arrivé depuis 10 ans.
Censurez-vous la réforme de la SNCF, qui tétanisait tous les Gouvernements depuis 20 ans ? Cette transformation majeure dont vos amis présidents de région, Monsieur JACOB, nous disent le plus grand bien et que 74 d’entre vous ont votée ?
A moins que vos motions ne cherchent à censurer les nouvelles politiques sociales du gouvernement ?
Il faudra du temps pour qu’elles produisent tous leurs effets, mais elles ont commencé à changer le cours des choses, au cœur de nos territoires, au plus près des Français, pour combattre efficacement les déterminismes qui enchaînent.
Censurez-vous le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les zones défavorisées ? Ou la fin du scandale d’APB ? Ou notre ambition en matière de santé publique, qui a rompu avec l’obscurantisme anti vaccinal et pris des décisions courageuses sur le tabac et sur la sécurité routière ?
Changer la donne sociale, c’est rompre avec le cercle vicieux du renoncement aux soins. Censurez-vous l’accord sur le zéro reste à charge, pour que les Français aient tous accès aux lunettes, aux soins dentaires et aux aides auditives ? Ce sera, je n’ai pas peur des mots, un grand acquis social du quinquennat du président de la République.
Vous mettez en cause la responsabilité du Gouvernement. Eh bien, justement, nous avons placé la responsabilité au cœur du dialogue que nous entretenons avec les collectivités. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons refusé les coups de rabot, les baisses de dotations unilatérales pour établir des contrats qui prennent en compte la situation de chaque collectivité. Je pense aussi au livre bleu pour les outre-mer que le Gouvernement a rendu public le 28 juin.
Ce souci de justice, de rééquilibrage, il anime également notre programme national de rénovation urbaine dans les quartiers prioritaires de la ville. Mais peut-être voulez-vous censurer le programme « Action cœur de ville », qui consacre 5 milliards d’euros à la rénovation des centres de villes moyennes ? Peut-être voulez-vous censurer la couverture de tout le territoire en internet fixe haut débit d’ici 2020 et en très haut débit d’ici 2022 ?
Peut-être voulez-vous nous censurer pour avoir rétabli, après des années de paralysie, l’État de droit à Notre-Dame-des-Landes ? Grâce à la détermination du Gouvernement et au professionnalisme des forces de l’ordre, on peut enfin y circuler, en toute sécurité. On peut y développer des projets agricoles et expérimentaux, en toute légalité.
L’ordre républicain, qui avait été battu en brèche sous les majorités précédentes, est restauré. Nous sommes sortis de l’État d’urgence et avons inscrit dans notre droit permanent, grâce à la loi SILT, des outils pour lutter, efficacement et durablement, contre le terrorisme.
Mais peut-être voulez-vous censurer le nouveau plan d’action contre le terrorisme, qui renforce le rôle de la DGSI et du renseignement territorial, qui crée le parquet national anti-terroriste et qui s’empare enfin de la question des détenus radicalisés en fin de peine ?
Ou bien notre décision de redonner à notre Défense nationale les moyens de l’ambition que nous lui fixons ?
Ou la création de près de 10 000 postes de policiers et de gendarmes sur le quinquennat ? Le récent rapport du Sénat l’a montré, nos forces de police et de gendarmerie sont surmenées. Elles montent chaque jour au front contre la violence et la radicalisation. Nous allons continuer à leur montrer, non pas seulement en paroles, mais aussi et surtout en actes, notre confiance et notre soutien, comme nous allons enfin augmenter les budgets de la Justice.
Faut-il parler d’immigration ? La coalition de ces motions vise certainement notre politique, qui rompt avec toutes les résignations : celle d’un État qui ne parvenait plus à faire refluer l’immigration illégale, comme celle d’une République qui tournait le dos à sa tradition d’accueil des réfugiés.
Faut-il parler d’Europe où la France retrouve son rang pour porter les ambitions du discours de la Sorbonne et mettre en œuvre l’accord conclu avec nos amis allemands pour l’avenir de la zone Euro ?
Depuis un an, voici donc quelques-unes des réformes dont mon gouvernement porte la responsabilité. Un Gouvernement uni, cohérent, compétent, que je suis fier de diriger sous l’autorité du président de la République.
Mais beaucoup reste à faire.
Je pense à la transformation de notre État et de notre action publique.
Je pense à la rénovation de nos institutions.
Je pense à l’organisation de l’islam de France pour poser les conditions d’un exercice serein de la religion musulmane au sein de la République.
Je pense à la stratégie pauvreté, à la transformation de notre système de santé, à la réforme de l’assurance chômage, qui construiront un modèle social tourné vers l’émancipation, vers des droits réels, vers l’investissement social.
Je pense aux réformes des retraites et de la dépendance qui traduiront notre volonté de justice et d’équité, et notre souhait d’assurer une véritable solidarité entre les générations, notamment envers les plus âgés de nos concitoyens.
Je pense à la transformation de notre modèle économique avec le projet de loi Pacte qui va doper la croissance de nos entreprises et assurer un plus juste partage de la valeur.
A la rentrée, nous n’avons nullement l’intention de ralentir.
Peut-être est-ce précisément ce qui vous inquiète ?
Et bien je vous le dis avec calme et avec détermination, à vous Mesdames et Messieurs les députés, comme aux Français qui nous écoutent bien au-delà de cet hémicycle où les débats sont souvent sonores, tendus et vifs, à tous ceux qui souhaitent avec nous réparer ce pays et être à la hauteur de la promesse formidable qu’a constituée en 2017 l’élection du président de la République : nous ne ralentirons pas, nous ne lâcherons rien, nous irons jusqu’au bout de notre projet.
Et s’il s’agit aujourd’hui de motions de censure contre tout cela, je vous avoue que je ne crains pas le jugement de notre Assemblée, pas plus que je ne crains le jugement des Français.
Et en attendant le leur, je m’en remets avec confiance cet après-midi au vôtre.
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