Paris, mardi 10 juillet 2018
Seul le prononcé fait foi
Il fut un temps où Énée, quand il était blessé, ne pouvait qu’espérer la gracieuse intervention d’Aphrodite. Un temps où Homère, Œdipe et Paul, quand ils perdaient la vue, devaient s’en remettre aux mystères de la création ou de la providence. Aujourd’hui, il suffirait peut-être de recourir aux services d’une start-up, d’un centre de recherche ou d’un laboratoire pharmaceutique – si j’en crois les progrès spectaculaires des produits de santé les plus récents. On m’a dit qu’une des start-ups présentes aujourd’hui travaillait d’ailleurs à un projet pour redonner la vue aux personnes mal voyantes.
Depuis quelques décennies, l’industrie de santé s’est donc complexifiée au-delà de ce que pouvaient imaginer les grands savants du XIXe siècle, comme Claude BERNARD – encore que Claude BERNARD écrit des pages prophétiques qu’on a pu lire comme une intuition des futures biothérapies.
Aujourd’hui, plus encore qu’à l’époque de Claude BERNARD, la France détient tous les atouts en matière d’industries de santé. Vous êtes bien placés pour le savoir. Vous l’illustrez au quotidien, par votre présence en France, par vos projets, par votre excellence scientifique, par votre savoir-faire industriel. La France est le premier pays européen en matière d’investissements publics en R&D dans le secteur de la santé, avec des acteurs fédérés au sein de l’alliance Aviesan. L’industrie de santé est le 3ème exportateur français, après l’aéronautique et l’automobile.
Pour autant, nous ne sommes pas les seuls à occuper le terrain : des pays comme l’Inde et la Chine, ou même, plus proches de nous, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume-Uni sont désormais des compétiteurs redoutés.
J’ai entendu vos attentes. Je sais que pour les CEOs internationaux présents dans cette salle, pour les créateurs de startup, les dirigeants de PME, pour les acteurs de santé, pour les patients, le constat est clair : on doit faire beaucoup mieux. Et c’est notre objectif. Ce 8ème CSIS doit faire date, pour inverser la vapeur.
Dès notre arrivée, nous avons lancé des réformes ambitieuses pour que la France retrouve son attractivité et sa compétitivité en transformant en profondeur notre code du travail et notre fiscalité. Quand nous scandons « Choose France », notamment à destination des investisseurs étrangers, je crois que nous avons affermi notre crédibilité – et nous allons continuer.
Il est donc temps que ce tournant bénéficie aussi aux industries de santé dont on connaît le potentiel en termes d’innovation et d’exportation.
Premier point, je voudrais parler des patients car ils doivent accéder plus vite à l’innovation.
Vous savez que je n’ai pas peur de prôner la décélération sur les routes de France. Mais j’invite aussi à accélérer quand c’est nécessaire pour mettre à la disposition des Français les produits dont ils ont besoin. Surtout quand ils sont malades.
Cette accélération concerne d’abord les essais cliniques. Ces dernières années, l’allongement des délais d’autorisation a entravé leur essor, et tout le monde en pâtit : la recherche, les patients et l’industrie. Ce n’est plus tenable. Nous voulons réduire drastiquement les délais, en les abaissant dès 2019 à 45 jours pour l’Agence nationale de sécurité du médicament, et à 60 jours pour les comités de protection des personnes.
Vous le savez, la France se distingue par un dispositif efficace et reconnu : l’autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Grâce à elle, les Français sont parmi les premiers en Europe à avoir accès aux nouveaux traitements les plus innovants. 500 ATU ont été délivrées depuis le début de l’année.
Puisque ce dispositif marche bien, nous allons l’améliorer et l’ouvrir aux extensions d’indications, dès le PLFSS de cette année. Concrètement, ça veut dire qu’un médicament déjà présent sur le marché, qui soigne par exemple le cancer du poumon, pourra se voir accorder une autorisation temporaire pour un autre type de cancer. Un plus grand nombre de malades pourra en bénéficier sans attendre. De même, nous étendrons aux dispositifs médicaux une autorisation analogue à l’ATU.
Quoi qu’il nous en coûte, la France continuera, dans la durée, à défendre ce dispositif de l’ATU. Il est NOTRE marqueur pour que les patients français aient accès à l’innovation.
Si ce dispositif d’accès précoce est efficace, il n’en est pas moins circonscrit. Pour tous les autres produits, notre objectif est simple : respecter les délais réglementaires. C’est la moindre des ambitions. L’Europe nous demande de délivrer une autorisation de mise sur le marché en moins de 180 jours. Le gouvernement s’engage à respecter ce délai, d’ici 2022.
Deuxième ambition de ce CSIS : décloisonner les mondes de la recherche française et encourager les liens avec les industries de santé.
Il y a une dizaine d’années, une révolution technologique a été produite par l’avènement des biotechnologies et des biothérapies. La France n’a pas encore tiré tout le parti qu’elle pouvait de ce changement de paradigme scientifique et clinique, mais nous sommes sur la bonne voie en occupant le 3ème rang mondial en nombre de sociétés et le 2ème en nombre de produits en développement. Il ne nous reste plus qu’à conquérir la première place.
De fait, la France a tous les atouts en main pour se distinguer en termes d’innovation, à commencer par l’excellence de sa recherche et de son enseignement supérieur.
Chaque année, la recherche en biologie et santé obtient un tiers du financement distribué par l’Agence nationale de la recherche. 45% des projets du concours de création d’entreprise innovante iLab concernent le secteur de la pharmacie, des biotechnologies et de l’e-santé. Sur 5 € de recherche industrielle, 1 € est consacré au secteur de la santé.
Notre potentiel est donc considérable. Mais il faut que les innovations, les trouvailles géniales qui illuminent la vie d’un chercheur et d’un laboratoire se diffusent dans la société. Les grands savants, on ne les honore pas seulement pour leur amour désintéressé de la science, mais parce qu’ils apportent effectivement le progrès. Un progrès qui intéresse toute la société. Un progrès qui est sorti des boites de Pétri pour changer des vies.
Notre potentiel, notre patrimoine, nous devons les décupler en renforçant les collaborations entre la recherche publique et le secteur privé. Pour fluidifier les échanges, il faut d’abord améliorer le transfert de la propriété intellectuelle. Pourquoi ? Parce que l’image du savant génial et solitaire, déconnecté de toute contingence matérielle, cette chimère chère à la littérature du XIXe siècle n’est plus tout à fait d’actualité. Nos chercheurs ont bien souvent des éclairs de génie, mais ils sont parfaitement connectés aux enjeux contemporains et surtout membres d’une équipe impliquant plusieurs acteurs publics.
Dès lors, les situations de copropriété des titres de brevets entre personnes publiques sont fréquentes, ce qui induit des coûts de gestion et freine le transfert vers les entreprises quand les délais de négociation des licences s’éternisent.
Le projet de loi PACTE va donc simplifier et rendre enfin opérationnel le dispositif du « mandataire unique », qui désignera un responsable chargé de la gestion et de la valorisation de l’ensemble de la propriété intellectuelle issue d’un laboratoire. Ce projet de loi simplifiera également les allers-retours des chercheurs entre le public et le privé et facilitera la création d’entreprises par des chercheurs. Frédérique VIDAL, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, portera ces mesures.
Plus globalement, nous voulons insuffler un nouvel état d’esprit au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche en sensibilisant les étudiants et les doctorants aux métiers de haute technologie des industries de santé. Et cela demande de développer des formations pluridisciplinaires qui valorisent les métiers de bio-production et de bio-informatique.
En deux mots, ouvrons les portes et les mentalités. Puisque je parle de bio-informatique, vous vous doutez que je vais évoquer l’un des défis les plus prometteurs qui nous attend : la structuration et la valorisation des données de santé.
La France dispose d’un patrimoine extraordinaire en matière de données de santé détenues par les établissements et les professionnels de santé. Ces données nous offrent aujourd’hui la possibilité de développer une médecine prédictive et préventive, une médecine personnalisée et participative, à supposer que nous activions les bons leviers :
D’abord, enrichir les bases de données, pour qu’elles prennent en compte toutes les facettes du parcours de soins.
Faciliter ensuite les autorisations de traitement de ces données.
Le troisième levier est le plus passionnant : il s’agit de créer un « Health data Hub », une infrastructure de données de santé exploitées grâce aux méthodes et aux outils les plus innovants, notamment l’intelligence artificielle. Nous allons mesdames et messieurs construire tout simplement l’une des plus grandes bases de données du monde.
Forts de ces actifs, nous développerons massivement l’utilisation de ces données en conditions réelles. Vous le savez mieux que moi, l’étude des données en vie réelle recèle des potentialités inouïes pour améliorer la prise en charge des patients. Car l’utilisation des données n’ajoute pas simplement un outil puissant au service des épidémiologistes. Elle va révolutionner les pratiques des médecins et des professionnels de santé, mais aussi les parcours de soin. Elle ouvre des horizons insoupçonnés pour développer des produits et des services – comme des applications sur smartphones – que le patient pourra s’approprier plus activement. Face à cette révolution, la France veut être aux avant-postes et organiser l’accès à ces données de façon cohérente et efficace.
La troisième ambition que je veux porter avec vous, c’est celle de la transformation de notre tissu industriel.
Notre stratégie vise à ancrer durablement la production et l’industrialisation sur nos territoires en créant des écosystèmes de visibilité mondiale.
Donner tout d’abord une nouvelle ambition à nos pôles de compétitivité : nous publierons dans les prochains jours, après concertation avec les Régions, le cahier des charges de la phase IV des pôles de compétitivité, afin de renforcer leur efficacité et nous investirons 400M dans les projets collaboratifs issus des pôles de compétitivité.
Mobiliser ensuite les outils du Programme d’investissement d’avenir et du Grand plan d’investissement au service du secteur de la santé.
Nous profitons de ce CSIS pour lancer un nouveau fonds de capital-risque à destination des entreprises de santé, Innobio II, avec l’appui de Bpifrance et de Sanofi. Nous redynamisons également le fonds FABS. A eux seuls, ces deux fonds permettent de faire levier sur plus de 2 milliards d’euros d’investissements dans le secteur de la santé.
Nous allons également créer un pôle d’excellence mondial de recherche et de production dans le domaine des biotechnologies. Le Ministre de l’économie et des finances, Bruno LE MAIRE, et la Secrétaire d’Etat, Delphine GÉNY STEPHANN, sont mobilisés, au sein du Conseil national de l’industrie, sur ce sujet qui doit être fédérateur. Pour produire les bio-médicaments du futur, non pas 30 % moins chers qu’aujourd’hui, mais 100 fois moins chers. Pour que ces produits puissent toucher tous les Français. Pour capitaliser sur des outils d’excellence comme Yposkezi, soutenu en fonds propres par Bpifrance à hauteur de 84 M€ aux côtés du Téléthon.
Les grands défis du Fonds pour l’innovation et l’industrie, à hauteur de 140 M€ par an, seront également susceptibles de venir soutenir les ambitions en matière de bioproduction.
Enfin, nous voulons que la France devienne un leader mondial dans la filière des MTI, les Médicaments de thérapie innovante, qui nous ouvrent des perspectives révolutionnaires. Ces médicaments complexes, qui peuvent inclure des organismes génétiquement modifiés et des dérivés de cellules, donnent un sens très concret à la notion de « médecine personnalisée ». Vous me direz que toute médecine est personnalisée, et c’est vrai, le soin s’inscrit toujours dans une relation humaine, intersubjective.
Mais quand on parle de médecine personnalisée, grâce aux MTI, on pense aux prélèvements de cellules qui sont traitées puis réinjectées dans le corps du malade.
Pour favoriser le développement des MTI, nous allons simplifier et réduire les délais de production et d’industrialisation, d’ici janvier 2019 avec une logique simple de fast track.
Ces nouvelles thérapies, nous les accueillons donc à bras ouverts.
J’ai dit que nous allions réduire les délais pour l’accès à l’innovation, décloisonner la recherche, construire de vraies politiques de filières. Je voulais terminer par le thème du dialogue entre les pouvoirs publics et les industries de santé, avec là aussi une ambition forte et simple : instaurer un dialogue plus stable et plus efficace entre l’administration, les industriels et les acteurs du système de santé. Seul ce dialogue nous permettra de faire évoluer notre système de santé dans la bonne direction.
Ce dialogue doit d’abord reposer sur un engagement irréprochable des industriels en faveur de la sécurité - sécurité des patients, sécurité de l’environnement. A la lumière des enseignements passés, nous avons déjà fait des progrès, mais ils restent insuffisants. Transparence, responsabilité, réactivité quand il faut prendre les décisions qui s’imposent pour protéger la santé des Français, doivent nous guider, doivent vous guider. Là-dessus, je ne transigerai pas.
C’est à cette condition que nous pourrons aller de l’avant. Le dialogue que nous voulons établir, et c’est une nouveauté, doit rendre la régulation du marché plus simple et plus prévisible. J’ai entendu qu’il s’agissait d’une demande forte. Vous pouvez compter sur nous.
Dès cette année, nous allons rénover en profondeur le dispositif de régulation, lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale à l’automne. Il n’y aura plus, conformément à votre demande, qu’une seule enveloppe globale au lieu de deux, représentant l’ensemble du chiffre d’affaires, ce qui sera plus lisible. Et pour sortir des à-coups du court terme, nous instaurons une visibilité sur 3 ans avec un double objectif qui ne surprendra personne : renouer avec la croissance tout en assurant une soutenabilité de la dépense.
Je sais que dans la période récente, vous avez connu un cadre de régulation qui s’appuyait sur une croissance atone, voire même négative. Cette période est révolue. Les chiffres précis seront connus au moment des lois budgétaires à l’automne. Mais dès aujourd’hui je voudrais fixer un cadre en décidant de planchers minimaux de croissance.
En premier lieu, nous voulons donner un signal fort pour l’innovation. Nous viserons un plancher de 3% de croissance par an sur les 3 prochaines années, pour les médicaments innovants. C’est un effort majeur qui vise à transformer profondément notre base industrielle, à la rendre plus attractive pour ceux qui veulent innover.
En outre, pour l’ensemble des dépenses remboursées le plancher minimum de croissance sera de 1% sur les 3 prochaines années.
L’évaluation scientifique est par ailleurs le socle de notre assurance maladie, puisqu’elle justifie qu’un produit soit pris en charge ou non par la solidarité nationale. Un consensus se dessine pour revoir nos outils d’évaluation des produits de santé en instaurant la Valeur Thérapeutique Relative. Cette réforme vise à rendre le mécanisme de remboursement plus prévisible pour les industriels, sans aucun impact négatif pour les patients.
Je sais que cette réforme est très attendue. Je sais qu’Agnès BUZYN, la ministre de la santé, y est attachée. J’ai demandé à ce qu’un groupe de travail s’y consacre dans une démarche de co-construction et me rende ses conclusions d’ici le printemps prochain.
Ce dialogue doit enfin porter sur la politique économique des produits de santé, notamment sur leur prix. Pour refonder les orientations du Comité Economique des Produits de Santé, nous avons réécrit la lettre adressée à son président. Je sais que la précédente version a provoqué de l’incompréhension, voire de l’irritation. La nouvelle version reflète le retour de la confiance en réaffirmant la place de la négociation, et l’importance de l’accord cadre, qui définit les relations entre les pouvoirs publics et l’industrie.
Cet accord-cadre sera d’ailleurs renégocié dans la foulée. L’objectif que je fixe à ce chantier est double : développer, bien plus fortement qu’aujourd’hui, la prise en compte des investissements ou de l’export dans la fixation du prix. Et se donner une meilleure capacité d’aligner les prix faciaux français sur les prix faciaux européens, sans surcoût pour l’assurance maladie.
Mesdames et Messieurs, je suis ravi de vous voir tous réunis ici, à Matignon, pour ce CSIS qui marque un tournant dans les relations que l’Etat souhaite entretenir avec les industries des produits de santé.
L’ensemble des mesures que je viens d’évoquer doivent être suivies d’effets, sur le long terme. Pour m’en assurer, j’ai demandé au président du Comité stratégique de filière des industries santé, M. BÉLINGARD, de nous aider à respecter les ambitions que nous nous sommes fixées ce matin. Il a accepté, et je le remercie. Et j’ai demandé aux ministres de l’assister dans cette tâche, pour que ce 8ème CSIS fasse date.
Ce tournant vous l’attendiez depuis trop longtemps.
Pour nous y engager, sans nous exposer à des risques inconsidérés, nous avons beaucoup de chance : notre système de santé est l’un des plus performants au monde, notre système d’enseignement supérieur et de recherche se distingue par son excellence, notre tissu industriel est à la fois solide et en cours de mutation. Vous tous, et je m’adresse en particulier aux CEOs internationaux qui nous font l’honneur d’être présents aujourd’hui, vous êtes les bienvenus pour développer votre activité en France.
Nous avons enfin un autre atout de taille : nous ne craignons pas les révolutions, les moments de bascule historique. C’est donc avec enthousiasme que nous envisageons les nouvelles technologies qui ont déjà commencé à transformer la médecine. Et à sauver des vies.