Discours d'Edouard Philippe, Premier ministre, au Comité interministériel de la Biodiversité

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 05/07/2018

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Comité interministériel de la Biodiversité
Muséum National d’Histoire Naturelle
Paris, mercredi 4 juillet 2018
Seul le prononcé fait foi
Bonjour à tous. Mesdames et Messieurs, je ne sais pas ce que vous avez fait dans les 20 dernières minutes et d’ailleurs en vérité, ça ne me regarde pas vraiment, mais je vois bien ce que vous allez faire dans les 20 prochaines, c’est nous écouter présenter un certain nombre d’actions qui vont être mises en œuvre par le Gouvernement. Nous écouter, Nicolas HULOT et moi-même, vous présenter les conclusions du premier Comité interministériel de la biodiversité qui s’est tenu.
J’ai mentionné deux fois 20 minutes pour une raison simple, c’est que sur la planète, une espèce disparaît toutes les 20 minutes. Ce rythme d’une disparition toutes les 20 minutes, il est 1.000 fois supérieur à la normale, pour autant qu’on puisse parler de normal, il est 1.000 fois supérieur à ce qui était observé.
1.000 fois. Quand quelque chose passe à un rythme 1.000 fois supérieur à la normale, c’est justement qu’il se passe quelque chose : quelque chose qui est susceptible d’inquiéter et qui est donc susceptible de nous entraîner à réagir, à prendre des mesures indispensables.
Nous avons parfaitement conscience, avec Nicolas HULOT, qu’il est parfois difficile de mobiliser l’opinion sur la question de la biodiversité pour une raison simple, c’est que c’est un phénomène qui est parfois invisible, c’est un phénomène qui, alors même qu’il est ultrarapide au regard du temps géologique ou même animal, reste un phénomène lent à constater pour toute personne humaine. C’est un phénomène qui, souvent, ne fait pas de bruit et qui d’ailleurs se caractérise par le fait qu’il en fait souvent de moins en moins et pourtant, c’est un phénomène important, structurant et à bien des égards urgent.
L’objectif de ce premier Comité interministériel de la biodiversité et le plan qui en découle, ce n’est peut-être pas essentiellement mais au moins un peu, d’essayer de faire mentir Nicolas HULOT puisque le ministre d’Etat soulignait récemment à l’Assemblée nationale à l’occasion d’une séance de questions que, je le cite, « la biodiversité, tout le monde s’en fichait ». Non, tout le monde ne s’en fiche pas et certainement pas ce Gouvernement, certainement pas le président de la République, certainement pas tous ceux qui, avec Nicolas HULOT, considèrent qu’il est temps d’agir et qu’il est d’autant plus temps que ne pas agir nous conduirait à ne plus pouvoir agir plus tard.
Nous sommes donc désormais bien décidés à prendre cet enjeu à bras-le-corps parce que nous avons constaté l’urgence, qu’elle ne nous semble plus à démontrer et qu’il nous faut enrayer, ralentir, peut-être même inverser cette évolution du déclin de la biodiversité.
Beaucoup de scientifiques – nous en avons entendu quelques-uns pendant ce Comité interministériel, ils s’expriment et c’est tant mieux de façon très puissante ou en tout cas aussi puissante qu’ils le peuvent –, beaucoup de scientifiques indiquent que notre époque vit à certains égards une nouvelle période d’extinction des espèces – ce n’est pas la première dans l’Histoire de notre planète, c’est même probablement la sixième –, mais que nous vivons un phénomène d’une ampleur comparable à ceux qui ont prévalu dans l’Histoire des 500 millions d’années passées du vivant.
Quelques chiffres que le ministre d’Etat a mentionnés dans son propos, qu’il rementionnera, qui donnent la maille de ce que nous sommes en train de vivre, y compris en France et dans un silence inquiétant. Le nombre d’oiseaux communs a chuté d’un tiers en 15 ans. Un tiers d’oiseaux en moins dans notre pays et 40 % de chauves-souris en moins.
Il y a une façon très désinvolte de prendre ces chiffres en disant : oui, bon. Et il y a une façon qui est au contraire beaucoup plus inquiétante de les prendre, c’est que cette disparition progressive, cette limitation de l’abondance, elle a à l’évidence des effets sur l’ensemble du vivant. Toutes les espèces jouent un rôle. Je ne suis pas le mieux placé pour en parler ici, entouré par des gens qui connaissent ça par cœur et dont c’est le métier et dont c’est la passion, mais toutes les espèces ont un rôle. Dès lors qu’elles disparaissent, ce rôle n’est pas forcément rempli, il est transformé et cela peut évidemment avoir des impacts et des conséquences en chaîne dont on ne sait pas, au moment où on commence à constater le phénomène, où il va s’arrêter et ce qu’il peut entraîner pour l’environnement en général et pour l’humanité en particulier.
L’exemple des abeilles est souvent donné, j’y reviendrai. Nous avons vu avec Stéphane TRAVERT, le ministre de l’Agriculture, que le rôle des insectes polinisateurs naturels dans la production agricole est souvent estimé à quelque chose entre 5 et 12 % de la valeur totale de ce que produit l’agriculture française. C’est loin d’être négligeable, c’est même totalement essentiel. Donc nous voyons bien que la mise en cause d’une espèce peut conduire à des résultats nuisibles, néfastes, dangereux pour des secteurs économiques d’aujourd’hui et pour notre vie en société.
Le plan que nous allons présenter donne le coup d’envoi donc d’une très grande mobilisation des administrations, des entreprises, des collectivités, des associations, des citoyens. Nous allons fixer un objectif à l’horizon 2020 qui est une échéance importante pour la biodiversité au niveau international puisque c’est l’année de la COP Biodiversité qui se tiendra en Chine et qui doit définir les engagements de la communauté internationale pour la décennie qui viendra.
Nous souhaitons parvenir en 2020 à une prise de conscience générale comparable à celle qui a eu lieu sur le climat en 2015, qui produit des effets et qui est la condition pour que les Gouvernements, les grands groupements, les entreprises, l’ensemble des acteurs puisse se mobiliser sur le sujet. En 2020, ce sera aussi le congrès mondial de la nature que la France va accueillir à Marseille et qui sera évidemment un moment important pour concrétiser les engagements des acteurs, cette fois-ci non étatiques, au fond dans le même type de logique que celui qui a prévalu pour le climat en 2015.
Nicolas HULOT va vous présenter le plan dans quelques instants mais je voudrais insister sur deux sujets clés : l’agriculture et la lutte contre l’étalement urbain. Je ne reviens pas sur l’engagement du Gouvernement sur la sortie des pesticides et en particulier du glyphosate, nous avons eu l’occasion, Nicolas HULOT et moi, d’en parler mardi ensemble durant le Facebook Live. Je ne reviens pas non plus sur l’expression que j’ai eue sur ce sujet à Châlons-en-Champagne au forum Planet A. Ces actions sont évidemment essentielles.
Je voudrais insister aujourd’hui sur un autre levier qu’ont les agriculteurs pour agir en faveur de la biodiversité, c’est tout ce qui est relatif à la préservation des prairies et des zones humides, c’est tout ce qui est relatif à la plantation de haies dans les grandes plaines agricoles, à la couverture des sols, à la restauration des mares, autant de zones « refuges » pour la biodiversité qui sont essentielles pour restaurer les populations d’insectes et d’oiseaux dans nos campagnes.
Pourquoi j’en parle ? Parce que nous voulons rémunérer les agriculteurs pour ce service qu’ils rendent à la nature. Reconstruire des haies ou réinstaller des haies, c’est au fond passer du temps à construire quelque chose qui n’est pas spontanément utile pour eux mais qui est utile pour tout le monde et qui, in fine, leur est utile. Et il n’est pas inutile pour le coup de consacrer des moyens à cela, nous y consacrerons, 150 millions d’euros d’ici 2021 et nous en ferons un élément structurant de notre position dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune.
Deuxième sujet, l’étalement urbain qui représente une menace très sérieuse et très documentée sur la biodiversité dans notre pays. Là encore, il faut avoir un ordre de grandeur à l’esprit : chaque année, ce sont environ 65.000 hectares qui sont artificialisés dans notre pays. 65.000 hectares par an, ça veut dire la surface d’un département tous les huit ans qui est artificialisée. C’est un rythme dont il faut se rendre compte du caractère déstabilisant qu’il peut avoir pour la production agricole, pour la protection des espaces naturels. Les sols sont une ressource finie, connue et finie. On ne peut pas agrandir les sols. Et une fois qu’ils ont été utilisés, on parle parfois d’artificialisation irréversible. Nous devons donc les protéger pour protéger notre capacité à produire : de la nourriture, des produits végétaux, et à préserver la faune qui s’y trouve.
Ça n’est pas la première fois qu’un responsable politique parle de lutte contre l’étalement urbain et des mesures étaient contenues notamment dans les lois SRU, lesquelles n’ont pas produit un impact satisfaisant. Et je dois dire, lorsque je me souviens de mon expérience de maire et de président d’agglomération, qu’il est très difficile de lutter efficacement contre l’étalement urbain parce que la demande est considérable, parce que le modèle de l’installation en périphérie des villes est souvent une nécessité économique pour ceux qui le souhaitent, parce qu’il permet parfois de concilier une vie urbaine ou périurbaine et une proximité un peu plus grande de la nature et des jardins.
Mais cet étalement urbain, étalement commercial, industriel parfois, logistique, étalement urbain proprement dit, a un coût considérable pour la collectivité. Il faut donc trouver des incitations et des moyens de revenir à de la densité et de revenir à une forme de ville et d’ensemble urbain contenu et pas étalé de telle façon que la production agricole n’est plus possible et n’est plus envisageable, que les forêts deviennent tellement parcellisées qu’elles ne remplissent plus leur fonction écologique.
Nous allons donc nous fixer des objectifs en matière de lutte contre l’étalement urbain, des objectifs chiffrés. Bien entendu, ces objectifs ne peuvent être définis qu’en concertation avec les parties prenantes, évidemment, avec les collectivités territoriales qui sont en première ligne sur le sujet. Toute mesure qui leur serait imposée sans qu’elle soit partagée par ces collectivités se heurterait à la même inefficacité que celle que je dénonçais tout à l’heure. Nous allons donc définir ensemble la date que nous fixerons pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette des sols et la trajectoire pour y parvenir.
Nos amis allemands ont, je crois, fixé à 2050 le moment où ils considèrent qu’il ne peut plus, qu’il ne devra plus y avoir d’artificialisation nette ; nous voulons étudier le bon objectif, le bon moment et pour ça, il faut consulter les collectivités territoriales. Nous leur demanderons notamment, à l’occasion du renouvellement de leur document d’urbanisme, quand elles doivent le renouveler, de se fixer un objectif à leur échelle compatible avec la trajectoire définie au niveau national, mais qui prend également en compte le contexte local.
Il nous faut apporter des réponses précises, locales et immédiates. Je mentionnais tout à l’heure l’exercice conjoint avec Nicolas HULOT de réponse sur un exercice de Facebook Live et à la fin de cette demi-heure que nous avons passée ensemble, nous avons eu, à l’occasion d’une des questions, un échange sur un livre dont je parle souvent et, finalement, tout le monde va finir par penser que je n’ai lu que ce livre, qui s’appelle « Effondrement » de Jared DIAMOND, qui est un livre référence pour le ministre d’Etat et pour moi et sur lequel nous avons beaucoup échangé.
En prenant en compte cette question de la biodiversité, nous nous plaçons le président de la République, lui et moi, et l’ensemble du Gouvernement avec nous, dans une logique où nous nous inscrivons dans ce défi de lutter contre l’effondrement possible, dans ce moment où nous nous disons que si nous ne prenons pas les bonnes décisions, c’est notre effondrement à nous, société moderne, à nous, humanité, qui est en jeu.
Et donc, derrière ce mot qui parfois suscite l’étonnement ou l’incompréhension, biodiversité, préservation de la biodiversité, il y a un défi majeur de notre temps. Ça peut être à la fois inquiétant, préoccupant ou même franchement angoissant, c’est aussi enthousiasmant et réjouissant. Et je voudrais conclure par cela. Nous avons la possibilité de faire une différence, nous avons la possibilité d’apporter une réponse qui nous permet d’envisager l’avenir avec confiance. C’est une belle responsabilité, c’est une lourde charge et je vais laisser le ministre d’Etat, Nicolas HULOT, vous indiquer les éléments essentiels du plan sur lequel nous avons travaillé. Merci beaucoup.

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