Discours à l'Institut de recherche technologique M2P à Metz

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 21/06/2018

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre, à l’Institut de recherche technologique de Metz
Madame et monsieur le ministre,
Monsieur le préfet,
Monsieur le maire de Metz,
Monsieur le président du conseil régional,
Monsieur le président du conseil départemental,
Monsieur le président, cher Alain Rousset,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la présidente, chère Patricia Barbizet,
Mesdames et messieurs,
« Quel est le meilleur des trois espèces de soufflets employés dans les mines de fer ? ». Sans doute quelqu’un ici connaît-il la réponse. Inutile de vous casser la tête. Pierre-Clément Grignon l’a déjà donnée. En 1770. En plus d’avoir trouvé la bonne réponse, Grignon présentait deux autres caractéristiques. D’abord, il était à la fois antiquaire, archéologue et métallurgiste ce qui, vous le reconnaîtrez, revient à pousser très loin la logique de la transversalité et de l’effet « cluster ». Mais, c’est surtout celui qui a forgé le terme de « sidérurgie ». Je dis « forger » parce que « sidérurgie » vient d’un mot grec qui signifie « atelier du forgeron ».
Cette sidérurgie a, à son tour, forgé la Lorraine. Comme la Lorraine a façonné la sidérurgie. Une sidérurgie qui a fait de cette région, de ses ouvriers, de ses techniciens et ingénieurs, de ses chercheurs, les bâtisseurs de la puissance industrielle française. Au point que, dans l’imaginaire collectif, l’ouvrier lorrain, comme d’ailleurs le docker havrais, ont incarné physiquement le travail. Son âpreté, sa dignité, mais aussi sa douleur et parfois son injustice. Une sidérurgie qui a fait de la Lorraine une terre de reconversions. Souvent difficiles. Mais aussi, comme nous l’avons vu dans cet I.R.T, une terre de renaissance, d’innovation industrielle, qui montre que « la Lorraine du fer » est une « Lorraine de fer » et qu’elle est loin d’avoir dit son dernier mot.
Ces reconversions, ces transformations, concernent beaucoup d’autres régions. D’où une exigence pour l’Etat : celle de réparer le pays, de doter ses entreprises, ses hommes et ses femmes, des outils, des compétences dont ils ont besoin pour faire face à des mutations extrêmement puissantes. Comment ? En transformant notre modèle économique et social pour donner à la fois plus de liberté pour innover et plus de sécurité pour que chacun puisse s’adapter à une économie qui évolue très vite. En réformant aussi notre Etat, en réduisant ses coûts de fonctionnement pour retrouver des marges de manoeuvre. Des marges pour investir.
Je crois à l’investissement public. Je crois à la « main bien visible » de l’Etat. Une main qui oriente, qui organise, qui facilite. Une intervention qui, évidemment, n’a plus rien à voir avec ce qu’elle pouvait être il y a soixante ans. Mais qui demeure absolument essentielle. En France, bien sûr. Nous ne sommes pas le pays de Richelieu, de Colbert et du Général de Gaulle pour rien ! Mais aussi ailleurs : je ne suis pas sûr que la Silicon Valley aurait connu le même destin sans les commandes de l’Etat américain dans les domaines de l’armement et de l’aérospatiale et sans son soutien à la constitution de pôles d’enseignement et de recherche d’excellence.
Il se trouve qu’il y a dix ans, j’ai eu le privilège de participer à une commission de réflexion que présidaient deux hommes d’Etat auxquels je voue une sincère admiration. Je veux parler d’Alain Juppé et de Michel Rocard. Dans leur rapport, bien connu de tous ici, les auteurs écrivent ceci : « Il faut réapprendre à voir large et loin : ceux qui se laissent écraser par la tyrannie du court terme sont condamnés à toujours réagir au lieu d’agir, à toujours saupoudrer au lieu de choisir, bref à toujours subir ».
Investir pour ne pas subir. Economiser sur les dépenses de fonctionnement, trouver des capitaux frais d’un côté pour que de l’autre, l’Etat puisse investir dans le développement de la connaissance et de l’innovation ; intervenir au service de l’économie, l’appuyer dans sa montée en gamme. Et pour que la France puisse de nouveau « voir large et loin ».
C’est le sens du Grand Plan d’Investissement, le G.P.I, dont le président de la République avait émis l’idée durant la campagne. Un grand plan dont j’ai annoncé la mise en oeuvre en septembre dernier et qui est opérationnel depuis le début de cette année. Un plan qui mobilise près de 57 milliards d’euros pour financer de grandes priorités : l’accélération de la transition énergétique, l’investissement dans les compétences, l’innovation et la montée en gamme de nos filières et la transformation de l’Etat.
Ce plan se structure. Il se diffuse dans nos régions. En particulier dans la vôtre. Je voudrais, pour l’illustrer, prendre deux exemples :
  • Dans le domaine des compétences d’abord : Vous le savez, nous allons mobiliser près de 15 milliards d’euros pour former les hommes et les femmes de notre pays grâce au plan d’investissement dans les compétences.
  • Voici quinze jours, Mme Pénicaud a signé par exemple une convention avec la région Grand-Est, qui prévoit 12 700 formations supplémentaires en 2018 pour consolider les savoirs de base, pour préparer à l’alternance et pour répondre aux besoins urgents de compétences qu’expriment tous les acteurs de l’économie.
Dans le domaine de la transformation de l’Etat ensuite : Avec le G.P.I, nous avons mis en place un Fonds pour la transformation de l’action publique pour accélérer des projets de transformation de services publics. 17 projets ont été annoncés hier à l’issue du premier appel à projets. Des projets qui vont permettre de réaliser des choses très concrètes comme :
  • améliorer le suivi des indicateurs d’insertions professionnelles des apprentis et des lycéens ;
  • dématérialiser le traitement des demandes d’autorisation d’urbanisme, en particulier le permis de construire.
Voilà pour ce qui concerne des déclinaisons opérationnelles du G.P.I.
Je le dis souvent : la confiance n’exclut pas le contrôle. Encore moins « le self control ». Aussi pour m’assurer que le GPI demeure fidèle à sa finalité première, j’ai installé ce matin, un comité de surveillance présidé par Patricia Barbizet, dont chacun connaît l’expérience, la créativité et le dynamisme. Son rôle ? Eh bien, surveiller. Et veiller aussi. À plusieurs choses : à informer le Parlement sur ce que nous faisons ; veiller à ce que cet argent serve à investir et non à boucler les fins de mois – et « Qui s’y frottera, s’y piquera » comme le veut la devise des ducs de Lorraine. Il veillera enfin à ce que le Gouvernement fasse les bons choix d’investissement, des choix qui transforment, des choix qui structurent.
Je suppose que tout le monde ici sait ce qu’est « le chromage dur » ? C’est un procédé sur lequel l’I.R.T de Metz s’est penché pour remplacer une ancienne méthode de chromage qui utilisait une substance toxique en passe d’être interdite, les sels de chrome hexavalent, par un nouveau procédé meilleur pour l’environnement. Vous me pardonnerez d’éventuelles imprécisions : mes cours de physique-chimie sont un peu loin.
Mais l’important n’est pas là. L’important c’est que grâce à cette innovation, une filière peut envisager l’avenir plus sereinement. C’est bon pour l’emploi et l’export. Eh bien, c’est ce mouvement que nous voulons reproduire dans le cadre de notre politique d’innovation. Un mouvement qui consiste à anticiper un problème, une contrainte, une demande de nos concitoyens pour produire les solutions qu’on pourra ensuite aussi exporter.
Pour une bonne politique d’innovation, il faut concevoir le bon « alliage » en réunissant plusieurs ingrédients :
Des moyens d’abord. Vous le savez, nous avons créé le 15 janvier 2018, le Fonds pour l’innovation et l’industrie. Ce fonds, nous le dotons de 10 mds d’euros. Ceux-ci seront alimentés par les cessions de participations publiques dans des entreprises que nous avons annoncées la semaine dernière. De belles entreprises, qui font notre fierté. Des entreprises qui peuvent vivre leur vie, sous le contrôle bien sûr de leur régulateur. Nous ne « dépenserons pas » ces 10 mds. Ils auront pour but de générer entre 200 et 300 millions d’euros par an qui, eux, serviront à financer des innovations dites de « rupture ».
Une gouvernance ensuite. Elle doit être la plus transversale possible. D’où la mise en place d’un « conseil pour l’innovation » que présideront le ministre de l’économie et la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, avec l’appui du secrétariat général pour l’investissement. Ce conseil, qui se réunira pour la première fois le 19 juillet, comprendra des représentants du monde de la recherche, de l’entreprise, de l’accompagnement des start-ups et de l’investissement. Il assurera deux missions principales :
D’abord : garantir la cohérence, la simplification et l’articulation des différents instruments de la politique de l’innovation.
Sa seconde mission sera de définir les priorités d’investissements de ce fonds. Dans ce cadre, j’ai fixé deux grandes priorités :
Première priorité : Le financement du « Plan Deep Tech » que j’ai annoncé à Henrichemont dans le Cher, pour soutenir les entreprises innovantes issues de la recherche de pointe.
Seconde priorité : l’identification puis le financement de « grands défis technologiques ». Des défis qui doivent présenter un bénéfice « sociétal ». C’est-à-dire apporter une solution très concrète et innovante dans des domaines comme la santé, la mobilité, la sécurité, le changement climatique ou la réduction des inégalités. Il peut s’agir par exemple de trouver des traitements substitutifs à la chimiothérapie, de protéger les enfants sur internet ou de réduire le temps passé dans les embouteillages ! L’idée est de favoriser la résolution d’un problème identifié sans privilégier une solution technologique ab initio. Pour identifier ces défis, nous allons lancer un processus de concertation auprès des acteurs de la recherche et de l’industrie. Notre objectif est de lancer entre trois et 5 « grands défis » par an financés chacun jusqu’à hauteur de 50 millions d’euros.
Enfin, il faut une - ou plutôt des - équipes. Ces équipes, ce sont les écosystèmes qui se sont développés partout en France. Des écosystèmes qui se nourrissent d’interactions toujours plus fortes entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise. Des écosystèmes que l’on doit notamment au programme d’investissement d’avenir (P.I.A.) et au rapport Juppé-Rocard que j’évoquais tout à l’heure.
Quel était l’objectif ? Faire la révolution !
Rapprocher les mondes de l’industrie, de la recherche et de l’enseignement. Créer des passerelles. Accélérer les transferts de technologie. Tout ce qu’on ne faisait pas assez et qu’il était urgent de faire plus. Grâce à des outils, à des financements. Grâce aussi à une méthode exigeante, pour sélectionner les projets, expérimenter, et accepter d’arrêter ce qui ne pas fonctionne pas, ce qui est la nature même de l’innovation.
Une des réussites de cette politique, c’est l’émergence d’un grand nombre de « maisons communes » sur le territoire. Plus ou moins grandes, les maisons. Mais communes. Les I.R.T, les instituts pour la transition écologique (I.T.E.), les sociétés d’accélération et de transfert de technologie (S.A.T.T), et enfin les pôles de compétitivité. Des maisons qu’il convient aujourd’hui de consolider. Et dont on peut encore abattre quelques cloisons.
Un mot d’abord sur les « pôles de compétitivité » qui sont un bel exemple de catalyseur de rencontres. Rencontres entre des technologies de pointe, des traditions industrielles, des compétences et une histoire locale. Les pôles ont beaucoup progressé depuis leur lancement en 2004. Ils sont maintenant des acteurs connus, identifiés. Certains sont prêts à partir à la conquête de l’Europe. Tout ça, à 14 ans. Ce qui est jeune. De mon point de vue. Ou vieux du point de vue par exemple d’un start-uper.
Pour les consolider, nous allons engager la « phase IV » des pôles de compétitivité qui s’ouvrira en 2019.
Nous en préparerons le cahier des charges avec les régions. Avec un haut niveau d’exigence. Parce que ce doit être l’occasion pour les pôles de monter en gamme, d’acquérir une taille critique. Pour coopérer avec d’autres entreprises ou d’autres pôles européens. Et pour aller chercher ensemble des crédits européens.
Dans le cadre de cet appel, nous encouragerons certains pôles à fusionner, à se rapprocher ou à bâtir des synergies avec d’autres structures. Nous tiendrons compte aussi de la nouvelle carte des régions. En échange, nous garantirons aux pôles qui auront franchi la barre, une vraie visibilité sur leurs financements, en fonction bien sûr de leur performance.
C’est pourquoi, nous allons fusionner plusieurs sources pour constituer une enveloppe unique au sein du P.I.A., qui mobilisera près de 400 millions d’euros pour la période 2019-2020. Et les pôles auront un accès privilégié, mais pas exclusif, à cette enveloppe. Force est en effet de constater que les projets des pôles réussissent plutôt mieux en moyenne.
Les autres « maisons communes » dont je voudrais parler sont les IRT et les ITE. Des dispositifs qui depuis leur création, ont permis la mobilisation de plusieurs centaines de partenaires industriels et académiques. C’est bien. Je pense qu’on peut aller plus loin et qu’on peut simplifier davantage.
D’abord, en rapprochant les IRT et les ITE pour harmoniser leurs règles de fonctionnement et gagner en visibilité, notamment à l’international.
En déverrouillant ensuite un certain nombre de règles de fonctionnement. Je pense par exemple à celles relatives à la mise à disposition des chercheurs. L’objectif ici est de donner la main aux acteurs du territoire.
En anticipant enfin leur évolution vers des modèles pérennes, adaptés à chaque écosystème, de manière à ce qu’à terme, le financement récurrent de l’Etat couvre au maximum le tiers de leurs dépenses, ce qui implique que les partenaires privés apportent chaque année, une contribution minimale à hauteur des apports publics. Et ce qui nécessite que l’on favorise le co-investissement avec les régions.
Un dernier mot sur un sujet qui vous concerne directement. Je veux parler du financement des start-ups issues de la recherche.
L’objectif est de favoriser le développement des start-ups qui naissent chez vous. Les faire naître, les faire grandir. Les ancrer aussi dans la culture, parfois un peu éloignée de la leur je le reconnais, du capital-risque.
On le sait, l’industrie du capital-risque en France s’est beaucoup développée. C’est très positif. Cependant, cette industrie ne couvre pas encore tous les besoins. De nombreuses pépites, en général issues de la recherche, ne peuvent y accéder. Soit parce qu’elles sollicitent de trop petits tickets d’investissement, moins de 500 000 euros. Soit parce qu’elles présentent un risque encore trop élevé.
C’est pourquoi nous allons créer un fonds – le Fonds « French Tech Seed », doté de 400 millions d’euros par le PIA et géré par Bpifrance, qui pourra investir directement aux côtés d’investisseurs privés – c’est fondamental – dans ces start-ups. Y investir durant cette phase cruciale de pré-amorçage que je décrivais, qui se situe très en amont et où le risque est élevé. Grâce à ce fonds, la France se dote enfin d’un outil capable de financer le « pré-amorçage » à grande échelle.
Il y a donc un « acquis du P.I.A ». Un acquis qui est au moins autant culturel qu’organisationnel. Cet acquis est évidemment précieux. Si on veut le faire fructifier, il faut l’évaluer. Vous le savez, dès cette année et jusqu’au début de l’année 2019, nous allons procéder à l’évaluation globale du P.I.A qui va « fêter » ses 10 ans.
Une évaluation que coordonnera le comité de surveillance que j’ai installé ce matin. À lui de nous dire ce qui a bien fonctionné et ce qui, en revanche, n’a pas totalement donné satisfaction. Pour nous projeter, pour définir de nouvelles priorités et pour peut-être engager de futurs programmes à horizon 2020. Ces programmes, nous les construirons avec vous : acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, entreprises, et collectivités territoriales.
Beaucoup des investissements d’avenir qui ont été réalisés vont produire à leur tour des revenus. Des revenus qui devraient croître avec le temps. Je veux donc poser avec vous un principe simple : tout ce qui provient de l’investissement retournera à l’investissement. Pour réinvestir l’avenir.
Je terminerai pardon par deux de mes passions, dont le lien avec la Lorraine ne vient pas spontanément à l’esprit : la mer et la Rome antique. Deux passions qui se rejoignent dans une phrase de Sénèque que j’apprécie particulièrement. La voici : « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ». Le vent, ça ne dépend pas toujours de nous. C’est un Havrais qui vous le dit. En revanche, nous savons où nous allons. Nous savons ce que nous voulons. Pour la Lorraine. Pour toutes celles et tous ceux qui cherchent, qui innovent, qui risquent, qui se lancent et qui construisent. Pour ces intelligences, techniques, pratiques, que vous représentez et sur lesquelles notre pays sait pouvoir compter. Je vous remercie.

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