Discours du Premier ministre au congrès du Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 18/05/2018

Discours du Premier ministre au congrès du Centre des Jeunes Dirigeants d’entreprise

Vendredi 18 mai 2018

Nancy
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le maire, cher Laurent,
Monsieur le président de la Métropole, cher André,
Monsieur le président du Conseil régional,
Monsieur le président du Conseil départemental,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du CJD,
Mesdames et messieurs,
« Révèle le corporate hacker qui est en toi ! ». Le titre de cet atelier qui se tient je crois cet après-midi m’a un peu intrigué. J’ai donc recherché ce qu’était un « corporate hacker ». Voici la définition que j’ai trouvée : « un corporate hacker est un électron libre, avec une vision des mutations nécessaires (…). Désobéir pour porter la transformation ne lui fait pas peur. En s’inspirant de la culture geek, il veut transformer l’organisation de l’intérieur. C’est un idéaliste qui agit porté par un idéal du bien commun ». Si ça vous intéresse, j’en connais un. Il est un peu occupé en ce moment. Pas sûr qu’il puisse se libérer cet après-midi. Depuis un an maintenant, nous sommes une petite vingtaine d’hommes et de femmes autour de lui pour l’aider à transformer le pays.
Si ces transformations sont aujourd’hui possibles, si des millions de Français y ont adhéré en mai dernier, c’est que d’autres « corporate hackers » - qui l’étaient sans le savoir – ont, dans le passé, imaginé et défendu des « visions des mutations nécessaires » . On peut sans doute faire figurer dans cette catégorie Jean MERSCH, votre fondateur qui lui-même s’inspirait d’un puissant courant de pensée : « le catholicisme social ». Celui des philosophes Marc SANGNIER et Emmanuel MOUNIER. Il se trouve que cette année, on célèbre non pas un, mais deux anniversaires. Le vôtre, bien sûr. Celui de votre naissance en 1938. Le second concerne un évènement qui s’est déroulé dix ans plus tard. Cet évènement, c’est un discours. Celui que le général de GAULLE a prononcé au mois de décembre 1948 et qui portait sur la notion « d’association dans l’entreprise ». Une notion qui a conduit à l’ordonnance sur la participation en 1967. 19 ans pour passer un discours dans la réalité. Il ne vous a pas échappé qu’on essaie de comprimer les délais en ce moment !
Ces deux visions, ces deux courants, avec leur propre histoire, ont eu me semble-t-il, comme point commun et comme mérite de sortir l’entreprise d’une forme « d’ornière idéologique ». De l’envisager ni uniquement comme un lieu d’affrontements (ce qui n’interdit pas d’y faire valoir ses droits), ni comme un simple « centre de profits » (ce qui n’interdit pas d’y faire de bonnes affaires), mais comme un lieu de vie. Un lieu de production certes, un lieu de revendication, de « discussions franches », mais aussi un lieu d’insertion, de dialogue, un lieu d’innovation. Un lieu de transmission, d’apprentissage, un lieu d’ascension sociale. Un lieu d’accomplissement, de défi et d’émulation. Un lieu de formation et de réflexion : vous en êtes d’ailleurs la preuve. Un lieu qui n’est ni « anonyme », ni « hors-sol », mais qui s’enracine dans un territoire, dans une culture, dans un environnement. Un environnement « naturel », mais aussi juridique. De ce fait, ce lieu, cette entité jouit de droits, tout en s’acquittant d’un certain nombre de devoirs.
Quand on est un entrepreneur, le premier droit consiste à pouvoir tenter sa chance. Vous le savez : ce n’est pas facile d’entreprendre. De se lancer, souvent sans filet, de créer son activité, de la développer ou parfois de la maintenir à flot. On y laisse pas mal de nuits blanches et de week-ends. Pour soi bien sûr, mais aussi pour les noms qui figurent sur les fiches de paye qu’on édite chaque mois. Nous, « pouvoirs publics », on ne peut pas réussir à votre place. En revanche, on peut vous en donner les moyens – un maximum de moyens. De toute nature.
Les moyens de négocier et d’adapter au plus près du terrain l’organisation du travail dans l’entreprise. C’est le sens des « ordonnances travail ». Je dois dire que j’ai trouvé l’intitulé de vos ateliers savoureux. Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’atelier de ce matin qui s’intitule « Les ordonnances Macron pour les nuls », j’en rappelle l’idée. Elle consiste à diffuser, faciliter le dialogue social dans l’entreprise, en particulier dans les plus petites, qui ne disposent pas d’élus du personnel.
Ces moyens, c’est la possibilité de trouver des financements pour accompagner le développement de son entreprise.
Je ne reviens pas sur la batterie de mesures fiscales que nous avons prises depuis un an pour à la fois « réveiller » l’argent qui dort, réduire le coût du capital et simplifier l’environnement fiscal. Ça, je dirais que c’est un peu « l’acte I ».
Qui dit « acte I », dit « acte II ». Nous allons poursuivre cette mobilisation dans le cadre du projet de loi PACTE que Bruno Le Maire présentera en juin en conseil des Ministres. Je prends un seul exemple : tous les contrats collectifs d’épargne retraite en entreprises, bénéficieront à l’avenir d’un taux réduit de forfait social de 16% (au lieu de 20%) si 10% de leurs avoirs sont investis dans les PME. C’est technique, mais c’est efficace pour mieux mobiliser l’épargne vers le financement de nos entreprises.
Ces moyens supplémentaires que nous vous donnons, c’est la possibilité de franchir plus facilement les caps ou les différentes étapes qui jalonnent la vie d’une entreprise.
Le cap de la création, grâce à la prochaine mise en place d’un guichet numérique unique pour les créateurs, qui jouera un rôle d’interface avec les organismes destinataires des informations collectées, URSSAF, Fisc, Greffe et autres.
Le cap de la croissance, en s’attaquant vraiment aux effets de seuil. Nous allons supprimer le seuil de 20 salariés et les obligations qui y sont liées, à l’exception de celles liées à l’emploi de personnes en situation de handicap . Et pour les seuils qui seront maintenus, à 11 ou 50 salariés, les entreprises devront les avoir franchis durant 5 années consécutives avant d’en acquitter les obligations nouvelles. Elles pourront ainsi embaucher pour profiter au maximum des cycles et des commandes supplémentaires, sans crainte du lendemain.
Le cap des obligations comptables. En France, les comptes des petites et moyennes entreprises font l’objet d’une certification légale par les commissaires aux comptes à partir de seuils beaucoup plus bas que les seuils européens. C’est ce qu’on appelle une sur-transposition. Eh bien, nous alignerons les seuils français sur les seuils européens (soit 4 M€ de bilan, 8 M€ de chiffre d’affaires ou un effectif de 50 salariés). Cent mille entreprises françaises seront ainsi libres de recourir ou non à une certification volontaire de leurs comptes. Et je suis persuadé que ce sera le cas pour les services les plus utiles.
Autre cap, pas forcément le plus agréable j’en conviens, mais nécessaire : celui du contrôle des obligations. Vous connaissez le dicton : la confiance n’exclut pas le contrôle. Certes. Mais, on peut aussi faire en sorte que ces contrôles s’effectuent dans un climat plus serein, plus ouvert, plus apaisé et de manière plus cohérente entre eux. C’est le sens du projet de loi pour l’établissement d’une société de confiance dont l’examen reprendra au mois de juin en 2ème lecture à l’Assemblée nationale.
Enfin dernier cap : l’expérimentation. Il est un peu nouveau celui-là ou disons qu’il a pris ces derniers temps, une ampleur inédite. Le 3 mai, à Henrichemont dans le Cher, j’ai annoncé le lancement d’un grand appel à projets dans le cadre du programme « France Expérimentation ». J’en rappelle le principe : permettre à des entreprises qui veulent innover de demander des dérogations de nature législative ou réglementaire. Nous attendons des propositions d’ici le 31 mai - je le dis au cas où certains d’entre vous auraient une idée en tête. L’objectif est de les insérer immédiatement dans le volet « expérimentation » du projet de loi PACTE.
Ces moyens de réussir, de se développer, c’est aussi la possibilité de trouver en France, dans votre territoire, les compétences dont vous avez besoin.
D’où notre volonté de concentrer tous nos moyens - financiers, législatifs - sur les compétences. Parce que la compétence, c’est la meilleure protection contre le chômage. Parce que vous, chefs d’entreprise, vous avez besoin de compétences pour développer votre activité. Parce que la compétence, c’est ce qui nous rend tous utile dans une équipe. Qui fait la dignité du travail. Ce qui lui donne sa valeur, sa noblesse et son sens.
Je sais que c’est un sujet qui vous intéresse beaucoup au Centre des jeunes dirigeants. Je ne vais donc pas détailler ici l’ensemble de notre stratégie. Je me contenterai d’en rappeler rapidement les trois volets.
Un volet financier d’abord : dans le cadre du Grand plan d’investissement, nous consacrerons près de 15 milliards d’euros à la formation.
Nous allons ensuite totalement remettre à plat le système de formation professionnelle français. Le remettre à plat pour qu’il profite à ceux qui en ont le plus besoin. Pour garantir à tous une information claire et objective sur la qualité des formations et sur leurs débouchés.
Enfin, nous allons faire un effort sans précédent en faveur de l’apprentissage, qui est la voie royale d’accès à l’emploi. Nous allons le rendre plus attractif pour les jeunes. Et plus attractif pour vous. Vous proposiez par exemple d’étendre les tranches d’âge pour l’apprentissage : avant 16 ans et après 26 ans. Nous permettrons d’être apprenti jusqu’à 30 ans. Vous proposiez d’introduire plus de souplesse dans les règles du droit du travail concernant l’apprentissage, ce sera le cas. Vous proposiez d’adapter le rythme de l’alternance aux besoins de l’entreprise. Ce sera le cas.
Mais, pour que ça marche vraiment, nous avons besoin de vous. Donc, si j’ai un message à faire passer aujourd’hui c’est : « Pariez sur nos jeunes, donnez-leur leur chance, formez-les, transmettez-leur vos savoir-faire, vous ne le regretterez pas ». On a besoin de vous.
Voilà pour nous, pouvoirs publics. Voilà ce que nous vous apportons grâce à la solidarité nationale. Je parle aussi de juste rétribution, de respect, de responsabilité, de diversité. Des valeurs que vous connaissez bien au CJD. Des valeurs que vous défendez avec beaucoup de convictions. Des valeurs que nous devons faire vivre au quotidien si on veut que les Français aiment leurs entreprises.
La 1 ère façon consiste à mieux associer les salariés aux résultats et à la marche de leur entreprise.
Le premier outil, je l’ai évoqué en introduction, c’est la participation et l’intéressement. Aujourd’hui, seule la moitié des salariés bénéficie d’un dispositif d’épargne salariale. On doit pouvoir faire beaucoup mieux. Et on va faire mieux, en actionnant notamment deux leviers.
Un levier incitatif. Le président de la République l’a annoncé : nous allons supprimer le « forfait social » (c’est-à-dire les charges) sur l’intéressement versé aux salariés pour toutes les entreprises de moins de 250 salariés. L’objectif c’est d’au moins doubler le nombre de bénéficiaires dans les PME.
Le second levier, c’est celui de la simplification. L’idée c’est d’éviter à un dirigeant de PME de mobiliser une expertise souvent onéreuse pour mettre en place un accord d’intéressement. J’ai demandé à Muriel PÉNICAUD et à Bruno Le MAIRE de préparer des « accords-types » qui complèteront les initiatives des branches.
Le deuxième outil « d’association » pour paraphraser le général de GAULLE, c’est l’actionnariat-salarié. Un actionnariat qui se concentre dans certains secteurs et dans certaines entreprises. Pour le diffuser plus largement, nous allons dans le cadre du projet de loi PACTE, diviser par 2 le taux de forfait social qui s’applique aux versements de l’employeur dans les plans d’actionnariat salarié. Parce que c’est juste. Parce que c’est sain. Et que je ne connais pas d’actionnaires plus stables, plus fidèles et plus soucieux du long terme, que celui qui travaille dans l’entreprise.
Le troisième outil d’association, c’est le renforcement de la place des salariés dans la gouvernance de l’entreprise. Ouvrir les conseils d’administrations aux représentants des salariés était encore tabou il y a quelques années de ce côté-ci du Rhin. Les administrateurs-salariés ont montré qu’ils apportaient une contribution précieuse. Précieuse parce que nourrie de leur connaissance des métiers et de l’histoire de l’entreprise. Leur présence, dans le respect des missions et des règles de fonctionnement du conseil, permet également de renforcer l’engagement des salariés et l’adhésion aux orientations stratégiques de l’entreprise. Dans le cadre du projet de loi PACTE, nous renforcerons donc la représentation des salariés au conseil d’administration des entreprises de plus de 1 000 salariés, en prévoyant la présence de 2 administrateurs salariés à partir de 8 administrateurs non-salariés au conseil.
2 ème façon de défendre les valeurs que vous portez : faire de l’entreprise un lieu d’engagement dans la société.
Nicole NOTAT et Jean-Dominique SÉNARD ont remis au Gouvernement, le 9 mars 2018, une passionnante contribution sur le rôle social de l’entreprise. Comme les deux auteurs, nous pensons qu’une des clefs de la confiance entre les Français et les entreprises, c’est de montrer en quoi ces-dernières s’impliquent réellement, concrètement dans la vie collective. Pour incarner cette ambition, pour lui donner corps, nous allons l’inscrire noir sur blanc dans le code civil en introduisant dans la définition de l’entreprise, la considération des enjeux sociétaux et environnementaux. Et pour les entreprises qui le souhaitent évidemment, nous leur donnerons la possibilité de définir ce qui est convenu d’appeler leur « raison d’être » et de la formaliser dans leurs statuts.
« Enraciner l’entreprise dans la société » c’est aussi lui faire partager ses combats, ses valeurs et faire en sorte qu’elle lui ressemble. Parmi ces combats, il y a évidemment l’égalité homme-femme. Vous le savez, j’ai eu l’occasion de présenter, avec Muriel PÉNICAUD et Marlène SCHIAPPA, des mesures en faveur de l’égalité femme-homme dans l’entreprise. L’objectif est simple : résorber d’ici 3 ans l’écart salarial qui existe entre les hommes et les femmes pour des postes équivalents. Je sais que beaucoup d’entreprises en ont conscience et feront le nécessaire. Pour celles qui en auraient moins conscience, nous saurons leur rappeler. C’est un objectif non négociable. Ces « combats partagés », c’est également celui de l’insertion des travailleurs en situation de handicap. Celui de la diversité des profils et des compétences. Des profils, des compétences qu’on doit aller chercher là où ils se trouvent, en « regardant un peu plus loin que nos préjugés », c’est-à-dire du côté des territoires qui souffrent d’une réputation qui vient limiter les aspirations de ceux qui en sont issus. Le 1 avril dernier, nous avons lancé l’expérimentation du nouveau dispositif sur les emplois francs. Un dispositif qu’on a simplifié et massifié. Parce que nous croyons à la main tendue. Nous croyons à la preuve par l’exemple, à la confiance et à la chance qui est donnée.
Enfin, le temps est venu, vous l’avez dit monsieur le président, de briser un peu la glace entre l’entreprise et l’école. D’instaurer un dialogue respectueux, entre ces deux mondes, qui n’ont pas la même vocation, la même légitimité, autour d’un objectif commun : l’avenir de nos enfants. Je sais que les membres du CJD interviennent souvent auprès des jeunes et dans les écoles, aux côtés des enseignants, pour expliquer le métier d’entrepreneur et le fonctionnement de l’entreprise. C’est bien. Il faut le faire. De plus en plus. Mais, il existe une autre étape qu’on peut sans doute mieux réussir : celle du stage de découverte professionnelle en classe de 3è, souvent un « passage obligé » qui n’emballe ni l’élève, ni l’enseignant, ni le tuteur. Le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel BLANQUER réfléchit justement à sa rénovation sur la base d’un excellent rapport remis par la députée Céline CLAVEZ et le chef cuisinier Régis MARCON. Pour que ce stage fonctionne pleinement, pour qu’il soit une vraie aide à la réflexion et un vrai moment-clef pour le stagiaire, nous avons besoin de votre engagement pour saisir l’envie d’apprendre, la curiosité de ces jeunes, souvent entourée par une grande dose de timidité à cet âge-là. Nous avons besoin que vous acceptiez dans votre entreprise, de jeunes collégiens si possible qui ne viennent pas de votre entourage proche. Ça n’est pas interdit. Mais il faut aussi faire de la place à d’autres qui n’ont peut-être pas les contacts nécessaires pour accéder à vous.
Vous connaissez sans doute cette citation de Jean MERSCH, votre fondateur : « Autour du jeune patron, tout est vie, évolution, devenir. L’essentiel est d’être un créateur (…). Le jeune patron est naturellement révolutionnaire ». Je vous souhaite donc de continuer à créer : créer de la valeur, de l’emploi, créer des vocations. Je vous souhaite aussi de rester un peu révolutionnaires. L’un ne va pas sans l’autre. Un créateur révolutionne toujours quelque chose. Et inversement. Et puis, à 80 ans, vous êtes trop jeunes pour être des conservateurs. Très bon anniversaire à tous et merci de votre accueil !

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