Laurent Rojey, directeur général délégué au numérique de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), a répondu à nos questions sur le paysage numérique français actuel et à venir. Entretien.
Pouvez-vous nous présenter l’agence nationale de la cohésion des territoires (anct) ?
L’ANCT est un établissement public créé le 1er janvier 2020. Il est issu de la fusion de trois entités, le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), l’Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) et l’Agence du numérique.
L’agence a pour rôle d’accompagner les collectivités territoriales dans leurs projets, depuis leur conception jusqu’à leur mise en œuvre. Elle le fait sous différentes formes : soutien en ingénierie sur mesure, contractualisation et programmes nationaux territorialisés. Ces derniers relèvent de plusieurs domaines dont la politique de la ville, les enjeux de territoires et de ruralité, et les questions liées au numérique dans les territoires.
Justement, pouvez-vous nous décrire vos missions en tant que directeur général délégué au numérique au sein de l’anct ?
Notre mission porte sur tous les enjeux du numérique dans les territoires.
Il s’agit d’une part du déploiement des infrastructures, à la fois le très haut débit avec la fibre optique et le mobile avec l’extension de la 4G pour apporter une couverture mobile de qualité aux zones encore non couvertes.
Le développement des usages du numérique avec le programme « Société numérique » est aussi au centre de nos actions avec, en particulier, la question de l’inclusion numérique ou comment faire en sorte que les Français se sentent plus à l’aise dans l’accès aux outils et services numériques.
Notre programme « Nouveaux lieux, nouveaux liens », de son côté, traite des tiers lieux et de ces nouvelles manières de « faire ensemble » sur les territoires qui leur sont associés.
Enfin, l’Incubateur des territoires accompagne les collectivités territoriales dans la conception de services numériques répondant à des besoins locaux concrets (covoiturage, logement etc.).
À quoi ressemble le numérique en France aujourd’hui ?
Il est en pleine évolution. La crise sanitaire a encore accéléré cette mutation en engendrant un fort développement des usages, comme on l’a vu dans le dernier baromètre du numérique .
Ainsi, quelque soit le type d’usages étudié, il y a un avant et un après crise sanitaire. Prenons par exemple la part de la population ayant utilisé le commerce en ligne dans les douze derniers mois. Elle a progressé de 14 points entre 2019 et 2020, soit autant que les huit années précédentes ! Et, pour beaucoup, ces nouvelles pratiques - manière d’interagir, de travailler… - sont entrés dans les mœurs.
Une fois qu’on a dit cela, il reste une hétérogénéité entre les personnes et entre les territoires, ainsi que des freins. 35% des Français considèrent qu’ils ont une difficulté d’accès au numérique, qu’elle soit matérielle, liée au réseau ou aux équipements, ou qu’elle résulte d’une insuffisante maîtrise des outils. La résorption de ces fractures numériques est au cœur de notre action.
La dynamique de déploiement des infrastructures est très forte, malgré la crise sanitaire. Concernant la fibre optique, on est ainsi sur un rythme de 24 000 lignes déployées par jour en 2020, aussi bien dans les zones denses que rurales. D’ores et déjà, et a fortiori demain, le monde dans lequel nous vivons est et sera numérique.
L’enjeu d’adaptation de toutes nos organisations à ce monde est fondamental pour l’attractivité et la dynamique des organisations - entreprises, administration - mais bien sûr aussi pour les citoyens. Chacun mesure la place prise par le numérique dans sa vie, de l’accès à l’emploi, à la réalisation de formalités en ligne, en passant par la téléconsultation ou le maintien du lien avec ses proches.
Le plus grand chantier en cours et à venir de l’ANCT est donc de faire du numérique un outil de cohésion des territoires et de la société. C’est œuvrer et accompagner les acteurs locaux pour permettre à tous de s’emparer de ces technologies.
Qu’est-ce que le plan France très haut débit en quelques mots ?
Ce plan s’articule autour de plusieurs objectifs . Le premier consiste à atteindre 100% de très haut débit en 2022 avec un ensemble de technologies (fibre optique et technologies hertziennes).
Le deuxième objectif, fixé par le Gouvernement pour 2025, consiste en la généralisation de la fibre. Cet enjeu est très important pour les territoires ruraux, puisque c’est dans ces zones que la part de la fibre va le plus progresser entre 2022 et 2025.
Par ailleurs, grâce à France relance, une enveloppe de 150 millions d’euros a été allouée à la problématique des raccordements les plus difficiles. Le dispositif est en cours de construction, avec des expérimentations sur le terrain, et pourra être prochainement déployé.
Le « New Deal mobile » permet de déployer massivement la 4G en France. pouvez-vous nous en dire plus ?
L’approche de la couverture 4G est différente de celle de la fibre, car elle résulte d’un accord, le « New Deal mobile », passé entre l’État et les opérateurs en 2018. Le premier a renoncé à une partie des recettes de redevance en contrepartie d’un engagement très important des seconds pour aller couvrir les zones non ou mal couvertes en 4G aujourd’hui.
Cet accord comporte un certain nombre de volets : couverture des axes de transports, accès à l’intérieur des bâtiments, bascule des anciens équipements vers la 4G ou encore l’utilisation des pylônes mobiles pour l’internet fixe dans certaines situations. Le cinquième et dernier pan repose sur le dispositif de couverture ciblée : chaque opérateur s’est engagé à déployer la 4G sur 5 000 sites choisis localement par les collectivités territoriales. Sur ces 5 000 sites, 3 000 ont déjà été identifiés et plus de 1 000 ont été mis en service.
Quelles opportunités économiques le très haut débit représente-t-il pour la France ?
La France est en tête au niveau européen dans le déploiement de la fibre, l’une des infrastructures décisives pour l’économie du XXIe siècle. Cela représente un avantage majeur en termes de compétitivité et d’attractivité pour notre pays.
Par ailleurs, au-delà des emplois créés localement par le chantier de la fibre, la filière française a construit un savoir-faire reconnu à l’international, qui offre de belles opportunités à l’export.
Comment l’agence accompagne-t-elle les Français, et notamment les plus éloignés, dans l’appropriation de ces outils numériques ?
C’est tout le sujet de notre programme « Société numérique » avec, notamment, la question de l’inclusion numérique. Le plan de relance y consacre 250 millions d’euros, dont 200 millions sont affectés au déploiement, sur tout le territoire, de 4 000 conseillers numériques France Services. Leur rôle est de former les Français, d’animer des ateliers de formation et de sensibilisation au numérique.
L’inclusion numérique, c’est aussi le « pass numérique » pour aider à financer des cours de formation au numérique, ou encore l’outil « Aidants Connect », qui doit permettre de sécuriser la réalisation des démarches en ligne pour autrui. L’interface permet de remplacer les petits carnets papiers dans lequel beaucoup d’aidants stockent encore trop souvent les identifiants d’accès et mots de passe des personnes qu’ils accompagnent et de sécuriser globalement le système.
Que répondez-vous à un citoyen dont les attentes numériques ne seraient pas encore satisfaites ?
La généralisation de la fibre est évidemment un chantier d’une ampleur très conséquente. Elle peut être comparée aux grands chantiers d’infrastructures du XXe siècle… qui ne se sont pas faits du jour au lendemain.
Afin de proposer à tous, dès à présent et en attendant l’arrivée de la fibre optique, un service internet de qualité, l’ANCT pilote le dispositif « Cohésion numérique des territoires ». Il permet à toute personne ne disposant pas d’un accès filaire satisfaisant de bénéficier d’une aide jusqu’à 150 euros pour accéder à des technologies alternatives (satellite, 4G fixe, très Haut Débit Radio). Ce montant permet de compenser le surcoût lié à l’équipement en parabole, par exemple.
À ce jour, ce dispositif a été étendu et bénéficie à plus de 27 000 communes en France.
Je souhaite bénéficier de l'aide financière de l'État
Jusqu'à 150 euros pour un accès au bon haut débit amenagement-numerique.gouv.fr
Le numérique de proximité est un numérique humain. On a encore trop tendance à opposer les deux termes, alors qu’au contraire, ils doivent aller de pair.
Les conseillers numériques France services ont, par exemple, vocation à être au plus près des Français, à aller à la rencontre des publics cibles pour les accompagner et les former à ce qu’on peut qualifier de « numérique du quotidien ».
Le numérique de proximité, c’est aussi un numérique qui favorise le lien social, dimension clé des tiers lieux. Ces endroits hybrides rassemblent différents types d’activités où l’on « fait ensemble », ce n’est pas juste une personne qui vient télétravailler dans son coin. Ce qui fait la vraie richesse des tiers lieux, c’est qu’ils rassemblent, dans un même endroit, différentes personnes qui ont des métiers, des préoccupations et des sensibilités diverses. Et, c’est cette rencontre qui crée la valeur, le sens et qui permet d’aller de l’avant.
Il sera complètement intégré à notre société et notre économie. En quelque sorte, il va devenir invisible. Il sera surtout inclusif et durable et, à ce titre, participera de la cohésion des territoires, du développement économique et de la préservation de l’environnement.