À quand remonte la construction de l’Hôtel de Matignon ?
Louise Boisson*. - La construction de l’Hôtel de Matignon s’est
déroulée de 1722 à 1725. Au départ, il s’agit
d’une simple parcelle de terrain du VIIe arrondissement de Paris. Le quartier
est alors peu urbanisé et peu propice à la construction de bâtiments, les terrains
sont marécageux.
Mais, l’apparition de
l’Hôtel national des Invalides, entre autres, va entrainer l’assèchement des
terrains voisins. La noblesse en profite pour acheter des très grandes parcelles en vue de faire construire des hôtels particuliers.
En 1719, Christian
Louis de Montmorency-Luxembourg achète le terrain du 57 rue de Varenne.
La
construction de l’édifice est confiée à l'architecte Jean Courtonne. Faute de moyens pour
financer les travaux, Christian Louis de Montmorency-Luxembourg finit par
vendre la parcelle et le projet à Jacques Goyon de Matignon, dit Jacques III,
à qui l’Hôtel particulier doit son nom.
En 1725, Jacques III
lègue l’Hôtel de Matignon à son fils, Jacques IV. Ce dernier et son épouse Louise-Hyppolite
Grimaldi, princesse héritière de Monaco, deviennent les premiers à occuper les
murs du 57 rue de Varenne.
Des propriétaires célèbres s’y sont succédé…
Effectivement, les Grimaldi ont occupé l’Hôtel jusqu’à
la Révolution française. Ensuite, se succèdent,
sur des temps assez courts, différents propriétaires, tels que le
diplomate Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.
En 1852,
le duc et la duchesse de Galliera rachètent le bâtiment. À cette époque l’Hôtel est en mauvais état. Une grande campagne de restauration est mise en place par l’architecte Félix Duban, de 1852 à 1864.
La duchesse de Galliera, originaire de Gênes, en Italie, repart dans sa ville natale. Elle lègue l’Hôtel de Matignon à l’empereur d’Autriche-Hongrie, François-Joseph Ier, qui en fait son ambassade de 1889 à 1914, date à laquelle, en raison de la guerre, le bâtiment est fermé.
…jusqu’à ce que l’État en redevienne propriétaire en 1922 ?
À l’issue de la Première Guerre mondiale, l’État devient le propriétaire de l’Hôtel de Matignon et le classe au titre des monuments historiques dans son intégralité, en 1923.
Progressivement, émerge l’idée de faire de Matignon le lieu de travail du chef du Gouvernement français. Le premier à s’y installer est Pierre Étienne Flandin et c'est en 1935.
À partir de cette date, tous les chefs du Gouvernement ont fait de l’Hôtel de Matignon leur lieu de travail. Tous, sauf le Général de Gaulle qui, après la Seconde Guerre mondiale, s’installe à
l’Hôtel de Brienne (actuel ministère des Armées). Pour les grands rendez-vous, dont le Conseil des ministres, le Général allait tout de même au 57 rue de Varenne.
À quoi ressemble cet hôtel ?
L’Hôtel de Matignon est typique des hôtels
particuliers du début XVIIIe siècle que l’on appelle « entre cour et jardin » . Leurs
caractéristiques : une grande cour d’honneur à l’avant du bâtiment et un
grand jardin à l’arrière. Celui de Matignon est le des plus grands jardins privés
de Paris avec ses 1,9 hectare !
L’intérieur de l’Hôtel, couloirs et espaces
techniques compris, a une superficie de 6 200 m2. Le bâtiment est sur deux niveaux. Le
rez-de-chaussée dispose de plusieurs salons correspondant chacun à différents
usages.
Le salon rouge sert de salle d’attente pour
la secrétaire générale du Gouvernement.
Le salon bleu est le lieu où l’on reçoit les
délégations à l'occasion d’une visite officielle.
Le salon jaune, quant à lui, était le bureau des
présidents du Conseil jusqu’à la fin des années 50. C’est notamment là que se
trouvait le bureau de Léon Blum, lequel meuble est d’ailleurs toujours utilisé
par Élisabeth Borne.
La salle du Conseil est la plus grande pièce de
l’Hôtel de Matignon, c’est pourquoi elle sert de salle de réunion principale.
La Première ministre y reçoit les membres du Gouvernement, les organisations
syndicales, les chefs d’entreprises, les associations…
Enfin, en empruntant l’escalier d’honneur, se
trouve, au premier étage, le bureau de la Première ministre ainsi que l’antichambre
qui sert d’espace d’attente, et les bureaux des plus proches collaborateurs de
la cheffe du Gouvernement.
Quel est votre endroit préféré de Matignon ?
J’ai un petit coup de cœur pour le remarquable salon
rouge. Il est décoré d’éléments exceptionnels, dont six médaillons muraux réalisés
en marqueterie de pierre dure. Ces pièces, rares par leur technique de fabrication,
ont été commandées par les Galliera auprès d’artisans italiens.
Ce travail, d’une grande finesse, est composé d’une
trentaine de variétés différentes de pierres (cornaline, marbre…). Des coloris
incroyables représentent des bouquets assez exubérants composés de fleurs, de
fruits ainsi que des oiseaux et des papillons.
Tous les Premiers ministres ont-ils habité à Matignon ?
Il y a une possibilité
de logement sur place mais celle-ci est laissée à la libre appréciation de
chaque Premier ministre.
Nous avons connu des
chefs du Gouvernement qui ont officiellement fait de Matignon leur résidence principale,
et d’autres qui font le choix de ne pas y habiter.
Lesquels y ont laissé une trace de leur passage ?
Chaque Premier ministre laisse sa trace dans
le jardin de Matignon en y plantant l’arbre de son choix.
En ce qui concerne l’intérieur du bâtiment,
Georges Pompidou, alors Premier
ministre du Général de Gaulle, a fait accrocher une toile abstraite de Pierre
Soulages dans son bureau. C’est une œuvre qui fait partie des murs car elle se
trouve aujourd’hui encore dans le bureau du directeur de cabinet de la Première ministre.
Pouvez-vous nous révéler une anecdote méconnue du grand public sur
l’Hôtel de Matignon ?
Oui, il s’agit d’une anecdote plutôt amusante
faisant écho à un aspect du bâtiment.
La salle du Conseil est décorée d’un immense plafond blanc avec
des boiseries dorées sous lequel se trouve un plafond de l’époque des Galliera
représentant des petits anges nus, formant des guirlandes.
À la fin des années 40, ce décor pittoresque avait été jugé inapproprié
pour accueillir les réunions sérieuses qui s’y déroulaient. En conséquence, on l'avait remplacé par un plafond blanc.
Un jour peut-être, qui sait, le plafond historique pourra être
restitué !
(*) Louise Boisson est cheffe de section Patrimoine et
Événementiel et l’une des conférencières de l’Hôtel de Matignon.