Mesdames les
parlementaires,
Monsieur le président, cher Éric LABAYE,
Madame la directrice
générale, chère Laura CHAUBARD,
Mesdames
et Messieurs, chères étudiantes, chers étudiants, chères lycéennes.
La scène se déroule
en 1794. L'École polytechnique s'appelle encore École centrale des travaux
publics et vient tout juste d'être fondée. Déjà les plus grands noms et les
plus grands espoirs des mathématiques et des sciences s'y pressent. Parmi eux,
Joseph-Louis LAGRANGE, mathématicien exceptionnel et qui enseigne dans la
nouvelle école. Un jour, il reçoit les commentaires et les réflexions d'un
certain Antoine AUGUSTE LE BLANC. Élève brillant, sa justesse et sa rigueur
impressionnent le professeur. Après des mois de correspondance, LAGRANGE finit
par convoquer le jeune prodige.
Et quelle n'est pas
sa surprise de voir se présenter une jeune femme, Sophie GERMAIN. À peine âgée
de 18 ans, autodidacte, elle a réussi à se procurer les cours de l'école, les
suit assidûment et correspond sous pseudonyme avec certains grands
mathématiciens. Nous sommes à la fin du XVIIIᵉ siècle et le génie scientifique
doit encore se travestir. Sophie GERMAIN est en quelque sorte la première
polytechnicienne. Mais elle n'en n'eut jamais le titre. Il faudra attendre près
de deux siècles pour que la loi du 15 juillet 1970 ouvre le concours de l'école
aux femmes.
Puis encore deux
ans et la féminisation des armées pour que les barrières tombent enfin. Nous
sommes en 1972 et 7 femmes, dont plusieurs sont présentes ici ce soir,
intègrent l'École polytechnique pour la première fois. Mesdames, vous faites
une entrée par la grande porte. Et chère Anne DUTHILLEUL-CHOPINET, vous êtes
major de ce premier concours. Sophie GERMAIN tient sa revanche. Et surtout,
vous ouvrez la voie à des centaines de jeunes femmes qui ont choisi les
sciences, travaillé, tenté le concours et intégré Polytechnique.
Ces femmes qui ont
marché dans vos pas, j'en fais partie.
Mesdames et Messieurs, cette réception
est la preuve que les choses avancent. Depuis 50 ans, les promotions se sont en
partie féminisées. 2 000 polytechniciennes ont pu revêtir l'uniforme et même le
bicorne dans les années 90.
En 1992, pour la première
fois, une femme devient professeur au sein de l’école. Claudine HERMANN était
une enseignante brillante, mais aussi une combattante de l'égalité, et je veux
ici lui rendre hommage.
Avec le temps, les
femmes ont accédé aux plus hautes fonctions au sein de l'école. Je pense à
Marion GUILLOU, première présidente de Polytechnique, et à Laura CHAUBARD,
première directrice générale depuis quelques mois. Les étudiantes de
Polytechnique ont pu suivre tous les parcours et accéder aux plus hautes
fonctions de l'État et de l'entreprise. Fonctionnaires, entrepreneuses,
dirigeantes de grands groupes, chercheuses, ministres, tout est possible après
cette école, et les polytechniciennes l'ont prouvé. Car Polytechnique, c'est
une école d'excellence, de savoirs et de recherche. C'est à la fois le travail,
la rigueur, l'innovation. C'est aussi un esprit de solidarité, un sens de
l'engagement et une voie vers l'émancipation. Émancipation, ce mot peut
surprendre. Pourtant j'y crois car je l'ai vécu comme tant de mes camarades. On
aspire à Polytechnique par passion pour les sciences. On y entre grâce au
travail et à l'effort. On y gagne un métier, une liberté.
Grâce à des
enseignements exceptionnels, grâce à une solde qui aide à lever les freins
financiers, grâce aux valeurs militaires, Polytechnique offre sa chance à
chacun, à chacune, tord le bras au déterminisme et déjoue les destins tracés.
Mais si des progrès ont été réalisés, nous sommes encore loin du compte. Nous
savons que les femmes réussissent aussi bien le concours que les hommes, mais
elles sont encore trop peu nombreuses à s'y présenter. En 50 ans, la proportion
de femmes est passée de 2 % à 20 %. Les scientifiques diraient que nous avons
multiplié la proportion par 10, mais surtout, chacun voit que ce n'est pas
assez du tout. Car ce chiffre souligne une réalité plus préoccupante encore :
le manque de mixité dans nos sciences fondamentales et parmi nos ingénieurs.
Un manque de mixité
qui commence dès le secondaire et se répercute à toutes les étapes de
l'enseignement supérieur et de la vie professionnelle. En terminale, trois
quarts des garçons suivent un enseignement de mathématiques, mais seulement la
moitié des lycéennes. À l'université, les femmes représentent 60 % des
étudiants, mais seulement 31 % en sciences fondamentales. Toutes formations
confondues, la part des femmes diplômées d'un titre d'ingénieur en 2020 est seulement
de 28 %.
Ce n'est pas assez.
Je le dis d'autant plus dans cette période de bouleversements majeurs où nous
avons un besoin cruel de scientifiques et d'ingénieurs. Car je vous le demande,
à l'heure où notre jeunesse est à la recherche de sens, quelle plus belle
vocation qu'ingénieur ? Ingénieur, c'est un métier dont le fondement même est
de régler des problèmes. C'est un mot, mais ce sont 1 000 professions, secteurs
et filières. C'est l'assurance de parcours variés, c'est la certitude d'avoir
un impact sur le quotidien de nos concitoyens. Face à la transition écologique,
nous avons besoin d'ingénieurs. Face à la transition énergétique, nous avons
besoin d'ingénieurs.
Face aux renouveaux
des mobilités, aux transformations de notre industrie, aux grands programmes
spatiaux, nous avons besoin d'ingénieurs. Nous avons besoin de jeunes hommes,
évidemment, mais aussi de jeunes femmes qui s'engagent dans cette voie. Se
priver de la moitié des talents de notre jeunesse est un immense gâchis. Alors
nous devons avancer, briser les stéréotypes et faire venir les jeunes femmes
aux études puis aux métiers scientifiques.
Je sais que l’école
polytechnique prend toute sa part dans cet effort. Les promotions des bachelors
et des masters spécialisés sont plus féminisées et vous y avez développé des
programmes de bourses dédiés aux femmes. Les opérations Monge à la rencontre
des lycéennes et des lycéens sont des grands succès. La liste est encore
longue. Je pourrais citer la journée Filles et Maths, l'accompagnement des lycéennes
par les polytechniciennes ou encore ce cycle d'événements à l'occasion des 50
ans de l'ouverture du concours aux femmes.
Mais bien sûr,
chacun doit agir et le Gouvernement se mobilise. Nous nous sommes fixé des
objectifs ambitieux dès le secondaire. Le ministre de l’Éducation nationale a
ainsi annoncé que nous visions la parité d'ici 2027 dans les spécialités
mathématiques, physique, chimie ou mathématiques expertes.
Nous allons
poursuivre nos efforts pour faire évoluer les mentalités et abattre les clichés
de genre dans l'orientation. Dans l'enseignement supérieur, la loi impose
désormais à tous les établissements et aux classes préparatoires de produire
des données détaillées sur les inégalités femmes-hommes en leur sein. Notre but
est d'identifier les freins, les blocages et d'agir en conséquence.
Notre action ne
s'arrête pas là. Nous le savons, au cours de leur carrière, les femmes sont
encore trop souvent pénalisées dans leur avancement ou empêchées de gravir les
derniers échelons de la hiérarchie. L'égalité professionnelle est un des
combats de mon Gouvernement, un de mes combats. Depuis 5 ans, nous avons
progressé pour une plus grande transparence des entreprises sur les salaires et
pour une meilleure représentation des femmes parmi les cadres dirigeants et les
instances de gouvernance des entreprises. Dans la fonction publique, des plans
d'action égalité se mettent en place. Nous continuerons. L'égalité ne se
discute pas. Nous ne céderons rien.
Mesdames et Messieurs, cet événement est l'occasion de rendre hommage au parcours des
polytechniciennes qui se succèdent sur les bancs de l'école depuis 50 ans.
C'est aussi l'occasion de regarder vers l'avenir. Et j'aimerais adresser un mot
aux 50 lycéennes présentes ce soir et à travers vous, à toutes les lycéennes en
France. Il n'y a pas de destin tracé, il n'y a pas de chemin masculin ou
féminin. Il n'y a que l'envie, le travail et le talent.
Alors ne vous
laissez jamais dire qu'une filière n'est pas faite pour vous. Ne vous laissez
jamais dire qu'un métier ou un rêve ne s'écrit qu'au masculin. Quels que soient
vos rêves, il y a toujours des oiseaux de mauvais augure, prisonniers des
clichés, des craintes et des conservatismes qui vous diront que ça n'est pas
possible. Faites-les mentir.
Votre genre ne doit
pas être une question. Vous avez toutes les facultés pour réussir. Vous êtes
capable de tout. Nous serons là pour vous aider, vous pousser, vous ouvrir le
chemin. Vous serez peut-être polytechnicienne, ingénieure ou vous choisirez une
autre voie. Au fond, une seule chose importe : que vous puissiez aller au bout
de vos rêves.
Vive l'École
Polytechnique, vive la République, vive la France !