France 2030 : Interview de Corinne Le Quéré, climatologue

Publié 18/06/2024|Modifié 13/06/2024

Corinne Le Quéré, climatologue franco-canadienne et présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC), un organisme indépendant chargé d’évaluer l’action publique en matière de climat et publiera le 20 juin prochain son sixième rapport annuel, a répondu à nos questions dans une interview publiée dans le Rapport d'activité 2023 du Secrétariat général pour l’investissement en charge de France 2030.

1/ Les travaux du HCC portent sur les questions du climat, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que de l’adaptation et de la résilience face au changement climatique. Quel bilan pouvez-vous dresser de l’année 2023 sur ces questions ? Quelle tendance constatez-vous ?

Les émissions de gaz à effet de serre ont diminué en France, avec une baisse provisoire annoncée sur 2023 de 4,8 %. Si elle se confirme, ce serait la première fois que la France s’inscrit dans la tendance attendue pouratteindre les objectifs de neutralité carbone pour 2030. Les quatre grands secteurs émetteurs ont vu leurs émissions baisser, mais elles sont beaucoup moins fortes dans les secteurs des transports et de l'agriculture. C’est surtout le secteur des transports qui pose problème : il est le plus fort émetteur de CO2 en France avec 30% des émissions et celui pour lequel les baissent sont plus faibles.
La France doit soutenir les efforts engagés dans la durée et dans tous les secteurs émetteurs de l’économie. Il reste de gros défis devant nous pour tracer une trajectoire de long terme et mobiliser l’ensemble de l’économie.
Néanmoins, les impacts et l'adaptation au changement climatique s'aggravent en France, notamment sur les deux dernières années, 2022-2023. Nous sommes encore en mode réactif à l'heure actuelle et il faudrait changer d'échelle pour passer en mode d'anticipation et de prévention du changement climatique.

2/ France 2030 est un plan d’investissement dont 50 % des crédits sont fléchés pour la décarbonation de notre quotidien. Des objectifs très précis ont été ciblés dans certains secteurs stratégiques notamment énergétiques pour accompagner la transition vers une économie décarbonée. Selon vous, ces actions peuvent-elles contribuer à réduire voire résorber l’impact de l’activité humaine sur le climat ?

France 2030
Oui, absolument, ces actions peuvent avoir un rôle fondamental. Un financement concernant l’ensemble des secteurs émetteurs comme France 2030 peut engendrer la baisse des émissions nécessaires. Il permet de développer les capacités et les chaines d’approvisionnement indispensables comme dans le secteur de la rénovation énergétique ou le transport électrique.
Ceux-ci doivent être planifiés sur une trajectoire de plusieurs années et à un bon niveau pour donner la visibilité nécessaire aux particuliers et aux entreprises pour faire les investissements dont on a besoin. Il faut déjà anticiper le plan successeur pour que France 2030 s’inscrive dans les sources de financement, public et privé sur plusieurs années.

3/ Comment pouvons-nous collectivement concilier croissance économique et préservation de l’environnement tout en maintenant un certain niveau de progrès social dans un contexte de globalisation ? Est-ce un vœu pieux ?

La conciliation de la prospérité économique et l’action climatique est un projet d’avenir absolument essentiel. L’action climatique, pour être au bon niveau, ne peut se faire que dans le cadre d’une politique économique d’ampleur qui inclut le budget, la fiscalité, la politique commerciale et la politique de l’emploi.
Avec cette vision d’ensemble, les mesures d’investissement bas carbone nécessaires peuvent permettre de structurer l’économie pour atteindre les objectifs climatiques tout en ayant une économie moderne, prospère, efficace dans l’utilisation des ressources. Les investissements dans les infrastructures bas carbone, en plus d’avoir un impact positif pour l’économie, peuvent avoir des externalités positives : l’emploi, la réduction des inégalités, l’accès au mode de transport bas carbone, la biodiversité, l’environnement ou encore la qualité de l’air.

4/ En tant que climatologue, êtes-vous optimiste dans la capacité des sociétés actuelles à agir concrètement pour la réduction des gaz à effet de serre et la préservation de l’environnement dans les années à venir ?

Oui, absolument, les solutions existent et sont à notre portée. On observe déjà des avancées en France, en Europe et au niveau mondial. Plus de 18 pays réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre depuis plus d’une décennie tout en ayant une économie prospère. On observe un ralentissement au niveau global de la croissance des gaz à effet de serre et en même temps des innovations qui font baisser les prix des énergies renouvelables par exemple. On a tous les éléments pour une réponse beaucoup plus ambitieuse au changement climatique.
Aussi, on constate une forte mobilisation citoyenne en faveur du climat dans le monde, et notamment de la part des jeunes, avec des attentes importantes de la société civile sur les sujets climatiques avec une vigilance accrue quant à l’engagement des Etats. Il reste un gros travail à faire sur la mise en œuvre des solutions, de communication, d’éducation, de formation, de l’école aux élus, pour protéger les citoyens des impacts du réchauffement climatique et en réduisant les risques climatiques
On a tous les éléments, la volonté et les attentes.

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