Rapport de M. Jean Pisani-Ferry

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 25/09/2017

Le Grand Plan d'Investissement 2018-2022

Avant-Propos

Pourquoi engager un effort d’investissement, alors que l’économie française se porte mieux et que la croissance avoisine actuellement 2 % l’an ? Ce n’est pas à une volonté de soutien de la demande que répond le plan d’investissement présenté dans ce rapport. Il y a quelques mois encore, la question se posait. Dans un contexte de faiblesse persistante de l’inflation et d’épuisement graduel des facteurs d’expansion chez certains de nos grands partenaires, elle peut se reposer demain. Sur le rythme de l’ajustement des finances publiques, sur sa composition, ou sur l’accompagnement macroéconomique des réformes structurelles, le débat peut également exister, en France et en Europe. Mais la nécessité d’un programme de relance ne s’impose pas aujourd’hui.
La reprise économique ne diminue en revanche nullement l’intensité des préoccupations relatives aux structures – à l’offre, comme disent les économistes. Au contraire elle les avive. La croissance retrouve un rythme inconnu depuis dix ans, mais au sein d’un monde qui a fait sa mutation dans l’intervalle, avons-nous encore assez de ressort pour qu’elle nous porte loin ? À quel rythme peut-elle être soutenue ? Sommes-nous en mesure de n’être pas seulement les usagers de la révolution numérique, mais aussi ses acteurs ? Peut-elle aider à accélérer la transition écologique, ou plutôt la contrarier ? Va-t-elle rapprocher les territoires, ou au contraire les diviser ? Qui le réveil de l’emploi risque-t-il de laisser au bord de la route ? Pour faire face aux transformations, notre État est-il un atout, ou une charge ? De manière plus pressante encore qu’à l’accoutumée, l’embellie conjoncturelle fait revenir au premier plan une série de questions de long terme.
Si ces questions se posent avec une singulière acuité, c’est parce que les enjeux de la transformation numérique et ceux de la transition écologique sont d’une ampleur inusitée. Les uns et les autres appellent des réponses construites, stables dans la durée, imaginatives, et susceptibles, par-delà les mesures et les dispositifs de politique publique, de mobiliser les acteurs sociaux et la société civile. Mais c’est aussi parce que la France doit aujourd’hui affronter les problèmes de demain sans avoir résolu ceux d’hier. Certains de nos voisins ont retrouvé le plein emploi, ont maîtrisé leur endettement public, ou enregistrent des excédents extérieurs – voire les trois à la fois. Ils peuvent rassembler leurs forces et se concentrer sur les nouveaux défis. Cela ne nous est pas permis : nous devons, en même temps, solder l’héritage et nous tourner vers l’horizon.
Parce qu’il s’agit de changer de trajectoire, parce que cela requiert de la continuité, l’investissement est l’une des clefs de la réponse. L’enjeu est évident dans le cas de la décarbonation de notre économie : la transformation du parc immobilier et des systèmes de transport va exiger des efforts massifs et prolongés. Mais l’investissement ne doit pas seulement s’entendre au sens comptable d’une dépense d’équipement. Si l’on s’en tient à cette acception étroite, le problème n’est d’ailleurs pas patent : au contraire par exemple des États-Unis, ou même de l’Allemagne, la France ne souffre pas d’un déficit marqué d’infrastructures. Depuis dix ans, l’effort d’équipement de l’État et des collectivités territoriales y a mieux résisté que dans bien d’autres pays.
Le concept d’investissement doit plutôt s’entendre au sens économique d’une dépense limitée dans le temps qui vise des résultats durables. Entendu de la sorte, il dépasse les catégories comptables : former un chômeur peu qualifié pour le réinsérer durablement dans l’emploi et lui ouvrir des perspectives professionnelles, c’est investir. La dépense sociale peut ainsi avoir le caractère d’un investissement. Il en va de même dans d’autres champs de l’action publique : soutenir des agriculteurs qui consentent une perte de revenu temporaire parce qu’ils font transition vers des formes de culture plus écologiques, c’est encore investir ; expérimenter puis mettre en place de nouvelles formes d’organisation des services publics porteuses de gains d’efficacité et de qualité pour les usagers, c’est toujours investir.
Ce type d’investissement est complémentaire des réformes et en renforce l’impact. À elles seules, les réformes ne suffisent pas : aucune mesure réglementaire ne peut doter un demandeur d’emploi sans qualification du capital de compétences qui lui ouvrira l’accès de l’emploi, pas plus qu’elle ne peut doter un ménage à faibles ressources des moyens d’améliorer les performances énergétiques de son logement. Mais l’investissement à lui seul ne suffit pas non plus : accroître les moyens d’organisations dysfonctionnelles ou de politiques publiques mal calibrées, c’est faire prospérer la culture de l’inefficacité. Au cours des dernières années, une philosophie ambitieuse de l’investissement a été promue par le Programme d’investissements d’avenir (PIA) lancé en 2010. Sous l’impulsion du Commissariat général à l’investissement (CGI), elle a notamment été mise en oeuvre avec résolution dans l’enseignement supérieur et la recherche, dont elle a contribué à redessiner le paysage. Mais en contrepartie s’est subrepticement installée, au fil des ans, une disjonction entre l’entreprise transformatrice portée par le CGI, et des administrations trop souvent cantonnées à la gestion du quotidien. L’enjeu, pour l’avenir, est donc de sortir de cette dualité et de faire en sorte que cette nouvelle approche de l’investissement devienne partie intégrante de la gestion publique.
Le plan d’investissement ne sera donc pas un PIA 4. D’une part il reprendra le PIA 3, doté de 10 milliards d’euros, et assurera son financement ; d’autre part il inscrira 46 milliards d’actions nouvelles dans les budgets des ministères, en les soumettant à une gouvernance spécifique. Un CGI rénové devra servir d’organe de pilotage commun à ces deux volets.
Cette réorientation n’ira pas de soi. Dans le contexte de contrainte sur les ressources qui a marqué la dernière décennie, l’horizon des responsables publics s’est graduellement raccourci. En dépit des intentions louables de la LOLF, la logique des moyens continue de l’emporter sur la logique des résultats, et une approche quantitative de la dépense — que ce soit à la hausse ou à la baisse — prévaut souvent sur la volonté d’efficacité. L’annualité budgétaire, une prise en compte marginale du concept d’amortissement, une surveillance budgétaire européenne marquée — non sans raisons, hélas — du sceau de la défiance concourent conjointement à entretenir dans l’État un court-termisme dommageable. La sphère privée en remontre chaque jour à l’institution qui se voulait maîtresse des horloges.
Pour donner réalité à la logique de l’investissement et en faire l’un des instruments d’un renouveau de la gestion publique, il faudra beaucoup de discipline. Ce rapport propose que les crédits du plan d’investissement qui seront désormais inscrits aux budgets des ministères bénéficient d’une garantie de stabilité, et que leurs soient notamment épargnées les régulations qui peuvent venir en cours d’année amputer les dépenses votées en loi de finances. En contrepartie, les actions ainsi financées devront être assorties d’indicateurs de résultat, sur la base desquels le Premier ministre opèrera chaque année des réallocations entre actions du plan, au profit des plus efficaces d’entre elles. Parallèlement devront être mis en place les instruments d’une évaluation rigoureuse. Ainsi les initiatives bien engagées pourront-elles être conduites à leur terme ou même amplifiées, si leurs premiers résultats le justifient. Des évaluations systématiques et indépendantes devront compléter le dispositif.
L’initiative n’est pas sans risque. Elle peut, si l’on n’y prend garde, rejoindre la longue liste des innovations sans lendemain qui jalonnent l’histoire de la modernisation de l’État. Mais elle vaut d’être entreprise, car il en va de notre capacité collective à conduire une action à la mesure des défis que nous devons affronter. L’enjeu, c’est qu’à l’heure où l’État doit affirmer sa capacité à organiser la transition écologique et la transition numérique, l’investissement signe le retour du long terme dans la gestion publique.
La démarche mériterait même de contribuer à organiser de manière plus rationnelle les débats sur la responsabilité budgétaire, au niveau national comme au niveau européen. Il est en effet singulier qu’une conjoncture de taux d’intérêt sans précédent n’ait pas conduit à une réflexion plus ouverte sur le financement des efforts de redressement économique à conduire en France et en Europe. Le plan Juncker a certes débouché sur une nouvelle approche du partage du risque dans le financement des investissements. Cependant, on regardera sans doute demain comme un grand paradoxe que par manque de crédibilité et de confiance mutuelle, des États qui empruntaient à 0,7 % dans un contexte de croissance nominale de 3 % n’aient pas davantage tiré parti d’une fenêtre aussi exceptionnelle. Réformer nos pratiques et nos institutions budgétaires pour y ancrer la culture de la responsabilité financière est certainement l’une des conditions d’une gestion publique plus rationnelle, davantage tournée vers l’avenir, et quand il le faut plus audacieuse.
Si l’État est appelé à jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de ce plan, il n’en sera pas le seul acteur. Seront d’abord mobilisées, pour y concourir, les institutions publiques de financement, Caisse des Dépôts et Consignations et Bpifrance. Bien souvent en effet, les bons instruments pour appuyer l’investissement sont moins budgétaires que financiers. La Banque Européenne d’Investissement, dont l’approche innovante du financement des projets à risque renouvelle les modes d’intervention de l’UE, envisage pour les cinq prochaines années une action d’ampleur en France, largement complémentaire du grand plan d’investissement. Les collectivités territoriales de la métropole et d’outre-mer devront être, dans leurs domaines de compétence et en partenariat avec l’État, des acteurs de premier plan de l’initiative. Ajoutons enfin que la logique d’investissement en vue des finalités du plan ne s’imposera véritablement que si entreprises, acteurs sociaux et citoyens se saisissent des instruments qui vont être créés pour en faire des points d’appui pour leurs propres projets.
Jean Pisani-Ferry

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