Madame et Messieurs les ministres,
cher Gérald, chère Agnès, cher Roland, cher
Philippe,
Monsieur le Président du Gouvernement de
Nouvelle-Calédonie,
Monsieur le Président du Congrès de
Nouvelle-Calédonie,
Mesdames et Messieurs les élus,
Je me réjouis de vous accueillir à nouveau à
Matignon, où les artisans de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie se sont souvent réunis,
après la visite du Président de la République en Nouvelle-Calédonie en juillet,
les discussions que nous avons pu avoir ici-même en avril dernier, et les
différents échanges que vous avez eus avec les ministres au cours des derniers
mois.
Je veux saluer, aussi, l’action du haut-commissaire
et du préfet en mission auprès de lui, qui sont à votre contact direct chaque
jour et travaillent en lien étroit avec le ministre de l’Intérieur et des
Outre-mer, Gérald DARMANIN, et le ministre délégué chargé des Outre-mer,
Philippe VIGIER. Je les remercie pour leur engagement.
Si nous nous retrouvons ensemble, Gouvernement,
responsables politiques de l’archipel et acteurs industriels de la filière
nickel, c’est parce qu’au-delà de vos différences et de la variété de vos
fonctions, je sais que vous avez une volonté commune : construire l’avenir
de la Nouvelle-Calédonie.
Et je le dis clairement : je souhaite que les
rencontres de cette semaine marquent des avancées, dans l’écriture d’une
nouvelle page de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République.
Une histoire qui s’écrira dans un cadre renouvelé, au terme du processus
politique prévu par l’accord de Nouméa.
Pour entamer formellement ces discussions
aujourd’hui, nous partons d’une base fixée par le Président de la République le
26 juillet dernier. Cette base, c’est le pacte de Nouméa, fait de deux chemins,
du pardon et de l’avenir.
Le chemin du pardon, d’abord.
Le Président de la République a invité le Président
MAPOU à inventer, avec ceux qui sont prêts à se mobiliser, une démarche
originale. Je sais que le Président MAPOU fera des propositions en ce sens.
Le pardon, c’est aussi évoquer tous ensemble le
passé, dans tous ses aspects, à travers une démarche mémorielle, pédagogique et
culturelle. Car c’est de l’histoire et du travail collectif de mémoire, que
peut venir le pardon.
Il appartiendra à tous de recueillir les témoignages
du passé. Toutes les institutions et tous les responsables pourront y prendre
part. Cette démarche, il reviendra à tous les Calédoniens de se l’approprier.
Le chemin de l’avenir, ensuite.
C’est songer à ce que les Calédoniennes et les
Calédoniens ont bâti avec la République, et à ce que nous allons construire
ensemble, bien sûr au plan politique et institutionnel, mais aussi pour
l’économie et le développement de la Nouvelle-Calédonie.
Il nous appartient maintenant de concrètement
donner corps à ce pacte.
Notre
premier objectif, c’est de poser les bases de l’avenir institutionnel du
territoire, dans le cadre de la République.
Sur ce sujet, au plan institutionnel, nous ne
partons pas d’une page blanche.
Il y a les acquis des accords de Matignon et de
Nouméa, qui constituent un socle solide.
Cette base n’est pas figée, elle n’est pas
immuable, et le dialogue engagé doit permettre de l’améliorer, de corriger ce
qui doit l’être, dans le consensus et dans le respect des équilibres
indispensables à la stabilité des institutions calédoniennes.
Nous savons aussi que le processus politique prévu
par l’accord de Nouméa est allé à son terme. A partir de là, le statu quo n’est
ni possible, ni souhaitable. Personne ne le veut.
Nous devons donc avancer, et plusieurs sujets
fondamentaux, dont vous discutez déjà depuis plusieurs mois, devront faire
l’objet de nos échanges cette semaine.
Je pense, en premier lieu, à l’exercice du droit à
l’auto-détermination.
Ce droit est de valeur constitutionnelle, et notre
devoir, c’est de trouver les voies et moyens pour qu’il puisse effectivement
être exercé par le peuple de Nouvelle-Calédonie.
Pour être claire, ce droit ne doit pas être
théorique, ou rester une belle formule. L’auto-détermination, c’est le droit réel
et concret, pour un peuple, de choisir son destin.
J’ajoute que c’est un droit éminemment politique, qui
doit viser à rassembler plutôt que diviser. A ce titre, nous devons, ensemble,
tirer les leçons de notre passé récent.
Parce qu’il enfermait les Calédoniens dans un choix
binaire, le processus d’auto-détermination prévu par l’accord de Nouméa n’a pas
permis de faire émerger un récit et un projet communs, que les communautés
auraient pu partager.
Nous devons donc garantir ce droit à l’autodétermination,
mais en définir clairement les futures modalités, pour ne pas faire peser une
incertitude permanente, de court terme, sur le devenir de la
Nouvelle-Calédonie. Ce serait délétère pour son développement, pour le futur de
sa jeunesse.
Ensemble, notre mission est donc de trouver un
point d’équilibre, en respectant scrupuleusement cette double exigence :
d’une part l’effectivité réelle du droit à l’auto-détermination, d’autre part
les modalités, qui n’enferment pas les Calédoniens dans un choix binaire et un
calendrier-couperet.
Je suis certaine que c’est possible, dès lors que
le principe du droit à l’auto-détermination est reconnu par tous.
Parmi les sujets fondamentaux que vous aurez à
traiter, il y a aussi la construction d’une citoyenneté calédonienne.
Là aussi, nous nous fondons sur l’acquis de
l’accord de Nouméa.
Oui, il existe une citoyenneté calédonienne propre
au sein de la République française. Une citoyenneté calédonienne dans la
citoyenneté française.
L’enjeu aujourd’hui, c’est redéfinir cette
citoyenneté : ses contours et son contenu, sa forme et les droits qu’elle
ouvre.
Cette citoyenneté doit être enrichie et ne pas se
limiter au droit de vote, à l’accès à l’emploi. Ce sont, plus largement, des
droits et des devoirs, des valeurs et le partage d’un destin commun. Toutes ces
notions doivent être précisées, pour servir de base au destin commun de tous
les Calédoniens.
Le troisième chantier institutionnel que nous
devons traiter, c’est le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie.
C’est la question des institutions, et d’éventuels
transferts de compétence.
Dans ce domaine non plus, il n’y aura pas de remise
à plat : les institutions actuelles de la Nouvelle-Calédonie sont le fruit
des accords de Matignon-Oudinot et de l’accord de Nouméa.
Elles ne sont pas parfaites et des ajustements sont
sans doute nécessaires, pour un meilleur fonctionnement des différentes
collectivités.
Mais je le dis : c’est avec recul, réflexion et
prudence, qu’il faut modifier les équilibres institutionnels patiemment
construits. Ils ont été des facteurs essentiels du retour à la paix civile.
L’esprit de l’accord de Nouméa doit demeurer, mais
sa mise en œuvre opérationnelle pourra évoluer, en fonction des accords que
vous trouverez ensemble.
Car c’est ma conviction : il revient aux
forces politiques de Nouvelle-Calédonie de dire leur vision des institutions,
et de proposer de manière très concrète, les modifications qui pourraient
améliorer le fonctionnement institutionnel du territoire.
Il en va de même s’agissant des compétences. De
nombreuses compétences ont déjà été transférées à la Nouvelle-Calédonie, depuis
les accords de Matignon-Oudinot et l’accord de Nouméa.
Assurément, personne n’imagine tout décider depuis
Paris, pour un territoire aussi lointain et aussi singulier. A 20 000
kilomètres, les normes et les politiques publiques doivent être largement
adaptées. D’ailleurs, il n’en a jamais été autrement. C’est le cœur de la
spécialité législative. Elle a toujours existé. Les accords l’ont renforcée et
approfondie.
Nous pourrons débattre des transferts de
compétence, avec des objectifs clairs : nous devons agir au service de nos
concitoyens, en cherchant toujours, la meilleure efficacité de l’action
publique, la simplicité normative et administrative, et la qualité des services
publics.
Enfin, il faudra aborder le dégel du corps
électoral des élections provinciales.
Nous devons absolument avancer sur ce sujet, car
les élections provinciales auront lieu en 2024, et le corps électoral doit être
dégelé avant cette échéance.
Le corps électoral d’un territoire, c’est un enjeu
démocratique par excellence, et une évolution sur ce sujet est impérative.
Pour le faire évoluer, nous aurons besoin d’une
révision constitutionnelle, que le Gouvernement souhaite proposer prochainement
au Parlement.
Je note qu’un point d’équilibre entre les partenaires
paraît pouvoir être trouvé. Je l’espère, je m’en réjouis, et surtout, je compte
sur l’esprit de responsabilité de l’ensemble des acteurs politiques, car le
dégel du corps électoral avant les élections est, je le répète, indispensable,
et devra intervenir en tout état de cause.
Dès cet après-midi, vous serez au travail, avec le
ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, et le ministre délégué aux Outre-mer,
pour évoquer ces sujets majeurs.
Votre présence à toutes et tous ici est une étape
importante. Je forme à présent le vœu que de cette présence résulte un accord
politique, qui sera le fondement de l’avenir institutionnel et politique de la
Nouvelle-Calédonie.
Les sujets institutionnels sont, vous le savez, absolument
essentiels, mais il me paraissait important d’évoquer également un autre sujet,
qui définira aussi l’avenir de ce territoire.
En
effet, compte tenu de son importance, la filière du nickel participe à
construire l’avenir économique de la Nouvelle-Calédonie.
Car le nickel est un métal profondément ancré dans
l’identité de votre territoire. La mine, les usines, tout cela a modelé vos
terres et vos imaginaires, tout cela tient une place centrale dans votre
histoire, dans l’équilibre des territoires, dans l’emploi.
Aujourd’hui, à un moment charnière de notre
histoire industrielle, l’enjeu est de faire du nickel calédonien une filière
d’avenir.
J’ajoute que les choix des prochaines semaines
détermineront le sort des trois usines du territoire. Si l’ensemble des acteurs
acceptent d’inscrire la filière dans une stratégie renouvelée, avec le soutien
de l’Etat, un retour à la profitabilité est alors possible.
Dans le cas contraire, un risque important pèse sur
l’avenir des usines, malgré les efforts considérables déjà consentis par les
acteurs publics comme privés.
Vous le savez, la place du nickel dit de
« classe I » est centrale dans les technologies qui émergent
aujourd’hui, car ce métal est au cœur de la chaine de valeurs des batteries. A
terme, on estime que les capacités en nickel sur le territoire pourraient
répondre à 80% des besoins de nos usines de batteries.
Mais il faut le dire : le nickel calédonien alimente
insuffisamment l’Europe. Nous demeurons bien trop dépendants des pays
asiatiques, alors même que les besoins en minerais stratégiques vont continuer
à augmenter avec l’électrification des usages, notamment dans le secteur
automobile, et que leurs standards sociaux sont loin de ceux pratiqués en
Nouvelle-Calédonie.
Pour conquérir notre souveraineté industrielle,
nous devons réduire nos dépendances.
C’est un axe majeur de la stratégie de
réindustrialisation que porte le Président de la République depuis 6 ans, et
c’est au cœur des missions du ministre de l’Économie, des Finances et de la
Souveraineté industrielle et numérique, Bruno LE MAIRE, et du ministre délégué
chargé de l’Industrie, Roland LESCURE.
J’ajoute que cette stratégie est une opportunité
formidable pour la Nouvelle-Calédonie et pour ses habitants. Pour l’emploi. Pour
le dynamisme économique. Pour l’attractivité et la richesse du territoire.
Le potentiel est donc prometteur, il y a une
stratégie « gagnant-gagnant » à construire. Mais aujourd’hui, les
conditions sont loin d’être réunies pour répondre à un tel défi industriel.
J’ai missionné sur ce sujet l’Inspection générale
des finances, et le Conseil général de l’Economie. Leur rapport, qui nous a été
remis en juillet dernier et qui vous a été présenté, est alarmant.
Certes, l’activité d’extraction de nickel est
bénéficiaire, mais aucune des usines présentes sur le territoire n’est
rentable. Elles réalisent même des pertes considérables car elles n’atteignent
pas, pour diverses raisons que vous connaissez bien, le niveau de production et
de compétitivité pour lequel elles ont été conçues.
Ce constat est partagé, documenté. Vous le
connaissez. Il appelle des transformations en profondeur du secteur.
Sur ce sujet en particulier, il est impératif que
nous avancions tous dans le même sens. Chacun de nous, industriels,
institutionnels, État : chacun a un rôle à jouer pour réussir ces
transformations et faire, pleinement, du nickel une filière d’avenir.
Concrètement, cela signifie que l’Etat répondra
présent, si les conditions sont réunies. Il répondra au plan financier, pour
contribuer aux investissements nécessaires à la transition énergétique de la
Nouvelle-Calédonie, et ainsi permettre à terme la baisse des coûts de
production et la décarbonation des usines. C’est la condition pour produire un
nickel, qui devra être de plus en plus « vert ».
L’Etat répondra également présent au plan
industriel, pour favoriser le développement d’une chaine de valeur française
des batteries, et l’émergence de partenariats indispensables entre les acteurs
Calédoniens et européens.
Mais nous ne pouvons pas signer de chèque en blanc.
Comme l’a dit le Président de la République en juillet, à Nouméa, il est
inenvisageable, surtout au vu de notre contexte de finances publiques, que le
contribuable finance des usines si elles sont structurellement déficitaires, a
fortiori si elles ne produisent qu’un nickel qui n’est pas centré sur nos
besoins stratégiques et qu’elles n’ont pas un accès normal à la ressource.
Notre message est donc simple : nous sommes
prêts à nous engager pour la filière nickel en Nouvelle-Calédonie, mais chacun
doit prendre sa part.
Cela implique de réorienter une partie de la
production des usines vers les besoins de nos industriels, avec lesquels il
faudra construire des partenariats stratégiques. C’est un enjeu de sécurisation
de nos approvisionnements en minerais. C’est aussi un moyen de vous sécuriser
et de ramener de la valeur sur le territoire calédonien.
Cela implique aussi, et ce ne peut être le rôle de
l’Etat, de rendre l’activité métallurgique compétitive.
Je sais combien le minerai que produit votre
territoire est de grande qualité, pour autant vos coûts de production ne
peuvent être autant déconnectés de ceux des concurrents.
La ministre de la Transition énergétique, Agnès
PANNIER-RUNACHER, travaille sur le sujet du prix de l’énergie, et sur la
décarbonation du mix énergétique du territoire. Mais ça n’est pas le seul enjeu
de compétitivité. Et nous ne pourrons pas bâtir une filière qui gagne des parts
de marché et qui alimente sérieusement l’Europe dans ces conditions.
Faire du nickel pleinement une filière d’avenir, cela
implique que l’ensemble des acteurs partagent une approche commune, qui
permette d’aligner leurs intérêts au bénéfice du territoire et des Calédoniens.
Cela implique un bon accès à la ressource.
Cela implique également que les industriels
investissent pour améliorer la productivité de leurs exploitations et
exploitent les synergies avec les autres acteurs de l’île.
Le potentiel est là, mais pour arriver à
transformer cette filière, des changements radicaux sont nécessaires, et je
compte sur vos échanges de la semaine, sous l’égide des ministres, pour dégager
des pistes concrètes, et avancer ensemble.
J’espère que vos discussions permettront de lever
les blocages à la bonne conduite des opérations industrielles et minières, de
réduire les coûts, de trouver de nouveaux débouchés en modernisant la doctrine
sur l’exportation du minerai, de construire une filière plus intégrée, et de
bâtir ainsi un modèle équilibré et rentable.
J’ai conscience que ces efforts sont importants,
mais ils sont justifiés par le potentiel extraordinaire de la
Nouvelle-Calédonie dans ce domaine. Il en va de l’avenir économique et social
du territoire.
Les défis qui nous attendent sont nombreux, et
touchent à la fois à la mémoire, au fonctionnement des institutions et au
potentiel de développement économique de la Nouvelle-Calédonie.
Je souhaite que les échanges que nous allons avoir,
avec les forces politiques calédoniennes et la filière industrielle du nickel, nous
permettent d’avancer, ensemble, vers un avenir meilleur pour la
Nouvelle-Calédonie.
Sur tous ces sujets, je veux vous assurer du
soutien sans faille de l’État, de mon Gouvernement, et de mon engagement, pour
construire une citoyenneté et une architecture institutionnelle solides, et
pour développer le potentiel économique formidable du territoire.
Vive la Nouvelle-Calédonie ! Vive la République !
Et vive la France !
Discours de la Première ministre Élisabeth Borne