(Seul le prononcé fait foi)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Nous sommes à un moment critique.
Lorsque, pour la première fois dans son histoire, notre pays se trouve confiné depuis plus de sept semaines, lorsque ses cafés, ses restaurants, ses universités, ses lycées, ses écoles, ses églises et ses temples, ses synagogues et ses mosquées, lorsque la très grande majorité de ses entreprises, la totalité de ses théâtres, de ses bibliothèques ou de ses librairies, et bien d’autres encore sont fermées, vides de tout public, sans aucune activité, le moment est critique.
Lorsque depuis plus de huit semaines, tous les jours, toutes les nuits, des médecins, des infirmiers et infirmières, des aides-soignants, des personnels administratifs ou techniques luttent d’arrache-pied pour accueillir et sauver des malades dont le nombre croissant a bien failli saturer des services de réanimation, le moment est critique. Lorsque des femmes et des hommes, au final peu nombreux, souvent peu reconnus par notre société, assurent, par leur travail et par leur engagement dans des secteurs de notre économie comme le transport logistique, la grande distribution, le ramassage et le traitement des ordures ménagères, l’agriculture, et quelques autres que je n’oublie pas, la continuité de la vie de la Nation, alors, oui, nous sommes à un moment critique.
Critique, parce qu’avec la France, c’est près de la moitié de l’humanité qui est confinée. Des Nations entières sont comme désarçonnées, et même les plus grandes puissances paraissent désorientées. Dans l’Histoire, ce n’est jamais bon signe.
Critique, parce que nous devons prendre des décisions sur la base d’informations souvent incomplètes et contradictoires. Nous ne savons pas tout de ce virus. Ce n’est d’ailleurs pas la moindre des leçons à tirer de cette crise sanitaire que de nous rappeler la masse infinie des choses que nous ne savons pas.
Nous ne savons pas tout. Cela dit, il y a cinq mois, nous ne savions rien. La recherche a progressé à une vitesse qui force l’admiration, aussi bien sur la compréhension de la maladie que sur le séquençage du virus ou la mise au point de tests virologiques et sérologiques. La France est à la pointe des essais cliniques européens et mondiaux permettant de tester l’efficacité de traitements déjà utilisés pour d’autres pathologies. Avec la communauté internationale, nos chercheurs travaillent pour découvrir vaccins et traitements. Le virus nous fait violence, c’est indéniable. Il appelle réactivité et innovation, mais sans faire violence au temps de la science, de l’expérimentation et de la preuve, ce temps demande de la rigueur et de la patience. De la chance aussi, et j’espère que nous en aurons. Mais mon devoir est d’agir sans compter sur elle.
Car des marges d’inconnu demeurent. Nous ne les avons jamais dissimulées ni sous-estimées. Aucun pays au monde, aucun scientifique ne saurait aujourd’hui prédire l’été, l’automne, l’avenir qui nous attendent. Tel savant nous dit, affirmatif et catégorique, qu’il ne peut y avoir de deuxième vague et que l’été verra le virus disparaître. Tel autre, aussi savant, aussi respecté, nous dit l’inverse. L’Histoire dira sans doute lequel aura eu raison, mais nous n’avons pas le temps d’attendre que l’Histoire juge.
Le moment est critique, parce que nous ne pouvons pas rester confinés. Le confinement a porté ses fruits, grâce au civisme et à la discipline de nos concitoyens. Dans leur immense majorité, ils ont compris la nécessité de respecter les règles exceptionnelles adoptées pour freiner l’épidémie. La propagation ralentit, le nombre de décès et d’entrées en réanimations baisse. Une étude de l’École des hautes études de santé publique estime que le confinement a permis d’épargner 62 000 vies, dès le premier mois.
Si nos concitoyens n’avaient pas respecté le confinement, nos services de réanimation auraient été débordés. Plus personne n’aurait pu y accéder. Nos soignants auraient dû choisir entre des malades – c’est le cas dans certains pays. Nous avons évité cette situation, et toutes les décisions que nous prenons restent guidées par cet impératif : protéger chaque vie humaine. Ce qui implique, très concrètement, de veiller à ce que le nombre d’entrées en réanimation reste toujours inférieur aux capacités d’accueil.
Pour atteindre cet objectif, chaque jour de confinement compte : il en reste six. Je mesure parfaitement l’impatience de nos concitoyens, qui souhaiteraient retrouver un quotidien normal, sans restrictions, sans appréhensions. Tout le monde aimerait renouer avec la vie d’avant, avec cette liberté inestimable de sortir pour travailler ou pour flâner, pour amener nos enfants au parc ou chez leurs grands-parents, pour s’offrir une soirée au restaurant ou au théâtre, toutes choses qui n’ont rien d’accessoires, et qui sont véritablement essentielles. Je mesure plus particulièrement combien le confinement pèse sur celles et ceux qui vivent dans des conditions précaires. Ils sont au cœur de nos préoccupations. J’ai une pensée particulière pour ceux qui ont souffert de l’isolement, en plus du confinement, notamment, les personnes âgées seules chez elles ou coupées de leur famille, dans les EHPAD.
Le confinement se justifiait par l’urgence, mais son coût social, humain et économique est colossal. Depuis le début du confinement, les passages aux urgences, les visites chez son généraliste ou chez un spécialiste, les vaccinations obligatoires pour les enfants, les dépistages sont en chute libre, et c’est grave. La lutte contre le Covid-19 ne doit pas nous faire oublier les autres maladies, les autres dangers qui menacent nos concitoyens.
Le Covid-19 est toxique, certes. Mais certains huis-clos le sont aussi, quand des violences, des négligences ou des renoncements s’exercent au sein de la famille. Le Covid-19 est toxique, mais le décrochage scolaire et social l’est tout autant. Nos enfants ont besoin d’être éduqués, cultivés, socialisés. Nos ainés et nos concitoyens fragiles ont besoin d’être visités, rassurés, accompagnés. Nos commerçants, nos artisans, nos industriels, nos entreprises et leurs salariés ont besoin de produire, de vendre. Leur angoisse n’est pas seulement de tomber malade : c’est aussi parfois de mettre la clé sous la porte, de perdre leurs moyens de subsistance, et, parfois, ce qui donne un sens à leur vie.
Le confinement crée ou aggrave les difficultés que rencontrent certaines familles, certains secteurs, certains territoires. Depuis quelques jours, des tensions sont perceptibles dans certains quartiers sensibles, notamment la nuit : nos policiers nationaux et municipaux, nos gendarmes, font face à des actions violentes, parfois à des guet-apens. Nous imaginons tous la lassitude de nos forces de l’ordre, et de nos concitoyens qui habitent dans des quartiers difficiles : leur sentiment d’être assignés à résidence s’aggrave encore depuis sept semaines.
Au-delà de ces violences sporadiques, le confinement déchire notre tissu social. Dès le début, les associations de lutte contre la pauvreté nous ont d’ailleurs alertés sur la hausse des dépenses auxquelles certaines familles étaient confrontées. Nous avons déployé de nouveaux filets de sécurité, aussi vite que possible. Je pense à la prolongation automatique du versement des prestations sociales, à la prolongation de la trêve hivernale et à l’ouverture de plus de 21 000 places d’hébergement d’urgence pour les sans-abri, ou au lancement d’un plan d’aide alimentaire d’urgence, distribuée notamment sous forme de tickets services. J’ai aussi annoncé qu’une aide exceptionnelle de solidarité serait versée automatiquement, le 15 mai, à 4 millions de familles pauvres et modestes. Les ménages bénéficiaires du RSA et de l’ASS recevront 150 euros, plus 100 euros supplémentaire par enfant, et les ménages bénéficiaires des allocations logement recevront 100 euros par enfant.
J’annonce aujourd’hui également une aide pour les jeunes précaires ou modestes de moins de 25 ans. En raison du confinement, les restaurants universitaires ont fermé. Beaucoup de jeunes ont perdu les emplois dont ils ont besoin pour se nourrir et payer leurs loyers. Certains jeunes se sont retrouvés dans une situation que je sais dramatique. Nous avons donc décidé de verser une aide de 200 euros à 800 000 jeunes. Cette somme sera versée début juin aux étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage et aux étudiants ultramarins isolés qui n’ont pas pu rentrer chez eux. Elle sera versée mi-juin aux jeunes de moins de 25 ans, précaires ou modestes, qui touchent les APL.
Nous avons mis en place tout un arsenal de mesures, parmi les plus puissantes au monde, pour soutenir notre économie. Je pense au chômage partiel, dont bénéficie plus d’un salarié du privé sur deux. Je pense aux prêts garantis par l’État pour soutenir la trésorerie des petites entreprises. Je pense au fonds de solidarité pour les très petites entreprises et les travailleurs indépendants. Je pense enfin au report de charges fiscales et sociales.
Ce sont des efforts considérables pour nos finances publiques, c’est-à-dire pour l’argent des Français, l’argent de la Nation, et nous sommes fiers qu’un grand pays comme la France sache les consentir. Pour autant, cette situation ne peut durer. Les fleurons de notre industrie sont menacés : l’aéronautique, l’automobile, l’électronique. Les PME, les ETI, les starts-ups sont au bord de l’asphyxie. Tout ce qui participe au rayonnement de la France, le tourisme, les arts, la gastronomie, est à l’arrêt. Maintenir notre pays dans le confinement serait casser notre moteur économique, asphyxier nos poumons agricoles, condamner notre attractivité, bref mettre en grand danger notre vie future ainsi que la vie de nos enfants.
Le moment est critique parce que nous devons démontrer une forme de discipline collective pour apprendre à vivre avec le virus. Sans vaccin avant un bon moment, sans traitement à l’efficacité démontrée, sans immunité collective, c’est seulement par la prévention, la discipline, la rigueur des comportements individuels et collectifs que nous pourrons maitriser l’épidémie.
Un peu trop d’insouciance et de relâchement, et le risque de la deuxième vague se préciserait. Un peu trop d’immobilisme et d’angoisse, et l’asphyxie collective serait inévitable. Tel est notre chemin de crête. Chemin de crête d’autant plus délicat à aborder que les deux versants qu’il sépare sont des à-pics vertigineux. Sur ce chemin de crête, il nous faut avancer, avec, dirais-je, une forme d’humilité combative.
Le déconfinement aura lieu pas à pas, avec des marches que nous espérons franchir toutes les trois semaines. Et quand je dis que « nous espérons », cela signifie que nous pouvons rester plus longtemps que prévu sur la même marche, ou redescendre une marche si nécessaire. Pour y parvenir, notre stratégie est fondée sur trois principes : la progressivité, la territorialité, la réversibilité.
Tous nos territoires ne progresseront pas au même rythme. Certaines régions ont été frappées les premières, et de plein fouet : le Grand Est, l’Ile-de-France, les Hauts-de-France, la Corse, la Bourgogne-Franche-Comté. À l’inverse, grâce au confinement national, de nombreux départements ont été épargnés. Le bon sens invite à ce que le rythme et les modalités du déconfinement s’adaptent aux spécificités de chaque territoire. Nos exigences de santé publique et de reprise économique ont évidemment vocation à demeurer nationales : mais de nombreuses clés du déconfinement se trouvent sur le terrain, entre les mains des acteurs locaux, notamment les maires et les préfets.
C’est pourquoi j’ai engagé avec les associations d’élus régionaux, départementaux et municipaux une concertation, que je crois étroite et que j’espère fructueuse. Depuis le 28 avril, nous avons considérablement progressé. Il n’est pas nécessaire je crois ici d’expliquer l’importance de ce travail collectif mené au plus près des décideurs locaux.
L’effort de discernement qui nous revient doit être collectif autant qu’individuel, car il concerne nos institutions, dans leur ensemble, et chacun, à son niveau : chaque famille, chaque personne âgée ou fragile, chaque travailleur, chaque élu, chaque fonctionnaire doit y concourir, en conscience et en responsabilité. Ni les décisions de la puissance publique, ni l’engagement du corps médical ne suffiront à vaincre l’épidémie s’ils ne sont appuyés par l’engagement civique et responsable de chacun.
Moment critique donc, moment crucial même, au sens littéral : nous sommes à la croisée des chemins. Devant l’Assemblée nationale, j’ai présenté les trois mots d’ordre qui président à notre stratégie de déconfinement : protéger, tester, isoler.
Pour le premier axe, la protection des Français, il faut le dire et le redire : les mesures barrières que sont la distanciation physique et le lavage des mains restent l’alpha et l’oméga de la sécurité. Avec, ou sans masques, ils sont indispensables. Sur les recommandations des médecins et dans la perspective du déconfinement, le Gouvernement a également décidé de recommander le port du masque. Étant bien entendu que le masque ne vient pas en substitut mais bien en complément des mesures barrières. Dans certaines situations où l’on est confiné, par exemple dans les transports ou dans une salle de classe, nous avons même décidé de le rendre obligatoire, dès qu’on est en âge de le porter.
Nos concitoyens continuent à se demander s’il y aura, le 11 mai, des masques pour ceux qui le souhaitent. Pour beaucoup, l’angoisse d’une dépense supplémentaire est réelle. L’État, les collectivités, les entreprises, travaillent main dans la main, pour que les masques soient accessibles à tous, sur tout le territoire à partir du 11 mai. Je remercie tous ceux qui ont pris des initiatives, qui se sont retroussé les manches, et j’aimerais répondre au malentendu qui a échauffé ce week-end quelques esprits peut-être en mal de polémiques. Je peine à comprendre quel intérêt aurait eu la grande distribution à cacher des stocks de masques, au lieu de les vendre en temps de pénurie. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu de stocks cachés : il y a eu des commandes massives, et il faut un certain temps avant qu’elles se concrétisent en millions de masques disponibles pour l’ensemble de nos concitoyens. Pour tous ceux qui pensent qu’il suffit de commander des masques pour les obtenir, j’ai un long historique dont je peux faire état.
Mais ce qui compte pour l’instant, c’est que, le 11 mai, chacun puisse se procurer des masques, dans les commerces situés près de chez lui. Nous avons écouté les associations d’élus et nous resterons extrêmement attentifs à toutes les remontées du terrain.
L’État et les collectivités locales assureront la protection de leurs personnels. L’État financera 50% des masques grand public que sont en train de se procurer les collectivités. À leur demande, j’ai décidé de prendre en charge de façon rétroactive une partie du cout de ces achats pour les commandes passées à compter du 13 avril dernier. Et j’ai appelé les collectivités qui en ont les moyens à faire preuve de solidarité envers les communes qui les entourent ou les plus petites collectivités. L’État réservera, en outre, une enveloppe hebdomadaire de 5 millions de masques grand public pour les plus vulnérables de nos concitoyens. Il reviendra aux préfets, avec les maires et les présidents de conseils départementaux, d’organiser la distribution des masques à nos concitoyens les plus précaires, via les CCAS et les acteurs associatifs.
Par ailleurs, les régions et l’État vont accroître leur soutien aux TPE et aux travailleurs indépendants, au-delà des initiatives déjà prises par certaines branches ou organisations professionnelles. Une plateforme de e-commerce vient d’être mise en place par la Poste dont je tiens ici à saluer la mobilisation à nos côtés.
Le succès du déconfinement repose ensuite sur notre capacité à tester et à isoler les personnes atteintes du Covid-19. Depuis la semaine dernière, les élus, les préfets et les directeurs généraux d’ARS disposent des éléments leur permettant de planifier la levée du confinement. C’est à l’échelle de chaque département que se déploiera cette chaîne formée de trois maillons puisqu’elle commencera avec les tests, se poursuivra par le traçage des éventuelles contaminations et s’achèvera, le cas échéant, par l’isolement des personnes contaminées.
Les tests virologiques seront le fer de lance de notre stratégie de dépistage. Nous voulons, nous devons, tester d’une part tous ceux qui présenteront des symptômes similaires à ceux du Covid-19 et, d’autre part, ceux de leurs contacts présentant un risque élevé de contamination, qu’ils soient symptomatiques ou non. Quand nous avons établi les modalités du déconfinement, le Conseil scientifique nous indiquait que les modèles épidémiologiques prévoyaient entre 1000 et 3000 nouveaux cas par jour à partir du 11 mai. À chaque cas nouveau correspondra en moyenne le test d’au moins 20 à 25 personnes l’ayant croisé dans les jours précédents. 3000 cas nouveaux, 25 cas contacts : 3000 x 25 x 7, cela donne 525 000 tests par semaine. Nous nous sommes donc fixé l’objectif de réaliser au moins 700 000 tests virologiques par semaine, à partir du 11 mai. Nous voulons avoir une marge, au cas où il y aurait un peu plus de cas nouveaux que ce sur quoi nous comptons, et nous voulons également pouvoir mettre en œuvre, en plus des tests des chaînes de contamination, des campagnes de dépistage comme nous l’avons déjà engagé pour les EHPAD notamment. Les laboratoires publics, privés, de recherche et vétérinaires, sont mobilisés pour que ces tests soient accessibles, à partir du 11 mai, sur tous nos territoires. L’Assurance Maladie les prendra en charge à 100%.
J’aimerais toutefois insister sur un point : les prévisions épidémiologiques du Conseil scientifique ont été formulées sous la condition d’un strict respect du confinement jusqu’au 11 mai. En cas de relâchement, le nombre de nouveaux malades pourrait être bien supérieur aux prévisions qui ont fondé nos modèles, ce qui compromettrait la réussite de toute la stratégie de déconfinement. Il est donc essentiel, et je le dis avec gravité, de respecter scrupuleusement le confinement, jusqu’au 11 mai. Et j’ai bien entendu ceux qui reprochent au Gouvernement de dire que si les conditions n’étaient pas réunies, nous en tirerions les conséquences. J’ose à peine imaginer ce qu’ils diraient si nous déconfinions alors que les conditions initialement fixées ne se trouvaient pas réunies…
Pour réussir cette grande manœuvre nationale de dépistage, de traçage et d’isolement, nous mobilisons plusieurs tours de contrôle. Les professionnels de santé libéraux, à commencer par les médecins généralistes, seront en première ligne pour identifier les malades et leur entourage familial immédiat. Les équipes de l’Assurance Maladie prendront ensuite le relais pour tracer les cas contacts. Enfin, si des clusters apparaissaient, il reviendrait aux ARS et aux préfets de gérer ces cas, plus complexes encore.
L’isolement des malades, ou la mise en quatorzaine des cas contact, aura ensuite lieu à domicile, impliquant l’isolement de tous les membres du foyer. Il pourra aussi intervenir le cas échéant dans des lieux dédiés que les préfets sont chargés d’identifier et de conventionner avec les bailleurs ou les propriétaires – hôtels, centres de vacances, ou d’autres types de lieux d’hébergement collectif, si la personne à isoler préfère, par exemple pour des raisons liées à l’état de santé de ses proches, s’y isoler seul. Les ARS veilleront aussi au suivi sanitaire de ceux qui sont isolés seuls dans ces structures particulières.
Cette chaîne de dépistage, de test et d’isolement, sa solidité dépendra du civisme de nos concitoyens. Nous ne vivons pas dans un régime policier. Pour cette nouvelle phase qui commence le 11 mai, l’assouplissement du confinement s’accompagne nécessairement d’un assouplissement des contrôles. C’est donc un défi logistique et un défi civique qu’il nous faut relever. Mais ce défi logistique nécessite une organisation qui impose de recourir à des instruments nouveaux. Dans le texte que le Sénat examinera dans quelques heures, une disposition permet aux équipes constituées pour remonter les chaînes de contamination de faire le travail, d’appeler les cas contacts, de leur indiquer où se faire tester, où être isolé, de vérifier que les procédures sont bien respectées. Sans le fichier permettant à ces brigades de fonctionner, il n’y a aucune chance de remonter de façon systématique les chaînes de contamination et donc de maîtriser la propagation de l’épidémie.
Le défi de l’organisation et du civisme, il concerne également la réouverture des crèches et des écoles. Là encore, nous sommes attentifs à toutes les complexités de mise en œuvre, ouverts à toutes les propositions, conscients des innombrables spécificités, d’un territoire à l’autre, d’une classe à l’autre.
Mais avant de peser ces difficultés, nous devons rappeler que la fermeture des écoles est, à l’évidence, une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents. Celles et ceux qui n’ont pas accès à des livres, à internet, à une alimentation correcte, celles et ceux qui n’ont pas un espace pour eux, pour respirer et qui se sentent livrés à eux-mêmes, doivent retourner à l’école. Cinq mois de décrochage scolaire, pour des milliers de jeunes, c’est probablement une bombe à retardement. Le confinement pose beaucoup de bombes à retardement de toutes natures, sociales, économiques, géopolitiques. Il me semble que celle-ci n’est pas la moins dangereuse.
La réouverture des écoles nous semble donc une priorité, pédagogique, sociale et républicaine, qu’il faut évidemment concilier avec nos impératifs sanitaires. Les préfets, les recteurs et les directeurs départementaux des services de l’Education nationale y travaillent sans relâche.
Les effectifs ne devront pas dépasser 15 élèves par classe, pour favoriser le respect des mesures barrières. Du gel hydro-alcoolique sera distribué et la vie scolaire sera aménagée pour assurer le contrôle des flux d’entrée ou encore la restauration scolaire. En ce qui concerne le calendrier, nous proposons une réouverture très progressive des maternelles et de l’école élémentaire à compter du 11 mai, partout sur le territoire, et sur la base du volontariat. À partir du 18 mai, dans les départements où la circulation du virus est faible, c’est-à-dire les départements verts, ouverture des collèges, en commençant par la 6ème et la 5ème. Nous déciderons à la fin du mois de mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en commençant par les lycées professionnels, début juin.
Je l’ai dit, nous fournirons des masques au personnel de l’Éducation nationale et aux collégiens. Pour ces derniers, le masque sera obligatoire quand les règles de distanciation sociale risquent de ne pas être respectées. Pour les élèves des classes élémentaires, le port du masque n’est pas recommandé. Il est même proscrit pour les enfants de maternelles.
Le 11 mai, tous les enfants et les adolescents ne retourneront pas physiquement à l’école. La situation ne sera pas identique dans toutes les écoles de toutes les communes, dans toutes les classes d’un même niveau. À la vérité, l’était-elle avant le confinement ? On pourrait en débattre. Mais je suis intimement convaincu que là où elle peut avoir lieu, elle doit avoir lieu, si possible pour ceux des enfants qui en ont le plus besoin. Et je sais bien, nous savons bien, Mesdames et Messieurs les sénateurs, que tous les enfants en ont besoin. Mais il est un fait que certains en ont probablement plus besoin encore. Et il est certain que les directeurs d’école, et les professeurs, les services de l’Éducation nationale et les mairies peuvent faire en sorte que ceux-là, et d’autres, puissent reprendre le chemin de l’école. Ne disons pas d’emblée que parce que cela ne serait pas possible partout, cela ne devrait avoir lieu nulle part. Chaque retour à l’école sera une bonne nouvelle. J’en appelle donc, là encore, au discernement de chacun – famille, équipes pédagogiques, rectorats – pour que les groupes de quinze élèves soient formés des jeunes des familles qui en ont le plus besoin. Les autres continueront à travailler, ils ne vont pas interrompre leur scolarité : ils pourront le faire chez eux, dans des locaux scolaires et périscolaires mis à disposition par les collectivités, lorsque la disposition des locaux s’y prête et lorsque cela est possible.
Les mêmes contraintes, et donc le même civisme, concernent les crèches. Les enfants seront accueillis par groupes de dix. Je sais que les professionnels de la petite enfance mènent un travail remarquable et décideront, au cas par cas, quelles familles sont prioritaires. Je remercie très sincèrement celles et ceux qui s’occupent des enfants, dans des circonstances éprouvantes.
S’agissant des entreprises, le télétravail doit se poursuivre après le 11 mai pour limiter le recours aux transports en commun, et favoriser la distanciation physique. Quand le télétravail est impossible, il faut encourager la pratique des horaires décalés, et limiter la proximité des salariés dans un même espace de travail. C’est facile à dire, c’est évidemment difficile à faire, surtout lorsque l’on se trouve dans de grandes agglomérations, où l’organisation de rythmes différents peut être délicate. Il n’empêche, les collectivités territoriales, les autorités organisatrices de transports, les responsables, les représentants des entreprises peuvent, me semble-t-il, effectuer ce travail et tenter de s’entendre pour améliorer la donne et la situation.
Sur la question des transports, les inquiétudes sont grandes. Pour les transports inter-régionaux et interdépartementaux c’est-à-dire pour se rendre à plus de 100 km, les déplacements devront être réduits aux motifs impératifs, qu’ils soient familiaux ou professionnels. Lorsque ces déplacements auront lieu en train, il sera assez facile, par un système de réservation obligatoire, de limiter l’accès aux voitures à la moitié de sa capacité normale, et de diminuer ce faisant la densité et la proximité des voyageurs. L’exercice sera bien entendu plus compliqué dans les transports en commun et singulièrement dans les zones les plus denses que sont les grandes agglomérations régionales, notamment celles équipées de métro.
J’évoquais l’éthique de responsabilité, la nécessité pour chacun de se montrer à la hauteur du moment que nous vivons, à l’instar des personnels hospitaliers qui se sont littéralement surpassés ces dernières semaines pour trouver de la place pour tous les malades et nous permettre de surmonter la première vague de l’épidémie.
Dimanche, c’est d’abord par la presse que j’ai pris connaissance d’une lettre adressée au Premier ministre par des responsables d’entreprises de transport, publiques pour beaucoup d’ailleurs, exprimant leur crainte de ne pas savoir organiser les services publics dont ils ont la charge, dans les conditions que le Gouvernement et le Parlement jugent nécessaires à la réussite du déconfinement. Ne voulant voir dans ce procédé que le souhait de surmonter au mieux les difficultés qu’ils anticipent, j’ai demandé au Secrétaire d’État chargé des Transports d’intensifier encore ses échanges avec eux afin qu’ils trouvent les bonnes réponses aux questions complexes que soulève l’impératif d’une ouverture maîtrisée des transports publics à compter du 11 mai. Je ne doute pas qu’ils sachent y parvenir, animés par cet esprit de dévouement au bien public qui permet à tant de nos concitoyens de se surpasser dans leur tâche depuis l’arrivée du virus sur notre sol.
La vie économique, Mesdames et Messieurs, doit reprendre impérativement et rapidement. Avec des aménagements et de la bonne volonté. Les fédérations professionnelles et le ministère du Travail ont réalisé des guides et des fiches métiers pour accompagner les réorganisations nécessaires au sein des entreprises. Il en est je crois aujourd’hui 52 disponibles. Tous les secteurs en auront à disposition le 11 mai.
Les partenaires sociaux jouent un rôle précieux pour que ces plans de réorganisation du travail respectent au mieux les mesures barrières. Je me suis entretenu jeudi avec les syndicats de salariés et les représentants des employeurs pour que le dialogue social contribue à remettre la France au travail sans mettre en danger la santé des Français.
Ce qui implique aussi de continuer à accompagner les entreprises en difficultés. Le dispositif d’activité partielle que nous avons mis en place, et qui est aujourd’hui l’un des plus généreux d’Europe, restera en vigueur jusqu’au 1er juin. Nous l’adapterons ensuite progressivement, selon l’évolution de l’épidémie. Le fonds de solidarité sera prolongé jusqu’à la fin du mois de mai. Il sera même renforcé pour toutes les TPE qui ont fait l’objet de mesures de fermeture administrative. Le deuxième étage de ce fonds, qui donne droit à une subvention pouvant aller jusqu’à 5000 euros, sera désormais accessible à tous les commerces qui ont été fermés, y compris s’ils n’ont pas de salariés, ce qui est souvent le cas pour un coiffeur, un fleuriste ou un libraire. Les reports de charges fiscales et sociales resteront autorisés jusqu’à fin mai et nous sommes prêts à convertir ces reports en exonérations définitives de charges, non seulement pour les entreprises du secteur de la restauration et du tourisme, mais aussi pour toutes les TPE ayant fait l’objet de mesures de fermeture. Ce sont des mesures exceptionnelles qui témoignent de notre détermination à soutenir toutes nos entreprises pour qu’elles puissent repartir le plus vite et le mieux possible.
C’est aussi pour relancer notre moteur économique que nous avons décidé de rouvrir les commerces, les marchés de plein air et les halles couvertes. L’ensemble des associations d’élus le demandait. Nos concitoyens y sont favorables, et, là encore, ils devront y respecter strictement les règles de distanciation physique. Les préfets pourront refuser leur ouverture si ces règles ne sont pas respectées. Les préfets pourront également de ne pas laisser ouvrir, au-delà des sections alimentaires, les centres commerciaux de plus de 40 000 m2 qui attirent des populations au-delà de leur bassin de vie.
Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons choisi, par précaution sanitaire, de prolonger la fermeture des restaurants et des cafés, des cinémas et des théâtres, des manifestations sportives et culturelles, des plages, des lacs, des salles de fêtes. La situation sera réévaluée fin mai pour une décision effective au 2 juin.
Le retour à la vie normale sera donc progressif et adapté à chaque territoire. Jeudi dernier, le ministre Solidarités et de la Santé a présenté à nos concitoyens une carte de France tricolore. Chacun a pu voir si son département est classé en zone rouge, verte ou orange, au vu des critères que nous avons définis avec les autorités sanitaires. Cette carte de France sera actualisée chaque jour, en toute transparence. Elle deviendra rapidement bicolore puisque nous avons classé pour l’instant en orange les zones qui étaient encore en évolution incertaine.
Notre stratégie de lutte contre l’épidémie a été déclinée avec la plus grande vigilance dans nos Outre-mer. Il en va de même pour notre stratégie nationale de déconfinement, je voudrais en dire un mot. Je suis très attentif à ce que ces territoires disposent, comme l’Hexagone, des tests et des masques grand public, notamment dans les crèches, les écoles et les transports. La chaîne de vigilance, de suivi et de responsabilité doit être partout aussi résistante, grâce aux élus locaux et aux préfets. Je parlais de différenciation : Outre-mer, la principale adaptation de la stratégie nationale porte sur le maintien des interdictions d’arrivée dans ces territoires au-delà du 11 mai. Seules les personnes ayant des motifs familiaux ou professionnels impérieux ou une obligation de santé pourront se rendre Outre-mer. Et elles demeureront soumises à l’obligation de quatorzaine. Nous ferons un point début juin pour voir s’il faut maintenir ces mesures très contraignantes, qui pèsent notamment sur les capacités de fret. Je tiens néanmoins à indiquer que nous profiterons du déconfinement pour organiser le retour chez eux des étudiants ultramarins qui en ont exprimé le souhait dans le recensement qui vient de s’achever de rentrer chez eux.
Un mot enfin sur Mayotte, où nous avons choisi de reporter le déconfinement. Mayotte vient de passer en phase 3. Le virus y circule activement. La prolongation du confinement est l’unique manière d’éviter la saturation d’un système hospitalier déjà très sollicité et déjà très fragile. Nous ferons un point le 14 mai pour envisager l’assouplissement du confinement, en particulier le retour à l’école primaire à partir du 18 mai. D’ici là, nous continuons à renforcer les capacités sanitaires du territoire et les actions pédagogiques et sociales que nous y menons, notamment en matière d’aide alimentaire.
J’aimerais finir en évoquant trois emblèmes de ce que signifie, pour notre pays, vivre dans le sens le plus plein du terme : la vie culturelle, la vie cultuelle et les élections municipales. La liberté de créer, de se laisser bouleverser et habiter par des œuvres d’art, le droit de voter et de se présenter à des élections, la liberté de culte sont parmi les libertés les plus sacrées que nos concitoyens exercent et revendiquent. Mais alors que l’appétit culturel de nos concitoyens est comme décuplé par le confinement, le secteur culturel est l’un des plus frappés par la crise sanitaire. Cette dernière met au jour et accroît la vulnérabilité de milliers de professionnels, d’innombrables institutions. Il y a urgence pour la culture, le Gouvernement le sait et y travaille. Dès le début du confinement, nous avons garanti l’accès des acteurs de la culture aux mesures d’urgence mises en place par le Gouvernement. Le secteur des arts et de la culture a pour l’instant bénéficié de 52 millions d’euros du fonds de solidarité. Et comme l’a annoncé le Président de la République la semaine dernière, les acteurs de la culture sont éligibles au plan de 8 millions d’euros d’accompagnement des secteurs particulièrement impactés, comme le tourisme et les cafés restaurants. Les difficultés mises au jour, comme la question du chômage partiel pour les intermittents, l’accès des artistes-auteurs au fonds de solidarité ou l’accès des entreprises au Prêt garanti par l’État seront réglées dans les prochains jours : les ministères de la Culture, du Travail et de l’Économie et des Finances s’y emploient. Le Gouvernement a également mis en place des mesures d’urgence spécifiques pour les acteurs culturels. Certaines situations sont dramatiques et il faut continuer à soutenir, à protéger la création. Le Président de la République annoncera de nouvelles décisions mercredi.
Nous avons d’ores et déjà décidé de rouvrir de premiers lieux culturels à partir du 11 mai, dans le respect des exigences sanitaires. Ce sera notamment le cas des lieux culturels de proximité qui participent à la vie éducative de nos enfants : les bibliothèques, les médiathèques, les musées et les monuments dont la fréquentation n’entraîne pas de longs déplacements pour les visiteurs et qui ne brassent pas trop de populations venant d’au-delà de leur bassin de vie. Il en va de même pour les librairies, les disquaires et les galeries. Nous devrons attendre début juin, si la situation sanitaire le permet, pour rouvrir tous les lieux de spectacles, les salles de cinéma et les grands musées et monuments, et voir les conditions dans lesquelles ils pourront rouvrir. Les manifestations et les évènements culturels réunissant plus de 5 000 personnes resteront interdites jusqu’à fin août – et nous l’avons dit très tôt pour donner de la visibilité aux acteurs, aux organisateurs, aux participants, à tous ceux qui contribuent au succès de ces manifestations d’importance. Tous, nous aimerions que le Festival d’Avignon, les Francofolies, les Eurockéennes ou les Nuits de Fourvière aient lieu. Mais il n’est pas possible de concilier ces grands rendez-vous culturels avec les précautions sanitaires nécessaires à la gestion de l’épidémie, et notre priorité, c’est d’éviter l’irruption d’une deuxième vague.
Le même état d’esprit nous anime en ce qui concerne la liberté de culte. J’entends le désarroi des croyants, privés de rassemblements et de célébrations qui ne sont pas seulement une expression de leur appartenance religieuse, mais une des sources vivantes de leur foi. Ils ont dû renoncer à beaucoup de ces rites qui marquent les grands moments de la vie – et je pense aux moments de fête autant qu’aux moments de deuil. Je comprends l’impatience des ministres du culte, de toutes les confessions. Je leur demande instamment d’attendre, en conscience, pour que nous n’ayons pas à regretter une décision précipitée. Tout le monde reconnaîtra que les cérémonies et offices dans les églises, dans les synagogues, dans les temples ou dans les mosquées, et à plus forte raison les mariages, les baptêmes ou les bar-mitsvah, réunissent des proches et des moins proches, dans des lieux souvent confinés, avec une forme de brassage profondément réjouissant en temps normal, mais infiniment périlleux en temps de crise sanitaire.
J’avais indiqué qu’il faudrait attendre le 2 juin pour que des offices et des prières ouverts aux fidèles puissent à nouveau se tenir dans les lieux de culte. Beaucoup de cultes ont fait des propositions, pour concilier le déroulement de leurs réunions avec les exigences de distanciation physique. Je sais notamment que la période du 29 mai au 1er juin correspond, pour plusieurs cultes, à des fêtes ou à des étapes importantes du calendrier religieux. C’est pourquoi, si la situation sanitaire ne se dégrade pas au cours des premières semaines de levée du confinement, le Gouvernement est prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai.
Je mesure enfin l’impatience de beaucoup d’élus sur la suite des élections municipales. Dans les 30 000 communes qui ont élu un conseil municipal complet, beaucoup plaident pour une installation rapide des équipes qui disposent, depuis le 15 mars, de la légitimité du suffrage.
C’est un enjeu démocratique puisque, dans ces communes, le scrutin est terminé. C’est aussi un enjeu économique car leurs administrés comptent sur eux pour prendre des décisions en matière d’investissements.
La loi du 23 mars a fixé le cadre dans lequel nous devons nous placer pour prendre les décisions essentielles que sont l’installation des conseils municipaux élus au premier tour et la possibilité de tenir le deuxième tour des élections municipales. L’article 19 de cette loi précise, je le cite : « au plus tard le 23 mai 2020, est remis au parlement un rapport du gouvernement fondé sur une analyse du comité scientifique se prononçant sur l’état de l’épidémie de Covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant. Le comité de scientifiques examine également les risques sanitaires et les précautions à prendre : 1° pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour ; 2° pour les réunions des conseils communautaires ». Il me parait que rien n’impose, dans cet article, que le comité de scientifiques statue en une seule fois, ou que le Gouvernement fasse un rapport unique sur ces questions.
Autrement dit, il est possible pour le Gouvernement de demander un avis au Conseil scientifique sur la question de l’installation des conseils élus et des conseils communautaires sans attendre le 23 mai. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi ce matin le Conseil scientifique sur ces deux questions, et ces deux-là uniquement. Sur la base de son avis, je remettrai au Parlement un rapport dans les plus brefs délais qui permettra de dire si, et surtout quand, cette installation est possible, pour des conseils municipaux qui, dans l’immense majorité des 30 000 communes concernées, ne compte en général pas plus de 15 membres.
Les dispositions de l’article 10 de la loi d’urgence du 23 mars 2020, qui prévoient que chaque élu peut détenir deux procurations au lieu d’une actuellement et qui assouplit les conditions de quorum puisque seule la présence d’un tiers des membres est requise, permettront de concilier plus simplement le respect des conditions de sécurité sanitaire et le bon fonctionnement de la démocratie locale.
S’agissant du deuxième tour, il faut encore attendre un peu. Je remettrai au Parlement, au plus tard le 23 mai, le rapport qui déterminera s’il peut avoir lieu en juin. Dans le cas contraire, nous devrons décider collectivement, d’une part, de sa date, et d’autre part, des modalités de son report qui emporterait avec lui un certain nombre de conséquences, qu’aucun d’entre vous, dans cette enceinte, n’ignore. Le Gouvernement et moi-même consultons très régulièrement les associations d’élus et les groupes parlementaires pour préparer cette échéance.
Enfin, j’entends les réticences de certains maires, de certains chefs d’entreprise, qui craignent que leur responsabilité soit engagée. Le sujet de la responsabilité face au Covid-19 n’est pas un petit sujet. J’aimerais m’y attarder un peu. Le régime de responsabilité pénale des décideurs vous est bien connu : il est issu, en plus des dispositions anciennes du Code pénal, de la loi dite Fauchon, du 10 juillet 2000. Si ce régime n’a pas été modifié depuis près de 20 ans, c’est qu’il est juste, c’est-à-dire à la fois précis dans son contenu et équilibré dans sa portée.
Il n’a pas empêché, depuis 20 ans, de prendre des décisions. J’en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre, je n’ai été empêché de prendre les décisions que j’estimais devoir prendre au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens, et notamment des informations dont je disposais et sur lesquelles je pouvais appuyer ces décisions. Et chacun sait en outre que ces dispositions n’ont pas empêché des responsables publics de répondre – car être responsable, étymologiquement, c’est bien avoir à répondre – de leurs décisions. Il n’empêche, la question se pose, les inquiétudes sont là, et il nous faut y répondre.
Il me semble que nous devons le faire avec deux convictions. Chacune est importante. La première est que notre Constitution nous invite à ne pas aborder cette question de manière segmentée, en pensant à telle catégorie de responsables ou à telle autre. Bien entendu, le Sénat est parfaitement dans son rôle quand il accorde une attention particulière à la situation des élus locaux. Pour autant, un maire qui ouvre une crèche, un président d’intercommunalité qui organise les transports en commun, un préfet qui autorise la reprise d’un marché, un chef d’entreprise qui redémarre un chantier, ne sont pas dans des situations fondamentalement différentes : ce sont tous des femmes et des hommes qui ont la responsabilité d’autres femmes et d’autres hommes, et qui ont à prendre des décisions dans cette crise. Traitons-les de façon équitable. La seconde est que cette question mérite d’être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage, mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs, publics ou privés, s’exonèrent de leurs responsabilités.
Je le redis, ce n’est en rien un hasard si les mots de la loi Fauchon n’ont pas bougé depuis 20 ans : « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ». Il me semble, mais il appartiendra au Parlement d’en décider, que c’est cet équilibre que nous devons préserver : préciser la loi, rappeler la jurisprudence, qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi, ou pas agi : oui. Atténuer la responsabilité : je suis nettement plus réservé.
Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, c’est ensemble que nous devons résoudre les problèmes, pas à pas. J’y suis disposé. Il appartiendra au Parlement de trancher la délicate question de savoir si ce sujet sérieux, ce sujet qui va susciter beaucoup d’attention, pas simplement de la part des décideurs bien entendu, mais de la part de l’ensemble de nos concitoyens, doit être traité à l’occasion d’un amendement, ou à l’occasion d’un texte spécifique. J’ai la certitude que le Parlement dans son immense sagesse saura répondre à cette question délicate.
Le 11 mai, Mesdames et Messieurs les sénateurs, ne sera pas le début de l’insouciance, mais le début de la reprise. Il faut nous y engager avec prudence et responsabilité. Pendant des siècles, quand survenait une épidémie, on se répétait le fameux « Cito, longe, tarde », « Pars vite, loin et longtemps » que la tradition attribue à Galien, le médecin de Marc-Aurèle pendant la grande peste antonine. Je signale à toutes fins utiles que Galien était fils de sénateur. Aujourd’hui, il n’est question pour personne et pour nous moins que pour quiconque, de fuir, de nous dérober face à cette épidémie. Il est question de prendre de bonnes décisions qui engagent toute la collectivité, sans fuir le débat, en mettant le Parlement au cœur des enjeux. Voilà pourquoi j’ai tenu à vous présenter notre stratégie nationale de déconfinement et à la soumettre à votre vote.
Nous présenterons aussi cette semaine au Parlement une loi qui prorogera l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet, et qui autorisera la mise en œuvre des mesures nécessaires à l’accompagnement du déconfinement.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, nous voulons, comme nos partenaires européens, traverser l’épreuve de cette épidémie dans le respect de nos valeurs. Nous voulons démontrer que la démocratie libérale et sociale est capable de faire face. Quand une démocratie comme la France est à la croisée des chemins, et qu’il faut définir puis emprunter les voies les moins mauvaises, les moins périlleuses pour nos concitoyens, elle ne peut y parvenir qu’avec le soutien et l’apport des élus qui les représentent, dans toute leur diversité et au plus près de nos territoires. Cette conviction a porté mon engagement politique. Elle est un fil directeur de notre action.
réussite de ce déconfinement reposera sur l’adhésion de nos concitoyens, qui est un moteur infiniment plus puissant que la contrainte. Ce qui se joue, avec ce déconfinement, c’est un acte de confiance collective, de confiance entre nous, partout dans le pays. C’est la capacité de notre démocratie libérale et sociale à surmonter une crise majeure sans renoncer ni aux libertés ni aux solidarités. Les épidémies d’une ampleur de celle que nous traversons ne sont jamais anecdotiques dans l’histoire d’une civilisation. Elles peuvent conduire à l’affaiblissement, peut-être même à l’écroulement, elles peuvent aussi amener à une forme de rénovation. Je crois en mon pays. J’ai la conviction la plus inébranlable que nos institutions, nos talents, notre jeunesse sauront nous en relever, avec un surcroît de force et de solidarité.